T-1060-77
L'Association des brasseries du Canada (Appe-
lante)
c.
Le registraire des marques de commerce (Intimé)
Division de première instance, le juge Cattanach—
Ottawa, le 15 juin et le 15 novembre 1978.
Marques de commerce — Marque de certification — Appel
de la décision du registraire refusant d'enregistrer une marque
concernant la forme et la couleur ambre sombre d'une bou-
teille — L'objet du dépôt est-il une «marque» au sens de la
définition de l'expression «marque de certification»? — Loi
sur les marques de commerce, S.R.C. 1970, c. T-10, art. 2,
36(1) et 56.
Il s'agit d'un appel fondé sur l'article 56 de la Loi sur les
marques de commerce contre une décision du registraire des
marques de commerce rejetant, en application du paragraphe
36(1) la demande de l'appelante visant à faire enregistrer une
marque de certification relative à certaines bières. La marque
en question concerne la forme et la couleur ambre sombre d'une
bouteille portant au pied l'inscription «CANADA» --on a toute-
fois abandonné la demande visant le droit à l'usage exclusif de
ce mot. La principale question consiste à savoir si l'objet du
dépôt est une «marque» au sens de «marque de certification»
définie par l'article 2 de la Loi.
Arrêt: l'appel est accueilli. Rien dans la loi ne permet
d'exclure du dépôt comme marque de certification un signe tel
que la forme d'un contenant, à la différence des autres genres
de marque, si ce signe est apte à communiquer le message
souhaité. La loi elle-même reconnaît qu'un signe, qu'une forme,
qu'un emballage peuvent servir à distinguer des marchandises.
Le terme «marque» figurant dans la définition d'une «marque
de certification» comprend un signe comme la forme ou l'em-
ballage d'une marchandise ou encore les marques qui sont
apposées ou imprimées sur cette marchandise ou sur son embal-
lage. Bien que l'objet dont le dépôt était demandé soit en réalité
conforme à la définition d'un «signe distinctif», il est encore
enregistrable en tant que marque de certification et non seule-
ment en tant que «signe distinctif» puisque l'objet n'est utilisé
par aucun des membres de l'association de l'appelante à titre de
marque de commerce particulière, ou encore, aux fins de
distinguer sa marchandise de celles fabriquées par d'autres
membres jouissant du même droit de s'en servir en liaison avec
leurs marchandises. Le présent jugement ne préjuge d'aucune
façon du droit de l'appelante de monopoliser le mot «CANADA».
En outre, il est loisible au registraire de soulever ou de trancher
toute objection relative à la couleur ambre.
APPEL.
AVOCATS:
James G. Fogo pour l'appelante.
Deen C. Olsen et Hunter Gordon pour
l'intimé.
PROCUREURS:
Herridge, Tolmie, Ottawa, pour l'appelante.
Le sous-procureur général du Canada pour
l'intimé.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE CATTANACH: Il s'agit d'un appel fondé
sur l'article 56 de la Loi sur les marques de
commerce' contre une décision du registraire des
marques de commerce rejetant, en application du
paragraphe 36(1), la demande n° 359215 de l'ap-
pelante visant à faire enregistrer une marque de
certification relative à certaines bières. La marque
en question concerne la forme et la couleur ambre
sombre d'une bouteille portant au pied l'inscription
«CANADA», dont voici l'illustration:
On a abandonné la demande visant le droit à
l'usage exclusif du mot «CANADA», mais non de la
marque de certification. La demande indique, dans
son paragraphe 5, que la marque de certification,
employée en liaison avec certaines bières, vise à
préciser que ces dernières ont été fabriquées [TRA-
DUCTION] «selon la norme définie ci-après:
Il s'agit d'un produit fabriqué au Canada par une brasserie
canadienne qui est affiliée à l'Association des brasseries du
Canada ou qui est autorisée par cette association.»
L'article 2 de la Loi sur les marques de com
merce définit ainsi l'expression «marque de
certification»:
«marque de certification» signifie une marque employée pour
distinguer, ou de façon à distinguer, des marchandises ou
services qui sont d'une norme définie en ce qui concerne
a) la nature ou qualité des marchandises ou services,
' S.R.C. 1970, c. T-10.
b) les conditions de travail dans lesquelles les marchandi-
ses ont été produites ou les services exécutés,
c) la catégorie de personnes qui a produit les marchandi-
ses ou exécuté les services, ou
d) la région à l'intérieur de laquelle les marchandises ont
été produites ou les services exécutés,
de marchandises ou services qui ne sont pas d'une telle norme
définie;
Le même article définit ainsi l'expression
«marque de commerce»:
«marque de commerce» signifie
a) une marque qui est employée par une personne aux fins
ou en vue de distinguer des marchandises fabriquées, ven-
dues, données à bail ou louées ou des services loués ou
exécutés, par elle, de marchandises fabriquées, vendues, don-
nées à bail ou louées ou de services loués ou exécutés, par
d'autres,
b) une marque de certification,
c) un signe distinctif, ou
d) une marque de commerce projetée;
D'après la Loi, une marque de certification est
donc une marque de commerce.
Le rejet de la demande de l'appelante est fondé
sur la disposition suivante:
36. (1) Le registraire doit rejeter une demande d'enregistre-
ment d'une marque de commerce s'il est convaincu que
a) la demande ne satisfait pas aux exigences de l'article 29;
b) la marque de commerce n'est pas enregistrable; ou
c) le demandeur n'est pas la personne qui a droit à l'enregis-
trement de la marque de commerce parce que cette marque
crée de la confusion avec une autre marque de commerce en
vue de l'enregistrement de laquelle une demande est
pendante;
et, lorsque le registraire n'est pas ainsi convaincu, il doit faire
annoncer la demande de la manière prescrite.
Le registraire a motivé son rejet au paragraphe
suivant de sa décision:
[TRADUCTION] La marque de certification visée dans la
demande n'est pas une marque. Elle n'est pas conforme à la
définition d'une marque de certification et, par conséquent, la
demande est rejetée.
A mon avis, ce paragraphe, lu de concert avec
l'avant-dernier paragraphe qui précise que le rejet
est fondé sur le paragraphe 36(1), signifie néces-
sairement que le registraire était convaincu que la
marque de commerce n'était pas enregistrable.
Précédemment, le registraire avait indiqué dans
ses motifs qu'il y avait une distinction entre un
signe et une marque, que la définition du «signe
distinctif» 2 donnée dans la Loi sur les marques de
commerce ne mentionne pas une marque, et que,
par conséquent, un signe distinctif n'est pas une
marque. Il a en outre exprimé l'opinion suivante:
[TRADUCTION] . aux yeux d'un Canadien pourvu d'une
intelligence et d'une expérience ordinaires, l'objet de la
demande, à savoir une bouteille de bière de couleur brune
portant l'inscription CANADA, ne serait pas une marque.
Après avoir conclu que l'objet de la demande
n'était pas une marque, il a ajouté le paragraphe
suivant:
[TRADUCTION] La requérante soutient que l'examinateur a eu
tort de conclure que l'objet de sa demande est une «bouteille».
Elle prétend que la couleur et l'inscription CANADA confèrent
une certaine particularité à la forme de la bouteille. Tout le
monde sait que les bouteilles de bière sont faites en verre de
couleur afin de mettre leur contenu à l'abri des effets du soleil.
La requérante a renoncé à l'inscription CANADA qui, de toute
manière, n'a rien de très particulier sur une bouteille de bière.
La couleur de la bouteille et l'inscription CANADA, qui n'est
plus revendiquée, ne peuvent dissiper l'impression initiale qu'on
ressent à la vue de la marque visée par la demande, à savoir que
cette marque est une bouteille de bière de couleur brune.
Il me semble que ce paragraphe, ainsi que l'opi-
nion selon laquelle le public ne reconnaîtrait pas
une marque dans l'objet en cause, se rapportent
non pas à la question de savoir si la chose que
l'appelante désire déposer est une marque et est
enregistrable aux termes de la Loi, mais plutôt à la
2 «signe distinctif» signifie
a) un façonnement de marchandises ou de leurs contenants,
ou
b) un mode d'envelopper ou empaqueter des marchandises,
dont la présentation est employée par une personne afin de
distinguer, ou de façon à distinguer, les marchandises qu'elle
a fabriquées, vendues, données à bail ou louées, ou les
services loués ou exécutés par elle, des marchandises que
d'autres ont fabriquées, vendues, données à bail ou louées et
des services loués ou exécutés par d'autres;
Notez la virgule après l'expression «marchandises» à l'alinéa b)
et l'espace qui suit. La version française est très claire: la suite
de l'article s'applique tant à l'alinéa b) qu'à l'alinéa a). Voir en
outre: Statuts du Canada 1952-53, c. 49, art. 2g).
question de savoir si cette chose est capable de
remplir la fonction qui consiste à distinguer une
marchandise de norme définie d'autres marchandi-
ses. En toute déférence, je ne vois pas l'utilité, au
moins à ce stade, de savoir si elle remplit cette
fonction avec succès ou non.
A mon avis, la principale question qu'il faut
trancher dans cet appel consiste à savoir si l'objet
du dépôt est une «marque» au sens de «marque de
certification» définie par l'article 2 de la Loi.
La Loi sur les marques de commerce ne définit
pas ce qu'est une «marque». Par conséquent, il faut
entendre ce terme dans son sens ordinaire quand il
est employé seul et non avec d'autres mots dans
une expression définie. Il faut remarquer toutefois
qu'il s'agit d'un terme polyvalent dont le sens
ordinaire varie selon le contexte. Il peut avoir, dans
certains cas, un sens étroit, à savoir une encoche,
une empreinte ou un symbole mis sur un objet, et
dans d'autres cas un sens plus large, à savoir tout
trait caractéristique servant à identifier ou à dis-
tinguer. Dans la Loi sur les marques de commerce,
il me paraît avoir différents sens selon l'article
dans lequel il figure. Ainsi, dans l'alinéa a) de la
définition d'une «marque de commerce», il aurait
un sens étroit vu qu'il ne semble pas embrasser un
signe distinctif, autrement l'alinéa c) de cette défi-
nition n'aurait pas de raison d'être. Par contre,
dans le paragraphe 57(1), si l'on donne à ce terme
son sens étroit, il n'y aura plus alors dans la Loi de
disposition autorisant la radiation d'un signe dis-
tinctif déposé. De même, il n'y aura plus dans la
Loi de disposition permettant de demander le
dépôt d'un signe distinctif si l'on ne donne pas au
terme «marque» figurant à l'alinéa 29a) un sens
large. Dans ces deux derniers cas, je ne pense pas
que ces résultats aient été voulus ni qu'il faille
interpréter la loi de cette manière.
Pour revenir aux marques de certification, il
faut tout d'abord remarquer que cette expression
vise un tout autre but que celui visé par les trois
autres catégories citées dans la définition d'une
«marque de commerce» donnée dans l'article 2.
Pourtant, elle embrasse et mentionne ces trois
catégories chaque fois qu'elle figure dans la Loi. Il
s'ensuit donc que tout ce qui peut être considéré
comme une marque de certification, qu'il s'agisse
d'une «marque» au sens étroit du terme ou au sens
large d'un signe, serait enregistrable.
Ensuite, rien dans la loi ne permet d'exclure du
dépôt comme marque de certification un signe tel
que la forme d'un contenant, à la différence des
autres genres de marque, si ce signe est apte à
communiquer le message souhaité. Dans ses dispo
sitions relatives aux signes distinctifs, la loi elle-
même reconnaît qu'un signe, qu'une forme, qu'un
emballage peuvent servir à distinguer des mar-
chandises. En outre, comme je l'ai indiqué, l'alinéa
29a) relatif aux demandes de dépôt emploie le
terme «marque» dans un sens qui, à mon avis,
comprend les signes distinctifs et, si mon interpré-
tation est exacte, ce terme peut également com-
prendre un signe dont on demande le dépôt comme
marque de certification.
J'ajouterais que cette interprétation est étayée
tant par l'évolution de la législation canadienne des
marques de commerce que par la considération
selon laquelle l'objectif ou le résultat général de
l'adoption de la Loi sur les marques de commerce
a été d'étendre le domaine du dépôt et de la
protection des marques de commerce et non de le
restreindre. D'ailleurs, pour reprendre une expres
sion du jugement qu'a rendu le président Maclean
dans Wrights' Ropes Limited c. Broderick &
Bascom Rope Co. 3 , je pense que ce n'est pas «faire
violence à la loi» en concluant que le terme
«marque» figurant dans la définition d'une
«marque de certification» comprend un signe ser
vant à distinguer. Par conséquent, je statuerai que
le terme «marque» figurant dans la définition d'une
«marque de certification» doit être pris dans son
acception large et comprend un signe comme la
forme ou l'emballage d'une marchandise ou encore
les marques qui sont apposées ou imprimées sur
cette marchandise ou sur son emballage.
L'avocat du registraire fait valoir que l'objet
dont le dépôt était demandé est en réalité con-
forme à la définition d'un «signe distinctif» et est
donc enregistrable, le cas échéant, seulement en
tant que signe distinctif et non en tant que marque
de certification. De toute évidence, l'appelante ne
se sert pas de cet objet comme d'un signe distinctif
au sens de la définition qu'en donne la Loi, étant
donné qu'elle n'est ni le fabricant ni le vendeur des
marchandises, mais, selon l'intimé, il n'en reste pas
3 [1931] R.C.É. 143.
moins que cet objet est un signe distinctif puisque
les membres de l'association appelante s'en servent
pour distinguer leurs marchandises de celles des
tiers. Je ne peux souscrire à cet argument car
l'objet dont le dépôt est demandé n'est utilisé par
aucun des membres afin de distinguer sa marchan-
dise de celles fabriquées par d'autres membres, qui
jouissent comme lui du même droit de s'en servir
en liaison avec leurs marchandises, et n'est
employé par aucun des membres à titre de marque
de commerce particulière.
L'intimé fait valoir d'autre part qu'aucune
norme n'a été définie dans la demande de dépôt. Il
s'agit d'un argument qu'il n'avait pas soulevé dans
les motifs de sa décision ou lors de l'examen de la
demande. La raison de cette omission serait peut-
être que la demande, quoique ne définissant pas,
semble-t-il, une norme au sens usuel du terme,
paraît cependant, au premier abord, en définir une
au sens des alinéas c) et d) de la définition d'une
«marque de certification» lorsqu'elle définit à la
fois la catégorie de personnes qui ont fabriqué ces
marchandises et le territoire, à savoir le Canada,
sur lequel elles ont été fabriquées. Quoi qu'il en
soit, l'objection n'est pas recevable en appel parce
que la procédure pertinente du paragraphe 36(2)
n'a pas été respectée.
A mon avis, l'objet de la demande de l'appe-
lante, à savoir la forme et la couleur de la bouteille
avec l'inscription CANADA, ou la combinaison de
ces éléments, est susceptible d'être employé pour
distinguer, ou de façon à distinguer, au sens de la
définition d'une «marque de certification», les
bières en question des bières n'ayant pas la norme
définie.
Il ressort de ce qui précède et de ma conclusion
sur le sens du terme «marque» dans la définition
d'une «marque de certification» que l'objet de la
demande de l'appelante est enregistrable en l'ab-
sence d'objections recevables et que cette demande
n'aurait pas dû être rejetée en application du
paragraphe 36(1) au titre de l'un quelconque des
motifs donnés par le registraire. Il faut toutefois
mentionner à ce stade deux choses.
La première se rapporte au mot CANADA. Sa
demande ayant été rejetée, l'appelante chercha à
la modifier en retranchant sa renonciation, ci-des-
sus mentionnée, à l'usage exclusif du mot
CANADA. Le registraire refusa la modification
demandée au motif qu'ayant rejeté la demande
initiale, il n'était plus saisi de l'affaire et que
l'affaire étant devant la Cour, il ne pouvait accep-
ter la demande modifiée.
Ce rejet n'a pas fait l'objet d'appel devant la
Cour, mais je pense qu'il convient de dire que le
présent jugement ne doit pas s'interpréter comme
préjugeant de quelque manière que ce soit du droit
de l'appelante de monopoliser le mot CANADA avec
ou sans la renonciation que j'ai mentionnée ou
comme interdisant au registraire de soulever, en
application du paragraphe 36(2), toute objection
qu'il estimerait indiquée.
Le deuxième point se rapporte à la couleur
ambre. D'après le dossier, il s'agit d'une caracté-
ristique technique ou utilitaire non enregistrable.
Voir Parke, Davis & Company c. Empire
Laboratories Limited 4 . Là encore, il est loisible au
registraire, avant la publication de la demande, de
soulever et de trancher toute objection qu'il juge-
rait appropriée contre cette caractéristique ou
toutes autres objections qu'il estimerait indiquées à
ce stade, excepté celle relative à la question de
savoir si l'objet de la demande est une marque au
sens de la définition d'une «marque de certifica
tion», à condition de donner à l'appelante, confor-
mément au paragraphe 36(2), l'occasion d'y
répondre.
L'appel est accueilli et l'affaire sera renvoyée
devant le registraire pour qu'il statue sur la
demande conformément à ces motifs.
Conformément au précédent établi par The
Great Atlantic & Pacifie Tea Co. c. Le registraire
des marques de commerces, le registraire n'aura
pas à payer les dépens.
4 [1964] R.C.S. 351.
5 [1945] R.C.É. 233, la p. 245.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.