Jugements

Informations sur la décision

Contenu de la décision

A-638-78
Normand Latif (Requérant) c.
La Commission canadienne des droits de la per- sonne et R. G. L. Fairweather (Intimés)
Cour d'appel, les juges Urie et Le Dain et le juge suppléant Kelly—Toronto, le 8 juin; Ottawa, le 17 septembre 1979.
Examen judiciaire Compétence Commission cana- dienne des droits de la personne La Commission refusait de «recevoir» la plainte parce que l'acte qui en faisait l'objet avait eu lieu avant l'entrée en vigueur de la Loi canadienne sur les droits de la personne Seconde plainte visant le refus opposé par le Ministère à l'application des recommandations de la Direction anti -discrimination, après l'entrée en vigueur de la Loi Il échet d'examiner si la Cour est compétente pour entendre cette demande fondée sur l'art. 28 et si le refus de recevoir la plainte était une décision judiciaire Il échet d'examiner si la Commission a commis une erreur de droit en se déclarant incompétente (I) à l'égard d'une infraction qui se serait produite avant la proclamation de la Loi, et (2) à l'égard de l'infraction qui se serait produite ou poursuivie après cette date Loi canadienne sur les droits de la personne, S.C. 1976-77, c. 33, art. 2, 3, 7, 32(1), 33, 34, 41(2), 64 Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.). c. 10, art. 28.
Requête fondée sur l'article 28 et tendant à l'annulation à la décision de la Commission canadienne des droits de la personne par laquelle celle-ci a refusé de «recevoir» une plainte à l'égard de laquelle elle s'est déclarée incompétente, au motif que l'acte qui en faisait l'objet avait eu lieu avant l'entrée en vigueur de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Le requérant a été renvoyé le 4 juillet 1974 de son travail au ministère du Revenu national, Douanes et Accise, pour des irrégularités qu'il aurait commises. La Direction anti -discrimination de la Commission de la Fonction publique, enquêtant sur la plainte de traitement discriminatoire faite par le requérant, a conclu le 16 mai 1978 que l'impression chez le requérant de pratique discriminatoire était plausible. Le Ministère a refusé de se conformer à la recommandation, faite par cette Direction, de substituer une longue suspension au renvoi et de rétablir le requérant dans ses fonctions avec rappel de solde. Après avoir été informé par un conseiller juridique que sa plainte relative à son renvoi de 1974 ne relevait pas de la compétence de la Commission, le requérant a déposé une seconde plainte, attaquant cette fois le refus du Ministère d'appliquer la recommandation de la Direction anti- discrimination. L'intimée soutient que la Cour n'est pas compé- tente pour entendre cette demande fondée sur l'article 28. De son côté, le requérant soutient que la Commission a commis une erreur de droit en se déclarant incompétente à l'égard de sa plainte de 1974, et à titre subsidiaire, que le refus du Ministère de se rendre aux recommandations de la Direction anti -discri mination constitue un acte discriminatoire tombant sous le coup de la Loi.
Arrêt: la requête est rejetée. En ce qui concerne la compé- tence de la Cour pour connaître de la requête fondée sur l'article 28, la décision qui doit être définie à la lumière de cet
article est la décision prise par la Commission en vertu de l'article 33, de ne pas recevoir une plainte pour cause de non-compétence. Cette décision est légalement soumise à un processus judiciaire ou quasi judiciaire. En conséquence, la Cour est compétente pour connaître de la requête fondée en l'espèce sur l'article 28. Les conditions subjectives—«à moins que ... il apparaît à la Commission»—qui président au pouvoir de décision ne font pas ressortir l'intention du législateur d'écarter le contrôle judiciaire en cas d'erreur de droit, surtout lorsqu'il s'agit d'une question de droit qui détermine les limites du pouvoir légal du tribunal. La Commission a conclu à bon droit que les faits de la cause ne permettent d'alléguer qu'un seul acte discriminatoire, savoir la suspension et le renvoi de 1974. La décision prise par le Ministère de ne pas appliquer la recommandation de la Direction anti -discrimination ne peut être considérée comme étant un acte discriminatoire distinct et nouveau. Les plaintes doivent être considérées comme portant sur un acte antérieur à l'entrée en vigueur de la Loi. Le droit anglais pose pour règle fondamentale que nulle loi ne doit s'interpréter comme ayant un effet rétroactif, à moins qu'une telle interprétation ne ressorte clairement du texte de la loi ou ne s'impose comme inéluctable. Rien ne fait ressortir en l'es- pèce une telle intention claire et sans équivoque du législateur, et rien n'indique qu'une conclusion dans ce sens se dégage nécessairement des diverses dispositions de la Loi. Sauf les cas restreints d'application de la Loi aux actes discriminatoires commis avant son entrée en vigueur mais qui se poursuivaient jusqu'à cette date ou au-delà, on ne saurait dire que le législa- teur avait l'intention de lui donner une application rétroactive aux actes consommés avant son entrée en vigueur. La Commis sion n'a pas commis une erreur de droit en concluant que la plainte du requérant n'était pas de sa compétence.
DEMANDE d'examen judiciaire. AVOCATS:
T. G. Bastedo pour le requérant. R. G. Juriansz pour l'intimée.
PROCUREURS:
Bastedo, Cooper, Kluwak & Shostack, Toronto, pour le requérant.
La Commission canadienne des droits de la personne, Ottawa, pour l'intimée.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE LE DAIN: Il s'agit d'une requête fondée sur l'article 28 et tendant à l'annulation de la décision de la Commission canadienne des droits de la personne par laquelle cette Commission s'est déclarée incompétente pour connaître d'une plainte au motif que l'acte faisant l'objet de la plainte avait eu lieu avant le 1e' mars 1978*, date à laquelle est entrée en vigueur la Loi canadienne sur les droits de la personne, S.C. 1976-77, c. 33.
* La Partie II et l'art. 57 ont été proclamés en vigueur le 10 août 1977 par TR/77-168.
Le requérant a été suspendu et subséquemment renvoyé, à compter du 4 juillet 1974, de son travail au ministère du Revenu national, Douanes et Accise, au motif qu'il avait abusé de son poste pour importer des marchandises pour son usage personnel, sans acquitter les droits de douane requis. En juillet 1976, le requérant a demandé à la Direction anti -discrimination de la Commission de la Fonction publique d'ouvrir une enquête en se plaignant que sa suspension et son renvoi représen- taient des mesures discriminatoires tenant à sa religion et à sa nationalité d'origine. Le 16 mai 1978, le directeur de la Direction anti -discrimina tion lui a fait part du résultat de l'enquête menée par la Direction selon laquelle [TRADUCTION] «l'impression [chez le requérant] de pratique dis- criminatoire» était «plausible». Par conséquent, ce service avait recommandé au ministère du Revenu national, Douanes et Accise, de substituer une longue suspension au renvoi et de réintégrer le requérant dans ses fonctions avec rappel de solde. Le Ministère a refusé de se conformer à cette recommandation.
En mai 1978, le requérant s'est enquis de la possibilité d'une plainte auprès de la Commission canadienne des droits de la personne. Dans une réponse en date du 23 mai 1978, à laquelle était jointe une formule de plainte, un représentant de la Commission a émis l'avis que la Commission n'avait pas [TRADUCTION] «compétence pour appliquer une recommandation de la Direction anti -discrimination ni pour connaître des actes dis- criminatoires qui auraient eu lieu avant le lef mars 1978». Le 30 mai 1978, le requérant s'est servi de la formule fournie par la Commission pour la saisir d'une plainte selon laquelle il avait lieu de croire que le ministère du Revenu national, Doua- nes et Accise, [TRADUCTION] «des ou vers les 4 juillet 1974 et 16 mai 1978, a commis, à l'égard de ma suspension et de mon renvoi, un acte discrimi- natoire tenant à ma religion et à ma nationalité d'origine». Il a ajouté dans sa plainte [TRADUC- TION] «Cette discrimination persiste depuis mon renvoi du fait que le Ministère a refusé de commu- niquer le dossier à la Commission de la Fonction publique et à moi-même tout comme il a refusé de me traiter au même titre que le reste des employés
ou que les autres employés suspendus ou renvoyés».
A la suite de la plainte, un fonctionnaire de la Commission a consulté le directeur de la Direction anti -discrimination de la Commission de la Fonc- tion publique et a versé au dossier un mémoire en date du 7 juin 1978 il a consigné les faits qui, à son avis, [TRADUCTION] «étaient propres à déter- miner si la Commission canadienne des droits de la personne devait procéder à une enquête» et il a recommandé une telle enquête sur la plainte du requérant. Le 26 juillet 1978, M. Russell Juriansz, conseiller juridique de la Commission, a écrit au requérant comme suit:
[TRADUCTION] Vous avez déposé devant la Commission canadienne des droits de la personne une plainte contre le ministère du Revenu national, Douanes et Accise, Toronto, pour traitement discriminatoire. Cette plainte porte sur votre suspension et sur votre renvoi du service des douanes et accise, à compter du mois de juillet 1974. La Loi canadienne sur les droits de la personne n'étant entrée en vigueur que le 1°' mars 1978, la Commission n'a compétence ni pour instruire votre plainte ni pour y faire droit.
Le 16 août 1978, le requérant a présenté à la Commission une nouvelle plainte dans laquelle il déclarait avoir lieu de croire que le ministère du Revenu national, Douanes et Accise, [TRADUC- TION] «a commis un acte discriminatoire le, ou vers le 16 mai 1978 en refusant de se rendre aux conclusions de la Direction anti -discrimination selon lesquelles j'avais fait l'objet d'un traitement discriminatoire tenant à ma religion et à ma natio- nalité d'origine puisque le service des douanes et accise de Toronto, m'a renvoyé au lieu de me punir en proportion de la mesure disciplinaire prise à l'encontre des autres agents mêlés à la même affaire». Voici la teneur de cette plainte:
[TRADUCTION] Le ou vers le 16 mai 1978, la Direction anti- discrimination de la Commission de la Fonction publique a mis fin à l'enquête, qu'elle avait entreprise depuis deux ans sur ma suspension et sur mon renvoi du service des douanes et accise du ministère du Revenu national, en recommandant, à titre de juste sanction, une longue suspension plutôt qu'un renvoi, étant donné que j'avais été l'objet d'un traitement discriminatoire et que le Ministère n'était pas à même de justifier ce traitement discriminatoire qu'il m'avait réservé. Le ministère du Revenu national a refusé de se rendre à la recommandation de la Direction anti -discrimination ou de la prendre en considération.
Dans une lettre jointe à la plainte, le requérant a déclaré:
[TRADUCTION] J'ai déposé une plainte semblable le 30 mai 1978, mais elle a été déclarée non recevable du fait que la Loi canadienne sur les droits de la personne n'est entrée en vigueur que le l er mars 1978. Je désire insister sur le fait que la présente plainte ne porte pas sur mon renvoi en juillet 1974, mais plutôt sur le refus du ministère du Revenu national de prendre en considération les conclusions et les recommandations en date du 16 mai 1978 de la Direction anti -discrimination ou, du moins, de s'entendre avec elle sur ces dernières.
Le 5 octobre 1978, le président de la Commis sion, M. R. G. L. Fairweather, a adressé cette demande écrite au ministre du Revenu national:
[TRADUCTION] «le règlement de la plainte de M. Latif serait d'autant facilité si vous pouviez donner des éclaircissements à l'égard de la conclusion de la Direction anti -discrimination selon laquelle M. Latif a fait l'objet d'un traitement discriminatoire puisqu'il a été seul à être suspendu alors que d'autres agents étaient également soupçonnés du dédouanement irrégulier.»
Le 8 novembre 1978, le président de la Commis sion a écrit à M. Latif en ces termes:
[TRADUCTION] Je confirme par la présente que, votre sus pension et votre renvoi ayant eu lieu en juillet 1974, avant l'entrée en vigueur de la Loi canadienne sur les droits de la personne, la Commission ne peut recevoir votre plainte.
Toutefois, j'ai demandé au ministre du Revenu national de revoir votre cas, et vous prie de trouver ci-jointes une copie de ma lettre et la première réponse de son ministère.
Je vous écrirai dès que j'aurai reçu la réponse du ministre du Revenu national.
Le 16 novembre 1978, le ministre du Revenu national a répondu à la demande d'éclaircisse- ments du président de la Commission au sujet de la conclusion et de la recommandation de la Direc tion anti -discrimination et lui a donné la version des faits du Ministère. Voici les passages de sa lettre portant sur la question de la discrimination:
[TRADUCTION] Il s'agit en l'espèce de deux montres Seiko qui furent importées par M. Latif. Ces marchandises étaient évaluées à $40.00, ce prix étant marqué clairement sur le colis. En déclarant ces marchandises à un collègue, M. Latif a indiqué qu'il s'agissait de deux cadeaux, l'un pour lui-même et l'autre pour sa femme. N'étant pas très satisfait de cette réponse, cet agent montra le paquet à un autre douanier qui, avec le consentement du premier préposé, apposa le cachet «droits acquittés» sur le paquet et le retourna au bureau de poste. Un troisième agent récupéra le paquet et le donna au surveillant qui l'a mis sous douane aux fins de vérification et de dédouanement en règle.
Après avoir essayé d'obtenir d'un quatrième agent le dédoua- nement en franchise de ces montres, M. Latif remplit une formule de déclaration en douane dans laquelle il sous-évaluait les marchandises et leur attribuait une valeur de $28.00. Il donna ensuite sa déclaration à un autre agent des douanes qui la signa sans autre vérification des marchandises.
Aux yeux du Ministère, M. Latif a fait une fausse déclara- tion au premier agent en indiquant que les marchandises étaient un cadeau pour lui-même et pour sa femme; il a fautivement essayé d'obtenir du quatrième agent le dédouane- ment de ces marchandises en franchise; il a fautivement retiré les marchandises de la douane avant dédouanement en règle et il a induit en erreur le cinquième agent en lui déclarant que les marchandises ne valaient que $28.00.
Le premier agent a fait une erreur de jugement en acceptant la déclaration de M. Latif; le deuxième agent a fait une erreur de jugement en apposant le cachet «en franchise» sur le paquet; le cinquième préposé a fait une erreur de jugement en croyant sur parole la déclaration d'un collègue sur la valeur des mar- chandises sans les vérifier et sans s'assurer que la valeur déclarée était conforme. Le Ministère a trouvé ces trois agents coupables d'erreur de jugement et leur a infligé un blâme verbal à titre de sanction disciplinaire.
M. Latif n'était pas coupable d'erreur de jugement mais d'importation indue de marchandises. Il s'agit d'un acte tout à fait incompatible avec les fonctions pour lesquelles M. Latif était payé et cet acte suffisait pour convaincre le Ministère que M. Latif avait tellement compromis sa situation et son intégrité qu'il ne saurait plus le garder à son service. C'est par ces motifs que M. Latif a été renvoyé.
Le Ministre a réaffirmé son refus de se confor- mer à la recommandation de la Direction anti -dis crimination et de réintégrer le requérant dans ses fonctions.
Le requérant soutient que la Commission a fait une erreur de droit en se déclarant incompétente pour connaître de la plainte. Il soutient que la Loi canadienne sur les droits de la personne est telle qu'elle déroge à la présomption de non-rétroacti- vité et qu'elle s'applique aux actes discriminatoires commis avant son entrée en vigueur et, en l'espèce, à la suspension et au renvoi du requérant en juillet 1974. A titre subsidiaire, il prétend que la Loi s'applique en tout cas au refus du ministère du Revenu national de donner suite à la conclusion et à la recommandation de la Direction anti -discrimi nation de la Commission de la Fonction publique, ce refus constituant un acte discriminatoire qui a commencé ou persisté après l'entrée en vigueur de la Loi.
La Commission soutient que la Cour n'a pas compétence pour recevoir la requête, étant donné que la décision de la Commission concernant la
plainte du requérant n'est pas une décision au sens de l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2' Supp.), c. 10, ou que, si tant est qu'on puisse parler de décision, il ne s'agit pas d'une décision légalement soumise à un processus judiciaire ou quasi judiciaire. A titre subsidiaire, l'avocat de la Commission fait valoir dans son mémoire que la plainte est fondée sur des faits antérieurs au 1" mars 1978, date d'entrée en vigueur de la Loi et que de ce fait, elle ne relève pas de la compétence de la Commission. Toutefois, à l'audition de la requête, l'avocat de la Commis sion a refusé de développer cet argument, encore qu'il n'y ait pas renoncé, si je ne me trompe.
Avant d'aborder l'examen des questions que soulève la requête, il est nécessaire de rappeler brièvement l'esprit de la Loi canadienne sur les droits de la personne.
La Loi interdit certaines catégories d'actes dis- criminatoires dans des domaines qui relèvent de la compétence législative fédérale. Par exemple, l'ar- ticle 7 que le requérant invoque dans sa plainte à la Commission, porte:
7. Constitue un acte discriminatoire le fait
a) de refuser d'employer ou de continuer d'employer un individu, ou
b) de défavoriser un employé,
directement ou indirectement, pour un motif de distinction illicite.
L'article 3 de la Loi définit les motifs de distinc tion illicite en ces termes:
3. Pour l'application de la présente loi, les motifs de distinc tion illicite sont ceux qui sont fondés sur la race, l'origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l'âge, le sexe, la situation de famille ou l'état de personne graciée et, en matière d'emploi, sur un handicap physique.
La Commission canadienne des droits de la personne est chargée de l'application de cette Loi. Elle est habilitée à instruire les plaintes, à tenter un règlement par voie de conciliation, et à se prononcer sur une plainte au vu du rapport d'en- quête. En tout état de cause, elle peut déférer une plainte au tribunal des droits de la personne qui, ayant entendu l'affaire, a le pouvoir d'ordonner le redressement prévu au paragraphe 41(2) que voici:
41....
(2) A l'issue de son enquête, le tribunal qui juge la plainte fondée peut, sous réserve du paragraphe (4) et de l'article 42, ordonner, selon les circonstances, à la personne trouvée coupa- ble d'un acte discriminatoire
a) de mettre fin à l'acte et de prendre des mesures destinées à prévenir les actes semblables, et ce, en consultation avec la Commission relativement à l'objet général de ces mesures; celles-ci peuvent comprendre l'adoption d'une proposition relative à des programmes, des plans ou des arrangements spéciaux visés au paragraphe 15(1);
b) d'accorder à la victime, à la première occasion raisonna- ble, les droits, chances ou avantages dont, de l'avis du tribunal, l'acte l'a privée;
c) d'indemniser la victime de la totalité, ou de la fraction qu'il juge indiquée, des pertes de salaire et des dépenses entraînées par l'acte; et
d) d'indemniser la victime de la totalité, ou de la fraction qu'il fixe, des frais supplémentaires causés, pour recourir à d'autres biens, services, installations ou moyens d'héberge- ment, et des dépenses entraînées par l'acte.
Pour déterminer le statut juridictionnel de la décision de la Commission vis-à-vis de la compé- - tence de la Cour, il nous faut porter toute notre attention sur trois dispositions de la Loi que sont le paragraphe 32(1) et les articles 33 et 34. Le paragraphe 32(1) porte:
32. (1) Sous réserve des paragraphes (5) et (6), les individus ou groupes d'individus ayant des motifs raisonnables de croire qu'une personne a commis un acte discriminatoire peuvent déposer une plainte devant la Commission en la forme accepta ble pour cette dernière.
Les paragraphes (5) et (6) posent certaines con ditions de compétence fondées sur le lieu l'acte discriminatoire se serait produit et sur le statut de la victime au moment de l'acte. Ces dispositions n'ont pas application en l'espèce.
L'article 33 porte:
33. Sous réserve de l'article 32, la Commission doit statuer sur toute plainte dont elle est saisie à moins qu'elle estime la plainte irrecevable dans les cas il apparaît à la Commission
a) qu'il est préférable que la victime présumée de l'acte discriminatoire épuise d'abord les recours internes ou les procédures d'appel ou de règlement des griefs qui lui sont raisonnablement ouverts; ou
b) que la plainte
(i) pourrait avantageusement être instruite, dans un pre mier temps ou à toutes les étapes, selon des procédures prévues par une autre loi du Parlement,
(ii) n'est pas de sa compétence,
(iii) est frivole, vexatoire, sans objet ou entachée de mau- vaise foi, ou
(iv) a été déposée après l'expiration d'un délai d'un an à compter de la dernière des actions ou abstentions sur lesquelles elle est fondée, ou de tout délai plus long que la Commission estime indiqué dans les circonstances.
L'article 34 porte:
34. (1) Sous réserve du paragraphe (2), la Commission doit motiver par écrit sa décision auprès du plaignant dans les cas elle décide que la plainte est irrecevable.
(2) Avant de décider qu'une plainte est irrecevable pour le motif que les recours ou procédures mentionnés à l'alinéa 33a) n'ont pas été épuisés, la Commission doit s'assurer que le défaut est exclusivement imputable au plaignant.
Je me penche maintenant sur les points litigieux que soulève la requête fondée sur l'article 28. Il importe tout d'abord de déterminer ce qu'a réelle- ment décidé la Commission. L'avocat de la Com mission prétend que la Commission a décidé de ne pas recevoir la plainte par ce motif que celle-ci ne faisait ressortir aucun motif raisonnable de croire qu'un acte discriminatoire avait été commis en violation de la Loi. Il soutient également que la Commission tient de l'article 32 de la Loi le pouvoir implicite de rejeter les plaintes comme elle l'a fait en l'espèce. Je ne partage ni cette concep tion des pouvoirs de la Commission ni l'interpréta- tion donnée de sa décision. Par «motifs raisonna- bles de croire», le paragraphe 32(1) entend simplement, à mon avis, qu'il suffit à une personne de pouvoir affirmer qu'elle a des motifs raisonna- bles de croire qu'un acte discriminatoire a été commis pour s'en plaindre à la Commission, sans avoir à en établir la preuve de première main. Si une personne soumet une plainte en la forme que la Commission trouve acceptable (je veux dire une forme qui a été approuvée par la Commission) et y affirme qu'elle a des motifs raisonnables de croire qu'un acte discriminatoire a été commis, je suis d'avis que la Commission est dès lors tenue, con- formément à l'article 33, d'instruire cette plainte, à moins que celle-ci ne représente l'une des excep tions visées à cet article ou à l'article 32. Hormis les cas visés aux paragraphes (2) et (5) de l'article 32, les motifs d'irrecevabilité d'une plainte sont prévus par l'article 33. En application de l'article
34, la Commission doit notifier au plaignant sa décision motivée dans les cas elle décide que la plainte est irrecevable. Le sous-alinéa 33b)(ii) pré- voit le cas la plainte porte sur un acte discrimi- natoire auquel la Loi ne s'applique pas. C'est précisément le motif qu'a invoqué la Commission pour rendre sa décision en l'espèce. Le sous-alinéa 33b)(iii) vise les plaintes que la Commission consi- dère comme non fondées. Je ne pense pas que la Commission puisse contourner l'article 33 et la condition prévue par l'article 34 en déclarant non recevable une plainte introduite en la forme accep table pour elle, du fait qu'à son avis les motifs de croyance invoqués dans la plainte ne sont pas en fait des motifs raisonnables. Il est constant que, dès le début, la Commission a considéré que la plainte du requérant ne relevait pas de sa compé- tence. Voilà justement le motif qu'il faut invoquer en cas de décision fondée sur l'article 33. A mon avis donc, en ce qui concerne la compétence de la Cour pour connaître de la requête fondée sur l'article 28, la décision qui doit être définie à la lumière de cet article est la décision prise par la Commission en vertu de l'article 33, de ne pas recevoir une plainte pour cause de non-compé- tence.
Il échet dès lors d'examiner si une telle décision est légalement soumise à un processus judiciaire ou quasi judiciaire. Je remarque tout d'abord qu'il s'agit en l'espèce d'une «décision» au sens de l'arti- cle 28. Cette «décision» est prévue à l'article 34 de la Loi canadienne sur les droits de la personne; c'est une décision relevant de l'exercice d'un pou- voir prévu par la loi et elle est prise en dernier ressort, au moins en ce qui concerne les causes d'irrecevabilité visées aux sous-alinéas 33b)(ii) à (iv). A ce titre, elle se distingue des décisions préliminaires ou provisoires dont la cour de céans a conclu qu'elles ne sont pas des décisions au sens de l'article 28. Voir par exemple, B.C. Packers Ltd. c. Le Conseil canadien des relations du travail [1973] C.F. 1194.
Que la décision en cause soit ou non légalement soumise à un processus judiciaire ou quasi judi- ciaire soulève la question pratique de savoir si, avant de rejeter une plainte par application de l'article 33, la Commission est tenue d'offrir au plaignant la possibilité de se faire entendre, tout au moins par voie de conclusions écrites, sur le motif qu'elle se propose d'invoquer. Une telle exigence alourdirait incontestablement la fonction adminis trative de la Commission; mais cette considération ne saurait être déterminante, tant que, comme il semble être le cas, cette obligation ne ferait pas obstacle à l'application de la loi. Qu'il faille con- clure ou non à l'existence d'une telle obligation tacite en l'absence d'une disposition prévoyant expressément l'audition du plaignant, dépend de certains facteurs dont les principaux sont, à mon avis, les effets de la décision et la nature des points litigieux qui en font l'objet. Voir Durayappah c. Fernando [1967] 2 A.C. 337, lord Upjohn à la page 349: M.R.N. c. Coopers and Lybrand [1979] 1 R.C.S. 495, le juge Dickson aux pages 504 et 505.
Nul doute que la Loi canadienne sur les droits de la personne crée de nouveaux droits, sur le plan du droit positif comme sur le plan de la procédure. De fait, elle consacre le droit d'être traité sans certaines formes de discrimination dans certains domaines qui relèvent de la compétence législative fédérale, et elle prévoit une procédure spéciale de recours contre les actes discriminatoires. Se fonder sur l'article 33 pour déclarer une plainte irreceva- ble revient en fait à refuser ce recours au requé- rant. C'est à proprement parler une décision qui touche aux droits subjectifs. Il y a lieu de noter que le paragraphe 36(3) de la Loi, qui prévoit la suite à donner par la Commission à une plainte au reçu du rapport d'enquête, embrasse le cas la Commission peut «rejeter» la plainte pour l'un des motifs visés aux sous-alinéas 33b)(ii) à (iv). De fait, la Loi prévoit le rejet d'une plainte pour l'un de ces motifs avant ou après l'enquête.
Si l'on se fonde sur le libellé de l'article 33 pour déterminer les éléments de la décision de rejet d'une plainte, il y a lieu de relever tout d'abord les conditions subjectives qui président à ce pouvoir de décision. La Commission peut décider qu'une plainte est irrecevable s'il lui apparaît que l'un des motifs visés à l'article 33 existe. Ces motifs met-
tent en cause, à des degrés divers, des questions de fait, de droit et d'appréciation. Prenons par exem- ple l'alinéa 33a). La question de savoir s'il existe des recours internes ou des procédures d'appel ou de règlement des griefs «raisonnablement ouverts» est une question de droit ou une question de droit et de fait. Toutefois, qu'il soit «préférable» qu'un plaignant épuise ces voies de recours, voilà une question qui relève du pouvoir souverain d'appré- ciation. Avant de décider qu'une plainte est irrece- vable pour ce motif, la Commission est tenue par l'article 34 de «s'assurer que le défaut est exclusi- vement imputable au plaignant.» Évidemment, il s'agit d'une question de fait. Il en est de même du sous-alinéa 33b)(i) la question de savoir si une plainte pourrait «avantageusement» être ins- truite selon des procédures prévues par une autre loi du Parlement est une question de droit, de fait et d'appréciation. Au sous-alinéa 33b)(ii), la ques tion de savoir si une plainte n'est pas de la compé- tence de la Commission est une question de droit ou une question mixte de droit et de fait. Au sous-alinéa 33b)(iii), la question de savoir si une plainte est frivole, vexatoire, sans objet ou enta- chée de mauvaise foi met en jeu des points de droit et de fait. Enfin, au sous-alinéa 33b)(iv), la ques tion de savoir si la plainte est fondée sur les actions ou abstentions dont la dernière a eu lieu plus d'un an avant son dépôt est essentiellement une ques tion de fait, mais peut mettre en jeu des points de droit. Que la Commission doive appliquer ou non un délai plus long qu'elle estime «indiqué», voilà qui relève de son pouvoir souverain d'appréciation.
Toutes ces questions relèvent parfaitement de la compétence des tribunaux judiciaires qui sont d'ailleurs appelés à les trancher dans la pratique. Ce sont des questions à propos desquelles il est juste et même utile d'entendre la partie en cause. A mon avis, rien ne justifie le refus d'entendre un plaignant, à part les raisons de commodité de la Commission. Je ne trouve rien, ni à l'article 33 ni dans les autres dispositions de la Loi, qui exonère de cette obligation implicite d'agir à titre judiciaire en cas de rejet d'une plainte pour l'un des motifs visés à l'article 33. Les conditions subjectives qui président à ce pouvoir de décision—«à moins qu'elle estime la plainte irrecevable dans les cas il apparaît à la Commission»—n'écartent pas d'el- les-mêmes une telle obligation: Durayappah c. Fernando [1967] 2 A.C. 337, à la page 348. De
même, le fait que l'article 40 prévoit expressément la tenue des audiences par un tribunal des droits de la personne n'exclut pas non plus l'obligation implicite visée à l'article 33: L'Alliance des Pro- fesseurs catholiques de Montréal c. La Commis sion des Relations ouvrières de la province de Québec [1953] 2 R.C.S. 140, aux pages 153 et
154. Enfin, l'obligation faite par l'article 34 la Commission de motiver par écrit sa décision n'est pas incompatible avec celle qu'elle a d'offrir au plaignant la possibilité de se faire entendre. Elle sert plutôt à faire ressortir le caractère judiciaire ou quasi judiciaire de la décision. Elle renforce l'impression que la décision doit être fondée sur des critères légaux précis que le plaignant lui- même peut faire valoir. Par ces motifs, je conclus que le rejet d'une plainte pour l'un des motifs visés à l'article 33 est une décision légalement soumise à un processus judiciaire ou quasi judiciaire et qu'en conséquence, la Cour est compétente pour connaî- tre de la requête fondée en l'espèce sur l'article 28.
Il reste à examiner si la Commission a commis une erreur de droit en concluant que la plainte n'était pas de sa compétence parce qu'elle portait sur un acte antérieur à l'entrée en vigueur de la Loi. Les questions qui se posent à cet égard sont multiples. Il échet en premier lieu d'examiner si les conditions subjectives qui président au pouvoir de décision excluent le contrôle juridictionnel en cas d'erreur de droit. Il ne s'agit pas de la même question que celle qui a été examinée plus haut— savoir si les conditions subjectives écartent l'obli- gation implicite d'agir à titre judiciaire—quoiqu'il semble exister un certain rapport entre les deux. Une personne affectée par une décision peut avoir droit à l'audition de sa cause par un tribunal administratif, mais n'a pas nécessairement droit au contrôle juridictionnel sur une question donnée. Les décisions judiciaires sont loin d'être uniformes quant aux limites du contrôle judiciaire telles qu'elles se définissent par des termes comme «à moins que ... il apparaît à la Commission». Voir de Smith, Judicial Review of Administrative Action, 3e éd., 1973, aux pages 103 et 104, 257 à 259, 318 320; Halsbury's Laws of England, 4e éd., vol. 1, paragraphes 22, 52, 56. J'avoue que les arrêts cités dans ces commentaires n'ont pas été d'un grand secours, mais ces commentaires eux- mêmes et certaines parenthèses figurant dans les
arrêts cités semblent étayer dans une certaine mesure la conclusion que de tels mots ne font pas ressortir l'intention du législateur d'écarter le con- trôle judiciaire en cas d'erreur de droit, surtout lorsqu'il s'agit d'une question de droit qui déter- mine les limites du pouvoir légal du tribunal. En tout cas, telle est ma conclusion en l'espèce. Je ne pense pas que par les mots «à moins que . .. il apparaît à la Commission» qui figurent à l'article 33, le législateur ait eu l'intention d'autoriser la Commission à fixer de manière restrictive les limi- tes de sa propre compétence et à limiter ainsi la portée des recours institués par le Parlement à l'encontre des actes discriminatoires, et ce sans qu'il y ait contrôle judiciaire possible.
La Commission a conclu que la plainte n'était pas de sa compétence au motif qu'elle portait sur un fait antérieur à l'entrée en vigueur de la Loi. Il y a lieu d'examiner cette conclusion qui, à mon avis, met en jeu une question de droit. Il semble qu'il y ait eu deux plaintes. La première, en date du 30 mai 1978, portait essentiellement sur le fait que la suspension et le renvoi de juillet 1974 constituaient un acte discriminatoire. La deuxième, en date du 15 août 1978, portait sur le refus du ministère du Revenu national de donner suite à la recommandation faite en mai 1978 par la Direction anti -discrimination de la Commission de la Fonction publique, ce qui constitue un acte discriminatoire. Il semble qu'aux yeux de la Com mission, les faits de la cause ne permettent d'allé- guer qu'un seul acte discriminatoire, savoir la sus pension et le renvoi de juillet 1974. J'en conviens. Le fait que le ministère du Revenu national ait maintenu sa première décision en dépit de la con clusion et de la recommandation de la Direction anti -discrimination ne peut être considéré, aux fins de la Loi, comme étant un acte discriminatoire distinct et nouveau. Le renvoi a été consommé à un moment déterminé. Tout ce que le Ministère a fait par la suite, c'était de continuer à insister sur le bien-fondé de sa décision. Le maintien de cette décision n'a pas pour effet de faire du renvoi un acte discriminatoire continu. A mon avis, les plain- tes du requérant peuvent être considérées comme portant sur un acte antérieur à l'entrée en vigueur de la Loi.
Il reste à examiner si la Loi canadienne sur les droits de la personne s'applique aux actes discri- minatoires consommés avant le ler mars 1978, date de son entrée en vigueur. A mon avis, ce serait à n'en pas douter un cas d'application rétroactive. Dans ce cas, la loi s'appliquerait non pas à un état acquis en tout ou en partie avant l'entrée en vigueur de la Loi, mais à un événement, savoir la perpétration d'actes défendus que la Loi qualifie d'actes discriminatoires. Sur la nature et la signifi cation de cette distinction, voir Driedger dans The Construction of Statutes, aux pages 140 et 141, version remaniée dans l'appendice de 1976, et dans son article: «Statutes: Retroactive Retrospective Reflections» (1978) 56 R. du B. can. 264. Qui plus est, une telle application rétroactive aurait des effets adverses, du fait de ses répercussions sur les droits et les rapports contractuels, sur les obliga tions de faire et de ne pas faire, sur la responsabi- lité, autant de matières qui relèvent légitimement d'une ordonnance d'un tribunal des droits de la personne. Aussi y a-t-il lieu d'appliquer la règle d'interprétation s'opposant à l'effet rétroactif des lois. Un exposé de cette règle, très souvent cité par les tribunaux, se trouve dans l'ouvrage de Max- well: The Interpretation of Statutes, 12' éd., 1969, à la page 215:
[TRADUCTION] Le refus de donner à certaines lois une applica tion rétroactive repose sur la présomption que le législateur n'a pas en vue ce qui est injuste. Ces lois sont interprétées comme ne s'appliquant qu'aux faits qui se produisent après leur adop tion, à moins que l'application rétroactive ne soit expressément prévue. Le droit anglais pose pour règle fondamentale que nulle loi ne doit s'interpréter comme ayant un effet rétroactif, à moins qu'une telle interprétation ne ressorte clairement du texte de la loi ou ne s'impose comme inéluctable.
D'aucuns ont tenté de définir les éléments dont il fallait tenir compte pour déterminer s'il y a eu réfutation de la présomption de non-rétroactivité de la loi, mais, il faut l'avouer, aucune de ces tentatives n'a été d'un grand secours. Les cas les tribunaux ont conclu que le législateur pré- voyait l'effet rétroactif d'une loi, dont plusieurs sont mentionnés dans Maxwell, op. cit., aux pages 225 227, sont tous des cas si spéciaux, en ce sens qu'ils se confinent à l'objectif et aux dispositions propres de la loi en cause qu'il est pratiquement impossible d'en généraliser l'application. Dans The Board of Trustees of the Acme Village School District No. 2296, of the Province of Alberta c. Steele -Smith [1933] R.C.S. 47,à la page 50, le
juge Lamont a cité deux méthodes générales d'ap- proche à adopter comme suit:
[TRADUCTION] Si, toutefois, après analyse du texte de Loi, il existe quelque doute quant à l'intention du législateur, alors, comme l'a dit le lord Chancelier Hatherly dans Pardo c. Bingham [(1869) 4 Ch. App. 735, la page 740]:—
Il nous faut nous éclairer sur l'esprit de la loi et sur le recours sollicité, et nous informer de ce qu'étaient les règles antérieures et de ce que le législateur avait l'intention de faire.
Dans Upper Canada College c. Smith [(1920) 61 Can. R.C.S. 413], la page 419, le juge Duff de la Cour de céans a indiqué les diverses manières dont le législateur manifestait son intention. Il écrit:—
Cette intention peut s'exprimer expressément ou se con- clure inévitablement des dispositions de la loi, ou encore l'objet de la loi ou les circonstances de son adoption sont tels qu'ils suffisent à réfuter la présomption qui veut qu'elle ne dispose que pour l'avenir.
L'avocat du requérant se fonde sur l'esprit de la loi en cause aussi bien que sur certaines de ses dispositions pour soutenir dans son plaidoyer que la Loi s'applique rétroactivement aux actes discri- minatoires consommés avant son entrée en vigueur. Il ne me convainc pas qu'il faille y voir une intention aussi claire et sans équivoque du législateur. Il n'a pas développé cet argument fondé sur l'esprit et la portée générale de la loi, le considérant sans doute comme se passant d'expli- cations. Le fait que la loi vise un but dans l'ensem- ble louable ou souhaitable ne suffit pas à anéantir la règle de non-rétroactivité. L'avocat du requé- rant a invoqué en particulier les conclusions de la Cour d'appel de l'Ontario dans Re Sanderson et Russell (1980) 24 O.R. (2e) 429, arrêt rendu public le 24 mai 1979 et portant sur l'application de la Loi dite The Family Law Reform Act, 1978, S.O. 1978, c. 2 à une demande de pension alimen- taire présentée par une personne qui avait acquis l'état requis par suite d'une période de cohabita tion, laquelle avait pris fin avant l'entrée en vigueur de cette Loi. Dans cette affaire, l'applica- tion de la Loi mettait en jeu des questions tout à fait différentes. En effet, la Cour a décidé dans la première partie de son jugement qu'il n'y aurait pas d'application rétroactive aux faits de la cause. Dans la seconde partie de son jugement, que cite l'avocat du requérant, la Cour s'est penchée sur la question de savoir, à supposer que la Loi était rétroactive, si telle était l'intention du législateur. La Cour a qualifié la Loi la page 437] de
[TRADUCTION] «législation sociale destinée à four- nir une voie de recours à ceux qui sont dans le besoin, dans les conditions prévues aux premiers articles de la Partie II de la Loi.» Elle a remarqué que le besoin pourrait tenir à la cohabitation et que l'obligation alimentaire n'était pas fondée sur la notion de faute. [TRADUCTION] «Compte tenu de ces facteurs», a conclu la Cour la page 438], «il est raisonnable de conclure que dans l'esprit du législateur, la Partie II devait s'appliquer à tous les conjoints selon la définition qu'en donne l'art. 14b)(1), par. 1, à l'entrée en vigueur de la Loi, quand bien même la période de cohabitation requise aurait pris fin avant.» En l'espèce, la Loi n'a pas les mêmes effets au regard de la règle de non-rétroactivité. Son application n'est pas fonc- tion d'un état juridique caractérisé par le besoin réel du créancier et les ressources du débiteur d'aliments, mais vise un comportement que la loi stigmatise, avec pour résultat de faire obstacle ou de faire échec à ce qui constituait auparavant l'exercice légitime de la liberté de contracter.
Pour faire valoir l'effet rétroactif de la loi, l'avo- cat du requérant s'est fondé en particulier sur l'article 2 de la Loi dont voici le passage applicable:
2. La présente loi a pour objet de compléter la législation canadienne actuelle en donnant effet dans le champ de compé- tence du Parlement du Canada, aux principes suivants:
a) tous ont droit, dans la mesure compatible avec leurs devoirs et obligations au sein de la société, à l'égalité des chances d'épanouissement, indépendamment des considéra- tions fondées sur la race, l'origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l'âge, le sexe, la situation de famille ou l'état de personne graciée ou, en matière d'emploi, de leurs handicaps physiques;
A mon avis, l'avocat du requérant a déduit de cette disposition que la Loi visait à donner effet aux principes déjà incarnés dans le droit en vigueur, mais il n'a pas réussi à démontrer qu'elle était une consécration ou une codification du droit existant. Ni la common law ni les lois fédérales en vigueur à l'adoption de la Loi, par exemple la Loi sur l'emploi dans la Fonction publique, S.R.C. 1970, c. P-32, et le Code canadien du travail, S.R.C. 1970, c. L-1, n'opéraient interdiction d'ac- tes discriminatoires de façon aussi étendue que l'énumération des motifs de distinction illicite à
l'article 3 et la description des actes discriminatoi- res aux articles 7 à 15.
Les autres dispositions invoquées par l'avocat du requérant ne permettent pas, à mon avis, de con- clure à l'intention du législateur de donner à la Loi une application rétroactive. Il a cité plusieurs dis positions le passé aussi bien que le présent est employé pour décrire un acte discriminatoire, par exemple l'article 4 («found to be engaging or to have engaged in a discriminatory practice») et le paragraphe 32(1) (ais engaging or has engaged in a discriminatory practice»). L'emploi du passé n'exclut pas l'intention de faire une loi disposant pour l'avenir. Comme le juge Wright l'a dit dans In re Athlumney Ex parte Wilson [1898] 2 Q.B. 547, la page 553: [TRADUCTION] «cette formula tion est souvent employée pour désigner non pas le passé par rapport à la promulgation de la loi, mais le futur antérieur, un moment qui sera du passé par rapport à l'événement auquel la loi doit s'ap- pliquer.» L'avocat soutient aussi qu'on peut voir dans le sous-alinéa 33b)(iv) de la Loi une volonté de rétroactivité. Ce sous-alinéa prévoit que la Commission peut déclarer une plainte irrecevable s'il apparaît à la Commission qu'elle a été déposée après l'expiration d'un délai d'un an à compter de la dernière des actions ou abstentions sur lesquelles elle est fondée, ou de tout délai plus long que la Commission estime indiqué dans les circonstances. Je ne pense pas qu'il soit déraisonnable d'en con- clure que cette disposition n'était applicable qu'un an au moins après l'entrée en vigueur de la Loi. Enfin, l'avocat a conclu à l'effet rétroactif de la Loi en se fondant sur l'article 64 que voici:
64. Après l'entrée en vigueur de la Partie III, la Commission peut, par règlement, avec l'approbation du gouverneur en con- seil, imposer, jusqu'à résorption de son rôle, des restrictions au dépôt des plaintes pour actes discriminatoires portées sous le régime de cette Partie.
Je ne crois pas qu'il faille déduire de cette disposi tion que la Loi doit avoir un effet rétroactif. Une telle disposition pourrait être considérée comme nécessaire, étant donné le volume des plaintes qu'on pourrait prévoir au tout début de l'applica- tion de la Loi, pour ce qui est des actes discrimina-
toires qui se commettraient au moment de l'entrée en vigueur de la Loi ou quelque temps après. C'est dans ce sens restreint que la Loi pourrait s'appli- quer rétroactivement aux actes discriminatoires commis avant son entrée en vigueur, mais qui se poursuivaient jusqu'à cette date ou au-delà. Il s'ensuit qu'à mon avis, on ne saurait dire que le législateur avait l'intention de donner à cette Loi une application rétroactive aux actes discrimina- toires consommés avant son entrée en vigueur. En conséquence, la Commission n'a pas commis une erreur de droit en concluant que la plainte du requérant n'était pas de sa compétence.
Par ces motifs, je rejetterais cette requête fondée
sur l'article 28.
* * *
LE JUGE URIE: J'y souscris.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE SUPPLÉANT KELLY: J'ai pris connais- sance des motifs du jugement rendus par le juge Le Dain, auxquels je souscris.
 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.