T-1628-78
The Hamlet of Baker Lake, Baker Lake Hunters
and Trappers Association, Inuit Tapirisat of
Canada, Matthew Kunungnat, Simon Tookoome,
Harold Qarlitsaq, Paul Uta'naaq, Elizabeth
Alooq, Titus Alluq, Jonah Amitnak, Francis Kalu-
raq, John Killulark, Martha Tickie, Edwin Eve,
Norman Attungala, William Noah, Marion Pat-
tunguyaq, Silas Kenalogak, Gideon Kuuk, Ovid
Kinnowatner, Steven Niego, Matthew Innakatsik,
Alex Iglookyouak, Titus Niego, Debra Niego, Ste-
phen Kakimat, Thomas Anirngniq, Margaret
Amarook, James Ukpaqaq, Jimmy Taipanak,
Michael Amarook, Angela Krashudluaq, Margaret
Narkjanerk, John Narkjanerk, Elizabeth Tunnuq,
Marjorie Tarraq, Hanna Killulark, William K.
Scottie, Edwin Niego, Martha Talerook, Mary
Iksiktaaryuk, Barnabas Oosuaq, Nancy Sevoqa,
Janet Ikuutaq, Marjorie Tuttannuaq, Luke Tun-
gnaq, James Kingaq, Madge Kingaq, Lucy Tun-
guaq, Hattie Amitnak, Magdalene Ukpatiky, Wil-
liam Ukpatiku, Paul Ookowt, Louis Oklaga, H.
Avatituuq, Luk Arngna'naaq, Mary Kakimat,
Samson Arnauyok, Effie Arnaluak, Thomas Kaki-
mat, Mathew Nanauq, John Nukik, Bill Martee,
Martha Nukik, Silas Puturiraqtuq, David
Mannik, Thomas Iksiraq, Robert Inukpak, Joedee
Joedee, John Auaala, Hugh Tulurialik, Thomas
N. Mannik, Silas Qiynk, Barnabus Peryouar,
Betty Peryouar, Joan Scottie, Olive Innakatsik,
Sarah Amitnak, Alex Amitnak, Vera Auaala,
George Tataniq, Mary Tagoona, James Teriqa-
niak, John Iqsakituq, Silas Kalluk, Hannah Kuuk,
Hugh Ungungai, Celina Uta'naaq, Moses
Nagyugalik, Mary Iqaat, Louis Tapatai, Harold
Etegoyok, Sally Iglookyouak, Marjorie Aqigaaq,
Matthew Aqigaaq, Mona Qiyuaryuk, Winnie
Owingayak, Samson Quinangnaq, Elizabeth Qui-
nangnaq, Hattie Attutuvaa, Paul Attutuvaa,
Marion Anguhalluq, Luk Anguhalluq, Ruth Tulu-
rialik, Irene Kaluraq, Charlie Toolooktook,
Thomas Tapatai, Elizabeth Tapatai, B. Scottie,
Mary Kutticq, Jacob Marriq, Lucy Kownak, A.
Tagoona, Charles Tarraq, Vivien Joedee (Deman-
deurs)
c.
Le ministre des Affaires indiennes et du Nord
canadien, l'ingénieur nommé par le ministre des
Affaires indiennes et du Nord canadien conformé-
ment à l'article 4 du Règlement sur l'utilisation
des terres territoriales, DORS/77-210 modifié, le
directeur des ressources non renouvelables du
Nord, du ministère des Affaires indiennes et du
Nord canadien, le registraire minier et le regis-
traire minier adjoint du district minier de l'arcti-
que et de la baie d'Hudson, et le procureur général
du Canada (Défendeurs)
Division de première instance, le juge Mahoney—
Toronto, le 18 avril; Ottawa, le 27 avril 1978.
Pratique — Demande d'injonction interlocutoire pour inter-
dire la délivrance de permis d'exploitation minière dans la
zone étudiée de Baker Lake — Zone soustraite à l'aliénation
en vertu de la Loi sur les terres territoriales pour permettre
l'étude des effets de la prospection minière sur la faune —
Population régionale comptant largement sur la faune, et en
particulier sur le caribou — Accord non conclu sur la marche
à suivre à la suite de l'étude — Retrait à l'aliénation étant sur
le point de prendre fin et ordre donné de délivrer des permis
L'injonction interlocutoire devrait-elle être accordée avant que
le tribunal n'ait statué sur la demande d'injonction
permanente?
Les demandeurs sollicitent une injonction interlocutoire
interdisant la délivrance de permis de prospection, l'octroi de
concessions minières et l'enregistrement de claims se réclamant
du Règlement sur l'exploitation minière au Canada, ainsi que
la délivrance de permis aux termes du Règlement sur l'utilisa-
tion des terres territoriales portant sur l'exploitation minière et
les activités connexes dans la zone étudiée de Baker Lake. La
zone comprenant 70,000 kilomètres carrés avait été soustraite à
l'aliénation en vertu de la Loi sur les terres territoriales afin de
permettre qu'une étude soit faite sur les effets que pourrait
avoir la prospection minière sur la faune, et en particulier sur le
caribou qui subvenait aux besoins d'une grande partie de la
population régionale. Les demandeurs, le Ministre défendeur et
ses fonctionnaires ne se sont pas mis d'accord sur la marche à
suivre. Le retrait à l'aliénation devait prendre fin le 24 avril
1978, et dès l'expiration du délai de retrait on a prescrit
l'émission d'un certain nombre de permis de prospection. La
question cruciale, c'est l'effet de la délivrance de permis de
prospection et d'utilisation des terres ainsi que de l'octroi de
concessions minières sur le nombre de caribous abattus par les
chasseurs Inuit.
Arrêt: la demande est accueillie en partie. Il y a une question
sérieuse à trancher, et, si l'on considère tous ses aspects, le
dommage causé aux demandeurs dans le cas où le droit à une
injonction permanente serait établi au procès pourrait ne pas
être adéquatement réparé par l'octroi de dommages-intérêts.
Les défendeurs eux-mêmes ne subiront aucun préjudice si une
injonction provisoire était accordée et quant aux compagnies
minières, si elles subissaient un préjudice il pourrait facilement
se mesurer en termes de dommages-intérêts, peut importe la
question de savoir si les demandeurs auraient les moyens de les
payer. La balance penche nettement en faveur de l'octroi de
l'injonction provisoire. Les éléments de preuve n'appuient pas
l'octroi d'une injonction aussi large que celle recherchée. Les
permis ne seront valables que dans un certain rayon des princi-
paux gués identifiés ainsi que des lieux identifiés de mise bas et
des régions fréquentées immédiatement après la mise bas, et ce,
durant une certaine période de temps. Les hélicoptères et les
aéronefs à vol bas sont prohibés au-dessus des zones prescrites.
Les activités autorisées ne doivent pas aller au-delà de la
prospection minière avant la tenue du procès.
Arrêt examiné: American Cyanamid Co. c. Ethicon Ltd.
[1975] A.C. 396.
DEMANDE.
AVOCATS:
A. E. Golden et D. Estrin pour les
demandeurs.
G. W. Ainslie, c.r., L. P. Chambers et D. T.
Sgayias pour les défendeurs.
PROCUREURS:
Golden, Levinson, Toronto, pour les deman-
deurs.
Le sous-procureur général du Canada pour
les défendeurs.
Ce qui suit est la version française des motifs
de l'ordonnance rendus par
LE JUGE MAHONEY: Les demandeurs sollicitent
une injonction interlocutoire interdisant la déli-
vrance de permis de prospection, l'octroi de con
cessions minières et l'enregistrement de claims se
réclamant du Règlement sur l'exploitation minière
au Canada', ainsi que la délivrance de permis aux
termes du Règlement sur l'utilisation des terres
territoriales 2 portant sur l'exploitation minière et
les activités connexes dans la zone étudiée de
Baker Lake (ci-après appelée «la zone»). Cette
dernière, qui embrasse environ 70,000 kilomètres
carrés entourant Baker Lake (Territoires du Nord-
Ouest), est définie à l'annexe du décret C.P. 1977-
1153, laquelle disposition a soustrait la zone à
l'aliénation prévue par la Loi sur les terres territo-
riales 3 . Le décret en question, édicté en vertu de
l'article 19 de la Loi, avait prévu que la zone serait
soustraite à l'aliénation jusqu'au ler mars 1978,
terme qui a été repoussé au Zef avril 1978 par C.P.
1978-510 au 14 avril 1978 par C.P. 1978-944 et au
24 avril 1978 par C.P. 1978-1199. Le Règlement
sur les permis de prospection à Baker Lake 4 a
' C.P. 1977-3149, DORS/77-900.
2 C.P. 1977-532, DORS/77-210.
3 S.R.C. 1970, c. T-6.
4 C.P. 1978-945, DORS/78-305.
prescrit l'émission d'un certain nombre de permis
dès l'expiration du délai de soustraction et la cons
titution d'équipes de prospection à Churchill
(Manitoba) pour la phase d'exécution. Si les pros-
pecteurs n'avaient pu rejoindre la zone en quelques
jours, la possibilité de prospecter aurait été perdue
pour l'été suivant.
On avait résolu de soustraire la zone à l'aliéna-
tion prévue, en raison de préoccupations concer-
nant l'effet de la prospection minière sur la faune,
en particulier sur le caribou, qui s'y trouve; on
craignait de nuire aux activités de chasseurs et de
trappeurs des Inuit de Baker Lake, lieu où vivent
maintenant quelque 130 familles Inuit se livrant
auxdites activités. On a étudié la situation pendant
la période d'arrêt de l'aliénation et grâce aux
diverses extensions de cette période, on a pu établir
des consultations sur les résultats de l'étude avec
les demandeurs, d'une part, et avec le Ministre
défendeur ainsi que ses fonctionnaires, d'autre
parts. Ils n'ont pu se mettre d'accord sur la marche
à suivre; l'exposé de la présente demande a été
produit le 17 avril 1978 et l'action introduite le
jour suivant. L'audition des témoignages s'impo-
sait. Quatre des demandeurs, Barnabus Peryouar,
Matthew Kunungnat, William Noah et Lucy Tun-
guaq ont déposé par le truchement d'un interprète.
Trois experts, Robert J. Williamson, anthropolo-
giste, Dr Milton M. R. Freeman, écologiste et le
Dr Peter J. Usher, géographe, ont été cités par les
demandeurs, ainsi que William Tagoona et Dou-
gald Brown, actuellement employés de l'un des
demandeurs, Inuit Tapirisat of Canada, à Ottawa.
Dr Maurice J. Ruel, directeur de la Protection de
l'environnement et des ressources renouvelables du
Nord, du ministère des Affaires indiennes et du
Nord canadien, a témoigné pour les défendeurs.
En outre, les demandeurs ont produit l'affidavit de
William Noah à l'appui de la demande d'audition
des dépositions orales. Les défendeurs ont produit
des affidavits de John B. Kemper, John M. Patter-
son et E. M. R. Cotterill, tous fonctionnaires du
Ministère.
5 L'étude intitulée «Effects of Exploration and Development
in the Baker Lake Area», préparée en février 1978 pour le
ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien par
Interdisciplinary Systems de Winnipeg (Manitoba) a été dépo-
sée en preuve. Elle sera ci-après appelée «l'étude sur Baker
Lake».
Les défendeurs ont admis, aux fins de la pré-
sente demande, la plupart des allégations de fait
figurant à l'exposé introductif d'instance. Ils se
réservent le droit de changer de position à des
étapes ultérieures du procès, quant à tous les faits
admis par eux. L'affidavit en question plus haut et
les témoignages oraux ne contredisent aucun point
d'importance et en définitive, aux fins de l'action,
le litige porte en fait sur la nature et l'étendue des
effets de l'exploration minière sur le caribou, non
pas sur le point de savoir si quelque effet en
découle inévitablement. Bien entendu, ce sont les
activités qui suivront la délivrance des permis ou
des concessions minières et l'enregistrement des
claims qui intéressent les demandeurs, et non la
délivrance et l'enregistrement en tant que tels; et
j'ai sans cesse pensé, en évaluant les arguments des
défendeurs, aux intérêts de ceux qui sont sur le
qui-vive à Churchill (Manitoba) ainsi qu'à l'intérêt
général.
La présente action vise à faire valoir les droits
des aborigènes. Les faits allégués soulèvent une
question sérieuse qui doit être tranchée. Si les
Inuit sont réellement en droit de continuer de jouir
des terres utilisées par eux et leurs ancêtres depuis
des temps immémoriaux, il est difficile d'admettre
que cette jouissance n'englobe pas, dans quelque
mesure, leurs activités de chasse et de pêche aux
dépens de la faune indigène 6 . Dans le cas des Inuit
de Baker Lake qui n'ont pas accès aux mammifè-
res marins, ces activités concernent principalement
le caribou. L'étude sur Baker Lake indique, en ces
termes économiques, que ce gibier a fourni plus de
30 pour 100 de leur revenu réel de 1977 aux
familles de Baker Lake et plus de 42 pour 100 de
ce même revenu aux chefs de famille; les chiffres
correspondants résultant de la fourrure, de la
chasse et de la pêche en représentent respective-
ment au total 44 pour 100 et 54 pour 100. Mani-
festement, l'Inuit de Baker Lake, tant psychologi-
quement que physiologiquement, montre une
dépendance exceptionnelle à l'égard de la chasse
au caribou et de son tableau de chasse. Bien
qu'une part notable de la preuve produite par les
demandeurs illustre ce point, il est inutile d'y
revenir. L'existence d'une relation spéciale entre
6 Voir Calder c. Le Procureur Général de la Colombie-Bri-
tannique [1973] R.C.S. 313, en particulier le juge Judson à la
page 328.
l'Inuit et le caribou est incontestée et, en vérité,
aux fins de la présente demande, elle est admise.
Les revenus tirés des animaux sauvages autres
que le caribou (poisson, oie et renard polaire) sont
évoqués dans la demande et dans l'étude sur Baker
Lake; mais ils n'ont donné lieu à aucun développe-
ment dans la preuve ou les plaidoiries. Je propose
de les passer sous silence désormais, et je conclus
que la preuve ne justifie pas qu'une ordonnance
provisoire soit rendue à leur égard. La question
cruciale, c'est l'effet que la délivrance de permis
d'exploration et d'utilisation des terres ainsi que
l'octroi de concessions minières auraient sur le
nombre de caribous abattus par les chasseurs
Inuit.
Le caribou a la vue très faible, mais l'ouïe et
l'odorat très développés. Habituellement il n'a pas
peur de l'homme; il s'approche des zones d'activité
humaine et même les traverse sans effet nocif en
l'absence d'agression de la part de l'homme.
Cependant, il est très impressionnable pendant la
mise bas et immédiatement après. La survie du
caribou en tant qu'espèce est précaire et l'environ-
nement physique des plus défavorables. Toute per
turbation apportée au cycle naturel peut avoir de
fâcheuses conséquences. Pendant la mise bas et
immédiatement après, de telles perturbations peu-
vent entraîner soit des naissances prématurées, soit
une rupture de la relation femelle-petit qui peut à
son tour provoquer la mort du petit, un retard ou
un détour des animaux adultes dans leur migra
tion, ainsi qu'une sérieuse possibilité d'imprépara-
tion à l'hivernage. L'étude sur Baker Lake a iden-
tifié les territoires où le caribou met bas dans la
zone et les lieux où il paît habituellement après la
mise bas.
Dans leurs migrations, les troupeaux de caribous
sont en général largement dispersés à travers la
zone. Toutefois, ils tendent à se concentrer près
d'un certain nombre de gués traditionnels. Ces
points de passage ont été également identifiés par
l'étude sur Baker Lake.
La prospection minière utilise sur une grande
échelle des hélicoptères et d'autres aéronefs à vol
bas, le forage et le dynamitage, tous facteurs
constituant, selon l'étude, de graves perturbations
de brève durée pour le caribou. Quant aux activités
qui suivront vraisemblablement l'octroi d'une con-
cession minière, toutes les perturbations devien-
nent de longue durée; les routes permanentes et les
aéronefs à vol bas sont qualifiés par l'étude de
perturbations de considérable gravité. Le camp et
les installations mêmes sont considérés comme de
gravité moyenne; cependant, si en général le cari
bou n'a pas peur de l'homme, la preuve montre que
l'inverse n'est pas toujours vrai, du moins pour
l'homme blanc qui parfois semble craindre pour
lui-même, les installations et le matériel les ras-
semblements de caribous en migration, et qui
réagit avec agressivité.
Il existe principalement deux populations de
caribous qui mettent bas dans la zoné: les Kaminu-
riak et les Beverly, qui atteignent respectivement
un total estimatif de 40,000 et 124,000 animaux.
Une troisième population est arrivée récemment
pour y hiverner. Les Beverly se maintiennent en
nombre, tandis que les Kaminuriak déclinent à un
taux qui donne à penser qu'ils pourraient disparaî-
tre en une décennie. Des prospections antérieures à
1977 ont été autorisées au travers de deux des
principaux gués traditionnels des caribous Kami-
nuriak. Selon les défendeurs, les loups et une
chasse excessive seraient les principaux responsa-
bles du déclin de ces animaux, mais les tableaux de
chasse déposés en preuve n'appuient pas l'hypo-
thèse d'un excès de cette dernière . activité. La
prépondérance des preuves mène à la conclusion
que la prospection et l'exploitation minière sont
incompatibles avec l'usage naturel par les caribous
de leur habitat aux périodes et aux lieux où ils sont
particulièrement vulnérables, ainsi qu'aux endroits
où ils se rassemblent en grand nombre.
Jusqu'à une époque récente, les tribunaux saisis
d'une demande d'injonction interlocutoire exi-
geaient habituellement du demandeur qu'il éta-
blisse une forte présomption ou la probabilité que
l'injonction serait accordée par l'instruction de
l'action. Cette ligne de conduite a été désapprou-
vée par la Chambre des Lords dans American
Cyanamid Co. c. Ethicon Ltd. 7
[TRADUCTION] A mon avis, Votre Seigneurie devrait saisir
l'occasion de déclarer qu'une telle règle est inexistante. Des
expressions comme «une probabilité», «une présomption» ou
«une forte présomption», employées relativement à l'exercice du
pouvoir discrétionnaire d'accorder une injonction interlocutoire,
créent de la confusion quant à l'objet de ce recours temporaire.
Sans doute, le tribunal doit être convaincu que la demande n'est
7 [1975] A.C. 396, lord Diplock aux pages 407 et suiv.
ni futile ni vexatoire, ou, en d'autres termes, que la question à
trancher est sérieuse.
Ainsi, à moins que le dossier soumis au tribunal à l'audition
d'une demande d'injonction interlocutoire ne révèle que le
demandeur n'a aucune chance de voir accueillir sa demande
d'injonction permanente au procès, le tribunal doit poursuivre
son examen pour déterminer s'il convient davantage d'accorder
ou de refuser le recours interlocutoire recherché.
A ce propos, le principe applicable est que le tribunal doit
d'abord considérer si, au cas où le demandeur aurait gain de
cause au procès et établirait son droit à une injonction perma-
nente, des dommages-intérêts adéquats lui seraient alloués pour
la perte subie par lui du fait de la continuation par le défen-
deur, entre la date de la demande et celle du procès, de
l'activité qu'on cherchait à interdire. Si des dommages-intérêts,
dans la mesure où ils sont recouvrables en common law,
constituaient un redressement approprié, et si le défendeur
avait les moyens de les verser, on devrait normalement refuser
l'injonction interlocutoire, quelque forte que puisse paraître la
réclamation du demandeur à ce stade. Si, d'autre part, des
dommages-intérêts ne constituaient pas un redressement appro-
prié pour le demandeur qui aurait eu gain de cause au procès, le
tribunal doit alors considérer si, dans cette hypothèse contraire
où le défendeur aurait réussi à faire reconnaître son droit de
continuer à faire ce qu'on veut lui interdire, son indemnisation
serait appropriée, en vertu de l'action du demandeur relative-
ment aux dommages, pour la perte subie pendant qu'on l'empê-
chait de poursuivre ses activités entre la date de la demande et
celle du procès. Si des dommages-intérêts, dans la mesure où ils
sont recouvrables en vertu de l'action précitée, constituaient un
redressement adéquat et si le demandeur avait les moyens de
les verser, le tribunal ne devrait pas sur ce fondement refuser
une injonction interlocutoire.
C'est quand il n'est pas certain que soient suffisants les
dommages-intérêts recouvrables par l'une ou l'autre des parties,
ou par les deux, qu'il faut rechercher la décision comportant le
plus d'incidences favorables. Il serait peu sage de s'arrêter à
tous les éléments variés qui pourraient demander à être pris en
considération, au moment du choix de la décision la plus
convenable, sans parler même du poids relatif à accorder à
chacun de ces éléments. En la matière chaque cas est un cas
d'espèce.
Si les autres facteurs semblent bien s'équilibrer, il sera
prudent d'adopter les mesures propres à maintenir le statu quo.
Si l'on enjoint au défendeur de cesser temporairement de faire
quelque chose qu'il n'avait pas fait auparavant, le seul effet de
l'injonction interlocutoire, s'il gagne son procès, est de reculer
la date où il peut entreprendre une activité qu'il n'avait pas
jusque-là jugée nécessaire; tandis que le fait d'interrompre
l'exploitation d'une entreprise établie lui causera beaucoup plus
d'inconvénients, car il devra la rétablir s'il gagne son procès.
Ce point de vue s'impose à moi, comme il s'est
imposé à la Cour suprême 8 et à la Cour de divi
sions de l'Ontario, ainsi que, semble-t-il, à la Cour
suprême de l'Alberta 1° et à la Cour d'appel de la
Nouvelle-Écosse".
Il y a une question sérieuse à trancher, et, si l'on
considère tous ses aspects, le dommage causé aux
demandeurs dans le cas où le droit à une injonction
permanente serait établi au procès pourrait ne pas
être adéquatement réparé par l'octroi de domma-
ges-intérêts. Je ne vois pas quel préjudice subi-
raient les défendeurs eux-mêmes si une injonction
provisoire était accordée. Quant aux compagnies
minières, leur préjudice pourrait facilement se
mesurer en termes de dommages-intérêts, bien
qu'en l'espèce on puisse se demander si une telle
action en recouvrement contre les demandeurs
pourrait être accueillie et, si elle l'était, si ces
derniers auraient les moyens de payer. Il est dou-
teux que puissent être suffisants les dommages-
intérêts respectifs pouvant être obtenus par les
parties lésées du fait de l'émission d'une injonction
provisoire, et par les parties lésées du fait du refus
d'accorder une telle injonction. Selon moi, il faut
aborder le problème comme si les compagnies
minières étaient parties à l'action. Je conclus sans
hésiter que la balance penche nettement en faveur
de l'octroi de l'injonction provisoire. Les minéraux,
s'il s'en trouve là-bas, y demeureront; le caribou,
qui s'y trouve actuellement, peut disparaître.
Ceci dit, les éléments de preuve n'appuient pas
l'octroi d'une injonction aussi large que celle
recherchée. Dr Ruel a déclaré dans sa déposition
que l'ingénieur défendeur se proposait, en vertu
d'un principe établi par l'article 31 du Règlement
sur l'utilisation des terres territoriales, de mettre
certaines conditions à la délivrance de permis dans
la zone considérée. Ces conditions, qui correspon
dent aux recommandations de l'étude sur Baker
Lake, invalideraient les permis dans un rayon de
4.8 kilomètres des principaux gués identifiés ainsi
que des lieux identifiés de mise bas entre le 15 mai
et le 30 juin et des régions fréquentées immédiate-
ment après la mise bas durant le mois de juillet de
8 Labelle c. Ottawa Real Estate Board (1977) 16 O.R. (2e)
502.
9 Yule Inc. c. Atlantic Pizza Delight Franchise (1968) Ltd.
(1977) 17 O.R. (2e) 505.
10 Abouna c. Foothills Provincial General Hospital Board
(1976) 65 D.L.R. (3e) 337.
" Aspotogan Ltd. c. Lawrence (1976) 14 N.S.R. (21 501.
toute année. Je suis convaincu que ces conditions
assureraient, somme toute, la protection nécessaire
jusqu'au jugement de l'action. Il appert, cepen-
dant, qu'il existe des anomalies et des lacunes.
Les demandeurs ont droit à une protection qui
tire ses effets juridiques de quelque chose de plus
substantiel qu'une déclaration de principe. Cette
observation ne vise en rien la bonne foi et les
intentions de l'ingénieur; mais les principes peu-
vent changer dans des circonstances imprévues.
Aucun élément de preuve ne permet de contester
ou de justifier la distance de 4.8 kilomètres, et
donc je l'admets. Cependant, si c'est bien là la
distance convenable, je ne puis comprendre pour-
quoi on ne l'appliquerait pas aussi aux zones de
mise bas et à celles fréquentées immédiatement
après la mise bas, et pourquoi on n'interdirait pas
les activités de prospection dans un tel rayon, aussi
bien à l'extérieur desdites zones qu'à l'intérieur
pendant les périodes prescrites. Certaines activités
ne nécessitant pas de permis d'utilisation des terres
sont autorisées par les permis d'exploration, et
cependant le Règlement sur l'exploitation minière
au Canada ne semble pas prévoir l'imposition des
susdites conditions. Elles devraient s'appliquer
aussi bien aux permis d'exploration qu'aux permis
d'utilisation des terres. Une bonne part du préju-
dice redouté peut provenir des hélicoptères et des
aéronefs à vol bas; l'usage de ces appareils doit
être prohibé au-dessus des zones prescrites. Finale-
ment, je suis convaincu que les activités autorisées
ne doivent pas aller au-delà de la prospection
minière avant la tenue du procès.
En raison de l'urgence de l'affaire, l'injonction
provisoire délivrée en vertu des motifs qui précè-
dent produira ses effets à compter du 24 avril.
J'espère que le délai de publication des motifs n'a
pas constitué un inconvénient. Les dépens suivront
l'issue de la cause.
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