T-2655-75
Pan American World Airways Inc. (Demande-
resse)
c.
La Reine et le ministre des Transports (Défen-
deurs)
Division de première instance, le juge Mahoney—
Ottawa, les 9 et 10 novembre 1978 et les 3 et 10
janvier 1979.
Aéronautique — Aviation civile internationale — Conven
tion de Chicago — Redevances réglementaires, demandées aux
aéronefs américains ne faisant pas escale au Canada, pour
l'utilisation de services de télécommunication et de navigation
de route — La demanderesse demande la restitution des
redevances qui ont été facturées — Les redevances en question
sont-elles contraires à la politique nationale des transports, à
la Convention de Chicago et au «principe fondamental
d'équité»? — Le Règlement en question est-il ultra vires du
pouvoir délégué par le Parlement? — Le Parlement a-t-il
autorisé l'imposition des redevances qui ont été valablement
prescrites? — Loi sur l'aéronautique, S.R.C. 1970, c. A-3, art.
4 et 5 — Loi nationale sur les transports, S.R.C. 1970, c.
N-17, art. 3b) — Convention de Chicago, 15 RTNU 295, art.
15, 69 et 70.
La demanderesse soutient que les redevances à elle imposées
par les défendeurs pour l'utilisation par ses aéronefs, qui survo-
laient, sans s'y poser, le territoire canadien, de services de
télécommunication et de navigation de route fournis par les
défendeurs, sont illégales. Les redevances en question ont été
imposées en vertu du Règlement d'application de l'article 5
nouveau de la Loi sur l'aéronautique. La demanderesse
demande la restitution des redevances qu'elle a payées avec
réserve, tandis que la Reine, défenderesse, par demande recon-
ventionnelle, réclame la portion non acquittée des redevances
qui ont été facturées. La demanderesse soutient que ces rede-
vances sont contraires à la politique nationale des transports,
énoncée dans la Loi nationale sur les transports; qu'elles sont
contraires à la Convention de Chicago; qu'elles sont contraires
au «principe fondamental d'équité» étant donné que les États-
Unis ne demandent pas de telles redevances pour des services
analogues fournis aux aéronefs canadiens; que le Règlement en
cause est ultra vires du pouvoir que le Parlement a délégué au
gouverneur en conseil ou au ministre des Transports; et que le
Parlement, même s'il a autorisé le Ministre à prescrire les
redevances en cause, ne l'a autorisé ni à les imposer ni à obtenir
leur perception forcée.
Arrêt: l'action est rejetée. La demanderesse n'a fourni
aucune preuve à l'appui de son allégation selon laquelle le
gouverneur en conseil et, par la suite, le ministre des Transports
n'ont pas démontré que les redevances établies représentaient
une juste part du prix de revient réel des services fournis,
comme l'exige l'article 3b) de la Loi nationale sur les trans
ports. L'imposition des redevances de services de télécommuni-
cation et de route n'est pas contraire à la Convention de
Chicago. Aucun aéronef canadien et aucun aéronef américain
ne doivent payer de redevances pour les services reçus pendant
qu'ils survolent le territoire canadien et tous les deux doivent
payer une redevance identique pour les services reçus pendant
qu'ils survolent la haute mer. L'article 15 de la Convention
prévoit que le Canada ne peut pas demander, pour l'utilisation
d'un service déterminé, une redevance supérieure à celle qu'il
demande à un aéronef canadien pour l'utilisation de ce même
service. Il ne prévoit pas que le Canada ne doit pas demander à
un aéronef américain, pour l'utilisation d'un service déterminé,
une redevance supérieure .à celle que demandent les États-Unis
à un aéronef canadien pour l'utilisation d'un service analogue.
Ni la preuve ni les plaidoiries n'ont établi l'existence en droit
d'un principe fondamental d'équité ou d'une obligation de
réciprocité; même s'il était établi que des États sont liés par un
tel principe ou par une telle obligation, la Cour n'est pas
convaincue que la violation de ce principe ou de cette obligation
constitue une cause d'action dont peut se prévaloir un de leurs
sujets. Le Règlement, dans la mesure où il s'applique aux
aéronefs survolant la haute mer, n'est pas ultra vires du seul
fait que le Parlement n'a pas expressément autorisé une telle
application extraterritoriale. Un élément d'extraterritorialité
est inévitable en raison de l'objet même du Règlement. Le
Règlement qui prescrit, en vertu de l'article 5 de la Loi sur
l'aéronautique, une redevance pour l'utilisation d'une installa
tion ou d'un service quelconque ne fixe pas seulement la
redevance en question, mais impose à l'usager une obligation
légale de la payer. Cette obligation étant issue d'une loi du
Canada, Sa Majesté peut la faire exécuter en saisissant la
Cour.
ACTION.
AVOCATS:
M. E. Corlett, c.r. et G. B. Greenwood pour la
demanderesse.
J. A. Scollin, c.r. et D. T. Sgayias pour les
défendeurs.
PROCUREURS:
Maclaren, Corlett & Tanner, Ottawa, pour la
demanderesse.
Le sous-procureur général du Canada pour
les défendeurs.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE MAHONEY: La demanderesse affirme
que les redevances que les défendeurs lui ont impo
sées pour l'utilisation par ses aéronefs, qui survo-
laient, sans s'y poser, le territoire canadien, de
services de télécommunication et de navigation de
route fournis par les défendeurs, sont illégales. II
s'agissait des vols effectués sur deux itinéraires,
l'itinéraire polaire, reliant les points de la côte
ouest des Etats-Unis d'Amérique à l'Europe, et
l'itinéraire de l'Atlantique Nord, reliant les points
de l'est des États-Unis à l'Europe. Les redevances
en question s'élèvent au total à $6,201,047.50. Le
montant total a été facturé et paiement partiel a
été effectué avec réserve.
Du consentement des parties, la preuve adminis-
trée dans cette affaire, sous réserve des exceptions
indiquées, vaudra pour deux autres actions inten-
tées aux mêmes défendeurs, l'une par Trans World
Airlines, Inca' et l'autre par Seaboard World Airli
nes, Inc. 2 Ces exceptions sont: primo, la dernière
demanderesse, Seaboard, transporteur de mar-
chandises, n'a pas exploité de vols sur l'itinéraire
polaire et, secundo, les redevances visées par ces
deux actions s'élèvent au total à $6,094,120.50 et à
$1,194,556 respectivement.
La preuve documentaire est en grande partie
administrée au moyen d'exposés conjoints des
faits. Les annexes 3 et 4 jointes à l'exposé conjoint
des faits versé au dossier de chaque action ont été
transposées et les renvois, dans les exposés, à l'an-
nexe 3 devraient se lire plutôt à l'annexe 4 et vice
versa.
Demande reconventionnelle a été faite dans
chaque action par la défenderesse, Sa Majesté la
Reine, pour réclamer la portion non acquittée des
redevances ainsi facturées, c'est-à-dire, d'une
manière générale, les redevances qui ont été factu-
rées et qui sont demeurées impayées à la fin de
1975: $567,195 dans cette action; $140,289 dans
l'action de Seaboard, et $720,996.50 dans l'action
de TWA. Du consentement des parties, il a été
décidé d'autoriser Sa Majesté à modifier chacune
de ses demandes reconventionnelles en augmentant
les montants réclamés pour les faire concorder
avec les montants des factures impayées au 31
mars 1977, montants qui sont indiqués dans l'ex-
posé conjoint des faits: $1,716,566.50 dans cette
action; $357,364 dans l'action de Seaboard, et
$1,960,752 dans l'action de TWA.
L'aviation civile internationale est régie par une
convention, la Convention de Chicago, signée le 7
décembre 1944, 15 RTNU 295. Le Canada et les
États-Unis d'Amérique sont tous deux liés par
cette convention. La demanderesse est une compa-
gnie américaine et ses aéronefs sont immatriculés
aux États-Unis d'Amérique.
' N° du greffe T-2657-75.
2 N° du greffe T-2656-75.
Les sommes en litige sont des redevances pour
l'utilisation, par les aéronefs de la demanderesse
au cours de vols entre les États-Unis d'Amérique
et l'Europe, de services fournis par le Canada. Au
cours de ces vols, les aéronefs de la demanderesse
survolent, sans s'y poser, soit le territoire canadien,
soit les eaux internationales situées dans la région
de contrôle océanique de Gander, laquelle s'étend
au-delà des eaux territoriales canadiennes et géné-
ralement à l'ouest du 30° de longitude ouest et au
nord du 45° de latitude nord, soit à la fois le
territoire canadien et ces eaux internationales.
La Convention de Chicago reconnaît la souve-
raineté du Canada sur l'espace aérien au-dessus de
son territoire et de ses eaux territoriales adjacen-
tes. Le Canada fournit des services de télécommu-
nication et de navigation de route aux aéronefs
utilisant son espace aérien et ceux-ci sont requis
d'utiliser ces services. En exécution des engage
ments contractés en application de la Convention
de Chicago, le Canada fournit ces services à tous
les aéronefs utilisant l'espace aérien au-dessus des
eaux internationales situées dans la région de con-
trôle océanique de Gander et les États-Unis
d'Amérique exigent des aéronefs immatriculés
dans leur pays qu'ils utilisent ces services lorsqu'ils
se trouvent dans l'espace aérien de la région de
contrôle océanique de Gander. Il s'agit de services
qui ont été à l'occasion recommandés par l'Organi-
sation de l'aviation civile internationale.
Les redevances en question ont été imposées en
vertu du Règlement établi sous le régime de l'arti-
cle 5 nouveau de la Loi sur l'aéronautique. 3 Il sera
nécessaire, dans l'examen de l'argument de la
demanderesse selon lequel ce règlement est ultra
vires et excède le pouvoir que le Parlement a
conféré au gouverneur en conseil ou au ministre
des Transports, d'étudier en détail les dispositions
pertinentes de la Loi. Je reviendrai plus tard sur
cette question. Les autres motifs qui sont invoqués
pour contester la légalité de ces redevances sont les
suivants:
1. Les redevances en question sont contraires à
la politique nationale des transports, énoncée
dans la Loi nationale sur les transports; 4
3 S.R.C. 1970, c. A-3.
4 S.R.C. 1970, c. N-17.
2. L'imposition de ces redevances est contraire
aux stipulations de la Convention de Chicago; et
3. L'imposition de ces redevances enfreint [TRA-
DUCTION] «le principe fondamental d'équité» et
l'obligation de réciprocité envers les États-Unis
d'Amérique.
La politique nationale des transports est énoncée
à l'article 3 de la Loi nationale sur les transports.
L'article 2.1 dispose que cette loi lie Sa Majesté du
chef du Canada et l'article 4 prévoit qu'elle s'ap-
plique notamment au transport par air visé par la
Loi sur l'aéronautique. La seule disposition de
cette politique que les redevances auraient
enfreinte est l'alinéa b):
3. II est par les présentes déclaré qu'un système économique,
efficace et adéquat de transport utilisant au mieux tous les
moyens de transport disponibles au prix de revient global le
plus bas est essentiel à la protection des intérêts des usagers des
moyens de transport et au maintien de la prospérité et du
développement économique du Canada, et que la façon la plus
sûre de parvenir à ces objectifs est vraisemblablement de rendre
tous les moyens de transport capables de soutenir la concur
rence dans des conditions qui assureront, compte tenu de la
politique nationale et des exigences juridiques et constitution-
nelles,
b) que chaque moyen de transport supporte, autant que
possible, une juste part du prix de revient réel des ressources,
des facilités et des services fournis à ce moyen de transport
grâce aux deniers publics;
Il est allégué que [TRADUCTION] «le gouverneur
en conseil, du ler juillet 1968 au 9 septembre 1970,
et par la suite le ministre des Transports n'ont pas
démontré que la redevance de services de télécom-
munication et que l'établissement d'une redevance
d'installations et services de route représentent une
juste part du prix de revient réel des services
fournis que doivent payer les aéronefs de la
demanderesse lorsqu'ils survolent le Canada et sa
mer territoriale».
La demanderesse n'a fourni aucune preuve à
l'appui de cette allégation. De leur côté, les défen-
deurs ont établi que, pendant les années en ques
tion, la redevance de services de télécommunica-
tion avait permis de récupérer la quasi-totalité de
la proportion du prix de revient de ces services
imputable aux vols civils, mais que par contre les
redevances de services de route, sur l'itinéraire de
l'Atlantique Nord comme sur l'itinéraire polaire,
étaient loin d'en récupérer la même proportion. Je
conclus, d'après la preuve, que la redevance de
services de télécommunication a pour objet de
faire supporter aux vols civils une juste part du
prix de revient de ces services. Quant aux redevan-
ces d'installations de route, ce sont les contribua-
bles canadiens qui disposeraient, le cas échéant,
d'une cause légitime de plainte, et non les usagers
de ces services. Dans ces circonstances, je n'estime
pas nécessaire d'examiner les conséquences au cas
où la demanderesse aurait prouvé son allégation.
Cependant, je ne veux pas que mon silence soit
nécessairement interprété comme une adhésion
aux allégations qu'elle a faites pour motiver sa
demande.
La demanderesse présente deux arguments à
l'appui de sa thèse selon laquelle le Règlement est
contraire aux stipulations de la Convention de
Chicago: primo, le Règlement impose des redevan-
ces obligatoires à ses aéronefs alors que ceux-ci
survolent la haute mer et, secundo, il leur impose,
tant au-dessus du Canada qu'au-dessus de la haute
mer, des redevances supérieures à celles qui sont
imposées aux aéronefs canadiens [TRADUCTION]
«assurant des services aériens internationaux régu-
liers similaires à ceux de la demanderesse». Les
seules dispositions de la Convention de Chicago où
est mentionné le paiement à l'État fournisseur des
services en question sont les articles 15 et 70, ce
dernier devant être lu de concert avec l'article 69.
Article 15
Tout aéroport d'un Etat contractant, qui est ouvert aux
aéronefs nationaux de cet Etat aux fins d'usage public est, sous
réserve des dispositions de l'article 68, également ouvert dans
des conditions uniformes aux aéronefs de tous les autres Etats
contractants. Des conditions également uniformes sont applica-
bles en ce qui concerne l'utilisation par les aéronefs de chaque
Etat contractant de toutes les facilités pour la navigation
aérienne, y compris les services radioélectriques et météorologi-
ques, qui peuvent être mises à la disposition du public pour
contribuer à la sécurité et à la rapidité de la navigation
aérienne.
Les taxes qu'un Etat contractant peut imposer ou permettre
d'imposer pour l'utilisation desdits aéroports et facilités pour la
navigation aérienne par les aéronefs de tout autre Etat contrac-
tant ne doivent pas être plus élevées:
a) Pour ce qui est des aéronefs qui ne sont pas employés à
des services aériens internationaux réguliers, que les droits
acquittés par ses aéronefs nationaux de même classe
employés à des services similaires; et
b) Pour ce qui est des aéronefs employés à des services
aériens internationaux réguliers, que les droits acquittés par
ses aéronefs nationaux employés à des services internatio-
naux similaires.
Toutes ces taxes seront publiées et communiquées à l'Organisa-
tion de l'aviation civile internationale, étant entendu que, sur
représentation d'un Etat contractant intéressé, les taxes impo
sées pour l'utilisation des aéroports et autres facilités feront
l'objet d'un examen par le Conseil, qui établira un rapport et
formulera des recommandations à ce sujet aux fins d'examen
par l'Etat ou les Etats intéressés. Aucun Etat contractant
n'imposera de droits, frais ou autres taxes uniquement en raison
du droit de transit ou d'entrée, au-dessus du territoire ou sur
celui-ci, ou de sortie hors de celui-ci d'un aéronef quelconque
d'un Etat contractant, ou des personnes ou biens se trouvant à
bord.
Article 69
Si le Conseil estime que, dans un Etat contractant, les
aéroports ou autres facilités pour la navigation aérienne, y
compris les services radioélectriques et météorologiques, ne sont
pas raisonnablement suffisants pour assurer la sécurité, la
régularité, l'efficacité et l'exploitation économique des services
aériens internationaux existants ou projetés, il procède à des
consultations avec l'Etat directement en cause et avec les autres
Etats intéressés en vue de trouver les moyens de remédier à la
situation, et il peut formuler des recommandations à cet effet.
Aucun Etat contractant ne sera considéré comme coupable
d'infraction à la présente Convention s'il ne met pas à exécution
ces recommandations.
Article 70
Un Etat contractant peut, dans les circonstances visées à
l'article 69, conclure un arrangement avec le Conseil en vue de
donner effet à de telles recommandations. L'Etat peut décider
de prendre à sa charge tous les frais résultant dudit arrange
ment. Dans le cas contraire, le Conseil peut accepter, à la
demande de l'Etat, de pourvoir à la totalité ou à une partie des
frais.
En ce qui concerne l'article 70, absolument rien
ne prouve non plus que le Canada a fourni les
services en question sur les instances du Conseil
comme l'envisage l'article 69. Il s'agit là d'une
condition préalable à l'application de l'article 70.
Cet article n'étant pas applicable et le Canada
n'ayant pas demandé au Conseil de pourvoir à la
totalité ou à une partie des frais des services en
question, on ne peut pas déduire que le Canada a
nécessairement décidé de les prendre entièrement à
sa charge.
En ce qui concerne l'article 15, il prévoit expres-
sément que des frais sont imposés pour l'utilisation
des services du genre visé par les redevances fai-
sant l'objet du présent litige. Par ailleurs, rien dans
cet article n'interdit au Canada de percevoir des
redevances à l'égard de services fournis aux aéro-
nefs volant au-dessus de son territoire ou ailleurs.
Je constate que mon interprétation de l'article 15
est corroborée par les Déclarations du Conseil aux
États contractants,' adoptées le 13 décembre
1973.
30. Les fournisseurs d'installations et services de navigation
aérienne de route mis en œuvre pour l'usage international
peuvent demander aux usagers de supporter une partie du coût
de la mise en œuvre, quel que soit le point d'où l'utilisation
s'effectue. Dans les cas particuliers où l'aéronef ne survole pas
l'État fournisseur, la perception des redevances d'installations
et services de route pose cependant des problèmes difficiles et
complexes et il appartient aux États de trouver un dispositif
approprié sur une base bilatérale ou régionale pour l'organisa-
tion de rencontres entre les États fournisseurs et les États des
compagnies usagers, en vue d'aboutir à un accord aussi large
que possible au sujet du coût des installations et services
fournis, des redevances imposées et des modalités de perception
de ces redevances.
Je reconnais que ces Déclarations n'ont pas le
même effet obligatoire à l'égard des États contrac-
tants que les dispositions de la Convention; ce sont
toutefois des recommandations et des décisions
formulées par le Conseil de l'Organisation de
l'aviation civile internationale, organisme créé par
la Convention de Chicago, et destinées à «orienter
les États contractants dans les domaines en
question».
La demanderesse allègue que, en violation des
restrictions prévues au deuxième paragraphe de
l'article 15, les redevances en cause sont supérieu-
res à celles qui sont payées par les aéronefs imma-
triculés au Canada «employés à des services inter-
nationaux similaires» ou, dans le cas de services
non réguliers, «employés à des services similaires».
Je ne vois pas en l'espèce l'utilité de faire une
distinction entre ces deux expressions.
Selon l'argument de la demanderesse, un aéro-
nef canadien qui effectue, par exemple, un vol
régulier entre un point de l'Est du Canada à un
point des Antilles «employé à des services interna-
tionaux similaires» à ceux assurés par un aéronef
américain lors d'un vol régulier sur l'itinéraire de
l'Atlantique Nord. Après avoir quitté l'espace
aérien canadien, l'aéronef canadien survole le ter-
ritoire américain puis la haute mer située dans la
région de contrôle océanique de New York. Après
avoir quitté l'espace aérien américain, l'aéronef
américain survole le territoire canadien puis la
haute mer située dans la région de contrôle océani-
5 Document n° 9082-C/ 1015 de l'OACI.
que de Gander. Aucun de ces deux pays n'impose à
l'aéronef de l'autre des redevances pour les services
de télécommunication ou de route fournis pendant
que cet aéronef survole son territoire. Le Canada
impose des redevances à l'aéronef américain qui
survole la haute mer tandis que le gouvernement
des États-Unis n'impose aucune redevance à l'aé-
ronef canadien qui survole la haute mer. 6 Les
défendeurs disent que cet exemple est inadéquat.
Ils disent qu'un aéronef canadien qui effectue, par
exemple, un vol entre Montréal et l'Europe via
l'itinéraire de l'Atlantique Nord «employé à des
services internationaux similaires» à ceux assurés
par un aéronef américain. Ni l'aéronef canadien ni
l'aéronef américain ne doivent payer de redevance
pour les services reçus pendant qu'ils survolent le
territoire canadien et tous les deux doivent payer
une redevance identique pour les services reçus
pendant qu'ils survolent la haute mer.
Il ressort qu'aucun des deux pays ne fait payer à
l'aéronef de l'autre des redevances pour les services
de télécommunication ou de route à proprement
parler qui sont fournis aux vols transfrontaliers,
par exemple, Seattle-Vancouver, ou aux vols
reliant deux points situés sur le territoire de l'un
mais séparés par le territoire de l'autre, par exem-
ple, Chicago-Anchorage ou Toronto-Halifax. La
Convention de Chicago vise à mettre en place un
arrangement multilatéral pour régir l'aviation
civile internationale. Je ne pense pas que les arran
gements bilatéraux entre le Canada et les États-
Unis relatifs aux vols transfrontaliers et au survol
puissent faciliter l'intelligence de la Convention.
La restriction de l'article 15 s'applique aux rede-
vances qu'un État contractant «peut imposer ou
permettre d'imposer». Il n'y est nullement mention
6 Il faut préciser ici que c'est le gouvernement des États-Unis
qui n'impose pas de redevances pour les services fournis à
l'aéronef canadien. Il est établi que les communications radio-
électriques entre les points situés sur le territoire des États-Unis
et les aéronefs survolant la haute mer située dans les régions de
contrôle océanique et recevant ces services sont assurées par
une compagnie privée appartenant conjointement à plusieurs
compagnies aériennes américaines, dont la demanderesse, et
non par un organisme du gouvernement des États-Unis. Cette
compagnie demande effectivement un prix pour ses services
selon un tarif «par message», ce tarif étant le même pour les
aéronefs américains et étrangers. Lorsque l'aéronef est requis
par la loi d'entrer en communication avec les autorités améri-
caines de l'aviation, c'est le gouvernement des États-Unis qui
paie; dans les autres cas, les frais sont à la charge du proprié-
taire de l'aéronef.
des redevances qu'un autre État peut imposer ou
permettre d'imposer. L'article 15 dit que le
Canada ne peut pas demander, pour l'utilisation
d'un service déterminé, une redevance supérieure à
celle qu'il demande à un aéronef canadien pour
l'utilisation de ce même service. Il ne dit pas que le
Canada ne doit pas demander à un aéronef améri-
cain, pour l'utilisation d'un service déterminé, une
redevance supérieure à celle que demandent les
États-Unis à un aéronef canadien pour l'utilisation
d'un service analogue. L'interprétation donnée par
les défendeurs de l'expression «services internatio-
naux similaires», dans le contexte de l'article 15,
est bonne.
Il est établi que les aéronefs canadiens qui pren-
nent l'itinéraire polaire à destination de l'Europe
sont taxés exactement la même redevance que les
aéronefs américains qui survolent le Canada en
prenant le même itinéraire. La seule différence qui
existe entre la redevance de route qui est applica
ble à l'itinéraire polaire et celle qui est applicable à
l'itinéraire de l'Atlantique Nord, abstraction faite
de la différence de tarif, est que, dans le premier
cas, la redevance se rapporte aux installations et
services fournis par le Canada aux aéronefs survo-
lant son territoire tandis que, dans le second cas,
elle se rapporte aux installations et services fournis
par le Canada aux aéronefs survolant la haute
mer. Quant à la redevance pour les . services de
télécommunication, absolument rien ne prouve
qu'elle a été taxée contrairement aux règlements,
lesquels ne tiennent pas compte de la nationalité de
l'aéronef usager qui est taxé pour ces services.
Il s'ensuit que les redevances de services de
télécommunication et de route sur l'itinéraire
polaire et sur celui de l'Atlantique Nord ne sont
pas contraires à la Convention de Chicago.
Compte tenu de cette conclusion, j'estime qu'il n'y
a pas lieu de trancher la question de la place
qu'occupent, le cas échéant, les articles 15 et 70 de
la Convention de Chicago dans le droit interne
canadien.
La demanderesse soutient également que l'impo-
sition de ces redevances enfreint «le principe fon-
damental d'équité» et l'obligation de réciprocité
envers les États-Unis d'Amérique. A l'appui de son
argument, elle allègue que le Canada demande des
redevances aux aéronefs américains pour des servi
ces qui sont gratuitement offerts par les États-Unis
aux aéronefs canadiens et que les arrangements
bilatéraux relatifs aux vols transfrontaliers et au
survol du territoire de l'un par des vols intérieurs
de l'autre doivent être étendus à ses vols interna-
tionaux. Elle invoque à ce sujet la même preuve
qu'elle a administrée pour soutenir que l'article 15
de la Convention de Chicago a été enfreint. Cepen-
dant ni la preuve ni les plaidoiries n'ont établi à
ma satisfaction l'existence en droit d'un principe
fondamental d'équité ou d'une obligation de réci-
procité de ce genre. Même s'il était établi que des
Etats souverains sont liés par un tel principe ou par
une telle obligation, je ne suis pas convaincu que la
violation de ce principe ou de cette obligation
constitue une cause d'action dont peut se prévaloir
un de leurs sujets.
Je tiens à mentionner à cet égard la déposition
de l'expert Norman P. Seagrave, laquelle est, après
réflexion, absolument inadmissible quoique l'avo-
cat des défendeurs n'ait pas poursuivi sur son
objection. Sa déclaration, qu'on a voulu présenter
comme preuve principale et qui a été introduite en
vertu de la Règle 482, commence ainsi:
[TRADUCTION] Ma déposition se rapporte à la question de
savoir si, en droit international, le Canada a le droit d'imposer
aux compagnies aériennes américaines des redevances pour la
navigation aérienne et les services qu'il fournit au-dessus de la
haute mer.
Lorsqu'il s'agit du droit étranger, le témoignage
d'experts est certes admissible, mais non lorsqu'il
s'agit du droit interne. Il est bien établi que le droit
international ne produit aucun effet au Canada à
moins d'avoir été transporté dans le droit interne.'
Un témoignage qui formule une opinion sur l'inter-
prétation correcte de la Convention de Chicago
n'est pas admissible; je n'ai pas, par conséquent,
examiné la déclaration de M. Seagrave en tant que
preuve mais plutôt en tant qu'argument, en suppo-
Renvoi concernant l'immunité du personnel des forces
militaires des États-Unis devant les juridictions criminelles
canadiennes [1943] R.C.S. 483, le juge Taschereau, aux pp.
516 et suiv.:
[TRADUCTION] ... le droit international ne produit ses
effets au Canada que s'il est incorporé dans notre droit
interne.
Le droit international, s'il n'est pas accepté dans ce pays,
ne serait pas obligatoire, mais constituerait simplement un
code de règles de morale internationale, abstraites et
inapplicables.
sant que l'avocat de la demanderesse voulait bien
l'adopter comme tel.
L'argument selon lequel l'imposition des rede-
vances est ultra vires à cause de la suprématie de
la Convention de Chicago n'a aucune valeur pour
les raisons déjà citées. Il est certain que cette
imposition n'est contraire à aucune obligation
assumée par le Canada aux termes de ce traité et il
n'y a pas lieu d'en considérer les conséquences.
Il est soutenu par ailleurs que le Règlement est
ultra vires dans la mesure où il s'applique aux
aéronefs de la demanderesse survolant la haute
mer car le Parlement n'a pas expressément auto-
risé une telle application extraterritoriale.
Les installations en question sont situées au
Canada. Les services en question sont fournis par
des personnes demeurant au Canada et se servant
de ces installations. Les renseignements donnés par
ces personnes se servant de ces installations et
fournissant ces services sont transmis par radio. En
raison de la nature de ce mode de transmission, ces
renseignements sont, à dessein, susceptibles d'être
reçus n'importe où et d'être utilisés au lieu de
réception. Dans la mesure où il existe un élément
d'extraterritorialité dans l'application du Règle-
ment sur les taxes des services aéronautiques, cet
élément est inévitable en raison de l'objet même de
ce règlement.
Le Règlement a été établi en application de
l'article 5 de la Loi sur l'aéronautique et non de
l'article 4. 8 Le pouvoir d'établir des règlements en
vertu de l'article 4 est assujetti notamment à la
réserve selon laquelle ces règlements doivent s'ap-
8 4. Le gouverneur en conseil peut établir des règlements
imposant aux propriétaires ou exploitants d'aéronefs, sans
égard à leur lieu de résidence, pour les vols exécutés au-dessus
du territoire du Canada, une taxe relative à la mise en disponi-
bilité durant ces vols, de quelque service fourni par le Ministre
ou en son nom, et toute taxe ainsi imposée constitue une
obligation légale que Sa Majesté peut faire exécuter au moyen
d'une action intentée en Cour fédérale du Canada.
5. Le gouverneur en conseil peut établir des règlements, ou,
en conformité des modalités qu'il peut spécifier, autoriser le
Ministre à établir des règlements prescrivant la taxe relative à
l'utilisation
a) d'une installation ou d'un service fournis par le Ministre
ou en son nom, pour un aéronef ou relativement à un aéronef;
et
b) d'une installation ou d'un service qui ne sont pas visés par
l'alinéa a) et qui sont fournis, à un aéroport, par le Ministre
ou en son nom.
pliquer aux «vols exécutés au-dessus du territoire
du Canada». Aucune réserve de ce genre ne figure
à l'article 5.
Le Parlement est indiscutablement compétent
pour adopter des lois produisant un effet hors du
territoire canadien. On doit déduire de l'objet de la
Loi sur l'aéronautique que le Parlement, en adop-
tant cette loi, a bien eu l'intention générale de lui
faire produire un tel effet. Par ailleurs, son inten
tion de déléguer cette compétence se dégage nette-
ment de l'article 5, lu à la lumière de l'article 4.
Enfin, la demanderesse, en se fondant sur une
différence plutôt étrange entre les articles 4 et 5,
prétend que le Parlement, bien qu'il ait autorisé le
Ministre à prescrire les redevances en question, ne
l'a autorisé ni à les imposer ni à obtenir leur
perception forcée.
L'article 4 autorise l'établissement de règle-
ments imposant une taxe tandis que l'article 5
autorise l'établissement de règlements prescrivant
une taxe. L'article 4 prévoit expressément à la fois
une obligation de payer les taxes imposées et une
procédure de perception tandis que l'article 5 reste
muet sur ces points. La demanderesse soutient que,
dans ces circonstances, «prescrivant» ne peut pas
signifier «imposant» et que, en fait, le pouvoir
conféré par l'article 5 se limite à la fixation des
taxes et ne s'étend pas à la création d'une obliga
tion de les payer ou de l'autorité de les percevoir.
Cet argument m'a donné beaucoup de difficul-
tés. Je me suis avisé que si l'obligation de payer les
redevances n'était pas prévue par la loi, elle pour-
rait avoir une autre origine et, dans ce cas, la
compétence de la Cour de connaître de la demande
reconventionnelle pourrait être discutée. La
demanderesse n'a soulevé l'exception d'incompé-
tence de la Cour ni dans ses conclusions écrites ni
dans la phase initiale des débats. J'ai rouvert
l'audition afin d'approfondir ce point dans les
débats. Les défendeurs rejettent expressément la
thèse selon laquelle cette obligation a une origine
contractuelle ou quasi contractuelle et s'opposent
par conséquent à toute exception déclinatoire. La
demanderesse se contente apparemment de main-
tenir son argument initial selon lequel le Parle-
ment, par une omission essentielle dans l'économie
de la loi, a oublié d'imposer une obligation de
payer les taxes prescrites. Dans ces circonstances,
je n'insiste plus et je vais examiner cette question
en bornant mon interprétation de la loi à l'alterna-
tive présentée par les avocats.
«Prescrivant», employé à l'article 5, est le parti-
cipe présent du verbe transitif «prescrire». Il n'est
pas employé dans le contexte médical et rien n'in-
dique que le Parlement ait voulu l'employer dans
l'un de ses sens archaïques. Dans son acception
juridique, «prescrivant» peut se rapporter à la
déchéance d'un droit par l'écoulement d'un certain
délai, mais il est évident que ce terme n'est pas
employé dans cette acception par l'article 5. Il faut
donc l'entendre dans son acception usuelle.
The Oxford English Dictionary (1933) définit
ainsi le verbe transitif «prescribe» (prescrire):
[TRADUCTION] Établir ou fixer une règle ou une directive à
caractère obligatoire; fixer, commander, ordonner, enjoindre.
La définition suivante est donnée par le Funk and
Wagnall's New «Standard» Dictionary of the
English Language (1961):
[TRADUCTION] Formuler ou établir avec autorité une règle de
direction ou de commandement; poser à titre de loi ou de
directive.
Le Webster's Third New International Dictionary
(1961) le définit ainsi:
[TRADUCTION] fixer avec autorité un principe, une directive ou
une règle d'action: imposer impérativement; DICTER, COMMAN
DER, ORDONNER.
Quant au verbe «impose» (imposer), voici les défi-
nitions données par les mêmes dictionnaires. Le
dictionnaire Oxford le définit ainsi:
[TRADUCTION] Faire subir quelque chose de fâcheux, de désa-
gréable, ou de pénible; infliger (quelque chose); faire payer ou
subir autoritairement ou arbitrairement.
Funk & Wagnall's le définit ainsi:
[TRADUCTION] Faire accepter ou admettre quelque chose de
fâcheux ou de désagréable; faire payer ou exiger autoritaire-
ment, comme imposer une taxe, un impôt ou une peine.
Voici la définition donnée par Webster:
[TRADUCTION] créer, poser ou appliquer une charge, un impôt,
une obligation, une règle, une peine obligatoire; FRAPPER,
INFLIGER.
Ces verbes sont synonymes et signifient à peu
près la même chose. Il se peut que le Parlement ait
voulu faire une distinction notable dans les pou-
voirs délégués en utilisant «imposant» dans l'article
4 et «prescrivant» dans l'article 5; toutefois telle
n'est pas l'interprétation la plus raisonnable de ces
articles. Le corollaire de l'argument de la deman-
deresse semble être que le gouverneur en conseil,
en «imposant» une taxe en vertu de l'article 4, fixe
tout sauf le montant de la taxe et que, en l'absence
d'un tel pouvoir, l'économie de la loi est essentiel-
lement déficiente. A mon avis, on ne peut pas
supposer que le Parlement, en employant des
termes courants, ait voulu donner nécessairement à
des synonymes des sens totalement différents, ren-
dant ainsi l'économie de la loi aussi incomplète que
le voudrait la demanderesse. Il faut être avocat
pour pouvoir penser à un tel argument et je doute
fort que même un avocat ait pu y penser si les
articles en question ne se suivaient pas.
Je conclus par conséquent que le gouverneur en
conseil ou le ministre des Transports, en exerçant
légitimement le pouvoir à lui conféré, pouvoir qui
n'est pas contesté en l'espèce, pour établir un
règlement prescrivant, en vertu de l'article 5 de la
Loi sur l'aéronautique, une redevance pour l'utili-
sation de quelque installation ou service, ne fixe
pas seulement la redevance en question, mais
impose à l'usager une obligation légale de la payer.
Cette obligation étant issue d'une loi du Canada,
Sa Majesté peut la faire exécuter en saisissant la
Cour. L'action de la demanderesse sera rejetée et
la demande reconventionnelle accueillie, le tout
avec dépens.
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