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T-1628-78
The Hamlet of Baker Lake, Baker Lake Hunters and Trappers Association, Inuit Tapirisat of Canada, Matthew Kunungnat, Simon Tookoome, Harold Qarlitsaq, Paul Uta'naaq, Elizabeth Alooq, Titus Alluq, Jonah Amitnak, Francis Kalu- raq, John Killulark, Martha Tickie, Edwin Eve, Norman Attungala, William Noah, Marion Pat- tunguyaq, Silas Kenalogak, Gideon Kuuk, Ovid Kinnowatner, Steven Niego, Matthew Innakatsik, Alex Iglookyouak, Titus Niego, Debra Niego, Ste- phen Kakimat, Thomas Anirngniq, Margaret Amarook, James Ukpaqaq, Jimmy Taipanak, Michael Amarook, Angela Krashudluaq, Margaret Narkjanerk, John Narkjanerk, Elizabeth Tunnuq, Marjorie Tarraq, Hanna Killulark, William K. Scottie, Edwin Niego, Martha Talerook, Mary Iksiktaaryuk, Barnabas Oosuaq, Nancy Sevoqa, Janet Ikuutaq, Marjorie Tuttannuaq, Luke Tun- gnaq, James Kingaq, Madge Kingaq, Lucy Tun- guaq, Hattie Amitnak, Magdalene Ukpatiky, Wil- liam Ukpatiku, Paul Ookowt, Louis Oklaga, H. Avatituuq, Luk Arngna'naaq, Mary Kakimat, Samson Arnauyok, Effie Arnaluak, Thomas Kaki- mat, Mathew Nanauq, John Nukik, Bill Martee, Martha Nukik, Silas Puturiraqtuq, David Mannik, Thomas Iksiraq, Robert Inukpak, Joedee Joedee, John Auaala, Hugh Tulurialik, Thomas N. Mannik, Silas Qiynk, Barnabus Peryouar, Betty Peryouar, Joan Scottie, Olive Innakatsik, Sarah Amitnak, Alex Amitnak, Vera Auaala, George Tataniq, Mary Tagoona, James Teriqa- niak, John Iqsakituq, Silas Kalluk, Hannah Kuuk, Hugh Ungungai, Celina Uta'naaq, Moses Nagyugalik, Mary Iqaat, Louis Tapatai, Harold Etegoyok, Sally Iglookyouak, Marjorie Aqigaaq, Matthew Aqigaaq, Mona Qiyuaryuk, Winnie Owingayak, Samson Quinangnaq, Elizabeth Qui- nangnaq, Hattie Attutuvaa, Paul Attutuvaa, Marion Anguhalluq, Luk Anguhalluq, Ruth Tulu- rialik, Irene Kaluraq, Charlie Toolooktook, Thomas Tapatai, Elizabeth Tapatai, B. Scottie, Mary Kutticq, Jacob Marriq, Lucy Kownak, A. Tagoona, Charles Tarraq, Vivien Joedee (Deman- deurs)
c.
Le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien, l'ingénieur nommé par le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien conformé-
ment à l'article 4 du Règlement sur l'utilisation des terres territoriales, DORS/77-210 modifié, le directeur des ressources non renouvelables du Nord, du ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien, le registraire minier et le regis- traire minier adjoint du district minier de l'arcti- que et de la baie d'Hudson, et le procureur général du Canada (Défendeurs)
Division de première instance, le juge Mahoney— Toronto, le 18 avril; Ottawa, le 27 avril 1978.
Pratique Demande d'injonction interlocutoire pour inter- dire la délivrance de permis d'exploitation minière dans la zone étudiée de Baker Lake Zone soustraite à l'aliénation en vertu de la Loi sur les terres territoriales pour permettre l'étude des effets de la prospection minière sur la faune Population régionale comptant largement sur la faune, et en particulier sur le caribou Accord non conclu sur la marche à suivre à la suite de l'étude Retrait à l'aliénation étant sur le point de prendre fin et ordre donné de délivrer des permis L'injonction interlocutoire devrait-elle être accordée avant que le tribunal n'ait statué sur la demande d'injonction permanente?
Les demandeurs sollicitent une injonction interlocutoire interdisant la délivrance de permis de prospection, l'octroi de concessions minières et l'enregistrement de claims se réclamant du Règlement sur l'exploitation minière au Canada, ainsi que la délivrance de permis aux termes du Règlement sur l'utilisa- tion des terres territoriales portant sur l'exploitation minière et les activités connexes dans la zone étudiée de Baker Lake. La zone comprenant 70,000 kilomètres carrés avait été soustraite à l'aliénation en vertu de la Loi sur les terres territoriales afin de permettre qu'une étude soit faite sur les effets que pourrait avoir la prospection minière sur la faune, et en particulier sur le caribou qui subvenait aux besoins d'une grande partie de la population régionale. Les demandeurs, le Ministre défendeur et ses fonctionnaires ne se sont pas mis d'accord sur la marche à suivre. Le retrait à l'aliénation devait prendre fin le 24 avril 1978, et dès l'expiration du délai de retrait on a prescrit l'émission d'un certain nombre de permis de prospection. La question cruciale, c'est l'effet de la délivrance de permis de prospection et d'utilisation des terres ainsi que de l'octroi de concessions minières sur le nombre de caribous abattus par les chasseurs Inuit.
Arrêt: la demande est accueillie en partie. Il y a une question sérieuse à trancher, et, si l'on considère tous ses aspects, le dommage causé aux demandeurs dans le cas le droit à une injonction permanente serait établi au procès pourrait ne pas être adéquatement réparé par l'octroi de dommages-intérêts. Les défendeurs eux-mêmes ne subiront aucun préjudice si une injonction provisoire était accordée et quant aux compagnies minières, si elles subissaient un préjudice il pourrait facilement se mesurer en termes de dommages-intérêts, peut importe la question de savoir si les demandeurs auraient les moyens de les payer. La balance penche nettement en faveur de l'octroi de l'injonction provisoire. Les éléments de preuve n'appuient pas l'octroi d'une injonction aussi large que celle recherchée. Les permis ne seront valables que dans un certain rayon des princi- paux gués identifiés ainsi que des lieux identifiés de mise bas et
des régions fréquentées immédiatement après la mise bas, et ce, durant une certaine période de temps. Les hélicoptères et les aéronefs à vol bas sont prohibés au-dessus des zones prescrites. Les activités autorisées ne doivent pas aller au-delà de la prospection minière avant la tenue du procès.
Arrêt examiné: American Cyanamid Co. c. Ethicon Ltd. [1975] A.C. 396.
DEMANDE. AVOCATS:
A. E. Golden et D. Estrin pour les demandeurs.
G. W. Ainslie, c.r., L. P. Chambers et D. T. Sgayias pour les défendeurs.
PROCUREURS:
Golden, Levinson, Toronto, pour les deman- deurs.
Le sous-procureur général du Canada pour les défendeurs.
Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance rendus par
LE JUGE MAHONEY: Les demandeurs sollicitent une injonction interlocutoire interdisant la déli- vrance de permis de prospection, l'octroi de con cessions minières et l'enregistrement de claims se réclamant du Règlement sur l'exploitation minière au Canada', ainsi que la délivrance de permis aux termes du Règlement sur l'utilisation des terres territoriales 2 portant sur l'exploitation minière et les activités connexes dans la zone étudiée de Baker Lake (ci-après appelée «la zone»). Cette dernière, qui embrasse environ 70,000 kilomètres carrés entourant Baker Lake (Territoires du Nord- Ouest), est définie à l'annexe du décret C.P. 1977- 1153, laquelle disposition a soustrait la zone à l'aliénation prévue par la Loi sur les terres territo- riales 3 . Le décret en question, édicté en vertu de l'article 19 de la Loi, avait prévu que la zone serait soustraite à l'aliénation jusqu'au ler mars 1978, terme qui a été repoussé au Zef avril 1978 par C.P. 1978-510 au 14 avril 1978 par C.P. 1978-944 et au 24 avril 1978 par C.P. 1978-1199. Le Règlement sur les permis de prospection à Baker Lake 4 a
' C.P. 1977-3149, DORS/77-900.
2 C.P. 1977-532, DORS/77-210.
3 S.R.C. 1970, c. T-6.
4 C.P. 1978-945, DORS/78-305.
prescrit l'émission d'un certain nombre de permis dès l'expiration du délai de soustraction et la cons titution d'équipes de prospection à Churchill (Manitoba) pour la phase d'exécution. Si les pros- pecteurs n'avaient pu rejoindre la zone en quelques jours, la possibilité de prospecter aurait été perdue pour l'été suivant.
On avait résolu de soustraire la zone à l'aliéna- tion prévue, en raison de préoccupations concer- nant l'effet de la prospection minière sur la faune, en particulier sur le caribou, qui s'y trouve; on craignait de nuire aux activités de chasseurs et de trappeurs des Inuit de Baker Lake, lieu vivent maintenant quelque 130 familles Inuit se livrant auxdites activités. On a étudié la situation pendant la période d'arrêt de l'aliénation et grâce aux diverses extensions de cette période, on a pu établir des consultations sur les résultats de l'étude avec les demandeurs, d'une part, et avec le Ministre défendeur ainsi que ses fonctionnaires, d'autre parts. Ils n'ont pu se mettre d'accord sur la marche à suivre; l'exposé de la présente demande a été produit le 17 avril 1978 et l'action introduite le jour suivant. L'audition des témoignages s'impo- sait. Quatre des demandeurs, Barnabus Peryouar, Matthew Kunungnat, William Noah et Lucy Tun- guaq ont déposé par le truchement d'un interprète. Trois experts, Robert J. Williamson, anthropolo- giste, Dr Milton M. R. Freeman, écologiste et le Dr Peter J. Usher, géographe, ont été cités par les demandeurs, ainsi que William Tagoona et Dou- gald Brown, actuellement employés de l'un des demandeurs, Inuit Tapirisat of Canada, à Ottawa. Dr Maurice J. Ruel, directeur de la Protection de l'environnement et des ressources renouvelables du Nord, du ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien, a témoigné pour les défendeurs. En outre, les demandeurs ont produit l'affidavit de William Noah à l'appui de la demande d'audition des dépositions orales. Les défendeurs ont produit des affidavits de John B. Kemper, John M. Patter- son et E. M. R. Cotterill, tous fonctionnaires du Ministère.
5 L'étude intitulée «Effects of Exploration and Development in the Baker Lake Area», préparée en février 1978 pour le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien par Interdisciplinary Systems de Winnipeg (Manitoba) a été dépo- sée en preuve. Elle sera ci-après appelée «l'étude sur Baker Lake».
Les défendeurs ont admis, aux fins de la pré- sente demande, la plupart des allégations de fait figurant à l'exposé introductif d'instance. Ils se réservent le droit de changer de position à des étapes ultérieures du procès, quant à tous les faits admis par eux. L'affidavit en question plus haut et les témoignages oraux ne contredisent aucun point d'importance et en définitive, aux fins de l'action, le litige porte en fait sur la nature et l'étendue des effets de l'exploration minière sur le caribou, non pas sur le point de savoir si quelque effet en découle inévitablement. Bien entendu, ce sont les activités qui suivront la délivrance des permis ou des concessions minières et l'enregistrement des claims qui intéressent les demandeurs, et non la délivrance et l'enregistrement en tant que tels; et j'ai sans cesse pensé, en évaluant les arguments des défendeurs, aux intérêts de ceux qui sont sur le qui-vive à Churchill (Manitoba) ainsi qu'à l'intérêt général.
La présente action vise à faire valoir les droits des aborigènes. Les faits allégués soulèvent une question sérieuse qui doit être tranchée. Si les Inuit sont réellement en droit de continuer de jouir des terres utilisées par eux et leurs ancêtres depuis des temps immémoriaux, il est difficile d'admettre que cette jouissance n'englobe pas, dans quelque mesure, leurs activités de chasse et de pêche aux dépens de la faune indigène 6 . Dans le cas des Inuit de Baker Lake qui n'ont pas accès aux mammifè- res marins, ces activités concernent principalement le caribou. L'étude sur Baker Lake indique, en ces termes économiques, que ce gibier a fourni plus de 30 pour 100 de leur revenu réel de 1977 aux familles de Baker Lake et plus de 42 pour 100 de ce même revenu aux chefs de famille; les chiffres correspondants résultant de la fourrure, de la chasse et de la pêche en représentent respective- ment au total 44 pour 100 et 54 pour 100. Mani- festement, l'Inuit de Baker Lake, tant psychologi- quement que physiologiquement, montre une dépendance exceptionnelle à l'égard de la chasse au caribou et de son tableau de chasse. Bien qu'une part notable de la preuve produite par les demandeurs illustre ce point, il est inutile d'y revenir. L'existence d'une relation spéciale entre
6 Voir Calder c. Le Procureur Général de la Colombie-Bri- tannique [1973] R.C.S. 313, en particulier le juge Judson à la page 328.
l'Inuit et le caribou est incontestée et, en vérité, aux fins de la présente demande, elle est admise.
Les revenus tirés des animaux sauvages autres que le caribou (poisson, oie et renard polaire) sont évoqués dans la demande et dans l'étude sur Baker Lake; mais ils n'ont donné lieu à aucun développe- ment dans la preuve ou les plaidoiries. Je propose de les passer sous silence désormais, et je conclus que la preuve ne justifie pas qu'une ordonnance provisoire soit rendue à leur égard. La question cruciale, c'est l'effet que la délivrance de permis d'exploration et d'utilisation des terres ainsi que l'octroi de concessions minières auraient sur le nombre de caribous abattus par les chasseurs Inuit.
Le caribou a la vue très faible, mais l'ouïe et l'odorat très développés. Habituellement il n'a pas peur de l'homme; il s'approche des zones d'activité humaine et même les traverse sans effet nocif en l'absence d'agression de la part de l'homme. Cependant, il est très impressionnable pendant la mise bas et immédiatement après. La survie du caribou en tant qu'espèce est précaire et l'environ- nement physique des plus défavorables. Toute per turbation apportée au cycle naturel peut avoir de fâcheuses conséquences. Pendant la mise bas et immédiatement après, de telles perturbations peu- vent entraîner soit des naissances prématurées, soit une rupture de la relation femelle-petit qui peut à son tour provoquer la mort du petit, un retard ou un détour des animaux adultes dans leur migra tion, ainsi qu'une sérieuse possibilité d'imprépara- tion à l'hivernage. L'étude sur Baker Lake a iden- tifié les territoires le caribou met bas dans la zone et les lieux il paît habituellement après la mise bas.
Dans leurs migrations, les troupeaux de caribous sont en général largement dispersés à travers la zone. Toutefois, ils tendent à se concentrer près d'un certain nombre de gués traditionnels. Ces points de passage ont été également identifiés par l'étude sur Baker Lake.
La prospection minière utilise sur une grande échelle des hélicoptères et d'autres aéronefs à vol bas, le forage et le dynamitage, tous facteurs constituant, selon l'étude, de graves perturbations de brève durée pour le caribou. Quant aux activités qui suivront vraisemblablement l'octroi d'une con-
cession minière, toutes les perturbations devien- nent de longue durée; les routes permanentes et les aéronefs à vol bas sont qualifiés par l'étude de perturbations de considérable gravité. Le camp et les installations mêmes sont considérés comme de gravité moyenne; cependant, si en général le cari bou n'a pas peur de l'homme, la preuve montre que l'inverse n'est pas toujours vrai, du moins pour l'homme blanc qui parfois semble craindre pour lui-même, les installations et le matériel les ras- semblements de caribous en migration, et qui réagit avec agressivité.
Il existe principalement deux populations de caribous qui mettent bas dans la zoné: les Kaminu- riak et les Beverly, qui atteignent respectivement un total estimatif de 40,000 et 124,000 animaux. Une troisième population est arrivée récemment pour y hiverner. Les Beverly se maintiennent en nombre, tandis que les Kaminuriak déclinent à un taux qui donne à penser qu'ils pourraient disparaî- tre en une décennie. Des prospections antérieures à 1977 ont été autorisées au travers de deux des principaux gués traditionnels des caribous Kami- nuriak. Selon les défendeurs, les loups et une chasse excessive seraient les principaux responsa- bles du déclin de ces animaux, mais les tableaux de chasse déposés en preuve n'appuient pas l'hypo- thèse d'un excès de cette dernière . activité. La prépondérance des preuves mène à la conclusion que la prospection et l'exploitation minière sont incompatibles avec l'usage naturel par les caribous de leur habitat aux périodes et aux lieux ils sont particulièrement vulnérables, ainsi qu'aux endroits ils se rassemblent en grand nombre.
Jusqu'à une époque récente, les tribunaux saisis d'une demande d'injonction interlocutoire exi- geaient habituellement du demandeur qu'il éta- blisse une forte présomption ou la probabilité que l'injonction serait accordée par l'instruction de l'action. Cette ligne de conduite a été désapprou- vée par la Chambre des Lords dans American Cyanamid Co. c. Ethicon Ltd. 7
[TRADUCTION] A mon avis, Votre Seigneurie devrait saisir l'occasion de déclarer qu'une telle règle est inexistante. Des expressions comme «une probabilité», «une présomption» ou «une forte présomption», employées relativement à l'exercice du pouvoir discrétionnaire d'accorder une injonction interlocutoire, créent de la confusion quant à l'objet de ce recours temporaire. Sans doute, le tribunal doit être convaincu que la demande n'est
7 [1975] A.C. 396, lord Diplock aux pages 407 et suiv.
ni futile ni vexatoire, ou, en d'autres termes, que la question à trancher est sérieuse.
Ainsi, à moins que le dossier soumis au tribunal à l'audition d'une demande d'injonction interlocutoire ne révèle que le demandeur n'a aucune chance de voir accueillir sa demande d'injonction permanente au procès, le tribunal doit poursuivre son examen pour déterminer s'il convient davantage d'accorder ou de refuser le recours interlocutoire recherché.
A ce propos, le principe applicable est que le tribunal doit d'abord considérer si, au cas le demandeur aurait gain de cause au procès et établirait son droit à une injonction perma- nente, des dommages-intérêts adéquats lui seraient alloués pour la perte subie par lui du fait de la continuation par le défen- deur, entre la date de la demande et celle du procès, de l'activité qu'on cherchait à interdire. Si des dommages-intérêts, dans la mesure ils sont recouvrables en common law, constituaient un redressement approprié, et si le défendeur avait les moyens de les verser, on devrait normalement refuser l'injonction interlocutoire, quelque forte que puisse paraître la réclamation du demandeur à ce stade. Si, d'autre part, des dommages-intérêts ne constituaient pas un redressement appro- prié pour le demandeur qui aurait eu gain de cause au procès, le tribunal doit alors considérer si, dans cette hypothèse contraire le défendeur aurait réussi à faire reconnaître son droit de continuer à faire ce qu'on veut lui interdire, son indemnisation serait appropriée, en vertu de l'action du demandeur relative- ment aux dommages, pour la perte subie pendant qu'on l'empê- chait de poursuivre ses activités entre la date de la demande et celle du procès. Si des dommages-intérêts, dans la mesure ils sont recouvrables en vertu de l'action précitée, constituaient un redressement adéquat et si le demandeur avait les moyens de les verser, le tribunal ne devrait pas sur ce fondement refuser une injonction interlocutoire.
C'est quand il n'est pas certain que soient suffisants les dommages-intérêts recouvrables par l'une ou l'autre des parties, ou par les deux, qu'il faut rechercher la décision comportant le plus d'incidences favorables. Il serait peu sage de s'arrêter à tous les éléments variés qui pourraient demander à être pris en considération, au moment du choix de la décision la plus convenable, sans parler même du poids relatif à accorder à chacun de ces éléments. En la matière chaque cas est un cas d'espèce.
Si les autres facteurs semblent bien s'équilibrer, il sera prudent d'adopter les mesures propres à maintenir le statu quo. Si l'on enjoint au défendeur de cesser temporairement de faire quelque chose qu'il n'avait pas fait auparavant, le seul effet de l'injonction interlocutoire, s'il gagne son procès, est de reculer la date il peut entreprendre une activité qu'il n'avait pas jusque-là jugée nécessaire; tandis que le fait d'interrompre l'exploitation d'une entreprise établie lui causera beaucoup plus d'inconvénients, car il devra la rétablir s'il gagne son procès.
Ce point de vue s'impose à moi, comme il s'est imposé à la Cour suprême 8 et à la Cour de divi sions de l'Ontario, ainsi que, semble-t-il, à la Cour suprême de l'Alberta et à la Cour d'appel de la Nouvelle-Écosse".
Il y a une question sérieuse à trancher, et, si l'on considère tous ses aspects, le dommage causé aux demandeurs dans le cas le droit à une injonction permanente serait établi au procès pourrait ne pas être adéquatement réparé par l'octroi de domma- ges-intérêts. Je ne vois pas quel préjudice subi- raient les défendeurs eux-mêmes si une injonction provisoire était accordée. Quant aux compagnies minières, leur préjudice pourrait facilement se mesurer en termes de dommages-intérêts, bien qu'en l'espèce on puisse se demander si une telle action en recouvrement contre les demandeurs pourrait être accueillie et, si elle l'était, si ces derniers auraient les moyens de payer. Il est dou- teux que puissent être suffisants les dommages- intérêts respectifs pouvant être obtenus par les parties lésées du fait de l'émission d'une injonction provisoire, et par les parties lésées du fait du refus d'accorder une telle injonction. Selon moi, il faut aborder le problème comme si les compagnies minières étaient parties à l'action. Je conclus sans hésiter que la balance penche nettement en faveur de l'octroi de l'injonction provisoire. Les minéraux, s'il s'en trouve là-bas, y demeureront; le caribou, qui s'y trouve actuellement, peut disparaître.
Ceci dit, les éléments de preuve n'appuient pas l'octroi d'une injonction aussi large que celle recherchée. Dr Ruel a déclaré dans sa déposition que l'ingénieur défendeur se proposait, en vertu d'un principe établi par l'article 31 du Règlement sur l'utilisation des terres territoriales, de mettre certaines conditions à la délivrance de permis dans la zone considérée. Ces conditions, qui correspon dent aux recommandations de l'étude sur Baker Lake, invalideraient les permis dans un rayon de 4.8 kilomètres des principaux gués identifiés ainsi que des lieux identifiés de mise bas entre le 15 mai et le 30 juin et des régions fréquentées immédiate- ment après la mise bas durant le mois de juillet de
8 Labelle c. Ottawa Real Estate Board (1977) 16 O.R. (2e) 502.
9 Yule Inc. c. Atlantic Pizza Delight Franchise (1968) Ltd. (1977) 17 O.R. (2e) 505.
10 Abouna c. Foothills Provincial General Hospital Board
(1976) 65 D.L.R. (3e) 337.
" Aspotogan Ltd. c. Lawrence (1976) 14 N.S.R. (21 501.
toute année. Je suis convaincu que ces conditions assureraient, somme toute, la protection nécessaire jusqu'au jugement de l'action. Il appert, cepen- dant, qu'il existe des anomalies et des lacunes.
Les demandeurs ont droit à une protection qui tire ses effets juridiques de quelque chose de plus substantiel qu'une déclaration de principe. Cette observation ne vise en rien la bonne foi et les intentions de l'ingénieur; mais les principes peu- vent changer dans des circonstances imprévues. Aucun élément de preuve ne permet de contester ou de justifier la distance de 4.8 kilomètres, et donc je l'admets. Cependant, si c'est bien la distance convenable, je ne puis comprendre pour- quoi on ne l'appliquerait pas aussi aux zones de mise bas et à celles fréquentées immédiatement après la mise bas, et pourquoi on n'interdirait pas les activités de prospection dans un tel rayon, aussi bien à l'extérieur desdites zones qu'à l'intérieur pendant les périodes prescrites. Certaines activités ne nécessitant pas de permis d'utilisation des terres sont autorisées par les permis d'exploration, et cependant le Règlement sur l'exploitation minière au Canada ne semble pas prévoir l'imposition des susdites conditions. Elles devraient s'appliquer aussi bien aux permis d'exploration qu'aux permis d'utilisation des terres. Une bonne part du préju- dice redouté peut provenir des hélicoptères et des aéronefs à vol bas; l'usage de ces appareils doit être prohibé au-dessus des zones prescrites. Finale- ment, je suis convaincu que les activités autorisées ne doivent pas aller au-delà de la prospection minière avant la tenue du procès.
En raison de l'urgence de l'affaire, l'injonction provisoire délivrée en vertu des motifs qui précè- dent produira ses effets à compter du 24 avril. J'espère que le délai de publication des motifs n'a pas constitué un inconvénient. Les dépens suivront l'issue de la cause.
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