A-664-78
John H. Meier (Requérant)
c.
Les États-Unis d'Amérique (Intimé)
Cour d'appel, le juge en chef Jackett, le juge Urie
et le juge suppléant Kelly—Vancouver, le 28 mars
1979.
Examen judiciaire — Extradition — Le juge de l'extradi-
tion a ordonné l'extradition du fugitif aux Etats-Unis — Les
infractions reprochées au fugitif ne comportaient ni l'utilisa-
tion de la poste ni le transport entre États — Il s'agit de savoir
si le juge de l'extradition est compétent en l'absence de l'élé-
ment que constituent l'utilisation de la poste ou le transport
entre États — Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e
Supp.), c. 10, art. 28 — Traité d'extradition entre le Canada et
les Etats-Unis d'Amérique, Washington, le 3 décembre 1971
(Gazette du Canada, Partie I, 3 avril 1976, p. 1521), article 2,
paragraphe 3).
Il s'agit en l'espèce d'une demande fondée sur l'article 28 et
visant à faire examiner la décision d'un juge de l'extradition qui
a accueilli la demande d'extradition d'un fugitif aux États-
Unis. Le requérant soutient qu'il faut établir trois faits pour
que le juge de l'extradition puisse exercer sa compétence et
accorder l'extradition: 1. Il doit s'agir d'une infraction à une loi
fédérale des États-Unis; 2. il faut que l'une des infractions,
auxquelles s'appliquent les paragraphes 1) ou 2) de l'article 2,
constitue un élément important de l'infraction reprochée; et 3.
il faut que le transport et l'utilisation de la poste ou des moyens
de communication entre États soient des éléments de l'infrac-
tion reprochée. Selon l'avocat du fugitif, les infractions repro-
chées à celui-ci n'étaient pas de celles pouvant donner lieu à
extradition selon le Traité car elles ne comportaient pas le
troisième élément qui justifierait la compétence. La Cour doit
interpréter l'article 2 du Traité, en particulier son
paragraphe 3).
Arrêt: la demande est rejetée. Pour entrer dans le champ
d'application du paragraphe 3) de l'article 2, l'infraction repro-
chée doit être commise à l'égard d'une loi fédérale, et l'un de
ses éléments importants doit être constitué par l'une des infrac
tions énumérées à l'annexe du Traité. Le fugitif a attiré sur lui
par ses agissements irréguliers l'application du Traité, laquelle
porte également sur les conséquences de ses actes. Lorsque,
comme en l'occurrence, le fugitif a adopté un comportement
qui constituait une infraction visée, à savoir une contrefaçon,
pour commettre l'infraction à la loi fédérale, il s'est exposé aux
dispositions du paragraphe 3). Il n'y a eu ni transport, ni
utilisation de la poste ou des moyens de communication entre
États mais, quand bien même ce serait le cas, le fugitif n'en
serait pas moins passible d'extradition.
DEMANDE d'examen judiciaire.
AVOCATS:
John R. Taylor et Dale Vick pour le
requérant.
Paul W. Halprin pour l'intimé.
PROCUREURS:
John Taylor Associates, Vancouver, pour le
requérant.
Le sous-procureur général du Canada pour
l'intimé.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement de la Cour prononcés à l'audience
par
LE JUGE SUPPLÉANT KELLY: Il s'agit en l'es-
pèce d'une demande, présentée en vertu de l'article
28, visant à faire examiner la décision rendue par
le juge Paris, de la Cour de comté de la Colombie-
Britannique, siégeant en qualité de juge de l'extra-
dition en vertu de la Loi sur l'extradition, S.R.C.
1970, c. E-21 («la Loi»). Par cette décision, il
accueillait la demande présentée par les États-Unis
d'Amérique en vue de l'extradition d'un fugitif.
La demande d'extradition présentée au Canada
visait la remise du fugitif aux Etats-Unis d'Améri-
que parce qu'il y avait été inculpé devant la Divi
sion centrale de la Cour de district de l'Utah, sous
les chefs d'accusation suivants:
[TRADUCTION] I" CHEF D'ACCUSATION
Que vers les 10 novembre 1976 et 5 janvier 1977, dans le
district de l'Utah, Division centrale, JOHN H. MEIER a tenté par
corruption d'influencer, d'entraver et de gêner la bonne admi
nistration de la justice en présentant ou en ordonnant de
présenter devant la Cour américaine du district d'Utah, dans
l'affaire de la Hughes Tool Company (maintenant connue sous
le nom de Summa Corporation) c. John H. Meier et al,
C-71-72, les documents suivants, alors que ledit JOHN H.
MEIER savait à cette époque qu'ils étaient contrefaits, et
n'étaient pas ce qu'ils prétendaient être soit:
Un document prétendument signé par Howard R. Hughes,
portant à la partie supérieure droite la date du mois de
janvier 1974, ainsi que l'inscription pièce A, dans une requête
en ajournement présentée au nom de JOHN H. MEIER le 10
novembre 1976, laquelle portait aussi l'inscription pièce
C-331 du défendeur; et
Un document en date du 21 juin 1974 prétendument signé
par Howard R. Hughes, concernant JOHN H. MEIER, et
portant la mention pièce B dans la requête en ajournement
du procès déposée le 10 novembre 1976 au nom de ce dernier,
laquelle porte aussi la mention pièce UU du défendeur;
et ce, en violation du United States Code 18, article 1503.
Ir CHEF D'ACCUSATION
Que, du 9 novembre 1976 au 27 novembre 1978, ou vers ces
dates, dans la Division centrale du district de l'Utah et ailleurs,
JOHN H. MEIER a tenté par corruption d'influencer, d'entraver
et de gêner la bonne administration de la justice en publiant et
en faisant publier un document censé être un mémoire de
Chester Davis, lequel supposait que des accords illicites avaient
été conclus entre le juge Aldon J. Anderson de la Cour de
District des États-Unis et les responsables de Summa Corpora
tion en ce qui concerne les ordonnances dont ledit juge était
saisi dans l'affaire Hughes Tool Company (maintenant Summa
Corporation) c. John H. Meier, C-71-72, alors que JOHN H.
MEIER savait très bien à cette époque que ledit document était
entièrement faux et n'avait pas été rédigé par Chester Davis ou
avec le consentement de celui-ci; et ce, en violation du United
States Code 18, article 1503.
La légalité du Traité * ainsi que le caractère
applicable de ses clauses n'avaient pas été contes
tés; la compétence du juge à connaître desdites
procédures n'avait pas été mise en cause non plus.
En conséquence, ledit juge possédait la compétence
voulue en se fondant sur cette preuve ou à la suite
de ces procédures, pour délivrer un mandat d'ar-
restation contre le fugitif, car, à son avis, si le
crime dont le fugitif est accusé avait été commis
au Canada, il serait justifié, compte tenu de la Loi
sur l'extradition, de délivrer son mandat. Cepen-
dant, avant de ce faire, le juge en question doit
être d'avis que le crime dont le fugitif a été accusé
justifie l'émission d'une ordonnance d'extradition,
et aussi, que la preuve produite conformément aux
lois canadiennes aurait justifié sa mise en accusa
tion, s'il avait été inculpé au Canada.
Selon la seule contestation soulevée par l'avocat
du fugitif à l'encontre de l'ordonnance, les infrac
tions dont son client avait été inculpé n'étaient pas
de celles pouvant donner lieu à extradition selon le
Traité. L'avocat du requérant, compte tenu de la
décision de la Cour suprême du Canada dans
É.-U.A. c. Shephard [1977] 2 R.C.S. 1067, n'a
pas persisté à soutenir auprès de la Cour que la
preuve soumise au juge de l'extradition n'aurait
pas justifié l'inculpation du fugitif.
Pour décider si ce dernier est légalement passi-
ble d'extradition, étant donné qu'il a été inculpé
des infractions susmentionnées, il faut interpréter
l'article 2 du Traité et en particulier, son paragra-
phe 3).
*Traité d'extradition entre le Canada et les États-Unis
d'Amérique, Washington, le 3 décembre 1971 (Gazette du
Canada, Partie I, le 3 avril 1976, page 1521).
Le paragraphe 1) de l'article 2 permet de livrer
les personnes, conformément aux dispositions du
Traité, pour les infractions énumérées à l'annexe
de celui-ci pourvu que ces crimes soient sanction-
nés par les lois des deux parties contractantes
d'une peine d'emprisonnement de plus d'un an.
Le paragraphe 2) prévoit que l'extradition peut
être accordée contre celui qui aura tenté de com-
mettre, aura comploté en vue de commettre l'une
des infractions énumérées à l'annexe, ou y aura été
partie.
Le paragraphe 3) est ainsi libellé:
3) L'extradition sera également accordée pour toute infrac
tion à une loi fédérale des États-Unis dont une des infractions
énumérées à l'Annexe ci-jointe ou justifiant l'extradition en
vertu du paragraphe 2) du présent Article constitue un élément
important, même si le transport ou l'utilisation de la poste ou
des moyens de communication entre États sont également des
éléments de cette infraction particulière.
Contrairement aux paragraphes 1) et 2) qui
s'appliquent aux extraditions hors du Canada et
des Etats-Unis, le paragraphe 3) en vertu duquel
on demande l'extradition de ce fugitif a trait seule-
ment à l'extradition hors du Canada.
Il faut souligner que le mot «infraction» est
utilisé dans le Traité pour décrire: (1) la faute que
le fugitif aurait commise, c'est-à-dire une violation
déterminée de la loi, et (2) la désignation générale
des éléments constitutifs de quelque infraction
qu'on peut identifier, telle que le meurtre, la cor
ruption, la contrefaçon, le parjure ou l'incendie
volontaire. En général, si nous avons bien compris,
la définition des «infractions» et leur sanction aux
États-Unis forment un secteur législatif réservé
aux divers États de l'Union et généralement le
contrôle législatif du Congrès des Etats-Unis ne s'y
applique pas; cependant, des lois fédérales peuvent
y être édictées, définissant ainsi des infractions et
les peines y afférentes, en particulier au cas où les
éléments constitutifs de l'infraction visent le trans
port de personnes ou de choses à travers les diver-
ses frontières des États. Toutefois, toutes les
infractions commises à l'encontre d'une loi fédé-
rale n'entraînent pas l'extradition; quelques-unes
seulement peuvent servir de fondement à une pro-
cédure d'extradition au Canada si les conditions et
restrictions du paragraphe 3) sont réunies.
On a soumis au nom du fugitif qu'il était néces-
saire en l'espèce d'établir l'existence des trois faits
suivants pour que le juge de l'extradition puisse
exercer sa compétence et accorder l'extradition
pour l'un ou l'autre des chefs d'accusation: 1. Il
doit s'agir d'une infraction à une loi fédérale des
États-Unis; 2. l'une des infractions, auxquelles les
paragraphes 1) et 2) de l'article 2 s'appliquent doit
constituer un élément essentiel de l'acte dont l'in-
téressé est accusé; 3. le transport, l'utilisation de la
poste ou des moyens de communication entre les
Etats doivent constituer également des éléments de
l'infraction reprochée.
La preuve soumise au juge de l'extradition a
révélé que la prétendue conduite du fugitif, qui
aurait tenté, par corruption, d'influencer, d'entra-
ver ou de gêner la bonne administration de la
justice pourrait, si elle était établie, constituer une
infraction à la loi des États-Unis. Il est en outre
établi que les moyens qui, semble-t-il, ont été
utilisés pour commettre cette infraction, en l'oc-
currence la contrefaçon, infraction mentionnée à la
clause 17 de l'annexe du Traité, constituaient un
élément important de la violation des lois fédérales
reprochée; le transport, l'utilisation. de la poste ou
des moyens de communication entre les États par
le fugitif n'étant pas allégués dans l'acte d'accusa-
tion, ils ne sont pas indiqués comme étant un
élément constitutif de l'infraction en cause, et
aucune preuve n'a été présentée au juge de l'extra-
dition pour essayer d'établir ces actes.
On a allégué en faveur du fugitif que son extra
dition en vertu du paragraphe 3) ne pouvait être
accordée, parce que le transport, l'utilisation de la
poste ou des moyens de communication entre les
Etats ne constituent pas un élément de l'infraction
dont il est inculpé.
Après avoir examiné attentivement le paragra-
phe 3) à la lumière des prétentions soumises au
nom du fugitif, nous ne pouvons en admettre l'in-
terprétation qui serait nécessaire pour le cas où
nous les accepterions. A notre avis, le paragraphe
3), dans la mesure où il s'applique à ce fugitif,
devrait être interprété comme s'il était rédigé de la
façon suivante:
[TRADUCTION] Si l'individu dont l'extradition est demandée
a été inculpé d'une infraction à la loi des États-Unis, et si un
élément important de la conduite qui constitue l'infraction
reprochée, constituait en soi l'une des infractions énumérées à
l'annexe ci-jointe, l'extradition doit être accordée, nonobstant le
fait que le transport, l'utilisation de la poste ou des moyens de
communication entre les États soient également des éléments
de l'infraction reprochée elle-même.
En d'autres termes, pour entrer dans le champ
d'application de l'article 2, paragraphe 3), l'infrac-
tion reprochée doit être commise à l'égard d'une
loi fédérale, et l'un de ses éléments importants doit
être constitué par l'une des infractions énumérées
à l'annexe du Traité. Le fugitif a attiré sur lui par
ses agissements irréguliers l'application du Traité,
laquelle porte également sur les conséquences de
ses actes. Lorsque, comme en l'occurrence, le fugi-
tif a adopté un comportement qui constituait une
infraction, à savoir une contrefaçon, pour commet-
tre l'infraction à la loi fédérale, il s'est exposé aux
dispositions du paragraphe 3). Ni le transport, ni
l'utilisation de la poste ou des moyens de commu
nication entre États n'ont été invoqués, et même
s'ils l'avaient été, cela n'aurait eu aucun rapport
avec le fait que le fugitif pouvait être passible
d'extradition.
Les trois arguments que l'avocat a fait valoir en
faveur du requérant méritent d'être mentionnés,
pour démontrer qu'ils n'ont pas été oubliés. Les
voici: (A) le paragraphe 3) de l'article 2 doit être
interprété comme si le mot «dont» dans l'expression
«dont une des infractions énumérées ... constitue
un élément important» se référant à la «loi fédé-
rale» et non à «toute infraction»; (B) le paragraphe
3) de l'article 2 doit être interprété comme s'il
était nécessaire que l'infraction, au nombre de
celles énumérées, qui doit constituer «un élément
important», soit une infraction à la loi fédérale;
(C) le paragraphe 3) de l'article 2 doit être inter-
prété comme si les mots qui le terminent et qui
commencent par l'expression «même si» restrei-
gnaient la portée des dispositions afférentes aux
infractions dont «le transport ou l'utilisation de la
poste ou des moyens de communication entre
États» constituent des éléments.
Nous n'avons pu trouver dans aucun de ces trois
arguments une interprétation juste du paragraphe
3) de l'article 2 tel qu'il est rédigé. A notre avis, la
décision rendue par le juge de l'extradition, selon
laquelle les infractions reprochées donnaient lieu à
extradition, ne révèle aucune erreur de droit. Nous
sommes d'avis que le Traité prévoyait l'extradition
pour les infractions reprochées au fugitif dans
l'acte d'accusation; la demande sera en consé-
quence rejetée.
ANNEXE
MIME SI (even if): [TRADUCTION] Bien que; nonobstant.
Funk & Wagnalls' STANDARD COMPREHENSIVE INTERNA -
TIONAL DICTIONARY
MIME (even): [TRADUCTION] C. Joint à une proposition condi-
tionnelle ... .
Pareilles médisances n'intéresseraient pas M. Touchwood
quand bien même il lui arriverait de les entendre ...
Même s'il n'y avait pas d'autre preuve, nous serions encore
justifiés de présumer, etc.
OXFORD ENGLISH DICTIONARY
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