T-3540-78
C.J.M.S. Radio Montréal (Québec) Limitée
(Requérante)
c.
Le Conseil canadien des relations du travail
(Intimé)
et
Le Syndicat Général de la Radio C.J.M.S.
(C.S.N.), l'Association des Employés de C.J.M.S.,
le ministère du Travail du Canada, le procureur
général du Canada et le procureur général de la
province de Québec (Mis-en-cause)
Division de première instance, le juge Walsh—
Montréal, le 14 août; Ottawa, le 18 août 1978.
Brefs de prérogative — Compétence — Relations du travail
— Prohibition — Requête en bref de prohibition visant à
interdire une enquête relativement à un conflit de travail —
Disposition restrictive contenue dans le Code canadien du
travail — La Cour a-t-elle compétence pour connaître de la
demande? — Code canadien du travail, S.R.C. 1970, c. L-1,
art. 122(1),(2) — Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2'
Supp.), c. 10, art. 18(a), 28.
Il s'agit d'une requête en bref de prohibition visant à inter-
dire à l'intimé de faire enquête sur un conflit de travail entre la
requérante et le Syndicat Général des Employés de la Radio
C.J.M.S. (C.S.N.), mis-en-cause. L'intimé a toutefois indiqué
son opposition à l'audition, par la Cour, de cette demande. La
Cour a ordonné aux parties de débattre en premier lieu de la
question de compétence, étant entendu que les débats au fond
n'auraient lieu que si la Cour concluait à sa propre compétence.
Arrêt: la demande est rejetée. L'article 122, dans sa forme
modifiée, interdit, entre autres, le recours au bref de prohibition
contre le Conseil pour quelque cause que ce soit, dont la
contestation de sa compétence. Il s'agit d'une exception à la
règle générale de la Loi sur la Cour fédérale et par surcroît,
d'une loi qui lui fait suite dans le temps et doit la primer, à
moins qu'elle ne soit ultra vires eu égard aux pouvoirs du
Parlement. Puisque cet article n'est pas ultra vires, la requé-
rante ne peut obtenir un bref de prohibition contre l'intimé
quand bien même le Conseil aurait outrepassé sa compétence
en faisant enquête et en réglant les modalités de la convention
collective entre la requérante et le syndicat représentant ses
employés.
Arrêts mentionnés: British Columbia Packers Ltd. c. Le
Conseil canadien des relations du travail [1973] C.F.
1194 et [1974] 2 C.F. 913; Télévision St-François Inc.
(CKSH-TV) c. Le Conseil canadien des relations du tra
vail [1977] 2 C.F. 294; Le procureur général de la pro
vince de Québec c. Farrah [1978] 2 R.C.S. 638; Pringle c.
Fraser [1972] R.C.S. 821.
DEMANDE.
AVOCATS:
G. Tremblay et J. Belhumeur pour la
requérante.
G. A. Allison, c.r. pour l'intimé.
L. Racicot pour l'Association des Employés de
C.J.M.S.
A. Brabant pour le Syndicat Général de la
Radio C.J.M.S. (C.S.N.).
M. Cantin et R. Bilodeau pour le procureur
général de la province de Québec.
G. Côté, c.r. et J. Ouellét, c.r. pour le procu-
reur général du Canada.
PROCUREURS:
Stikeman, Elliott, Tamaki, Mercier & Robb,
Montréal, pour la requérante.
Martineau, Walker, Allison, Beaulieu, Mac -
Kell & Clermont, Montréal, pour l'intimé.
L. Racicot, Longueuil, pour l'Association des
Employés de C.J.M.S.
A. Brabant, Montréal, pour le Syndicat Géné-
ral de la Radio C.J.M.S. (C.S.N.).
M. Cantin et R. Bilodeau, Montréal, pour le
procureur général de la province de Québec.
Le sous-procureur général du Canada pour le
procureur général du Canada.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE WALSH: Il s'agit en l'espèce d'une
requête en bref de prohibition visant à interdire à
l'intimé de faire enquête sur un conflit de travail
entre la requérante et le Syndicat Général des
Employés de la Radio C.J.M.S. (C.S.N.), mis-en-
cause, et de régler les modalités de la convention
collective initiale entre la requérante, et ledit
mis-en-cause, attendu que le ministre du Travail
n'avait nullement le droit d'ordonner au Conseil de
procéder à l'enquête prévue à l'article 171.1 du
Code canadien du travail qui vise d'autres unités
de négociation que les employés de la requérante,
attendu que les conditions prévues à l'article
180(1)a) à d) du Code n'ont pas été observées par
le Syndicat, attendu que l'accréditation même du
Syndicat a été remise en question et attendu que
l'intimé n'a pas le pouvoir constitutionnel de fixer
les clauses d'une convention de travail entre la
requérante et ses employés.
Ont été versés au dossier des affidavits émanant
de Paul E. Dion, secrétaire de la requérante; de
Gérard Legault, directeur des Opérations, pour le
compte de l'intimé; de Guy de Merlis, directeur du
service de Médiation et de conciliation du minis-
tère du Travail du Canada; et de Marc Gilbert, un
employé de la requérante et président du Syndicat
Général des Employés de la Radio C.J.M.S.
(C.S.N.), mis-en-cause.
Voici les faits:
(1) Le 13 juin 1978, le ministère du Travail a
ordonné, conformément à l'article 171.1 du Code
canadien du travail, au Conseil canadien des rela
tions du travail de faire enquête sur cinq conflits
opposant des stations de radiodiffusion au syndicat
C.S.N. qui représentait leurs employés, dont le
conflit entre la requérante et le mis-en-cause en
l'espèce.
(2) Le syndicat mis-en-cause en l'espèce a été
dûment accrédité le 26 juin 1978 la suite d'une
enquête du Conseil.
(3) Par décision en date du 11 juillet 1978, le
Conseil a refusé d'accréditer l'Association des
Employés de C.J.M.S. mise-en-cause attendu
qu'elle ne représentait pas la majorité des
employés.
(4) Cette dernière décision fait actuellement
l'objet d'une demande d'examen et d'annulation
dont la Cour d'appel a été saisie en application de
l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale.
A l'ouverture de l'audition, l'intimé a déclaré
qu'il avait formulé une exception déclinatoire, con
testant la compétence de la Cour pour instruire la
requête en bref de prohibition en instance. Les
dossiers de la Cour ne portant nulle trace de cette
exception mais attendu qu'une exception déclina-
toire équivalait à une opposition fondamentale à
l'audition de l'espèce par la Cour et pouvait être
soulevée en cours d'audition à titre de fin de
non-recevoir, même par la Cour de son propre
chef, la Cour a ordonné aux parties de débattre en
premier lieu de la question de compétence, étant
entendu que les débats au fond, dont l'objection
d'ordre constitutionnel, n'auraient lieu que si la
Cour concluait à sa propre compétence.
Avant le 20 avril 1978, l'article 122 du Code
canadien du travail' portait ce qui suit:
122. (1) Sous réserve des autres dispositions de la présente
Partie, toute ordonnance ou décision du Conseil est définitive et
ne peut être mise en question devant un tribunal ni revisée par
un tribunal, si ce n'est conformément à l'article 28 de la Loi sur
la Cour fédérale.
(2) Sous réserve du paragraphe (1), aucune ordonnance ne
peut être rendue, aucun bref ne peut être décerné ni aucune
procédure ne peut être engagée, par ou devant un tribunal, soit
sous forme d'injonction, certiorari, prohibition ou quo war-
ranto, soit autrement, pour mettre en question, reviser, inter-
dire ou restreindre une activité exercée en vertu de la présente
Partie par le Conseil.
Aux termes de l'article 43 de S.C. 1977-78, c.
27, promulgué le 20 avril 1978, cet article a été
abrogé et remplacé par ce qui suit:
122. (1) Sous réserve des autres dispositions de la présente
Partie, toute ordonnance ou décision du Conseil est définitive et
ne peut être remise en question devant un tribunal ni revisée
par un tribunal, si ce n'est conformément à l'alinéa 28(1)a) de
la Loi sur la Cour fédérale.
(2) Sauf dans la mesure où le paragraphe (1) le permet,
aucune ordonnance, décision ou procédure du Conseil faite ou
prise en vertu de l'autorité réelle ou présumée des dispositions
de la présente Partie
a) ne peuvent être mises en question, revisées, interdites ou
restreintes, ou
b) ne peuvent faire l'objet de procédures devant un tribunal
soit sous la forme d'injonction, certiorari, prohibition ou quo
warranto, soit autrement,
pour quelque motif y compris celui qu'elles outrepassent la
juridiction du Conseil ou qu'au cours des procédures le Conseil
a outrepassé ou perdu sa juridiction.
Il est évident que l'article nouveau, qui s'appli-
que en l'espèce, confère au Conseil des pouvoirs
plus étendus, attendu qu'il limite l'examen des
décisions du Conseil aux cas prévus à l'alinéa
28(1)a) de la Loi sur la Cour fédérale, à l'exclu-
sion des cas visés aux autres alinéas de cet article
et qu'il interdit par surcroît et entre autres, le
recours au bref de prohibition contre le Conseil
pour quelque cause que ce soit, dont la contesta-
tion de sa compétence.
Il y a lieu de souligner qu'il s'agit en l'espèce
non seulement d'une exception à la règle générale
de la Loi sur la Cour fédérale, dont l'article 18a)
confère à la Division de première instance compé-
tence pour émettre des brefs de prohibition contre
tout office ou tout autre tribunal fédéral, mais
encore d'une loi qui lui fait suite dans le temps et
' S.R.C. 1970, c. L-1, modifié.
doit donc la primer, à moins qu'elle ne soit ultra
vires eu égard au pouvoir législatif du Parlement.
Les effets des dispositions de loi restrictives ont
fait l'objet de nombreuses décisions. Dans British
Columbia Packers Limited c. Le Conseil canadien
des relations du travail 2 , mon collègue le juge
Addy s'est prononcé en ces termes à la page 921:
A mon avis, il n'y a rien d'extraordinaire dans cette clause
restrictive du Code canadien du travail.
Les plus hautes instances de common law ont rendu par le
passé nombre de décisions portant que les tribunaux d'instance
supérieure qui ont le pouvoir d'émettre des brefs de prohibition
et qui doivent exercer une surveillance sur les tribunaux d'ins-
tance inférieure, ont non seulement la compétence, mais le
devoir d'exercer ces pouvoirs nonobstant les clauses restrictives
de cette nature si la demande est fondée sur l'absence complète
de compétence du tribunal d'instance inférieure pour examiner
l'affaire qui lui a été soumise. Ces décisions se fondent très
logiquement sur le raisonnement suivant: lorsque le Parlement
a établi un tribunal ayant compétence sur certaines questions, il
est tout à fait illogique de penser que, par la simple insertion
d'une clause restrictive dans la loi constitutive délimitant sa
compétence, le législateur se proposait aussi d'autoriser le
tribunal à traiter certaines questions qu'il n'avait pas jugé
approprié de lui confier, ou à exercer sa compétence sur des
personnes qui ne sont pas visées par ladite loi du Parlement ou
à tenir une audience illégale et illicite.
En statuant sur l'appel interjeté d'un jugement
rendu antérieurement dans la même affaire, la
Cour d'appel fédérale [1973] C.F. 1194 a conclu
en ces termes à la page 1198:
Si l'article 122(2) interdit les autres recours permettant de
contester l'exercice par le Conseil de sa compétence c'est parce
que le Parlement a voulu manifestement empêcher que de telles
procédures mettent en question ou gênent l'exercice quotidien
de ses pouvoirs par le Conseil; les décisions rendues par le
Conseil, qui touchent les droits des parties en cause, sont
susceptibles d'examen en vertu de l'article 28 de la Loi sur la
Cour fédérale. Nous ne nous prononçons pas sur la question de
savoir si l'article 122(2) peut permettre d'empêcher des procé-
dures au cas où le Conseil prétend exercer une compétence qui
ne lui a pas été conférée.
Dans Télévision St-François Inc. (CKSH-TV)
c. Le Conseil canadien des relations du travail 3 ,
mon collègue le juge Dubé a conclu que la clause
privative de l'article 122(2) du Code interdisait à
la Cour les mesures de restriction prévues à l'arti-
cle 18b) de la Loi sur la Cour fédérale. Voici ce
qu'il dit à ce sujet à la page 299:
2 [1974] 2 C.F. 913.
3 [1977] 2 C.F. 294.
L'activité du Conseil étant dong en vertu des pouvoirs conférés
par le Code, la clause privative 122(2) du Code interdit tout
tribunal de restreindre cette activité par voie de prohibition.
A été également cité l'arrêt Le procureur géné-
ral de la province de Québec c. Farrah [1978] 2
R.C.S. 638. Dans cet arrêt, le juge en chef Laskin
s'est prononcé en ces termes [à la page 645]:
Il ressort toutefois clairement des arrêts de cette Cour que les
tentatives d'interdire le contrôle de la juridiction soulèvent des
considérations différentes de celles qui découlent de questions
de droit: voir L'Alliance des Professeurs catholiques de Mont-
réal c. La Commission des relations de travail du Québec
([1953] 2 R.C.S. 140), à la p. 155; La succession Woodward c.
Le ministre des Finances (C.-B.) ([1973] R.C.S. 120).
Dans cette affaire cependant, la Cour suprême a
conclu que la province de Québec avait violé l'arti-
cle 96 de l'Acte de l'Amérique du Nord britanni-
que, 1867 en faisant du tribunal des transports la
Cour d'appel en dernier ressort dans cette province
pour connaître des questions visées à l'article 58a)
de la Loi (lequel a été déclaré par la suite ultra
vires) et en faisant échec au pouvoir de contrôle et
de réformation de la Cour supérieure sur les déci-
sions de la Commission comme du tribunal des
transports. Une telle question constitutionnelle
n'est pas en cause en l'espèce. Par ailleurs, le
pouvoir d'examen de la Cour, tel qu'il est prévu à
l'article 28(1)a) de la Loi sur la Cour fédérale,
demeure intact dans l'intérêt des parties au cas où
le Conseil n'observe pas un principe de justice
naturelle ou a excédé ou refusé d'exercer sa
compétence.
Il apparaît que l'article 122 a été expressément
libellé pour surmonter certaines difficultés tenant
à ce qu'aux termes de certaines décisions judiciai-
res, les clauses restrictives n'avaient pas pour effet
d'exclure le contrôle judiciaire des décisions qui
échappent à la compétence d'un conseil ou tribunal
en cause. Le Code canadien du travail donne au
Conseil canadien des relations du travail compé-
tence sur les «entreprise, affaire ou ouvrage de
compétence fédérale» c'est-à-dire ressortissant au
pouvoir législatif du Parlement, ce qui comprend,
au sens de l'article 2:
2. ...
f) toute station de radiodiffusion;
Dans son affidavit, Marc Gilbert a souligné que
les signaux émis par la requérante peuvent être
captés à l'extérieur du Québec où ils peuvent
causer une interférence, et que tout le personnel de
la requérante participe à son entreprise de radio-
diffusion, que ce soit directement ou indirecte-
ment, en lui fournissant ses services ou en assurant
sa rentabilité.
Je ne saurais conclure que l'article 122 nouveau
du Code canadien du travail dépasse la compé-
tence du Parlement du Canada et, si cet article est
appliqué la lettre, il faut conclure que la requé-
rante ne pourrait obtenir un bref de prohibition
contre l'intimé quand bien même ce dernier aurait
outrepassé sa compétence,, en faisant enquête et en
réglant les modalités de la convention collective
entre la requérante et le syndicat représentant ses
employés. Dans Pringle c. Fraser", le juge Laskin
(actuellement juge en chef) s'est prononcé en ces
termes:
Je suis convaincu que, dans le contexte du programme géné-
ral de l'administration des politiques en matière d'immigration,
les termes de l'art. 22 (»compétence exclusive pour entendre et
décider toutes questions de fait ou de droit, y compris les
questions de compétence») suffisent non seulement à revêtir la
Commission de l'autorité déclarée mais encore à empêcher
toute autre cour ou tout autre tribunal d'être saisis de tout
genre de procédures, que ce soit par voie de certiorari ou
autrement, relativement aux matières ainsi réservées exclusive-
ment à la Commission. Le fait que cette interprétation a pour
effet d'abolir le certiorari comme recours à l'égard des ordon-
nances d'expulsion contestables n'est pas une raison de refuser
de donner aux termes leur sens évident. Cette Cour a décidé
que l'habeas corpus, un recours qui est certainement aussi
respecté que le certiorari, tire sa validité des questions de fond
à l'égard desquelles on veut l'invoquer, et que son application
dépend de la question de savoir si la législature compétente le
prescrit comme recours: voir In re Storgoff ([1945] R.C.S.
526). De même, le certiorari, en tant que mesure de redresse-
ment, ne s'applique pas nécessairement à toutes les matières à
l'égard desquelles on pourrait l'employer, si une loi valide
d'exclusion est adoptée.
Depuis l'audition de la demande en instance, la
Cour a reçu de l'avocat de l'intimé une communi
cation, dont copie a été envoyée à toutes les autres
parties, l'informant que la question de compétence
ayant été prise en délibéré et l'instruction de la
demande de bref de prohibition suspendue au fond,
l'intimé se proposait de suspendre sine die ses
audiences en ce qui concerne la requérante et les
quatre autres stations de radiodiffusion en cause.
Cette lettre ne signifie pas que l'affaire a été
résolue. Il m'est donné de savoir au contraire que
ces audiences vont reprendre et que l'intimé va
envoyer sous . peu de nouvelles convocations aux
4 [1.972] R.C.S. 821, aux pages 826 et 827.
parties intéressées, à la suite de la décision que j'ai
prise maintenant de ne pas entendre, pour cause
d'incompétence, la requête en bref de prohibition
de la requérante.
ORDONNANCE
La requête en bref de prohibition est rejetée,
avec dépens en faveur de l'intimé.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.