A-638-78
Normand Latif (Requérant)
c.
La Commission canadienne des droits de la per-
sonne et R. G. L. Fairweather (Intimés)
Cour d'appel, les juges Urie et Le Dain et le juge
suppléant Kelly—Toronto, le 8 juin; Ottawa, le 17
septembre 1979.
Examen judiciaire — Compétence — Commission cana-
dienne des droits de la personne — La Commission refusait de
«recevoir» la plainte parce que l'acte qui en faisait l'objet avait
eu lieu avant l'entrée en vigueur de la Loi canadienne sur les
droits de la personne — Seconde plainte visant le refus opposé
par le Ministère à l'application des recommandations de la
Direction anti -discrimination, après l'entrée en vigueur de la
Loi — Il échet d'examiner si la Cour est compétente pour
entendre cette demande fondée sur l'art. 28 et si le refus de
recevoir la plainte était une décision judiciaire — Il échet
d'examiner si la Commission a commis une erreur de droit en
se déclarant incompétente (I) à l'égard d'une infraction qui se
serait produite avant la proclamation de la Loi, et (2) à l'égard
de l'infraction qui se serait produite ou poursuivie après cette
date — Loi canadienne sur les droits de la personne, S.C.
1976-77, c. 33, art. 2, 3, 7, 32(1), 33, 34, 41(2), 64 — Loi sur
la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.). c. 10, art. 28.
Requête fondée sur l'article 28 et tendant à l'annulation à la
décision de la Commission canadienne des droits de la personne
par laquelle celle-ci a refusé de «recevoir» une plainte à l'égard
de laquelle elle s'est déclarée incompétente, au motif que l'acte
qui en faisait l'objet avait eu lieu avant l'entrée en vigueur de la
Loi canadienne sur les droits de la personne. Le requérant a été
renvoyé le 4 juillet 1974 de son travail au ministère du Revenu
national, Douanes et Accise, pour des irrégularités qu'il aurait
commises. La Direction anti -discrimination de la Commission
de la Fonction publique, enquêtant sur la plainte de traitement
discriminatoire faite par le requérant, a conclu le 16 mai 1978
que l'impression chez le requérant de pratique discriminatoire
était plausible. Le Ministère a refusé de se conformer à la
recommandation, faite par cette Direction, de substituer une
longue suspension au renvoi et de rétablir le requérant dans ses
fonctions avec rappel de solde. Après avoir été informé par un
conseiller juridique que sa plainte relative à son renvoi de 1974
ne relevait pas de la compétence de la Commission, le requérant
a déposé une seconde plainte, attaquant cette fois le refus du
Ministère d'appliquer la recommandation de la Direction anti-
discrimination. L'intimée soutient que la Cour n'est pas compé-
tente pour entendre cette demande fondée sur l'article 28. De
son côté, le requérant soutient que la Commission a commis
une erreur de droit en se déclarant incompétente à l'égard de sa
plainte de 1974, et à titre subsidiaire, que le refus du Ministère
de se rendre aux recommandations de la Direction anti -discri
mination constitue un acte discriminatoire tombant sous le coup
de la Loi.
Arrêt: la requête est rejetée. En ce qui concerne la compé-
tence de la Cour pour connaître de la requête fondée sur
l'article 28, la décision qui doit être définie à la lumière de cet
article est la décision prise par la Commission en vertu de
l'article 33, de ne pas recevoir une plainte pour cause de
non-compétence. Cette décision est légalement soumise à un
processus judiciaire ou quasi judiciaire. En conséquence, la
Cour est compétente pour connaître de la requête fondée en
l'espèce sur l'article 28. Les conditions subjectives—«à moins
que ... il apparaît à la Commission»—qui président au pouvoir
de décision ne font pas ressortir l'intention du législateur
d'écarter le contrôle judiciaire en cas d'erreur de droit, surtout
lorsqu'il s'agit d'une question de droit qui détermine les limites
du pouvoir légal du tribunal. La Commission a conclu à bon
droit que les faits de la cause ne permettent d'alléguer qu'un
seul acte discriminatoire, savoir la suspension et le renvoi de
1974. La décision prise par le Ministère de ne pas appliquer la
recommandation de la Direction anti -discrimination ne peut
être considérée comme étant un acte discriminatoire distinct et
nouveau. Les plaintes doivent être considérées comme portant
sur un acte antérieur à l'entrée en vigueur de la Loi. Le droit
anglais pose pour règle fondamentale que nulle loi ne doit
s'interpréter comme ayant un effet rétroactif, à moins qu'une
telle interprétation ne ressorte clairement du texte de la loi ou
ne s'impose comme inéluctable. Rien ne fait ressortir en l'es-
pèce une telle intention claire et sans équivoque du législateur,
et rien n'indique qu'une conclusion dans ce sens se dégage
nécessairement des diverses dispositions de la Loi. Sauf les cas
restreints d'application de la Loi aux actes discriminatoires
commis avant son entrée en vigueur mais qui se poursuivaient
jusqu'à cette date ou au-delà, on ne saurait dire que le législa-
teur avait l'intention de lui donner une application rétroactive
aux actes consommés avant son entrée en vigueur. La Commis
sion n'a pas commis une erreur de droit en concluant que la
plainte du requérant n'était pas de sa compétence.
DEMANDE d'examen judiciaire.
AVOCATS:
T. G. Bastedo pour le requérant.
R. G. Juriansz pour l'intimée.
PROCUREURS:
Bastedo, Cooper, Kluwak & Shostack,
Toronto, pour le requérant.
La Commission canadienne des droits de la
personne, Ottawa, pour l'intimée.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE LE DAIN: Il s'agit d'une requête
fondée sur l'article 28 et tendant à l'annulation de
la décision de la Commission canadienne des droits
de la personne par laquelle cette Commission s'est
déclarée incompétente pour connaître d'une
plainte au motif que l'acte faisant l'objet de la
plainte avait eu lieu avant le 1e' mars 1978*, date à
laquelle est entrée en vigueur la Loi canadienne
sur les droits de la personne, S.C. 1976-77, c. 33.
* La Partie II et l'art. 57 ont été proclamés en vigueur le 10
août 1977 par TR/77-168.
Le requérant a été suspendu et subséquemment
renvoyé, à compter du 4 juillet 1974, de son travail
au ministère du Revenu national, Douanes et
Accise, au motif qu'il avait abusé de son poste
pour importer des marchandises pour son usage
personnel, sans acquitter les droits de douane
requis. En juillet 1976, le requérant a demandé à
la Direction anti -discrimination de la Commission
de la Fonction publique d'ouvrir une enquête en se
plaignant que sa suspension et son renvoi représen-
taient des mesures discriminatoires tenant à sa
religion et à sa nationalité d'origine. Le 16 mai
1978, le directeur de la Direction anti -discrimina
tion lui a fait part du résultat de l'enquête menée
par la Direction selon laquelle [TRADUCTION]
«l'impression [chez le requérant] de pratique dis-
criminatoire» était «plausible». Par conséquent, ce
service avait recommandé au ministère du Revenu
national, Douanes et Accise, de substituer une
longue suspension au renvoi et de réintégrer le
requérant dans ses fonctions avec rappel de solde.
Le Ministère a refusé de se conformer à cette
recommandation.
En mai 1978, le requérant s'est enquis de la
possibilité d'une plainte auprès de la Commission
canadienne des droits de la personne. Dans une
réponse en date du 23 mai 1978, à laquelle était
jointe une formule de plainte, un représentant de
la Commission a émis l'avis que la Commission
n'avait pas [TRADUCTION] «compétence pour
appliquer une recommandation de la Direction
anti -discrimination ni pour connaître des actes dis-
criminatoires qui auraient eu lieu avant le lef mars
1978». Le 30 mai 1978, le requérant s'est servi de
la formule fournie par la Commission pour la
saisir d'une plainte selon laquelle il avait lieu de
croire que le ministère du Revenu national, Doua-
nes et Accise, [TRADUCTION] «des ou vers les 4
juillet 1974 et 16 mai 1978, a commis, à l'égard de
ma suspension et de mon renvoi, un acte discrimi-
natoire tenant à ma religion et à ma nationalité
d'origine». Il a ajouté dans sa plainte [TRADUC-
TION] «Cette discrimination persiste depuis mon
renvoi du fait que le Ministère a refusé de commu-
niquer le dossier à la Commission de la Fonction
publique et à moi-même tout comme il a refusé de
me traiter au même titre que le reste des employés
ou que les autres employés suspendus ou renvoyés».
A la suite de la plainte, un fonctionnaire de la
Commission a consulté le directeur de la Direction
anti -discrimination de la Commission de la Fonc-
tion publique et a versé au dossier un mémoire en
date du 7 juin 1978 où il a consigné les faits qui, à
son avis, [TRADUCTION] «étaient propres à déter-
miner si la Commission canadienne des droits de la
personne devait procéder à une enquête» et où il a
recommandé une telle enquête sur la plainte du
requérant. Le 26 juillet 1978, M. Russell Juriansz,
conseiller juridique de la Commission, a écrit au
requérant comme suit:
[TRADUCTION] Vous avez déposé devant la Commission
canadienne des droits de la personne une plainte contre le
ministère du Revenu national, Douanes et Accise, Toronto,
pour traitement discriminatoire. Cette plainte porte sur votre
suspension et sur votre renvoi du service des douanes et accise,
à compter du mois de juillet 1974. La Loi canadienne sur les
droits de la personne n'étant entrée en vigueur que le 1°' mars
1978, la Commission n'a compétence ni pour instruire votre
plainte ni pour y faire droit.
Le 16 août 1978, le requérant a présenté à la
Commission une nouvelle plainte dans laquelle il
déclarait avoir lieu de croire que le ministère du
Revenu national, Douanes et Accise, [TRADUC-
TION] «a commis un acte discriminatoire le, ou vers
le 16 mai 1978 en refusant de se rendre aux
conclusions de la Direction anti -discrimination
selon lesquelles j'avais fait l'objet d'un traitement
discriminatoire tenant à ma religion et à ma natio-
nalité d'origine puisque le service des douanes et
accise de Toronto, m'a renvoyé au lieu de me punir
en proportion de la mesure disciplinaire prise à
l'encontre des autres agents mêlés à la même
affaire». Voici la teneur de cette plainte:
[TRADUCTION] Le ou vers le 16 mai 1978, la Direction anti-
discrimination de la Commission de la Fonction publique a mis
fin à l'enquête, qu'elle avait entreprise depuis deux ans sur ma
suspension et sur mon renvoi du service des douanes et accise
du ministère du Revenu national, en recommandant, à titre de
juste sanction, une longue suspension plutôt qu'un renvoi, étant
donné que j'avais été l'objet d'un traitement discriminatoire et
que le Ministère n'était pas à même de justifier ce traitement
discriminatoire qu'il m'avait réservé. Le ministère du Revenu
national a refusé de se rendre à la recommandation de la
Direction anti -discrimination ou de la prendre en considération.
Dans une lettre jointe à la plainte, le requérant a
déclaré:
[TRADUCTION] J'ai déposé une plainte semblable le 30 mai
1978, mais elle a été déclarée non recevable du fait que la Loi
canadienne sur les droits de la personne n'est entrée en vigueur
que le l er mars 1978. Je désire insister sur le fait que la présente
plainte ne porte pas sur mon renvoi en juillet 1974, mais plutôt
sur le refus du ministère du Revenu national de prendre en
considération les conclusions et les recommandations en date du
16 mai 1978 de la Direction anti -discrimination ou, du moins,
de s'entendre avec elle sur ces dernières.
Le 5 octobre 1978, le président de la Commis
sion, M. R. G. L. Fairweather, a adressé cette
demande écrite au ministre du Revenu national:
[TRADUCTION] «le règlement de la plainte de M.
Latif serait d'autant facilité si vous pouviez donner
des éclaircissements à l'égard de la conclusion de
la Direction anti -discrimination selon laquelle M.
Latif a fait l'objet d'un traitement discriminatoire
puisqu'il a été seul à être suspendu alors que
d'autres agents étaient également soupçonnés du
dédouanement irrégulier.»
Le 8 novembre 1978, le président de la Commis
sion a écrit à M. Latif en ces termes:
[TRADUCTION] Je confirme par la présente que, votre sus
pension et votre renvoi ayant eu lieu en juillet 1974, avant
l'entrée en vigueur de la Loi canadienne sur les droits de la
personne, la Commission ne peut recevoir votre plainte.
Toutefois, j'ai demandé au ministre du Revenu national de
revoir votre cas, et vous prie de trouver ci-jointes une copie de
ma lettre et la première réponse de son ministère.
Je vous écrirai dès que j'aurai reçu la réponse du ministre du
Revenu national.
Le 16 novembre 1978, le ministre du Revenu
national a répondu à la demande d'éclaircisse-
ments du président de la Commission au sujet de
la conclusion et de la recommandation de la Direc
tion anti -discrimination et lui a donné la version
des faits du Ministère. Voici les passages de sa
lettre portant sur la question de la discrimination:
[TRADUCTION] Il s'agit en l'espèce de deux montres Seiko
qui furent importées par M. Latif. Ces marchandises étaient
évaluées à $40.00, ce prix étant marqué clairement sur le colis.
En déclarant ces marchandises à un collègue, M. Latif a
indiqué qu'il s'agissait de deux cadeaux, l'un pour lui-même et
l'autre pour sa femme. N'étant pas très satisfait de cette
réponse, cet agent montra le paquet à un autre douanier qui,
avec le consentement du premier préposé, apposa le cachet
«droits acquittés» sur le paquet et le retourna au bureau de
poste. Un troisième agent récupéra le paquet et le donna au
surveillant qui l'a mis sous douane aux fins de vérification et de
dédouanement en règle.
Après avoir essayé d'obtenir d'un quatrième agent le dédoua-
nement en franchise de ces montres, M. Latif remplit une
formule de déclaration en douane dans laquelle il sous-évaluait
les marchandises et leur attribuait une valeur de $28.00. Il
donna ensuite sa déclaration à un autre agent des douanes qui
la signa sans autre vérification des marchandises.
Aux yeux du Ministère, M. Latif a fait une fausse déclara-
tion au premier agent en indiquant que les marchandises
étaient un cadeau pour lui-même et pour sa femme; il a
fautivement essayé d'obtenir du quatrième agent le dédouane-
ment de ces marchandises en franchise; il a fautivement retiré
les marchandises de la douane avant dédouanement en règle et
il a induit en erreur le cinquième agent en lui déclarant que les
marchandises ne valaient que $28.00.
Le premier agent a fait une erreur de jugement en acceptant
la déclaration de M. Latif; le deuxième agent a fait une erreur
de jugement en apposant le cachet «en franchise» sur le paquet;
le cinquième préposé a fait une erreur de jugement en croyant
sur parole la déclaration d'un collègue sur la valeur des mar-
chandises sans les vérifier et sans s'assurer que la valeur
déclarée était conforme. Le Ministère a trouvé ces trois agents
coupables d'erreur de jugement et leur a infligé un blâme
verbal à titre de sanction disciplinaire.
M. Latif n'était pas coupable d'erreur de jugement mais
d'importation indue de marchandises. Il s'agit d'un acte tout à
fait incompatible avec les fonctions pour lesquelles M. Latif
était payé et cet acte suffisait pour convaincre le Ministère que
M. Latif avait tellement compromis sa situation et son intégrité
qu'il ne saurait plus le garder à son service. C'est par ces motifs
que M. Latif a été renvoyé.
Le Ministre a réaffirmé son refus de se confor-
mer à la recommandation de la Direction anti -dis
crimination et de réintégrer le requérant dans ses
fonctions.
Le requérant soutient que la Commission a fait
une erreur de droit en se déclarant incompétente
pour connaître de la plainte. Il soutient que la Loi
canadienne sur les droits de la personne est telle
qu'elle déroge à la présomption de non-rétroacti-
vité et qu'elle s'applique aux actes discriminatoires
commis avant son entrée en vigueur et, en l'espèce,
à la suspension et au renvoi du requérant en juillet
1974. A titre subsidiaire, il prétend que la Loi
s'applique en tout cas au refus du ministère du
Revenu national de donner suite à la conclusion et
à la recommandation de la Direction anti -discrimi
nation de la Commission de la Fonction publique,
ce refus constituant un acte discriminatoire qui a
commencé ou persisté après l'entrée en vigueur de
la Loi.
La Commission soutient que la Cour n'a pas
compétence pour recevoir la requête, étant donné
que la décision de la Commission concernant la
plainte du requérant n'est pas une décision au sens
de l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale,
S.R.C. 1970 (2' Supp.), c. 10, ou que, si tant est
qu'on puisse parler de décision, il ne s'agit pas
d'une décision légalement soumise à un processus
judiciaire ou quasi judiciaire. A titre subsidiaire,
l'avocat de la Commission fait valoir dans son
mémoire que la plainte est fondée sur des faits
antérieurs au 1" mars 1978, date d'entrée en
vigueur de la Loi et que de ce fait, elle ne relève
pas de la compétence de la Commission. Toutefois,
à l'audition de la requête, l'avocat de la Commis
sion a refusé de développer cet argument, encore
qu'il n'y ait pas renoncé, si je ne me trompe.
Avant d'aborder l'examen des questions que
soulève la requête, il est nécessaire de rappeler
brièvement l'esprit de la Loi canadienne sur les
droits de la personne.
La Loi interdit certaines catégories d'actes dis-
criminatoires dans des domaines qui relèvent de la
compétence législative fédérale. Par exemple, l'ar-
ticle 7 que le requérant invoque dans sa plainte à
la Commission, porte:
7. Constitue un acte discriminatoire le fait
a) de refuser d'employer ou de continuer d'employer un
individu, ou
b) de défavoriser un employé,
directement ou indirectement, pour un motif de distinction
illicite.
L'article 3 de la Loi définit les motifs de distinc
tion illicite en ces termes:
3. Pour l'application de la présente loi, les motifs de distinc
tion illicite sont ceux qui sont fondés sur la race, l'origine
nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l'âge, le sexe, la
situation de famille ou l'état de personne graciée et, en matière
d'emploi, sur un handicap physique.
La Commission canadienne des droits de la
personne est chargée de l'application de cette Loi.
Elle est habilitée à instruire les plaintes, à tenter
un règlement par voie de conciliation, et à se
prononcer sur une plainte au vu du rapport d'en-
quête. En tout état de cause, elle peut déférer une
plainte au tribunal des droits de la personne qui,
ayant entendu l'affaire, a le pouvoir d'ordonner le
redressement prévu au paragraphe 41(2) que voici:
41....
(2) A l'issue de son enquête, le tribunal qui juge la plainte
fondée peut, sous réserve du paragraphe (4) et de l'article 42,
ordonner, selon les circonstances, à la personne trouvée coupa-
ble d'un acte discriminatoire
a) de mettre fin à l'acte et de prendre des mesures destinées
à prévenir les actes semblables, et ce, en consultation avec la
Commission relativement à l'objet général de ces mesures;
celles-ci peuvent comprendre l'adoption d'une proposition
relative à des programmes, des plans ou des arrangements
spéciaux visés au paragraphe 15(1);
b) d'accorder à la victime, à la première occasion raisonna-
ble, les droits, chances ou avantages dont, de l'avis du
tribunal, l'acte l'a privée;
c) d'indemniser la victime de la totalité, ou de la fraction
qu'il juge indiquée, des pertes de salaire et des dépenses
entraînées par l'acte; et
d) d'indemniser la victime de la totalité, ou de la fraction
qu'il fixe, des frais supplémentaires causés, pour recourir à
d'autres biens, services, installations ou moyens d'héberge-
ment, et des dépenses entraînées par l'acte.
Pour déterminer le statut juridictionnel de la
décision de la Commission vis-à-vis de la compé- -
tence de la Cour, il nous faut porter toute notre
attention sur trois dispositions de la Loi que sont le
paragraphe 32(1) et les articles 33 et 34. Le
paragraphe 32(1) porte:
32. (1) Sous réserve des paragraphes (5) et (6), les individus
ou groupes d'individus ayant des motifs raisonnables de croire
qu'une personne a commis un acte discriminatoire peuvent
déposer une plainte devant la Commission en la forme accepta
ble pour cette dernière.
Les paragraphes (5) et (6) posent certaines con
ditions de compétence fondées sur le lieu où l'acte
discriminatoire se serait produit et sur le statut de
la victime au moment de l'acte. Ces dispositions
n'ont pas application en l'espèce.
L'article 33 porte:
33. Sous réserve de l'article 32, la Commission doit statuer
sur toute plainte dont elle est saisie à moins qu'elle estime la
plainte irrecevable dans les cas où il apparaît à la Commission
a) qu'il est préférable que la victime présumée de l'acte
discriminatoire épuise d'abord les recours internes ou les
procédures d'appel ou de règlement des griefs qui lui sont
raisonnablement ouverts; ou
b) que la plainte
(i) pourrait avantageusement être instruite, dans un pre
mier temps ou à toutes les étapes, selon des procédures
prévues par une autre loi du Parlement,
(ii) n'est pas de sa compétence,
(iii) est frivole, vexatoire, sans objet ou entachée de mau-
vaise foi, ou
(iv) a été déposée après l'expiration d'un délai d'un an à
compter de la dernière des actions ou abstentions sur
lesquelles elle est fondée, ou de tout délai plus long que la
Commission estime indiqué dans les circonstances.
L'article 34 porte:
34. (1) Sous réserve du paragraphe (2), la Commission doit
motiver par écrit sa décision auprès du plaignant dans les cas
où elle décide que la plainte est irrecevable.
(2) Avant de décider qu'une plainte est irrecevable pour le
motif que les recours ou procédures mentionnés à l'alinéa 33a)
n'ont pas été épuisés, la Commission doit s'assurer que le défaut
est exclusivement imputable au plaignant.
Je me penche maintenant sur les points litigieux
que soulève la requête fondée sur l'article 28. Il
importe tout d'abord de déterminer ce qu'a réelle-
ment décidé la Commission. L'avocat de la Com
mission prétend que la Commission a décidé de ne
pas recevoir la plainte par ce motif que celle-ci ne
faisait ressortir aucun motif raisonnable de croire
qu'un acte discriminatoire avait été commis en
violation de la Loi. Il soutient également que la
Commission tient de l'article 32 de la Loi le
pouvoir implicite de rejeter les plaintes comme elle
l'a fait en l'espèce. Je ne partage ni cette concep
tion des pouvoirs de la Commission ni l'interpréta-
tion donnée de sa décision. Par «motifs raisonna-
bles de croire», le paragraphe 32(1) entend
simplement, à mon avis, qu'il suffit à une personne
de pouvoir affirmer qu'elle a des motifs raisonna-
bles de croire qu'un acte discriminatoire a été
commis pour s'en plaindre à la Commission, sans
avoir à en établir la preuve de première main. Si
une personne soumet une plainte en la forme que
la Commission trouve acceptable (je veux dire une
forme qui a été approuvée par la Commission) et y
affirme qu'elle a des motifs raisonnables de croire
qu'un acte discriminatoire a été commis, je suis
d'avis que la Commission est dès lors tenue, con-
formément à l'article 33, d'instruire cette plainte,
à moins que celle-ci ne représente l'une des excep
tions visées à cet article ou à l'article 32. Hormis
les cas visés aux paragraphes (2) et (5) de l'article
32, les motifs d'irrecevabilité d'une plainte sont
prévus par l'article 33. En application de l'article
34, la Commission doit notifier au plaignant sa
décision motivée dans les cas où elle décide que la
plainte est irrecevable. Le sous-alinéa 33b)(ii) pré-
voit le cas où la plainte porte sur un acte discrimi-
natoire auquel la Loi ne s'applique pas. C'est
précisément le motif qu'a invoqué la Commission
pour rendre sa décision en l'espèce. Le sous-alinéa
33b)(iii) vise les plaintes que la Commission consi-
dère comme non fondées. Je ne pense pas que la
Commission puisse contourner l'article 33 et la
condition prévue par l'article 34 en déclarant non
recevable une plainte introduite en la forme accep
table pour elle, du fait qu'à son avis les motifs de
croyance invoqués dans la plainte ne sont pas en
fait des motifs raisonnables. Il est constant que,
dès le début, la Commission a considéré que la
plainte du requérant ne relevait pas de sa compé-
tence. Voilà justement le motif qu'il faut invoquer
en cas de décision fondée sur l'article 33. A mon
avis donc, en ce qui concerne la compétence de la
Cour pour connaître de la requête fondée sur
l'article 28, la décision qui doit être définie à la
lumière de cet article est la décision prise par la
Commission en vertu de l'article 33, de ne pas
recevoir une plainte pour cause de non-compé-
tence.
Il échet dès lors d'examiner si une telle décision
est légalement soumise à un processus judiciaire ou
quasi judiciaire. Je remarque tout d'abord qu'il
s'agit en l'espèce d'une «décision» au sens de l'arti-
cle 28. Cette «décision» est prévue à l'article 34 de
la Loi canadienne sur les droits de la personne;
c'est une décision relevant de l'exercice d'un pou-
voir prévu par la loi et elle est prise en dernier
ressort, au moins en ce qui concerne les causes
d'irrecevabilité visées aux sous-alinéas 33b)(ii) à
(iv). A ce titre, elle se distingue des décisions
préliminaires ou provisoires dont la cour de céans a
conclu qu'elles ne sont pas des décisions au sens de
l'article 28. Voir par exemple, B.C. Packers Ltd. c.
Le Conseil canadien des relations du travail
[1973] C.F. 1194.
Que la décision en cause soit ou non légalement
soumise à un processus judiciaire ou quasi judi-
ciaire soulève la question pratique de savoir si,
avant de rejeter une plainte par application de
l'article 33, la Commission est tenue d'offrir au
plaignant la possibilité de se faire entendre, tout au
moins par voie de conclusions écrites, sur le motif
qu'elle se propose d'invoquer. Une telle exigence
alourdirait incontestablement la fonction adminis
trative de la Commission; mais cette considération
ne saurait être déterminante, tant que, comme il
semble être le cas, cette obligation ne ferait pas
obstacle à l'application de la loi. Qu'il faille con-
clure ou non à l'existence d'une telle obligation
tacite en l'absence d'une disposition prévoyant
expressément l'audition du plaignant, dépend de
certains facteurs dont les principaux sont, à mon
avis, les effets de la décision et la nature des points
litigieux qui en font l'objet. Voir Durayappah c.
Fernando [1967] 2 A.C. 337, lord Upjohn à la
page 349: M.R.N. c. Coopers and Lybrand [1979]
1 R.C.S. 495, le juge Dickson aux pages 504 et 505.
Nul doute que la Loi canadienne sur les droits
de la personne crée de nouveaux droits, sur le plan
du droit positif comme sur le plan de la procédure.
De fait, elle consacre le droit d'être traité sans
certaines formes de discrimination dans certains
domaines qui relèvent de la compétence législative
fédérale, et elle prévoit une procédure spéciale de
recours contre les actes discriminatoires. Se fonder
sur l'article 33 pour déclarer une plainte irreceva-
ble revient en fait à refuser ce recours au requé-
rant. C'est à proprement parler une décision qui
touche aux droits subjectifs. Il y a lieu de noter
que le paragraphe 36(3) de la Loi, qui prévoit la
suite à donner par la Commission à une plainte au
reçu du rapport d'enquête, embrasse le cas où la
Commission peut «rejeter» la plainte pour l'un des
motifs visés aux sous-alinéas 33b)(ii) à (iv). De
fait, la Loi prévoit le rejet d'une plainte pour l'un
de ces motifs avant ou après l'enquête.
Si l'on se fonde sur le libellé de l'article 33 pour
déterminer les éléments de la décision de rejet
d'une plainte, il y a lieu de relever tout d'abord les
conditions subjectives qui président à ce pouvoir de
décision. La Commission peut décider qu'une
plainte est irrecevable s'il lui apparaît que l'un des
motifs visés à l'article 33 existe. Ces motifs met-
tent en cause, à des degrés divers, des questions de
fait, de droit et d'appréciation. Prenons par exem-
ple l'alinéa 33a). La question de savoir s'il existe
des recours internes ou des procédures d'appel ou
de règlement des griefs «raisonnablement ouverts»
est une question de droit ou une question de droit
et de fait. Toutefois, qu'il soit «préférable» qu'un
plaignant épuise ces voies de recours, voilà une
question qui relève du pouvoir souverain d'appré-
ciation. Avant de décider qu'une plainte est irrece-
vable pour ce motif, la Commission est tenue par
l'article 34 de «s'assurer que le défaut est exclusi-
vement imputable au plaignant.» Évidemment, il
s'agit là d'une question de fait. Il en est de même
du sous-alinéa 33b)(i) où la question de savoir si
une plainte pourrait «avantageusement» être ins-
truite selon des procédures prévues par une autre
loi du Parlement est une question de droit, de fait
et d'appréciation. Au sous-alinéa 33b)(ii), la ques
tion de savoir si une plainte n'est pas de la compé-
tence de la Commission est une question de droit
ou une question mixte de droit et de fait. Au
sous-alinéa 33b)(iii), la question de savoir si une
plainte est frivole, vexatoire, sans objet ou enta-
chée de mauvaise foi met en jeu des points de droit
et de fait. Enfin, au sous-alinéa 33b)(iv), la ques
tion de savoir si la plainte est fondée sur les actions
ou abstentions dont la dernière a eu lieu plus d'un
an avant son dépôt est essentiellement une ques
tion de fait, mais peut mettre en jeu des points de
droit. Que la Commission doive appliquer ou non
un délai plus long qu'elle estime «indiqué», voilà
qui relève de son pouvoir souverain d'appréciation.
Toutes ces questions relèvent parfaitement de la
compétence des tribunaux judiciaires qui sont
d'ailleurs appelés à les trancher dans la pratique.
Ce sont des questions à propos desquelles il est
juste et même utile d'entendre la partie en cause.
A mon avis, rien ne justifie le refus d'entendre un
plaignant, à part les raisons de commodité de la
Commission. Je ne trouve rien, ni à l'article 33 ni
dans les autres dispositions de la Loi, qui exonère
de cette obligation implicite d'agir à titre judiciaire
en cas de rejet d'une plainte pour l'un des motifs
visés à l'article 33. Les conditions subjectives qui
président à ce pouvoir de décision—«à moins
qu'elle estime la plainte irrecevable dans les cas où
il apparaît à la Commission»—n'écartent pas d'el-
les-mêmes une telle obligation: Durayappah c.
Fernando [1967] 2 A.C. 337, à la page 348. De
même, le fait que l'article 40 prévoit expressément
la tenue des audiences par un tribunal des droits
de la personne n'exclut pas non plus l'obligation
implicite visée à l'article 33: L'Alliance des Pro-
fesseurs catholiques de Montréal c. La Commis
sion des Relations ouvrières de la province de
Québec [1953] 2 R.C.S. 140, aux pages 153 et
154. Enfin, l'obligation faite par l'article 34 la
Commission de motiver par écrit sa décision n'est
pas incompatible avec celle qu'elle a d'offrir au
plaignant la possibilité de se faire entendre. Elle
sert plutôt à faire ressortir le caractère judiciaire
ou quasi judiciaire de la décision. Elle renforce
l'impression que la décision doit être fondée sur
des critères légaux précis que le plaignant lui-
même peut faire valoir. Par ces motifs, je conclus
que le rejet d'une plainte pour l'un des motifs visés
à l'article 33 est une décision légalement soumise à
un processus judiciaire ou quasi judiciaire et qu'en
conséquence, la Cour est compétente pour connaî-
tre de la requête fondée en l'espèce sur l'article 28.
Il reste à examiner si la Commission a commis
une erreur de droit en concluant que la plainte
n'était pas de sa compétence parce qu'elle portait
sur un acte antérieur à l'entrée en vigueur de la
Loi. Les questions qui se posent à cet égard sont
multiples. Il échet en premier lieu d'examiner si les
conditions subjectives qui président au pouvoir de
décision excluent le contrôle juridictionnel en cas
d'erreur de droit. Il ne s'agit pas de la même
question que celle qui a été examinée plus haut—
savoir si les conditions subjectives écartent l'obli-
gation implicite d'agir à titre judiciaire—quoiqu'il
semble exister un certain rapport entre les deux.
Une personne affectée par une décision peut avoir
droit à l'audition de sa cause par un tribunal
administratif, mais n'a pas nécessairement droit au
contrôle juridictionnel sur une question donnée.
Les décisions judiciaires sont loin d'être uniformes
quant aux limites du contrôle judiciaire telles
qu'elles se définissent par des termes comme «à
moins que ... il apparaît à la Commission». Voir
de Smith, Judicial Review of Administrative
Action, 3e éd., 1973, aux pages 103 et 104, 257 à
259, 318 320; Halsbury's Laws of England, 4e
éd., vol. 1, paragraphes 22, 52, 56. J'avoue que les
arrêts cités dans ces commentaires n'ont pas été
d'un grand secours, mais ces commentaires eux-
mêmes et certaines parenthèses figurant dans les
arrêts cités semblent étayer dans une certaine
mesure la conclusion que de tels mots ne font pas
ressortir l'intention du législateur d'écarter le con-
trôle judiciaire en cas d'erreur de droit, surtout
lorsqu'il s'agit d'une question de droit qui déter-
mine les limites du pouvoir légal du tribunal. En
tout cas, telle est ma conclusion en l'espèce. Je ne
pense pas que par les mots «à moins que . .. il
apparaît à la Commission» qui figurent à l'article
33, le législateur ait eu l'intention d'autoriser la
Commission à fixer de manière restrictive les limi-
tes de sa propre compétence et à limiter ainsi la
portée des recours institués par le Parlement à
l'encontre des actes discriminatoires, et ce sans
qu'il y ait contrôle judiciaire possible.
La Commission a conclu que la plainte n'était
pas de sa compétence au motif qu'elle portait sur
un fait antérieur à l'entrée en vigueur de la Loi. Il
y a lieu d'examiner cette conclusion qui, à mon
avis, met en jeu une question de droit. Il semble
qu'il y ait eu deux plaintes. La première, en date
du 30 mai 1978, portait essentiellement sur le fait
que la suspension et le renvoi de juillet 1974
constituaient un acte discriminatoire. La
deuxième, en date du 15 août 1978, portait sur le
refus du ministère du Revenu national de donner
suite à la recommandation faite en mai 1978 par la
Direction anti -discrimination de la Commission de
la Fonction publique, ce qui constitue un acte
discriminatoire. Il semble qu'aux yeux de la Com
mission, les faits de la cause ne permettent d'allé-
guer qu'un seul acte discriminatoire, savoir la sus
pension et le renvoi de juillet 1974. J'en conviens.
Le fait que le ministère du Revenu national ait
maintenu sa première décision en dépit de la con
clusion et de la recommandation de la Direction
anti -discrimination ne peut être considéré, aux fins
de la Loi, comme étant un acte discriminatoire
distinct et nouveau. Le renvoi a été consommé à un
moment déterminé. Tout ce que le Ministère a fait
par la suite, c'était de continuer à insister sur le
bien-fondé de sa décision. Le maintien de cette
décision n'a pas pour effet de faire du renvoi un
acte discriminatoire continu. A mon avis, les plain-
tes du requérant peuvent être considérées comme
portant sur un acte antérieur à l'entrée en vigueur
de la Loi.
Il reste à examiner si la Loi canadienne sur les
droits de la personne s'applique aux actes discri-
minatoires consommés avant le ler mars 1978, date
de son entrée en vigueur. A mon avis, ce serait à
n'en pas douter un cas d'application rétroactive.
Dans ce cas, la loi s'appliquerait non pas à un état
acquis en tout ou en partie avant l'entrée en
vigueur de la Loi, mais à un événement, savoir la
perpétration d'actes défendus que la Loi qualifie
d'actes discriminatoires. Sur la nature et la signifi
cation de cette distinction, voir Driedger dans The
Construction of Statutes, aux pages 140 et 141,
version remaniée dans l'appendice de 1976, et dans
son article: «Statutes: Retroactive Retrospective
Reflections» (1978) 56 R. du B. can. 264. Qui plus
est, une telle application rétroactive aurait des
effets adverses, du fait de ses répercussions sur les
droits et les rapports contractuels, sur les obliga
tions de faire et de ne pas faire, sur la responsabi-
lité, autant de matières qui relèvent légitimement
d'une ordonnance d'un tribunal des droits de la
personne. Aussi y a-t-il lieu d'appliquer la règle
d'interprétation s'opposant à l'effet rétroactif des
lois. Un exposé de cette règle, très souvent cité par
les tribunaux, se trouve dans l'ouvrage de Max-
well: The Interpretation of Statutes, 12' éd., 1969,
à la page 215:
[TRADUCTION] Le refus de donner à certaines lois une applica
tion rétroactive repose sur la présomption que le législateur n'a
pas en vue ce qui est injuste. Ces lois sont interprétées comme
ne s'appliquant qu'aux faits qui se produisent après leur adop
tion, à moins que l'application rétroactive ne soit expressément
prévue. Le droit anglais pose pour règle fondamentale que nulle
loi ne doit s'interpréter comme ayant un effet rétroactif, à
moins qu'une telle interprétation ne ressorte clairement du
texte de la loi ou ne s'impose comme inéluctable.
D'aucuns ont tenté de définir les éléments dont
il fallait tenir compte pour déterminer s'il y a eu
réfutation de la présomption de non-rétroactivité
de la loi, mais, il faut l'avouer, aucune de ces
tentatives n'a été d'un grand secours. Les cas où
les tribunaux ont conclu que le législateur pré-
voyait l'effet rétroactif d'une loi, dont plusieurs
sont mentionnés dans Maxwell, op. cit., aux pages
225 227, sont tous des cas si spéciaux, en ce sens
qu'ils se confinent à l'objectif et aux dispositions
propres de la loi en cause qu'il est pratiquement
impossible d'en généraliser l'application. Dans The
Board of Trustees of the Acme Village School
District No. 2296, of the Province of Alberta c.
Steele -Smith [1933] R.C.S. 47,à la page 50, le
juge Lamont a cité deux méthodes générales d'ap-
proche à adopter comme suit:
[TRADUCTION] Si, toutefois, après analyse du texte de Loi, il
existe quelque doute quant à l'intention du législateur, alors,
comme l'a dit le lord Chancelier Hatherly dans Pardo c.
Bingham [(1869) 4 Ch. App. 735, la page 740]:—
Il nous faut nous éclairer sur l'esprit de la loi et sur le
recours sollicité, et nous informer de ce qu'étaient les règles
antérieures et de ce que le législateur avait l'intention de
faire.
Dans Upper Canada College c. Smith [(1920) 61 Can.
R.C.S. 413], la page 419, le juge Duff de la Cour de céans a
indiqué les diverses manières dont le législateur manifestait son
intention. Il écrit:—
Cette intention peut s'exprimer expressément ou se con-
clure inévitablement des dispositions de la loi, ou encore
l'objet de la loi ou les circonstances de son adoption sont tels
qu'ils suffisent à réfuter la présomption qui veut qu'elle ne
dispose que pour l'avenir.
L'avocat du requérant se fonde sur l'esprit de la
loi en cause aussi bien que sur certaines de ses
dispositions pour soutenir dans son plaidoyer que
la Loi s'applique rétroactivement aux actes discri-
minatoires consommés avant son entrée en
vigueur. Il ne me convainc pas qu'il faille y voir
une intention aussi claire et sans équivoque du
législateur. Il n'a pas développé cet argument
fondé sur l'esprit et la portée générale de la loi, le
considérant sans doute comme se passant d'expli-
cations. Le fait que la loi vise un but dans l'ensem-
ble louable ou souhaitable ne suffit pas à anéantir
la règle de non-rétroactivité. L'avocat du requé-
rant a invoqué en particulier les conclusions de la
Cour d'appel de l'Ontario dans Re Sanderson et
Russell (1980) 24 O.R. (2e) 429, arrêt rendu
public le 24 mai 1979 et portant sur l'application
de la Loi dite The Family Law Reform Act, 1978,
S.O. 1978, c. 2 à une demande de pension alimen-
taire présentée par une personne qui avait acquis
l'état requis par suite d'une période de cohabita
tion, laquelle avait pris fin avant l'entrée en
vigueur de cette Loi. Dans cette affaire, l'applica-
tion de la Loi mettait en jeu des questions tout à
fait différentes. En effet, la Cour a décidé dans la
première partie de son jugement qu'il n'y aurait
pas d'application rétroactive aux faits de la cause.
Dans la seconde partie de son jugement, que cite
l'avocat du requérant, la Cour s'est penchée sur la
question de savoir, à supposer que la Loi était
rétroactive, si telle était l'intention du législateur.
La Cour a qualifié la Loi [à la page 437] de
[TRADUCTION] «législation sociale destinée à four-
nir une voie de recours à ceux qui sont dans le
besoin, dans les conditions prévues aux premiers
articles de la Partie II de la Loi.» Elle a remarqué
que le besoin pourrait tenir à la cohabitation et
que l'obligation alimentaire n'était pas fondée sur
la notion de faute. [TRADUCTION] «Compte tenu
de ces facteurs», a conclu la Cour [à la page 438],
«il est raisonnable de conclure que dans l'esprit du
législateur, la Partie II devait s'appliquer à tous les
conjoints selon la définition qu'en donne l'art.
14b)(1), par. 1, à l'entrée en vigueur de la Loi,
quand bien même la période de cohabitation
requise aurait pris fin avant.» En l'espèce, la Loi
n'a pas les mêmes effets au regard de la règle de
non-rétroactivité. Son application n'est pas fonc-
tion d'un état juridique caractérisé par le besoin
réel du créancier et les ressources du débiteur
d'aliments, mais vise un comportement que la loi
stigmatise, avec pour résultat de faire obstacle ou
de faire échec à ce qui constituait auparavant
l'exercice légitime de la liberté de contracter.
Pour faire valoir l'effet rétroactif de la loi, l'avo-
cat du requérant s'est fondé en particulier sur
l'article 2 de la Loi dont voici le passage
applicable:
2. La présente loi a pour objet de compléter la législation
canadienne actuelle en donnant effet dans le champ de compé-
tence du Parlement du Canada, aux principes suivants:
a) tous ont droit, dans la mesure compatible avec leurs
devoirs et obligations au sein de la société, à l'égalité des
chances d'épanouissement, indépendamment des considéra-
tions fondées sur la race, l'origine nationale ou ethnique, la
couleur, la religion, l'âge, le sexe, la situation de famille ou
l'état de personne graciée ou, en matière d'emploi, de leurs
handicaps physiques;
A mon avis, l'avocat du requérant a déduit de
cette disposition que la Loi visait à donner effet
aux principes déjà incarnés dans le droit en
vigueur, mais il n'a pas réussi à démontrer qu'elle
était une consécration ou une codification du droit
existant. Ni la common law ni les lois fédérales en
vigueur à l'adoption de la Loi, par exemple la Loi
sur l'emploi dans la Fonction publique, S.R.C.
1970, c. P-32, et le Code canadien du travail,
S.R.C. 1970, c. L-1, n'opéraient interdiction d'ac-
tes discriminatoires de façon aussi étendue que
l'énumération des motifs de distinction illicite à
l'article 3 et la description des actes discriminatoi-
res aux articles 7 à 15.
Les autres dispositions invoquées par l'avocat du
requérant ne permettent pas, à mon avis, de con-
clure à l'intention du législateur de donner à la Loi
une application rétroactive. Il a cité plusieurs dis
positions où le passé aussi bien que le présent est
employé pour décrire un acte discriminatoire, par
exemple l'article 4 («found to be engaging or to
have engaged in a discriminatory practice») et le
paragraphe 32(1) (ais engaging or has engaged in
a discriminatory practice»). L'emploi du passé
n'exclut pas l'intention de faire une loi disposant
pour l'avenir. Comme le juge Wright l'a dit dans
In re Athlumney Ex parte Wilson [1898] 2 Q.B.
547, la page 553: [TRADUCTION] «cette formula
tion est souvent employée pour désigner non pas le
passé par rapport à la promulgation de la loi, mais
le futur antérieur, un moment qui sera du passé
par rapport à l'événement auquel la loi doit s'ap-
pliquer.» L'avocat soutient aussi qu'on peut voir
dans le sous-alinéa 33b)(iv) de la Loi une volonté
de rétroactivité. Ce sous-alinéa prévoit que la
Commission peut déclarer une plainte irrecevable
s'il apparaît à la Commission qu'elle a été déposée
après l'expiration d'un délai d'un an à compter de
la dernière des actions ou abstentions sur lesquelles
elle est fondée, ou de tout délai plus long que la
Commission estime indiqué dans les circonstances.
Je ne pense pas qu'il soit déraisonnable d'en con-
clure que cette disposition n'était applicable qu'un
an au moins après l'entrée en vigueur de la Loi.
Enfin, l'avocat a conclu à l'effet rétroactif de la
Loi en se fondant sur l'article 64 que voici:
64. Après l'entrée en vigueur de la Partie III, la Commission
peut, par règlement, avec l'approbation du gouverneur en con-
seil, imposer, jusqu'à résorption de son rôle, des restrictions au
dépôt des plaintes pour actes discriminatoires portées sous le
régime de cette Partie.
Je ne crois pas qu'il faille déduire de cette disposi
tion que la Loi doit avoir un effet rétroactif. Une
telle disposition pourrait être considérée comme
nécessaire, étant donné le volume des plaintes
qu'on pourrait prévoir au tout début de l'applica-
tion de la Loi, pour ce qui est des actes discrimina-
toires qui se commettraient au moment de l'entrée
en vigueur de la Loi ou quelque temps après. C'est
dans ce sens restreint que la Loi pourrait s'appli-
quer rétroactivement aux actes discriminatoires
commis avant son entrée en vigueur, mais qui se
poursuivaient jusqu'à cette date ou au-delà. Il
s'ensuit qu'à mon avis, on ne saurait dire que le
législateur avait l'intention de donner à cette Loi
une application rétroactive aux actes discrimina-
toires consommés avant son entrée en vigueur. En
conséquence, la Commission n'a pas commis une
erreur de droit en concluant que la plainte du
requérant n'était pas de sa compétence.
Par ces motifs, je rejetterais cette requête fondée
sur l'article 28.
* * *
LE JUGE URIE: J'y souscris.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE SUPPLÉANT KELLY: J'ai pris connais-
sance des motifs du jugement rendus par le juge
Le Dain, auxquels je souscris.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.