T-1473-78
Richard Bosada (Demandeur)
c.
La Reine du chef du Canada, la Reine représentée
par R. H. Simmonds, commissaire de la Gendar-
merie royale du Canada; Saul Frumkin; Roger
Leclair; Eugene Ewaschuk; Graham Pinos; Gerald
McCracken; Arne Kay; Douglas Smith; et d'autres
inconnus (Défendeurs)
Division de première instance, le juge Mahoney—
Ottawa, les 13 et 21 mars 1979.
Pratique — Demande de radiation — Les divers défendeurs
soutiennent que la déclaration ne révèle aucune cause raison-
nable d'action, qu'elle peut retarder l'instruction équitable du
procès, qu'elle est futile et vexatoire, et que la Cour n'a pas
compétence pour ce qui est des défendeurs autres que Sa
Majesté — Les défendeurs autres que Sa Majesté sont des
agents de la G.R.C. ou des employés de la Couronne — Le
demandeur, qui est avocat, a été poursuivi, arrêté et traduit en
justice après perquisition et saisie de documents établis aux
fins d'une action civile entre son client, qui faisait l'objet d'une
enquête criminelle, et la Couronne et certains agents de la
G.R.C. — Règle 419(1)a),c),d) de la Cour fédérale.
Dans une action en dommages-intérêts pour délits civils de
complot, de poursuites intentées avec malveillance, d'arresta-
tion illégale, de libelle et diffamation et de négligence, tous les
défendeurs demandent la radiation de la déclaration et le rejet
de l'action au motif que cette déclaration ne révèle aucune
cause raisonnable d'action et qu'elle peut causer préjudice,
gêner ou retarder l'instruction équitable de l'action; tous les
défendeurs autres que la Reine demandent la radiation au
motif que la Cour n'a pas compétence à leur égard; enfin les
défendeurs la Reine, Kay et Smith demandent le rejet de
l'action au motif que la déclaration est scandaleuse, futile et
vexatoire. Les défendeurs Kay et Smith sont des agents de la
G.R.C., et les autres défendeurs à part la Reine sont des
avocats au service du ministère du procureur général du
Canada. Le demandeur est un avocat en exercice et agissait
comme procureur pour un client qui faisait l'objet d'une
enquête criminelle et pour qui il a intenté une action civile
contre la Reine et certains agents de la G.R.C. Un, plusieurs ou
tous les défendeurs, après avoir perquisitionné le bureau et la
résidence du demandeur, ont emporté des dossiers de son
bureau, ont subséquemment menacé de le poursuivre au crimi-
nel, et ont autorisé que des accusations criminelles soient
portées contre le demandeur. Le demandeur a été mis en
accusation, arrêté et a fait l'objet devant les tribunaux crimi-
nels de diverses procédures largement commentées par les
média d'information.
Arrêt: la déclaration est radiée et l'action rejetée. Ces
demandes n'ont pas été signifiées au défendeur Frumkin, elles
ne le concernent donc pas. La demande de réparation des délits
civils de complot, de poursuites intentées avec malveillance,
d'arrestation illégale, de libelle et diffamation et de négligence
n'est pas fondée sur une «loi fédérale existante», la Cour n'a
donc pas compétence pour entendre l'action du demandeur
contre les défendeurs autres que la Couronne. La responsabilité
de la Couronne pour un acte d'un préposé naît de la Loi sur la
responsabilité de la Couronne et peut être alléguée devant la
Cour, mais elle dépend de celle des préposés de la Couronne.
Les deux complots allégués ne sont pas des causes raisonnables
d'action. Si le complot visant à amener le demandeur à violer le
secret des communications entre l'avocat et le client a pour
objet de nuire à ce dernier, le droit d'action, s'il en est,
appartient au client, et non à l'avocat. Le complot visant à
commettre les autres délits ne peut, de par sa nature même,
donner lieu à une action. Un élément essentiel du délit de
poursuites intentées avec malveillance est que les procédures en
question se soient résolues en faveur du demandeur; or les
accusations portées contre le demandeur n'ont pas encore été
jugées définitivement. La déclaration ne révèle aucune cause
raisonnable d'action en libelle et diffamation puisque la publi
cation du libelle et de la diffamation a été faite dans des
circonstances d'immunité absolue. Quant à l'arrestation illé-
gale, la déclaration n'allègue tout simplement pas que le
demandeur ait été arrêté par l'un des défendeurs et de ce fait,
elle n'allègue pas une cause d'action contre les défendeurs. Bien
que la déclaration, dans sa demande de redressement, allègue la
négligence comme une cause d'action distincte, elle ne le fait
pas dans l'exposé des faits. Selon le plaidoyer, l'existence du
délit de négligence dépend des autres causes d'action alléguées,
à l'exclusion des complots, et doit tomber avec elles.
Arrêts appliqués: Quebec North Shore Paper Co. c. Cana-
dien Pacifique Ltée [1977] 2 R.C.S. 1054; Marrinan c.
Vibart [1963] 1 Q.B. 528 (C.A.). Arrêt suivi: Mayor of
Montreal c. Hall (1886) 12 R.C.S. 74.
DEMANDE.
AVOCATS:
Leonard Max, c.r. pour le demandeur.
J. A. Bowie et A. S. Fradkin pour les défen-
deurs la Reine du chef du Canada, la Reine
représentée par R. H. Simmonds, commis-
saire de la Gendarmerie royale du Canada,
Arne Kay et Douglas Smith.
C. Campbell pour les défendeurs Eugene
Ewaschuk, Roger Leclair, Graham Pinos et
Gerald McCracken.
Le défendeur Saul Frumkin n'était pas
représenté.
PROCUREURS:
Bosada, Max, McKinley & Carroll, Ottawa,
pour le demandeur.
Le sous-procureur général du Canada pour
les défendeurs la Reine du chef du Canada, la
Reine représentée par R. H. Simmonds, com-
missaire de la Gendarmerie royale du
Canada, Arne Kay et Douglas Smith.
McCarthy & McCarthy, Toronto, pour les
défendeurs Eugene Ewaschuk, Roger Leclair,
Graham Pinos et Gerald McCracken.
Ce qui suit est la version française des motifs
de l'ordonnance rendus par
LE JUGE MAHONEY: Aucune signification n'a
été faite au défendeur Frumkin et ces demandes ne
le concernent pas. Les défendeurs Kay et Smith
sont des agents de la G.R.C. et, comme Sa
Majesté, sont représentés par le sous-procureur
général du Canada. Les autres personnes défende-
resses sont des avocats, préposés de Sa Majesté,
employés par le ministère du procureur général.
Un procureur de l'extérieur les représente.
Ils demandent tous la radiation de la déclaration
et le rejet de l'action en vertu des paragraphes a)
et d) de la Règle 419(1), au motif que ladite
déclaration ne révèle aucune cause raisonnable
d'action et qu'elle peut causer préjudice, gêner ou
retarder l'instruction équitable de l'action. Je ne
vois pas comment une déclaration entière, par
opposition à certaines parties d'une déclaration,
pourrait être radiée en vertu de l'alinéa 419(1)d),
et je n'ai pas l'intention de traiter plus avant de cet
aspect de la demande. Sa Majesté, Kay et Smith
demandent aussi la radiation en vertu de l'alinéa
419(1)c) au motif que la déclaration est scanda-
leuse, futile ou vexatoire. Tous, sauf Sa Majesté,
demandent la radiation de ladite déclaration et le
rejet de l'action au motif que la Cour n'a pas
compétence. Il y a plusieurs requêtes subsidiaires
en obtention de détails, en radiation des allégations
non essentielles, en extension des délais de produc
tion des défenses et pour rendre l'action conforme,
dans la mesure où il s'agit de la réclamation contre
Sa Majesté, aux exigences de l'article 48 de la Loi
sur la Cour fédérale.'
La déclaration fait état des faits essentiels sui-
vants, dont il faut reconnaître la véracité et qui
peuvent être prouvés pour les fins des présentes
requêtes:
1. Le demandeur est un avocat en exercice.
2. Il agissait comme procureur d'un certain
Michel Elias Saikaly qui faisait l'objet d'une
enquête criminelle et pour qui il a intenté, le 11
S.R.C. 1970 (2' Supp.), c. 10.
février 1975, une action civile contre Sa Majesté
et certains agents de la G.R.C., nommés ou non
pour [TRADUCTION] «violation du droit de pro-
priété, violation de l'intimité, dommage aux
biens, atteinte à la personne et négation du droit
à un avocat».
3. Le 23 juin 1977, un, plusieurs ou tous les
défendeurs ont fait irruption dans le bureau et la
résidence du demandeur; ils y ont perquisitionné
et ont emporté des dossiers de son bureau.
4. Entre le 23 juin et le 30 novembre 1977, un,
plusieurs ou tous les défendeurs ont menacé le
demandeur de le poursuivre au criminel.
5. Le 30 novembre 1977, un, plusieurs ou tous
les défendeurs ont autorisé le défendeur Smith à
porter des accusations d'infractions criminelles
contre le demandeur, ce que Smith a fait.
6. Les actions évoquées aux paragraphes 3, 4 et
5 ont été décidées à la suite d'un complot entre
deux, plusieurs ou tous les défendeurs pour
amener le demandeur à violer sa relation d'avo-
cat à client avec Saikaly afin de, premièrement,
obtenir des preuves relatives aux infractions
pour lesquelles Saikaly avait été mis en accusa
tion et, deuxièmement, permettre aux défen-
deurs d'examiner le dossier constitué par le
demandeur aux fins de l'action civile.
7. Une fois les accusations portées contre lui, le
demandeur a été [TRADUCTION] «illégalement
et injustement» arrêté. Il n'est pas dit par qui.
8. A la suite des accusations, le demandeur a
fait l'objet devant les tribunaux criminels de
diverses procédures qui ont été largement com-
mentées par les média d'information.
9. Les défendeurs savaient, ou auraient dû
savoir, ou ont ignoré par négligence que le
demandeur n'avait pas commis les infractions
dont il avait été accusé et qu'il n'existait aucun
motif raisonnable de croire qu'il les avait
commises.
Au moment de la production de la déclaration,
les accusations portées contre le demandeur
n'avaient pas été jugées en dernier ressort, et il est
reconnu qu'elles ne le sont pas encore.
Les causes d'action alléguées dans la déclaration
sont les délits civils de complot, poursuites inten-
tées avec malveillance, arrestations illégales,
libelle, diffamation et négligence. La demande en
réparation quant à ces délits n'est pas fondée sur
une «loi fédérale existante». 2 Cette cour n'a pas
compétence pour entendre l'action du demandeur
contre les personnes défenderesses et, pour ce seul
motif, la déclaration doit être radiée et l'action
rejetée à leur égard. La responsabilité de Sa
Majesté pour un acte d'un préposé naît de la Loi
sur la responsabilité de la Couronne 3 et peut être
alléguée devant la Cour. Cette responsabilité,
cependant, dépend de celle des préposés et la
déclaration ne peut révéler une cause raisonnable
d'action contre Sa Majesté que si elle en révèle une
contre les personnes défenderesses.
Deux complots sont allégués, premièrement,
celui visant à amener le demandeur à violer sa
relation d'avocat à client avec Saikaly et deuxiè-
mement, celui menant à la perpétration des autres
délits. Le terme [TRADUCTION] «relation d'avocat
à client» figure dans la déclaration. Rien dans
celle-ci ne permet de conclure que les prétendus
conspirateurs se soient attaqué à la relation con-
tractuelle entre le demandeur et Saikaly ou que le
complot visait à amener le demandeur à ne pas
exécuter le contrat. Manifestement, on allègue que
les prétendus conspirateurs ont cherché à faire
violer le secret professionnel par le demandeur, à
priver Saikaly du privilège dont il pouvait se préva-
loir, ayant consulté le demandeur à titre profes-
sionnel quant aux procédures civiles ou criminelles
dans lesquelles lui, Saikaly, était engagé.
Les éléments d'un complot qui peut faire l'objet
d'une action sont bien définis. 4 Selon deux de ces
éléments, le complot doit avoir été dirigé contre la
personne qui l'allègue et celle-ci doit avoir subi un
dommage spécifique en découlant.
Selon un principe élémentaire du droit, le secret
des communications entre l'avocat et son client est
le privilège du client, non de l'avocat. Si un com-
plot était ourdi dans le but d'amener un avocat à
violer le privilège de son client, avec l'intention de
nuire à l'avocat, non au client, et qu'en consé-
quence l'avocat subisse un dommage, ce complot
peut éventuellement faire l'objet d'une action de la
part de l'avocat. Cependant, quand, ainsi qu'il est
2 Quebec North Shore Paper Company c. Canadien Pacifi-
que Limitée [1977] 2 R.C.S. 1054.
3 S.R.C. 1970, c. C-38.
4 Quinn c. Leathern [1901] A.C. 495, la p. 528.
allégué ici, l'objet du complot est de nuire au
client, le droit d'action, s'il en est, appartient au
client, non à l'avocat. De plus, la déclaration n'al-
lègue pas que le complot ait réussi à amener
réellement le demandeur à violer le privilège de
Saikaly, ni que le demandeur ait subi un dommage
en conséquence. Sous cet aspect, la déclaration
n'allègue pas une cause raisonnable à l'action du
demandeur.
Quant au complot visant à commettre les autres
délits, il ne peut, de par sa nature même, donner
lieu à une action. Le droit est exposé dans Ward c.
Lewis: 5
[TRADUCTION] Il est important de se rappeler ... lorsqu'une
ou plusieurs personnes ont commis un délit civil, une allégation
d'un complot préalable de commettre le délit n'ajoute rien.
L'entente préalable se confond avec le délit.
Un élément essentiel du délit de poursuites
intentées avec malveillance est que les procédures
en question se soient résolues en faveur du deman-
deur. 6 Ici les accusations portées contre le deman-
deur le 30 novembre 1977 n'ont pas encore été
jugées définitivement par les tribunaux criminels.
La déclaration n'allègue pas une cause raisonnable
à l'action délictuelle en poursuites intentées avec
malveillance.
On affirme que la seule publication du libelle et
la prétendue diffamation ont eu lieu dans les cir-
constances suivantes:
[TRADUCTION] en portant et faisant publier ou connaître en
Cour des [accusations du 30 novembre 1977], sachant de plus
que ces événements seraient publiés de nouveau et répandus de
toutes manières dans tout le pays par les média d'information.
Les circonstances de cette publication sont essen-
tiellement les mêmes que celles examinées dans
Marrinan c. Vibart. 7 La publication jouissait d'une
immunité absolue, ayant eu lieu dans le cours
normal d'une instance devant un tribunal. La
publication est un élément essentiel du libelle ou
de la diffamation. Bien que l'exception d'immunité
ne puisse être soulevée que par la défense, quand la
seule publication alléguée dans la déclaration a
manifestement été faite dans des circonstances
d'immunité absolue, ladite déclaration ne révèle
5 [1955] 1 W.L.R. 9, à la p. 11 (C.A.).
6 Mayor of Montreal c. Hall (1886) 12 R.C.S. 74, aux pages
82, 104 et 105.
[1963] 1 Q.B. 528 (C.A.).
pas une cause raisonnable à l'action délictuelle en
libelle et diffamation.
Quant à l'arrestation illégale, la déclaration
n'allègue tout simplement pas que le demandeur
ait été arrêté par l'un des défendeurs. Elle n'allè-
gue pas cette cause d'action contre les défendeurs.
Je me suis aperçu, bien que cela n'ait pas été
plaidé par le demandeur, que s'il a été arrêté par
une personne étrangère au prétendu complot, les
délits ne se confondraient pas et le délit de complot
visant à provoquer une arrestation illégale pourrait
subsister seul. La déclaration ne révèle pas cette
intention et, bien qu'il s'agisse d'une question pour
la défense, le fait que les conspirateurs aient provo-
qué le dépôt d'accusations avant l'arrestation est
entièrement incompatible avec leur intention de
provoquer une arrestation illégale. Je ne vois
aucune raison, en l'espèce, de permettre qu'il soit
remédié à l'omission complète d'éléments de fait
par amendement ou détails, et j'ai l'intention de
tenir compte du plaidoyer tel qu'il est rédigé.
Bien que la déclaration, dans sa demande de
redressement, allègue la négligence comme une
cause d'action distincte, elle ne le fait pas dans
l'exposé des faits. Aucun détail n'est allégué à cet
égard. La négligence, comme le deuxième complot,
est plaidée subsidiairement aux autres délits (pour-
suites intentées avec malveillance, arrestation illé-
gale, libelle et diffamation). Si les défendeurs n'ont
pas comploté pour commettre ces délits, ils les ont
alors commis par négligence. Aucun des faits allé-
gués dans la déclaration ne fonde un droit d'action
contre les défendeurs ou l'un d'entre eux, pour le
délit de négligence proprement dit. Il s'agit d'une
sorte de cause subsidiaire d'action, dont les faits
doivent s'inférer, peut-être par l'application de la
maxime res ipsa loquitur, des faits plaidés à
l'égard des autres délits. Selon le plaidoyer, l'exis-
tence du délit de négligence dépend des autres
causes d'action alléguées, à l'exclusion des com-
plots, et doit tomber avec elles.
Pour tous ces motifs, la déclaration est radiée et
l'action rejetée à l'égard de tous les défendeurs.
Les deux groupes de défendeurs ont chacun droit
aux dépens.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.