T-350-78
Bernice McCarthy (Demanderesse)
c.
Le procureur général du Canada (Défendeur)
Division de première instance, le juge suppléant
Lieff—Toronto, le 23 février et le 28 juin 1979.
Fonction publique — Concours — La demanderesse a été
inscrite sur la liste d'admissibilité puis radiée par la suite sans
audition — Il ressort du nombre de nominations faites avant et
après la radiation que, n'eût été cette radiation, la demande-
resse aurait été nommée — Rejet du grief et rejet, pour cause
d'incompétence, de l'appel devant la Commission de la Fonc-
tion publique, Direction générale des appels — La demande-
resse conclut à un jugement portant: (1) qu'elle a été privée
sans motifs légitimes de ses droits à une nomination, (2) que le
défaut d'audition antérieure à sa radiation équivalait à un
déni de justice naturelle, (3) qu'elle avait droit à une audition
qui déterminerait la validité de sa radiation de la liste, (4)
qu'elle avait droit aux dommages-intérêts, (5) subsidiaire-
ment, qu'elle a le droit d'interjeter appel devant la Commis
sion de la Fonction publique, Direction générale des appels —
Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), c. 10, art. 18
— Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique,
S.R.C. 1970, c. P-32, art. 6(2),(3), 21.
En avril 1977, la demanderesse a été inscrite à la trentième
place d'une liste d'admissibilité à la suite d'un concours pour un
poste dans la Fonction publique, liste dont elle a été radiée en
septembre 1977. Quinze personnes ont été nommées au poste
visé avant la radiation de la demanderesse, et quinze autres
après sa radiation. Le Ministère en cause a radié la demande-
resse de la liste avec l'autorisation de la Commission de la
Fonction publique, mais sans tenir une audition à cet effet. La
Commission de la Fonction publique, Direction générale des
appels, s'est déclarée incompétente pour connaître de l'appel
formé par la demanderesse dont le grief, intenté conformément
à la convention collective et à la Loi sur les relations de travail
dans la Fonction publique, a été rejeté au dernier palier. En
l'espèce, la demanderesse conclut à un jugement portant qu'elle
a été privée sans motifs légitimes de ses droits à une nomina
tion, que le défaut d'audition équivalait à un déni de justice
naturelle à son égard, qu'elle a droit à une audition tenue par la
Commission de la Fonction publique afin de déterminer si sa
radiation était valide, qu'elle a droit aux dommages-intérêts, et
subsidiairement, qu'elle a le droit d'interjeter appel de la
mesure prise par le Ministère devant la Commission de la
Fonction publique, Direction générale des appels.
Arrêt: la demande est rejetée. Il est établi que la radiation de
la «liste d'admissibilité» est un acte purement administratif. La
Cour est compétente en vertu de l'article 18 de la Loi sur la
Cour fédérale pour rendre un jugement déclaratoire en l'espèce
si la demanderesse est fondée en sa demande. Sauf erreur
juridictionnelle, la Cour fédérale n'interviendra pas pour modi
fier un code de procédure établi en vertu d'une loi du Parlement
pour régler les questions qui y sont spécifiées. Cependant, la
procédure de grief prévue par la Loi sur les relations de travail
dans la Fonction publique n'était pas le seul recours ouvert à la
demanderesse. Nul article de cette loi ne prévoit qu'un fonc-
tionnaire qui décide de formuler un grief n'est plus habilité à se
pourvoir en justice. Pour priver un citoyen de ce droit, il faut
des dispositions expresses et non équivoques. Il ressort des
paragraphes 6(2) et 6(3) de la Loi sur les relations de travail
dans la Fonction publique que l'intention du législateur est de
ne requérir une audition que lorsque les nominations ont déjà
été faites parmi les employés de la Fonction publique; et d'autre
part que lorsque le législateur prévoit une audition dans un cas
et non pas dans l'autre, il convient d'appliquer la règle d'inter-
prétation expressio unius pour refuser, en l'espèce, une audition
à la demanderesse. La demanderesse a essayé de se prévaloir de
l'article 21 pour se plaindre du traitement qui lui a été réservé
au titre de l'article 6(2); elle n'a pas essayé de contester la
sélection des autres candidats. Or, l'article 6 prévoit ses propres
voies de recours et, lorsque celles-ci s'avèrent infructueuses,
l'article 21 ne peut être invoqué à titre de rechange. Les
arguments d'équité en matière de procédure n'interviennent
guère en l'espèce. La seule obligation d'équité d'un jury de
sélection ou d'appréciation est d'évaluer honnêtement les méri-
tes de chaque candidat en vue d'un poste. Vu que la demande-
resse avait un dossier de présence médiocre et vu sa réaction à
ce dossier, on ne peut dire honnêtement qu'elle n'a pas été jugée
avec équité sur ses mérites, lesquels ont été jugés insuffisants.
Par ailleurs, il s'agit en l'espèce d'une question de promotion et
non d'un renvoi. Or, la décision d'accorder ou de refuser une
promotion appartient à l'employeur qui est libre de donner ou
non au candidat l'occasion de défendre sa cause.
Arrêts suivis: Landreville c. La Reine [1973] C.F. 1223;
McCann c. La Reine [1976] 1 C.F. 570. Distinction faite
avec l'arrêt: Clarke c. Le procureur général de l'Ontario
[1966] 1 O.R. 534. Arrêt approuvé: Pearlberg c. Varty
[1972] 1 W.L.R. 534. Arrêt examiné: Nicholson c. Haldi-
mand-Norfolk Regional Board of Commissioners of
Police [1979] 1 R.C.S. 311. Arrêt appliqué: Blagdon c. La
Commission de la Fonction publique, comité d'appel
[1976] 1 C.F. 615.
ACTION.
AVOCATS:
S. Grant pour la demanderesse.
P. Evraire pour le défendeur.
PROCUREURS:
Cameron, Brewin & Scott, Toronto, pour la
demanderesse.
Le sous-procureur général du Canada pour le
défendeur.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE SUPPLÉANT LIEFF: Dans la présente
action, la demanderesse sollicite de la Cour un
jugement déclaratoire portant:
[TRADUCTION] a) ... qu'elle a été privée sans cause raisonna-
ble, de ses droits à une nomination au ministère du Revenu
national (Impôt);
b) ... qu'elle a été, par suite du défaut d'audition, privée de
justice naturelle;
c) ... qu'elle a le droit à ce qu'une audition soit tenue ou un
comité d'enquête établi par la Commission de la Fonction
publique afin de déterminer si la radiation de son nom de la
liste d'admissibilité révisée est valide;
d) ... qu'elle a droit à une indemnité pour les dommages
généraux et spéciaux, directs et indirects qui découlent des
mesures prises par le ministère du Revenu national et du déni
de justice naturelle;
e) Subsidiairement ... qu'elle a le droit d'en appeler auprès de
la Commission de la Fonction publique, Direction générale des
appels, des mesures prises par le ministère du Revenu national
(Impôt);
Au paragraphe 11 de sa déclaration, la deman-
deresse écrit [TRADUCTION] «qu'on ne lui a jamais
donné l'occasion de prendre connaissance des
motifs de sa radiation de ladite liste d'admissibilité
révisée ni de les contester et qu'aucune audition
n'a été tenue pour lui permettre de s'inscrire en
faux contre la validité des mesures prises contre
elle et qu'elle a donc été traitée d'une façon arbi-
traire, discriminatoire et injuste, qui constitue un
déni de justice naturelle.»
Cette audition aurait-elle dû être tenue? Il s'agit
là, en l'espèce, de la question essentielle.
Les faits ne font l'objet d'aucun litige et sont
énoncés au complet dans les deux exposés conjoints
du 20 avril 1978 et du 23 février 1979, qui sont
ainsi rédigés:
Exposé du 20 avril 1978:
[TRADUCTION] 1. La demanderesse est un commis à l'emploi
du ministère du Revenu national (Impôt) à Toronto (Ontario).
2. La demanderesse a postulé l'emploi de commis aux cotisa-
tions, groupe occupationnel CR-4, numéro de concours
77 -TAX-TOR -CC-8, en mars 1977.
3. La demanderesse figurait sur la liste d'admissibilité en
vigueur le 12 avril 1977, la trentième place.
4. D'avril à août 1977, les quinze premières personnes de ladite
liste ont été nommées à un emploi de commis aux cotisations.
5. En septembre 1977, une lettre (appendice A) avisait la
demanderesse que son nom était radié de la liste d'admissibilité.
6. Subséquemment, les quinze autres personnes dont les noms
figuraient sur la liste ont été nommées à un emploi de commis
aux cotisations.
7. Le ministère du Revenu national a radié le nom de la
demanderesse de ladite liste après en avoir reçu l'autorisation
de la Commission de la Fonction publique. La demande d'auto-
risation et la réponse y afférente forment respectivement les
appendices B et C.
8. Le ministère du Revenu national et la Commission de la
Fonction publique n'ont tenu aucune audition ni établi un
comité d'enquête.
9. La demanderesse a fait appel auprès de la Direction géné-
rale des appels de la Commission de la Fonction publique qui,
dans la décision ci-jointe formant l'appendice D, s'est déclarée
incompétente pour tenir une audition.
10. La demanderesse, par le canal de l'Alliance de la Fonction
publique du Canada, a présenté un grief conformément aux
dispositions de la convention collective et de la Loi sur les
relations de travail dans la Fonction publique; à cette date, le
grief, après avoir été rejeté au premier et au deuxième paliers,
est en suspens au troisième palier.
Exposé complémentaire du 23 février 1979:
[TRADUCTION] I. La demanderesse a présenté son grief au
quatrième et dernier palier, qui l'a rejeté et l'affaire n'a pas été
renvoyée en arbitrage; et
2. La demanderesse a quitté l'emploi de Sa Majesté la Reine,
le 9 juin 1979.
L'exposé de la défense est en substance le
suivant:
[TRADUCTION] Le défendeur nie spécifiquement avoir violé les
principes de justice naturelle, comme le déclare le paragraphe
11 de la déclaration,
et
se fondant sur les articles 6(1), 6(2) et 6(3) de la Loi sur
l'emploi dans la Fonction publique, S.R.C. 1970, c. 71 et les
modifications y afférentes, déclare que la Commission de la
Fonction publique a régulièrement autorisé la radiation du nom
de la demanderesse de la liste d'admissibilité à laquelle se
réfère le paragraphe 10 de la déclaration.
Le défendeur ... se fonde sur les articles 90(1) et 91 de la Loi
sur les relations de travail dans la Fonction publique, S.R.C.
1970, c. P-35 et les modifications y afférentes
et
... déclare que par décision écrite du 20 octobre 1977, un
comité établi par la Commission de la Fonction publique au
titre de l'article 21 de la Loi sur l'emploi dans la Fonction
publique, S.R.C. 1970, c. 71 pour faire une enquête sur la
mesure prise par le ministère du Revenu national (Impôt) s'est
déclaré incompétent. Le défendeur plaide et invoque la doctrine
de RES JUDICATA.
Le défendeur nie que la demanderesse ait subi les dommages
dont elle fait état.
En l'espèce, les questions de droit sont com
plexes et j'estime opportun de les commenter sous
six rubriques.
1. L'article 18 de la Loi sur la Cour fédérale
donne-t-il à la Division de première instance com-
pétence pour rendre un jugement déclaratoire dans
cette affaire?
Les articles 18 et 28 de la Loi sur la Cour
fédérale, S.R.C. 1970 (2 e Supp.), c. 10, prévoient
que lorsqu'un organisme, ou une personne, chargé
de prendre une décision est soumis à un processus
judiciaire ou quasi judiciaire, la Cour d'appel fédé-
rale est compétente pour toutes les procédures de
révision et que, dans tous les autres cas, cette
compétence est impartie à la Division de première
instance. En l'espèce, la radiation du nom de la
demanderesse de la «liste d'admissibilité» est un
acte purement administratif, qui n'a pas besoin
d'être fait sur une base judiciaire ou quasi
judiciaire.
On peut invoquer à l'appui de cette conclusion,
le jugement Blagdon c. La Commission de la
Fonction publique, comité d'appel [1976] 1 C.F.
615 où le juge Thurlow [tel était alors son titre], à
la page 617, qualifie la décision prise par un jury
de sélection de ne pas nommer le requérant à un
poste comme n'étant ni judiciaire ni quasi judi-
ciaire ni disciplinaire. J'estime la Division de pre-
mière instance compétente pour rendre un juge-
ment déclaratoire en l'espèce.
2. Cela dit, est-il pertinent que la Cour rende un
jugement déclaratoire alors que la demanderesse
n'est plus à l'emploi du ministère du Revenu
national?
Le défendeur soutient que la Cour ne doit pas
exercer son pouvoir discrétionnaire pour accorder
un jugement déclaratoire parce que la demande-
resse ayant cessé d'être à l'emploi de Revenu
Canada, les points litigieux, dans la mesure où ils
lui portaient préjudice, sont devenus théoriques.
La prétention du défendeur est basée en partie sur
l'ouvrage de Smith, Judicial Review of Adminis
trative Action, 3e édition, aux pages 449 452, où
le savant auteur écrit [à la page 449] que:
[TRADUCTION] Dans une action réclamant un jugement
déclaratoire ... il faut prouver que la «question en litige entre
les deux parties est réelle et non pas fictive ou théorique.»
La demanderesse prétend que la Cour peut
accorder un redressement déclaratoire, bien qu'elle
ait, quitté le ministère du Revenu national en juin
1978. J'accepte son argument sur ce point et me
propose d'examiner la jurisprudence qui s'y
rapporte.
Dans Landreville c. La Reine [1973] C.F. 1223,
la question principale était la suivante: la Cour
est-elle compétente pour rendre un jugement
déclaratoire sur une question de droit, lorsque
celui-ci n'aura pas d'effet juridique, mais une
simple utilité pratique? En l'occurrence, le juge
Pratte a statué que la Cour est compétente pour
rendre un jugement déclaratoire qui, bien que
dénué d'effet juridique, pourrait avoir quelque uti-
lité d'un point de vue pratique. Cette conclusion se
fonde sur le jugement anglais Merricks c. Nott-
Bower [1964] 1 All E.R. 717, où, à la page 721,
lord Denning préconise une plus large compétence
en matière de redressement déclaratoire. Il s'ex-
prime dans les termes succints suivants:
[TRADUCTION] Lorsqu'une véritable question est en cause,
c'est-à-dire une question qui ne soit pas purement théorique et
au sujet de laquelle la décision de la Cour peut donner des
directives utiles, elle peut, à sa discrétion, rendre un jugement
déclaratoire.
On peut citer à l'appui de la position adoptée
dans Landreville, le jugement McCann c. La Reine
[1976] 1 C.F. 570. Dans cette affaire, les deman-
deurs, détenus dans un pénitencier, ont réclamé un
jugement déclaratoire portant que l'isolement cel-
lulaire constitue une peine cruelle et inusitée. A la
date du procès, les demandeurs ne se trouvaient
plus dans l'unité d'isolement. L'une des questions
soulevées était de savoir si un jugement déclara-
toire devrait être rendu, compte tenu du fait que
les demandeurs ne se trouvaient plus en isolement
cellulaire. La Cour s'est prononcée en faveur du
jugement déclaratoire. Le juge Heald a déclaré la
Cour compétente pour rendre un jugement décla-
ratoire lorsqu'il sert une fin pratique. Dans
McCann, la Cour, par le jugement qu'elle a rendu,
a pu donner des directives utiles aux autorités
pénitentiaires.
A la page 18 de The Law of Declaratory Judg
ments, Carswell: Toronto, 1978, Lazar Sarna
déclare ce qui suit:
[TRADUCTION] Les tribunaux ont occasionnellement assumé
la compétence de rendre des jugements déclaratoires dénués
d'effet juridique, mais d'un effet pratique probable. Des juge-
ments ont été rendus pour confirmer que le renvoi ou la
rétrogradation d'un travailleur a été effectué à tort même s'il
n'existait aucune possibilité de réintégration, ou qu'une décision
administrative a été prise sans tenir compte des principes de
justice naturelle, même si son annulation ne pouvait pas rétablir
le statu quo antérieur. Même lorsque le requérant n'a pas un
véritable intérêt économique ou patrimonial à obtenir le juge-
ment, la sympathie judiciaire est la bienvenue, spécialement
lorsqu'un redressement peut effectivement blanchir la réputa-
tion du requérant ou bien fournir des directives correctrices aux
fonctionnaires administratifs.
Dans le cas qui nous occupe, un jugement décla-
ratoire (si la Cour juge opportun d'en rendre un)
servirait à orienter la Commission de la Fonction
publique dans la procédure à suivre lorsqu'elle
radie des postulants d'une «liste d'admissibilité».
En l'espèce, la pertinence d'un tel jugement
dépend de l'examen des autres points litigieux.
Qu'il suffise de dire que la Cour est compétente
pour rendre un jugement déclaratoire en l'espèce si
la cause de la demanderesse le justifie.
3. Les procédures au titre de la Loi sur l'emploi
dans la Fonction publique et de la Loi sur les
relations de travail dans la Fonction publique
prévoient-elles un redressement exclusif et complet
pour la demanderesse?
Le défendeur affirme que tous les droits des
fonctionnaires du gouvernement fédéral doivent
découler soit de la Loi sur l'emploi dans la Fonc-
tion publique, S.R.C. 1970, c. P-32 ou de la Loi
sur les relations de travail dans la Fonction publi-
que, S.R.C. 1970, c. P-35. Le défendeur cite
comme autorité à l'appui de sa thèse le jugement
rendu dans L'Institut professionnel du Service
public du Canada c. Le Conseil du Trésor [1977]
1 C.F. 304. En l'occurrence, la Cour a jugé qu'elle
ne pouvait pas intervenir et a refusé d'émettre un
bref de mandamus pour donner suite à la décision
d'un conseil d'arbitrage. Le juge Addy a déclaré
que tous les droits des employés doivent découler
d'une loi, en l'occurrence de la Loi sur les rela
tions de travail dans la Fonction publique. Lors-
qu'une loi accorde des droits spéciaux et prévoit un
processus détaillé pour leur application, la Cour
fédérale ne peut intervenir à aucun stade des pro-
cédures. Il ajoute à la page 313 que «Ce serait aller
directement à l'encontre de l'intention formelle du
Parlement que d'examiner ces questions en appli
cation de la Loi d'où découlent ces droits.»
Je déduis de cette déclaration que, sauf erreur
juridictionnelle, la Cour fédérale n'interviendra
pas pour modifier un code de procédure établi en
vertu d'une loi du Parlement en vue de régler les
questions qui y sont spécifiées. Le point de vue de
la Cour sur l'article 18 de la Loi sur la Cour
fédérale m'est aussi utile pour conclure en l'espèce.
A la page 313, le juge Addy déclare:
L'article 18 de la Loi sur la Cour fédérale ne confère en
aucune façon à cette cour un pouvoir dérogatoire qui lui permet
d'intervenir à tout moment sans égard aux circonstances. C'est
tout simplement un texte de loi qui permet à cette cour créée
par la loi, qui n'a d'autre juridiction ou d'autres pouvoirs que
ceux que lui accorde la loi, d'exercer sa compétence dans le
domaine du mandamus et dans d'autres domaines connexes
pourvu qu'il soit par ailleurs opportun et permis de le faire.
Ce jugement ne délimite pas avec précision les
secteurs où la Cour peut intervenir et ceux où elle
doit s'en remettre aux dispositions prises par le
Parlement. Néanmoins, il vient appuyer l'argu-
ment du défendeur selon lequel les notions de
common law, de justice naturelle et d'équité ne
s'appliquent guère ou même pas du tout à l'affaire
en l'espèce. Pour régler cette question de façon
définitive, il faut attendre que l'on ait statué sur
les points d'équité, ce qui sera fait plus loin.
4. Nonobstant le principe de l'exclusivité, si la
demanderesse exerce son droit de grief, cela l'em-
pêche-t-elle de chercher un autre recours?
Le défendeur prétend que la procédure de grief
prévue par la Loi sur les relations de travail dans
la Fonction publique est le seul recours dont la
demanderesse dispose et il cite à l'appui Clarke c.
Le procureur général de l'Ontario [ 1966] 1 O.R.
534. Dans cette affaire, le tribunal a déclaré que
lorsqu'un fonctionnaire du gouvernement provin
cial a la faculté de présenter un grief après son
renvoi, la procédure de grief remédie à la faute
dont le Sous-ministre est responsable pour ne pas
avoir tenu l'audition requise par la loi.
Je n'accepte pas cette prétention. Dans Clarke,
la Cour d'appel de l'Ontario a statué sur le renvoi
d'un fonctionnaire au titre de la loi provinciale; en
l'espèce, nous avons affaire à la législation fédé-
rale. En outre, le jugement Clarke est basé sur le
principe que les dispositions de la The Public
Service Act, 1961-62, S.O. 1961-62, c. 121, et les
Règlements y afférents ne dérogent en aucune
façon à la prérogative de la Couronne de renvoyer
ses employés à son gré, comme l'admet la The
Interpretation Act, S.R.O. 1960, c. 191. En l'es-
pèce, la Cour n'a pas été saisie de cet argument.
Dans la Loi sur les relations de travail dans la
Fonction publique, je ne trouve aucun article
déclarant qu'un employé, qui décide de présenter
un grief, n'a plus la capacité de déposer devant les
tribunaux une demande de redressement. Pour
retirer ce droit à un citoyen, il faut des termes
formels et non équivoques.
Je juge aussi utile d'examiner l'argument de
l'avocat de la demanderesse selon lequel le grief de
sa cliente peut avoir été refusé parce que sa radia
tion de la «liste d'admissibilité» ne pouvait faire
l'objet d'un grief aux termes de l'article 90 de la
Loi précitée. Pour tomber sous le coup de cet
article, il aurait fallu que le grief porte sur une
«condition d'emploi». Or, prétend l'avocat de la
demanderesse, [TRADUCTION] «comme il n'a pas
été décidé que la radiation de la demanderesse de
la liste d'admissibilité constitue une condition
d'emploi, il se peut que la procédure de grief ne lui
soit pas ouverte». Si cet argument présente quelque
mérite, il ne fait que renforcer ma conclusion
précédente, à savoir que la demanderesse ne doit
pas se voir refuser le droit de se pourvoir devant
cette cour simplement parce qu'elle a décidé
d'exercer le droit de grief qui lui est imparti.
5. Les articles 6(3) et 21 de la Loi sur l'emploi
dans la Fonction publique donnent-ils à la deman-
deresse droit à une audition?
L'article 6(2) de ladite loi permet à la Commis
sion de la Fonction publique (sous réserve du
paragraphe (3)) de révoquer une nomination ou
d'ordonner qu'une nomination ne soit pas faite
lorsqu'elle estime, entre autres, qu'une personne
déjà nommée ou sur le point de l'être, ne possède
pas les qualités nécessaires pour accomplir les
devoirs liés au poste qu'elle occupe ou qu'elle
occuperait.
Le paragraphe (3) de l'article 6 dispose que la
Commission ne peut révoquer, conformément au
paragraphe (2) de l'article 6, la nomination faite
parmi les employés de la Fonction publique que
sur la recommandation d'un comité établi par elle
pour procéder à une enquête au cours de laquelle il
est donné à l'employé l'occasion de se faire enten-
dre. Ledit paragraphe ne mentionne pas les nomi
nations qui sont sur le point d'être faites (c'est moi
qui souligne).
Il ressort du libellé de l'article 6(3) qu'un
employé de la Fonction publique, qui a déjà été
nommé parmi les employés de cette dernière, a
droit à une audition avant d'être renvoyé. Toute-
fois, la demanderesse soutient qu'une personne sur
le point d'être nommée parmi les employés de la
Fonction publique, doit aussi bénéficier de la pro
tection de l'article 6(3). A ses yeux, le législateur
ne peut pas avoir eu l'intention de garantir la tenue
d'une audition pour les employés déjà nommés et
l'intention contraire pour les employés sur le point
d'être nommés, puisqu'il n'y a qu'une seule diffé-
rence entre ces deux catégories de personnes, à
savoir que les unes ont déjà commencé à remplir
leurs fonctions, tandis que les autres attendent
simplement leur nomination.
Quant à lui, le défendeur soutient, d'une part,
qu'il ressort des paragraphes 6(2) et 6(3) que
l'intention du législateur est de ne requérir une
audition que lorsque les nominations ont déjà été
faites parmi les employés de la Fonction publique;
et, d'autre part, que lorsque le législateur prévoit
une audition dans un cas et non pas dans l'autre, il
convient d'appliquer la règle d'interprétation
expressio unius pour refuser, en l'espèce, une audi
tion à la demanderesse.
Le défendeur invoque le jugement Pearlberg c.
Varty [1972] 1 W.L.R. 534 à l'appui de sa préten-
tion. Cette affaire traite des auditions que les lois
fiscales prévoient au titre de certains articles, mais
qui n'en requéraient aucune au titre de l'article
alors en cause. En effet, la Chambre des Lords a
statué que lorsque le Parlement s'est préoccupé de
la question de la procédure et a établi un code à
cet égard, il n'y a aucune raison de prévoir d'autres
mécanismes de protection en matière de procédure
qui seraient offerts par les tribunaux. A la page
545, le vicomte Dilhorne fait les commentaires
suivants:
[TRADUCTION] J'insiste seulement sur le point suivant: on ne
doit pas commencer par présumer que les dispositions législati-
ves mises au monde par le Parlement par la voie du long
processus législatif sont injustes .... Le Parlement a jugé
équitable que la personne lésée ait le droit d'être entendue
lorsqu'elle en demande l'autorisation au titre de l'article 51 de
la Finance Act 1960, et de présenter des doléances au tribunal
au titre de l'article 28 de cette même loi. Le fait que l'article 6
de l'Income Tax Management Act, 1964 ne mentionne pas ce
droit ne peut être, à mon avis, qu'intentionnel et si cette
omission est intentionnelle, il faut présumer que le Parlement
n'a pas jugé que l'équité exige de donner ce droit à la personne
lésée. Si telle est l'intention du Parlement, il faut alors de
sérieux arguments pour justifier l'adjonction à la loi de condi
tions qui visent à satisfaire notre propre conception de l'équité.
J'accepte l'interprétation des articles 6(2) et
6(3) que le défendeur propose. Toutefois, avant de
régler cette phase de l'affaire, il me faut examiner
le point de vue du juge en chef Laskin dans
Nicholson c. Haldimand-Norfolk Regional Board
of Commissioners of Police [1979] 1 R.C.S. 311,
où il refuse de donner une interprétation large à la
règle expressio unius sur laquelle s'était fondé le
juge Arnup de la Cour d'appel de l'Ontario. Ce
dernier avait appliqué la règle en constatant que
lorsque le législateur prévoit expressément, dans
certains cas, un avis et une audition, il les exclut
nécessairement dans d'autres. Pour sa part, le juge
en chef a estimé que la Cour d'appel avait poussé
la maxime trop loin et a fait sienne la déclaration
du lord juge Lopes dans Colquhoun c. Brooks
(1888) 21 Q.B.D. 52, la page 65, selon laquelle
[TRADUCTION] «il convient de ne pas appliquer
cette maxime lorsque son application, compte tenu
du sujet auquel on doit l'appliquer, aboutirait à un
illogisme ou à une injustice.»
Le règlement final du conflit entre Pearlberg et
Nicholson variera suivant que l'on considère iné-
quitable ou non de radier le nom de la demande-
resse de la «liste d'admissibilité» sans lui donner
l'occasion de se faire entendre. Je traiterai de ce
point lorsque je conclurai.
L'article 21 de la Loi sur l'emploi dans la
Fonction publique prévoit que:
21. Lorsque, en vertu de la présente loi, une personne est
nommée ou est sur le point de l'être et qu'elle est choisie à cette
fin au sein de la Fonction publique
a) à la suite d'un concours restreint, chaque candidat non
reçu, ou
b) sans concours, chaque personne dont les chances d'avan-
cement, de l'avis de la Commission, sont ainsi amoindries,
peut, dans le délai que fixe la Commission, en appeler de la
nomination à un comité établi par la Commission pour faire
une enquête au cours de laquelle il est donné à l'appelant et au
sous-chef en cause, ou à leurs représentants, l'occasion de se
faire entendre. La Commission doit, après avoir été informée de
la décision du comité par suite de l'enquête,
c) si la nomination a été faite, la confirmer ou la révoquer,
ou
d) si la nomination n'a pas été faite, la faire ou ne pas la
faire,
selon ce que requiert la décision du comité.
En gros, l'article 21 envisage un processus par
lequel un candidat non reçu peut attaquer la nomi
nation d'un candidat reçu. L'«enquête», dont il
parle, vise à déterminer si la sélection a été faite
selon le mérite et de la manière prévue par la loi.
En l'espèce, la demanderesse a présenté un appel
au titre de l'article 21, après avoir été avisée que
son nom avait été radié de la «liste d'admissibilité».
Le Comité d'appel s'est déclaré incompétent au
motif que (1) la demanderesse aurait dû faire
appel dès qu'elle a vu son mauvais rang sur la «liste
d'admissibilité»; et (2) qu'elle n'avait plus aucun
droit d'appel au titre de l'article 21 après la radia
tion de son nom, puisque l'article 6(2) ne fait
mention d'aucun droit d'appel.
Devant cette cour, l'avocat de la demanderesse
prétend que, dès ladite radiation, sa cliente est
devenue une candidate non reçue qui avait droit en
tant que telle à un appel au titre de l'article 21.
Pour sa part, le défendeur soutient, entre autres,
que si la demanderesse était une candidate non
reçue, elle ne pouvait faire appel qu'au motif que
le candidat reçu n'avait pas été choisi selon le
principe du mérite, comme la loi l'ordonne. Or, elle
a fait appel au motif que sa radiation de la «liste
d'admissibilité» n'était pas justifiée.
J'accepte l'argument du défendeur sur ce point.
Dans Nanda c. Le comité d'appel établi par la
Commission de la Fonction publique [1972] C.F.
277, aux pages 295 et 296, le juge en chef Jackett
a proposé l'interprétation suivante de l'article 21
de la Loi sur l'emploi dans la Fonction publique:
A mon avis, l'«enquête» envisagée à l'article 21 est, ordinaire-
ment, une enquête sur la question de savoir si la «sélection» sur
laquelle se fonde la nomination dont il est fait appel était une
sélection «établie au mérite, ainsi que le détermine la Commis
sion» et si elle a été faite par la Commission selon la procédure
prévue à l'article 10. En outre, j'estime que l'«occasion de se
faire entendre», à laquelle l'appelant et le sous-chef ont droit,
est la possibilité de présenter au comité d'appel pendant l'en-
quête tous faits qui portent sur ces questions ....
Il appert que Mme McCarthy a essayé de se
servir de l'article 21 pour se plaindre du traitement
qui lui a été appliqué au titre de l'article 6(2); elle
n'a pas essayé de contester la sélection des autres
candidats. Or, l'article 6 contient sa propre voie de
redressement et lorsqu'elle s'avère infructueuse,
l'article 21 ne peut pas être invoqué en
remplacement.
6. Nonobstant les droits accordés par la loi, la
demanderesse avait-elle un droit issu de la
common law lui garantissant l'équité en matière de
procédure, qui aurait été violé par la manière dont
elle a été radiée de la «liste d'admissibilité»?
La demanderesse prétend que la Commission de
la Fonction publique a l'obligation d'agir équita-
blement. Une audition, ou au moins l'occasion de
se faire entendre, doit donc être accordée à une
personne dont le nom a été radié d'une «liste
d'admissibilité», que cette décision soit qualifiée ou
non de quasi judiciaire ou d'administrative. De son
côté, le défendeur fait valoir que la notion d'équité
n'accorde, en l'espèce, aucun recours à la deman-
deresse. Bien que les deux parties adverses citent
une jurisprudence abondante à l'appui de leurs
prétentions, je me bornerai à commenter deux
affaires.
L'affaire Blagdon c. La Commission de la
Fonction publique, comité d'appel (supra), qu'au-
cun des avocats ne cite, contribue beaucoup à
promouvoir la cause du défendeur. Dans cette
affaire, un jury de sélection établi par la Commis
sion de la Fonction publique avait conclu que le
dossier de sécurité du requérant n'était pas assez
satisfaisant et s'était prononcé contre sa nomina
tion à un poste de capitaine de navire. Le requé-
rant en a appelé de cette décision auprès de la
Cour d'appel fédérale, invoquant que le jury de
sélection avait agi illégalement en examinant son
dossier de sécurité sans lui permettre de présenter
ses observations.
Le juge Thurlow [tel était alors son titre] a
statué qu'il n'avait pas droit à une audition devant
le jury. Le savant juge a qualifié le processus de
sélection comme n'étant ni judiciaire, ni quasi
judiciaire, ni disciplinaire, mais visant à apprécier
les qualités des candidats à un poste et à les coter
selon le système du mérite.
Le juge Pratte se livre à l'analyse suivante aux
pages 622 et 623:
Un jury d'appréciation est l'intermédiaire par lequel la Com
mission de la Fonction publique s'acquitte de sa fonction de
sélection des candidats selon le système du mérite. Son rôle se
limite à l'évaluation des différents candidats et donc à une
tâche purement administrative. Bien sûr, l'appréciation du
mérite doit se faire avec justice et honnêteté; cependant, elle
n'est pas assujettie aux règles imposées aux organismes judi-
ciaires ou quasi judiciaires, comme par exemple la règle audi
alteram partem. En résumé, en vertu de la seule règle générale
qui régisse l'activité d'un jury de sélection, la sélection doit être
fondée sur le mérite.
En appliquant l'arrêt Blagdon à l'affaire qui
nous occupe, je suis de l'avis du défendeur lorsqu'il
déclare que les arguments d'équité en matière de
procédure n'interviennent guère en l'espèce. On
peut prétendre que la Cour a porté son attention
non pas sur la question d'équité en matière de
procédure, mais plutôt sur la vieille distinction
entre les tâches quasi judiciaires et les tâches
administratives. Toutefois, la lecture de cet arrêt
m'amène à conclure que la seule obligation impo
sée par l'équité à un jury de sélection ou d'appré-
ciation est d'évaluer honnêtement les mérites de
chaque candidat à occuper un certain poste. Si l'on
exige seulement de lui une première évaluation,
j'estime difficile d'imposer une obligation plus
stricte à la Commission de la Fonction publique
lorsqu'elle permet de radier, motif à l'appui, un
candidat d'une liste. Il faut admettre indubitable-
ment qu'une telle mesure fait autant partie du
processus de sélection basé sur le mérite que ne le
faisait la mesure initiale de classement des
candidats.
Vu que la demanderesse a un dossier de pré-
sence médiocre et vu ses réactions lorsqu'il lui a
été présenté, peut-on dire honnêtement, qu'elle n'a
pas été jugée avec équité sur ses mérites et partant,
injustement déclarée inapte à remplir le poste? En
outre, le point litigieux porte en l'espèce sur une
promotion et non pas sur un renvoi. Or, la décision
d'accorder ou de refuser une promotion appartient
à l'employeur qui est libre de donner ou non au
candidat l'occasion de défendre sa cause.
L'observation que fait lord Pearson dans Pearl -
berg c. Party (supra), à la page 547, est fort
instructive à cet égard.
[TRADUCTION] Cependant, l'équité n'exige pas nécessairement
toute une succession d'auditions, de plaidoiries et de réfuta-
tions. Si l'on poussait trop loin les garanties de procédure, rien
ne pourrait se faire simplement, rapidement et économique-
ment. Il ne faut pas sacrifier trop hâtivement l'efficacité et
l'économie administrative ou exécutive.
Je rejette donc l'action. Vu les circonstances
particulières de l'espèce et puisque les deux parties
ont gain de cause dans une certaine mesure, je ne
rends aucune ordonnance quant aux dépens.
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