T-1437-77
Conrad Desjardins (Demandeur)
c.
La Reine (Défenderesse)
Division de première instance, le juge Marceau —
Montréal, le 14 août; Ottawa, le 18 août 1978.
Pratique — Dans une action en dommages-intérêts pour
blessures corporelles et perte matérielle subies par suite d'un
accident de la route survenu dans la province de Québec, une
requête en radiation partielle de la déclaration est présentée au
motif que le recours qu'elle fait valoir serait pour partie
prescrit — La défenderesse-requérante prétend que la partie
de l'action, qui a trait au texte de loi relatif aux dommages
pour blessures corporelles, est prescrite en vertu du Code civil
— Le demandeur-intimé fait valoir que les prescriptions du
par. 19(2) de la Loi sur la responsabilité de la Couronne
s'appliquaient et qu'elles ont été satisfaites — Loi sur la
responsabilité de la Couronne, S.R.C. 1970, c. C-38, art. 19(1)
et (2) — Code civil du Québec, art. 2262 — Règle 419 de la
Cour fédérale.
DEMANDE.
AVOCATS:
G. Tremblay pour le demandeur.
Yvon Brisson pour la défenderesse.
PROCUREURS:
Stikeman, Elliott, Tamaki, Mercier & Robb,
Montréal, pour le demandeur.
Le sous-procureur général du Canada pour la
défenderesse.
Voici les motifs de l'ordonnance rendus en fran-
çais par
LE JUGE MARCEAU: Il s'agit d'une requête en
radiation partielle de la déclaration (Règle 419 des
Règles générales de cette cour) au motif que le
recours qu'elle fait valoir serait pour partie
prescrit.
L'action en est une en dommages au montant de
$24,290 pour blessures corporelles et perte maté-
rielle subies à la suite d'un accident de la route
survenu le 22 janvier 1976 dans la province de
Québec. Elle ne fut formellement intentée que le
12 avril 1977.
L'action est évidemment fondée sur la Loi sur la
responsabilité de la Couronne, S.R.C. 1970, c.
C-38, qui contient des dispositions précises relati-
ves à la prescription. Celles-ci se trouvent en son
article 19 qui se lit comme suit:
19. (1) Sauf disposition contraire de la présente loi, les
règles de droit relatives aux délais de prescription et à la
prescription d'actions, en vigueur dans une province, entre
particuliers, s'appliquent à toute procédure contre la Couronne
sous le régime de la présente loi pour toute cause d'action
surgissant dans cette province. Les procédures contre la Cou-
ronne sous le régime de la présente loi pour une cause d'action
surgissant ailleurs que dans une province doivent être intentées
dans un délai de six ans après que la cause d'action a pris
naissance.
(2) Dans toutes procédures sous le régime de la présente loi,
aux fins de l'application de toute règle de droit relative aux
délais de prescription et à la prescription d'actions, le jour où
l'avis mentionné au paragraphe 10(1) a été signifié au sous-pro-
cureur général du Canada, ou le jour où il l'a reçu, est réputé
celui du commencement des procédures si elles sont intentées
dans les cent jours de cette signification ou réception.
La défenderesse-requérante invoque le paragra-
phe (1) de l'article et rappelant que l'article 2262
du Code civil de la province de Québec limite à un
an la prescription d'un recours en dommages pour
blessures corporelles résultant d'un délit ou quasi-
délit, elle conclut à la non-recevabilité de l'action
en autant qu'elle a trait à la réclamation pour
blessures corporelles.
Le demandeur-intimé s'en remet au paragraphe
(2) de l'article 19, et il fait valoir qu'en date du 17
décembre 1976 il a fait parvenir au sous-procureur
général du Canada un avis détaillé de sa réclama-
tion justement en vue de satisfaire aux prescrip
tions de la Loi et qu'il a intenté son action dans les
cent jours qui ont suivi.
Il est clair à la lecture de la correspondance que
le procureur du demandeur a échangée avec le
sous-procureur général et son représentant qu'il a
pris pour acquis dès le début que le paragraphe (2)
de l'article 19 était applicable, que son avis avait
pour but de s'y conformer et qu'il a agi par la suite
en conséquence. Mais avait-il raison? Le procureur
de la défenderesse invoque la rigueur nécessaire et
traditionnelle des règles de prescription et croit de
son devoir de contester que le paragraphe 19(2)
puisse être ici mis en cause.
La contestation à première vue est facile. Il faut
savoir en effet que le paragraphe 10(1) auquel se
réfère le paragraphe (2) de l'article 19, se situe
dans la Partie II de la Loi, partie qui réglemente
les «procédures devant les tribunaux provin-
ciaux»—procédures permises lorsque la réclama-
tion est inférieure à $1,000—et qu'il se lit comme
suit:
10. (1) Sauf le cas de demande reconventionnelle, on ne
peut intenter des procédures sous le régime de la présente
Partie si le demandeur n'a pas (au moins quatre-vingt-dix jours
avant le commencement des procédures) signifié ou envoyé par
courrier recommandé au sous-procureur général du Canada, un
avis de la réclamation et suffisamment de détails sur les faits
justifiant la réclamation pour lui permettre de faire enquête à
ce sujet.
La jonction des deux textes porte naturellement à
lim i ter la portée du paragraphe 19(2), et fait
croire à première vue au bien-fondé de la thèse de
la défenderesse. Il arrive cependant qu'un examen
plus attentif du texte rend sans doute moins évi-
dente et certaine la conclusion initiale suggérée par
le texte. On ne saurait ne pas tenir compte, en
effet, d'une part que l'article 19 ne se situe pas
dans la partie réservée aux procédures devant les
tribunaux provinciaux mais plutôt dans celle con-
sacrée aux dispositions générales s'appliquant à
l'ensemble de la Loi, et d'autre part que les termes
mêmes que le législateur a utilisés en le formulant
sont les plus larges qui soient: «Dans toutes procé-
dures sous le régime de la présente loi, aux fins de
l'application de toute règle de droit relative aux
délais de prescription . ..». Il est clair que l'avis du
paragraphe 10(1) est plus qu'une simple mise en
demeure entre particuliers à cause des conditions
qu'il doit remplir et il est non moins clair que cet
avis est donné au seul avantage de la Couronne à
cause de la situation particulière où elle se trouve
par suite de l'étendue considérable des causes de
responsabilité possible qui peuvent l'atteindre; ne
peut-on pas penser que même si le Parlement a
jugé à propos d'imposer l'avis spécial dans le seul
cas des procédures devant les cours provinciales (à
cause probablement du montant inférieur et de la
multiplicité des recours éventuels), il a pensé attri-
buer à l'avis dans tous les cas, qu'il soit requis ou
non, le même effet interruptif de prescription?
Je crois que la situation du texte dans l'ensemble
de la Loi et la portée apparente des termes qui y
sont utilisés soulèvent une équivoque. Un doute
subsiste quant à son application—doute, je le sou-
ligne incidemment, qu'aucune jurisprudence anté-
rieure, à ma connaissance, n'est venue dissiper. Ce
doute, à mon avis, doit être interprété en faveur du
maintien du droit affecté plutôt que de son abroga
tion, et doit être résolu en faveur de la prolonga
tion (pour un délai d'ailleurs très bref de 100
jours) de ces délais de prescription qui peuvent,
comme dans le cas qui nous concerne ici, être
parfois d'une brièveté difficile à comprendre et à
justifier.
Je suis donc d'avis qu'en vertu du paragraphe
19(2) de la Loi sur la responsabilité de la Cou-
ronne, le 7 janvier 1977, date où fut reçu l'avis que
le demandeur par son procureur a fait parvenir au
sous-procureur général du Canada et qui fut
reconnu comme étant un avis dans la forme
requise par le paragraphe 10(1) de ladite loi, est
réputée la date du commencement des procédures,
l'action elle-même ayant été signifiée le 12 avril
1977.
La requête en radiation de la défenderesse n'est
donc pas fondée, les recours exercés dans l'action
n'étant pas prescrits.
ORDONNANCE
La requête est rejetée avec dépens.
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