T-3571-78
Moses Retz (Demandeur)
c.
La Reine (Défenderesse)
Division de première instance, le juge Dubé—
Montréal, le 13 février; Ottawa, le 28 février 1979.
Impôt sur le revenu — Calcul du revenu — Non-résidents
— Revenu locatif provenant d'un immeuble situé au Canada
— Le contribuable non résidant a choisi d'être imposé au
même titre qu'un résident afin de se prévaloir de la disposition
de l'art. 118(1) relative à la moyenne générale — Le Ministre a
rejeté la demande de dégrèvement — Appel de la décision du
Ministre — Loi de l'impôt sur le revenu, S.C. 1970-71-72, c.
63, art. 61, 118(1), 216(1),(3),(7).
Le demandeur, qui ne résidait pas au Canada, y possédait un
immeuble dont il tirait un revenu locatif et pour lequel il a
réclamé une allocation du coût en capital qui a été récupérée au
moment de la vente de l'immeuble en 1976. Au temps où il
était propriétaire de l'immeuble, le demandeur a choisi d'être
imposé au même titre qu'un résident, sous le régime de l'article
216 de la Loi de l'impôt sur le revenu. Dans le calcul de son
revenu pour l'année d'imposition 1976, il s'est prévalu de la
disposition du paragraphe 118(1) relative à l'établissement
d'une moyenne générale, mais le Ministre a rejeté sa demande
de dégrèvement fondée sur cette disposition. Appel est interjeté
de cette décision.
Arrêt: l'appel est rejeté. Pour modifier le paragraphe 118(1)
de façon à le rendre applicable à une personne non résidante, il
est nécessaire de lui apporter des changements touchant son
essence même. Selon les règles d'interprétation des lois, il faut
donner aux mots leur sens grammatical habituel, en accord
avec l'objet de la Loi et l'intention du Parlement, sauf indica
tion contraire. Le paragraphe 118(1) s'applique expressément à
un particulier qui a résidé au Canada durant toute l'année
d'imposition précédant immédiatement une année d'imposition
donnée. Le demandeur n'a pas résidé au Canada en 1975; il a
seulement chosi de faire, pour cette année-là, une déclaration
de revenu sous le régime de la Partie I comme s'il avait résidé
au Canada. Si le Parlement avait eu l'intention de rendre
accessibles aux personnes non résidantes les dispositions du
paragraphe 118(1) en matière d'établissement d'une moyenne
générale, il l'aurait clairement exprimée dans la loi.
APPEL en matière d'impôt sur le revenu.
AVOCATS:
Robert Litvack pour le demandeur.
J. P. Fortin, c.r. et P. Bernard pour la
défenderesse.
PROCUREURS:
Chai!, Salomon, Gelber, Reis, Bronstein, Lit-
yack, Echenberg & Lipper, Montréal, pour le
demandeur.
Le sous-procureur général du Canada pour la
défenderesse.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE DUBÉ: Les deux parties sont d'accord
sur les faits. Le seul point en litige en est un de
droit: il s'agit de savoir si le demandeur, qui n'a
pas résidé au Canada durant l'année 1976 et
choisi, en vertu de l'article 216 de la Loi de l'impôt
sur le revenu, S.C. 1970-71-72, c. 63, d'être
imposé comme s'il y avait résidé, avait le droit de
se prévaloir du paragraphe 118(1) de la Loi por-
tant sur l'établissement d'une moyenne générale de
revenu. Les articles pertinents se lisent comme
suit:
216. (1) Lorsqu'une somme a été versée pendant une année
d'imposition à une personne non résidante, ou à une société
dont elle était membre, au titre ou en paiement intégral ou
partiel de loyers de biens immeubles situés au Canada ou de
redevances forestières, cette personne peut, dans les 2 ans de la
fin de l'année d'imposition, déposer une déclaration de revenu,
en vertu de la Partie I, en la forme prescrite pour une personne
résidant au Canada relativement à l'année d'imposition et,
indépendamment de l'obligation de payer l'impôt dû par elle en
vertu de la Partie I, elle est dès lors tenue, au lieu de payer
l'impôt en vertu de la présente Partie sur ce montant, de payer
l'impôt payable en vertu de la Partie I pour cette même année
d'imposition comme si
a) elle était une personne résidant au Canada et non exoné-
rée de l'impôt en vertu de l'article 149,
b) son revenu tiré de ses droits sur des biens immeubles, des
avoirs forestiers et des concessions forestières situés au
Canada ainsi que sa part du revenu tiré par une société dont
il était membre de droits sur des biens immeubles, des avoirs
forestiers et des concessions forestières situés au Canada
constituaient sa seule source de revenu, et
c) elle n'avait droit à aucune déduction sur son revenu aux
fins du calcul de son revenu imposable.
118. (1) Nonobstant l'article 117, lorsque, dans le cas d'un
particulier qui a résidé au Canada durant toute l'année d'impo-
sition précédant immédiatement une année d'imposition donnée
(qui est appelée dans la suite du présent article «année d'éta-
blissement de la moyenne»), il reste un excédent lorsque
a) le plus élevé des montants suivants: 110% de son revenu
pour l'année d'imposition précédente ou 120% du quotient
obtenu quand
(i) le total de tous les montants dont chacun constitue le
revenu du particulier pour une année d'imposition dans la
période présentée par celles des années d'imposition consé-
cutives (ne dépassant pas 4) précédant immédiatement
l'année d'établissement de la moyenne qui étaient des
années au cours desquelles il résidait au Canada
est divisé par
(ii) le nombre d'années comprises dans la période désignée
au sous-alinéa (i)
est déduit du
Le demandeur était le propriétaire d'un bien
immeuble situé dans la ville de Montréal, bien
dont il tirait un revenu locatif et pour lequel il a
réclamé une allocation du coût en capital qui a été
récupérée au moment de la vente du bien en 1976.
Durant la période où il a été propriétaire du bien
en question, le demandeur a choisi d'être imposé
en vertu des dispositions de l'article 216 de la Loi
de l'impôt sur le revenu et a déposé des déclara-
tions de revenu, en vertu de la Partie I, en la forme
prescrite pour une personne résidant au Canada.
Dans le calcul de son revenu pour l'année d'impo-
sition 1976, il s'est censément prévalu de la dispo
sition d'établissement d'une moyenne générale de
revenu prévue au paragraphe 118(1), mais le
Ministre a rejeté sa demande de dégrèvement
fondée sur la disposition précitée. Appel est inter-
jeté de cette décision.
Il est reconnu que pour son année d'imposition
1976, le demandeur n'est pas admis à se prévaloir
de la disposition d'établissement d'une moyenne
générale de revenu applicable aux particuliers non
résidants en vertu du paragraphe 118(2). Il pré-
tend que puisque le paragraphe 216(1) permet à
une personne non résidante de déposer une décla-
ration en vertu de la Partie I, toutes les disposi
tions de la Partie I lui deviennent applicables, sous
réserve des changements de détail requis. A l'appui
de sa prétention, il attire l'attention sur le paragra-
phe 216(3) libellé comme suit:
216. ...
(3) La Partie I s'applique mutatis mutandis au paiement de
l'impôt dû en vertu du présent article.
Le savant procureur du demandeur a fourni à la
Cour un certain nombre de définitions de la locu
tion mutatis mutandis jugées acceptables par la
Cour et par l'avocat du Ministre.
Housman c. Waterhouse 182 N.Y.S. 249, 251, 191 App. Div.
850.
[TRADUCTION] L'expression «mutatis mutandis» signifie
avec les changements de détail nécessaires pour se conformer
à un seul changement essentiel.
Copeland c. Eaton 95 N.E. 291, 209 Mass. 139, Ann. Cas.
1212B, 521.
[TRADUCTION] Lorsqu'un article définit ce qui constitue
des profits, et que toutes les dispositions de cet article doivent
s'appliquer «mutatis mutandis» aux rapports entre les parties
nés après l'expiration du contrat, l'expression «mutatis
mutandis» signifie les changements de détail nécessaires pour
se conformer à une seule modification essentielle et suggère
un renversement des positions relatives des parties en vertu
du contrat qui, par ailleurs, subsiste sous ces autres aspects.
Re Kipnes et le procureur général de l'Alberta [1966] 4 C.C.C.
387 (C.A.).
[TRADUCTION] Selon le Earl Jowitt's Dictionary of English
Law, l'expression mutatis mutandis signifie «avec les change-
ments nécessaires sur les points de détail» et le Black's Law
Dictionary (4' éd.), lui donne le sens suivant: «Avec les
changements nécessaires sur des points de détail, c.-à-d. que
les éléments demeurent généralement les mêmes et sont
modifiés, au besoin, quant aux noms, fonctions, etc. Hous-
man c. Waterhouse, 191 App. Div. 850, 182 N.Y.S. 249,
251.»
Petit Larousse, 1976.
«mutatis mutandis: en changeant ce qui doit être changé; en
faisant les changements nécessaires.»
Le demandeur a soumis un projet de rédaction
du paragraphe 118(1), auquel seraient ajoutés les
mots nécessaires pour parvenir aux fins souhaitées.
Les «changements de détail» proposés sont mis en
italiques. Par souci de brièveté, les alinéas et sous-
alinéas du paragraphe 118(1) ne sont pas
reproduits.
[TRADUCTION] 118. (1) Nonobstant l'article 117, lorsque,
dans le cas d'un particulier qui n'a pas résidé au Canada durant
toute l'année d'imposition précédant immédiatement une année
d'imposition donnée (qui est appelée dans la suite du présent
article «année d'établissement de la moyenne»), mais qui a
choisi, durant l'année précédant immédiatement l'année d'éta-
blissement de la moyenne, de déposer une déclaration de
revenu, en vertu de la présente partie, en la forme prescrite
pour une personne résidant au Canada relativement à l'année
d'imposition, il reste un excédent ...
Dans sa plaidoirie, l'avocat du Ministre affirme
que le fonctionnement général de la Loi de l'impôt
sur le revenu permet aux personnes non résidantes
qui gagnent des revenus locatifs provenant du
Canada, d'être imposées à un taux de 25 p. 100 ou
à un tel autre taux prescrit par traité. La Loi
prévoit qu'une personne non résidante peut choisir
de payer l'impôt en vertu de la Partie I de la Loi
de l'impôt sur le revenu si elle perçoit un revenu
locatif tiré de biens immeubles situés au Canada et
dépose une déclaration, en vertu de la Partie I, en
la forme prescrite pour les personnes résidant au
Canada relativement à l'année d'imposition,
comme si elle résidait au Canada et que ce revenu
immobilier était son seul revenu. La Loi de l'impôt
sur le revenu prévoit que la Partie I s'applique
mutatis mutandis à une personne imposée en vertu
du paragraphe 216(1), c.-à-d. avec les change-
ments de détail nécessaires, et non de substance.
Mais, alors que le paragraphe 216(1) s'applique
à une personne non résidante, le paragraphe
118(1) s'applique à un particulier qui a résidé au
Canada durant l'année précédant l'année d'imposi-
tion donnée: or, il est reconnu que le demandeur
n'a pas résidé au Canada durant son année d'impo-
sition 1975.
En conséquence, prétend la défenderesse, le
demandeur ne peut s'appuyer sur le paragraphe
216(3) puisque la résidence durant l'année précé-
dant l'année d'imposition donnée est une condition
essentielle d'application du paragraphe 118(1) et
non un simple point de détail.
La défenderesse fait valoir, de plus, que l'inter-
prétation des paragraphes 118 (1) et 216 (1) propo
sée par le demandeur entraînerait une iniquité: en
effet, une personne non résidante serait dans une
situation fiscale plus favorable qu'une personne
résidante.
A mon avis, pour modifier le paragraphe 118(1)
de façon à le rendre applicable à une personne non
résidante, il est nécessaire de lui apporter des
changements touchant son essence même. Selon les
règles d'interprétation des lois, il faut donner aux
mots leur sens grammatical habituel, en accord
avec l'objet de la Loi et l'intention du Parlement,
sous réserve d'une indication contraire. Le para-
graphe 118(1) s'applique directement à un parti-
culier qui a résidé au Canada durant toute l'année
d'imposition précédant immédiatement une année
d'imposition donnée. Le demandeur n'a pas résidé
au Canada en 1975; il a seulement choisi de
déposer une déclaration de revenu pour cette
année-là en vertu de la Partie I, comme s'il avait
résidé au Canada. Si le Parlement avait eu l'inten-
tion de rendre accessibles aux personnes non rési-
dantes les dispositions du paragraphe 118(1) en
matière d'établissement d'une moyenne générale, il
l'aurait clairement exprimée dans la loi.
L'avocat du demandeur fait valoir un second
argument. Il souligne que le paragraphe 216(7)
prévoit que l'article 61 ne s'applique pas lors-
qu'une personne non résidante a l'obligation de
payer un impôt en vertu de la Partie I. L'article 61
traite des rentes à versements invariables. Le para-
graphe 216(7) se lit comme suit:
2l6....
(7) Lorsque, en vertu du paragraphe (5), une personne non
résidante a l'obligation de payer l'impôt en vertu de la Partie I
pour une année d'imposition, il y a lieu de spécifier, pour plus
de précision, que l'article 61 ne s'applique pas au calcul de son
revenu pour l'année.
L'avocat du demandeur allègue que, puisque les
rentes à versements invariables sont spécifique-
ment exclues et que la Loi ne dit rien quant à
l'exclusion de l'établissement de la moyenne du
revenu, par conséquent, en vertu de la règle exclu-
sio unius inclusio alterius, une personne non rési-
dante qui dépose une déclaration d'impôt en vertu
de la Partie I à titre de résident canadien pourrait
se prévaloir des règles d'établissement de la
moyenne du revenu.
Ce principe ne peut être invoqué en l'espèce. Si
l'on a spécifiquement prévu que l'article 61 ne doit
pas s'appliquer à une personne non résidante qui a
choisi d'être imposée comme une personne rési-
dante en vertu de la Partie I, c'est qu'en l'absence
d'une telle précision, cette personne aurait été
admise à se prévaloir de cet article. La situation
est manifestement différente dans le cas du para-
graphe 118(1): il ressort clairement, à première
vue, que le paragraphe 118(1) ne s'applique qu'à
un particulier qui a résidé au Canada durant toute
l'année précédant une année d'imposition donnée.
Par conséquent, l'appel est rejeté avec dépens.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.