A-207-77
Marketing International Ltd. (Appelante)
c.
S.C. Johnson and Son, Limited et S.C. Johnson &
Son, Inc. (Intimées)
Cour d'appel, le juge en chef Jackett, les juges
Urie et Ryan—Ottawa, les 13, 14 et 17 février
1978.
Marques de commerce — Violation — «Passing off» et
caractère distinctif — Intimée canadienne usager inscrit de la
marque de commerce «OFF!», propriété de l'intimée américaine
— Produit commercialisé sous une marque de commerce
comme s'il s'agissait du produit de l'intimée canadienne —
Commercialisation par l'appelante d'un produit semblable au
Canada sous la marque de commerce «BUGG OFF» - L'appe-
lante s'est-elle livrée au «passing off„ au sens de l'art. 7b) de
la Loi sur les marques de commerce? — La marque de
commerce de l'intimée américaine est-elle distinctive au sens
de l'art. 18(1)b) et affecte-t-elle la qualité d'usager inscrit de
l'intimée canadienne? — Loi sur les marques de commerce,
S.R.C. 1970,. c. T-10, art. 7h), 18(1)b) et 49.
Il s'agit d'un appel et d'un appel incident interjetés contre un
jugement rendu par la Division de première instance dans une
action intentée pour contrefaçon d'une marque de commerce
enregistrée et violation de l'article 7b) de la Loi sur les
marques de commerce, et dans une demande reconventionnelle
en radiation de marques de commerce enregistrées, l'intimée
américaine, S.C. Johnson & Son, Inc., a été enregistrée en
vertu de la Loi sur les marques de commerce, comme proprié-
taire de la marque de commerce «OFF!» concernant un «insecti-
fuge à usage personnel» et l'intimée canadienne était enregis-
trée comme usager inscrit de cette marque de commerce.
L'intimée canadienne a commercialisé le produit sous la
marque de commerce comme s'il s'agissait de son propre pro-
duit. En 1975, l'appelante a commencé la commercialisation au
Canada, sous la marque de commerce •BUGG OFF», d'un insec-
tifuge. La Division de première instance a rejeté la demande
reconventionnelle de radiation de l'appelante, interdit à celle-ci
toute autre violation de la marque de commerce enregistrée de
l'intimée américaine et toute autre vente au Canada d'un
insectifuge associé à la marque de commerce (BUGG OFF»,
ordonné la livraison de tout texte publicitaire lié à ladite
marque de commerce, ordonné un renvoi en ce qui concerne les
dommages-intérêts ou les bénéfices, et accordé les dépens à
l'intimée américaine contre l'appelante. L'appel incident est
introduit «dans la mesure où le jugement n'a pas accordé de
redressement» à l'une ou l'autre des intimées en vertu de
l'article 7b) de la Loi sur les marques de commerce et où il n'a
pas accordé de redressement à l'intimée canadienne.
Arrêt: l'appel est accueilli. La marque de commerce n'était
pas «distinctive» au sens de l'article 18(1)b) au moment où la
demande reconventionnelle a été faite, et il n'y avait aucune
preuve que l'appelante avait pratiqué le «passing off» au sens de
l'article 7b). Les éléments de preuve en ce qui concerne l'article
7b) s'expliquent d'eux-mêmes. En ce qui a trait à la question du
caractère distinctif il y a lieu d'envisager deux possibilités, à
savoir ce qu'aurait été la situation si l'intimée canadienne avait
été un usager inscrit de la marque de commerce, et quel aurait
été le résultat dans le cas contraire. Aux termes de l'article
49(3), «L'emploi permis d'une marque de commerce a le même
effet, à toutes fins de la présente loi, qu'un emploi de cette
marque par le propriétaire inscrit». Cependant, ledit article ne
suppose pas expressément ou ne laisse pas implicitement suppo-
ser identiques l'effet véritable de l'emploi des marques de
commerce par l'usager sous son propre nom (lequel effet étant
d'habituer le public à associer les marques en question avec les
marchandises de l'usager) et l'effet de l'emploi desdites mar-
ques par leur propriétaire sous son propre nom (l'effet étant
d'habituer le public à associer les marques en question avec les
marchandises du propriétaire). Le commencement de l'emploi
peut se faire par un usager inscrit, conformément aux articles
39(2) et 49(2). Cependant, il ne s'ensuit pas que le législateur,
sans le dire expressément, a implicitement prévu, comme un
message au public, que des marchandises associées avec des
marques de commerce et provenant d'une personne agréée
comme usager desdites marques sont censées en droit être les
mêmes que des marchandises provenant du propriétaire desdi-
tes marques. L'article 49 n'autorise pas un usager inscrit à
employer, en association avec des marchandises, à la fois la
marque de commerce et son nom comme fabricant, de manière
à communiquer au public un message directement en contradic
tion avec l'enregistrement. En dépit des caractéristiques possi
bles de «l'emploi permis» en vertu de l'article 49, celui-ci n'a pas
pour effet de considérer les activités de l'intimée canadienne
comme ayant pour résultat de faire de cette marque de com
merce une marque permettant de «distinguer véritablement» les
marchandises de l'intimée américaine de celles d'autres person-
nes. Il est donc évident que la marque de commerce «oFF!» n'est
pas valable en vertu de l'article 18(1)b) de la Loi sur les
marques de commerce.
Le juge Urie souscrivant: La preuve révélant les circons-
tances de l'espèce montre que le juge de première instance avait
évidemment tort en concluant que les marques créaient de la
confusion. L'intimée américaine a la charge d'établir que l'ap-
pelante «n'a pas le droit» d'employer «BUGG OFF en association
avec ses marchandises et qu'en outre la marque «BUGG OFF»
employée avec la marchandise crée de la confusion ou cause de
la confusion avec les marchandises de l'intimée américaine.
Toutefois, il faut remarquer, même si cela ne constitue pas un
élément important, que l'intimée n'a établi aucune preuve de
confusion véritable entre les deux marques sur le marché.
L'intimée américaine ne s'est donc pas acquittée de l'obligation
à elle imposée par l'article 20, d'établir que la marque «BUGG
OFF» a créé de la confusion avec la marque «OFF!».
APPEL.
AVOCATS:
G. Henderson, c.r., et K. Plumley pour
l'appelante.
J. Kokonis, c.r., pour les intimées.
PROCUREURS:
Gowling & Henderson, Ottawa, pour l'appe-
lante.
Smart & Biggar, Ottawa, pour les intimées.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement prononcés à l'audience par
LE JUGE EN CHEF JACKETT: Il s'agit d'un appel
et d'un appel incident interjetés contre un juge-
ment rendu par la Division de première instance
dans, une action intentée pour contrefaçon d'une
marque de commerce enregistrée et violation de
l'article 7b) de la Loi sur les marques de com
merce, S.R.C. 1970, c. T-10, et dans une demande
reconventionnelle en radiation de marques de com
merce enregistrées.
Les parties sont: la première intimée, ci-après
appelée l'intimée canadienne, la seconde intimée,
ci-après appelée l'intimée américaine, et l'appe-
lante. L'intimée canadienne est une filiale possédée
en propriété exclusive par l'intimée américaine.
En 1957, l'intimée américaine a été enregistrée,
en vertu de la Loi sur les marques de commerce,
comme propriétaire de la marque de commerce
«OFF!» concernant un [TRADUCTION] «insectifuge
à usage personnel» ét l'intimée canadienne était
enregistrée comme usager inscrit de cette marque
de commerce.
Entre 1957 et 1975, l'intimée canadienne ven-
dait au Canada des produits insectifuges présentés,
selon les périodes, en boîtes de produits liquides, en
pulvérisateur ou sous forme de mousse destinée à
enduire la peau de l'usager; elle présentait lesdits
produits sous le nom commercial «OFF!» et sous son
propre nom de fabricant, sans aucune référence à
l'intimée américaine comme propriétaire de la
marque de commerce; par les méthodes habituelles
de publicité et de distribution, elle devenait la plus
grande compagnie canadienne de fabrication et de
distribution d'insectifuges, et ses produits étaient
bien connus du public canadien sous la marque de
commerce précitée.
L'intimée américaine n'a jamais utilisé la
marque de commerce «OFF!» au Canada et n'a
jamais vendu d'insectifuges au Canada.
En 1975, l'appelante a commencé la commercia
lisation au Canada, sous la marque de commerce
«BUGG OFF», d'un insectifuge présenté sous forme
de paquets de petites serviettes imprégnées d'une
matière appropriée à frotter sur la peau de
l'usager.
En août 1975, les deux intimées ont intenté,
devant la Division de première instance, une action
contre l'appelante pour:
a) violation d'une marque de commerce enregis-
trée,
b) création, en appelant l'attention du public
sur ses produits insectifuges et son entreprise, de
confusion au Canada entre ses marchandises et
son entreprise, d'une part, et celles de l'intimée
canadienne, d'autre part et
c) passing off de ses produits pour ceux de
l'intimée canadienne,
et elles ont réclamé:
(i) des injonctions,
(ii) la remise des produits, et
(iii) des dommages-intérêts ou un décompte des
bénéfices.
Dans sa défense, l'appelante a, entre autres:
a) allégué que l'enregistrement de la marque de
commerce n'était pas valable;
b) dénié toute violation de marque de commerce
et dénié toutes allégations relatives à la création
de confusion et au passing off ou présentation
de ses produits comme étant ceux de la partie
adverse.
Par demande reconventionnelle, l'appelante a allé-
gué que l'enregistrement de la marque de com
merce n'était pas valable parce que:
a) le mot «OFF» est évidemment descriptif d'un
insectifuge, contrairement aux dispositions de
l'article 12(1)b) de la Loi sur les marques de
commerce et
b) le terme «OFF» n'est pas, et n'a pas été,
distinctif, contrairement aux dispositions de l'ar-
ticle 18(1)b) de la Loi sur les marques de
commerce,
et elle a demandé la radiation de ladite marque de
commerce.
Après audition, la Division de première instance
a, par jugement en date du 4 avril 1977:
a) rejeté la demande reconventionnelle de
radiation,
b) interdit à l'appelante toute autre violation de
la marque de commerce enregistrée de l'intimée
américaine, et toute autre vente au Canada d'un
insectifuge associé à la marque de commerce
«BUGG OFF»,
c) ordonné la livraison de tout texte publici-
taire, etc. lié à ladite marque de commerce,
d) ordonné un renvoi en ce qui concerne les
dommages-intérêts ou les bénéfices, et
e) accordé les dépens à l'intimée américaine
contre l'appelante.
L'appelante a interjeté appel contre ledit juge-
ment; et les deux intimées ont introduit des appels
incidents [TRADUCTION] «dans la mesure où le
jugement n'a pas accordé de redressement» à l'une
ou l'autre des intimées en vertu de l'article 7b) de
la Loi sur les marques de commerce et où il n'a
pas accordé de redressement à l'intimée cana-
dienne.'
J'ai conclu que l'appel devait être accueilli avec
dépens du procès de première instance et de l'appel
payables par les deux intimées à l'appelante, que le
jugement de la Division de première instance
devait être infirmé, que la marque de commerce
enregistrée devait être radiée et l'appel incident
rejeté avec dépens. Je suis arrivé à ces conclusions
pour les motifs suivants:
a) J'ai conclu qu'au moment où la demande
reconventionnelle avait été faite, la marque de
commerce n'était pas «distinctive» au sens de
l'article 18(1)b) de la Loi sur les marques de
commerce dont voici le libellé:
18. (1) L'enregistrement d'une marque de commerce est
invalide si
b) la marque de commerce n'est pas distinctive à l'époque où
sont entamées les procédures contestant la validité de l'enre-
gistrement; .. .
' Nonobstant la Règle 1203, les intimées ont déposé un
document censé [TRADUCTION] .faire appel ou appel incident»,
et un dossier séparé de la Cour a été établi pour l'appel
incident. Mais les deux actions ont été en fait traitées comme
une procédure unique. A mon avis, il faut rendre un seul
jugement sur l'appel,—et verser au dossier de l'appel incident
copie dudit jugement et de ses motifs.
lorsque ledit article est lu de concert avec la
définition de «distinctive» donnée dans l'article 2
de la Loi:
«distinctive», par rapport à une marque de commerce, désigne
une marque de commerce qui distingue véritablement les
marchandises ou services en liaison avec lesquels elle est
employée par son propriétaire, des marchandises ou servi
ces d'autres propriétaires, ou qui est adaptée à les distin-
guer ainsi;
et
b) J'ai conclu qu'il n'y avait aucune preuve à
l'appui de l'allégation voulant que l'appelante ait
appelé l'attention du public, au sens de l'article
7b) de la Loi sur les marques de commerce, sur
ses «marchandises» et son «entreprise» de
manière à causer ou susceptible de causer des
confusions au Canada entre ses «marchandises»
et «entreprise» et les «marchandises» et «entre-
prise» de l'intimée canadienne. 2
Prenant en considération ces deux conclusions, il
n'est pas nécessaire, à mon avis, d'examiner la
véracité des constatations du savant juge de pre-
mière instance sur d'autres matières par lui trai-
tées ou sur le fond d'autres matières plaidées
devant la Cour.
Me référant à l'article 7b), je ne crois pas
nécessaire d'examiner les preuves. Il s'agit, pour la
plupart, de preuves qui s'expliquent d'elles-mêmes.
Si l'on concluait, cependant, que, selon les preuves,
ce cas tombe dans la catégorie prévue par l'article
7b), je ferais observer que, tenant compte du rai-
sonnement sur lequel est fondée la décision Mac-
Donald c. Vapor Canada Limited 3 , la réclamation
qui y est faite aurait pu être rejetée au motif que
l'article 7b) est ultra vires. Comme nous n'avons
pas entièrement analysé cet aspect de la matière,
je serais enclin à offrir aux parties l'occasion d'une
discussion supplémentaire à cet égard, avant de
disposer de cette partie du litige sur ce fondement.
Je vais enfin étudier ma conclusion sur le carac-
tère distinctif, en distinguant entre deux parties.
Tout d'abord j'envisagerai ce qu'aurait été la si
tuation si l'intimée canadienne n'avait pas été un
2 On peut admettre comme argument défendable l'allégation
qu'une marque de commerce en a été confondue avec une autre
(voir article 6), mais rien dans la preuve ne permet d'alléguer
qu'il y ait eu passing off, que les marchandises ou l'entreprise
de l'appelante aient été présentées, intentionnellement ou non,
comme celles de l'intimée canadienne.
3 [1977] 2 R.C.S. 134.
usager inscrit de la marque de commerce. Puis je
verrai si le fait qu'elle l'a été a quelque effet sur le
résultat qui aurait été atteint autrement.
En ce qui concerne la première partie de l'argu-
mentation, voici les dispositions pertinentes de la
Loi sur les marques de commerce:
2. Dans la présente loi
«distinctive», par rapport à une marque de commerce, désigne
une marque de commerce qui distingue véritablement les
marchandises ou services en liaison avec lesquels elle est
employée par son propriétaire, des marchandises ou services
d'autres propriétaires, ou qui est adaptée à les distinguer
ainsi;
«marque de commerce» signifie
a) une marque qui est employée par une personne aux fins
ou en vue de distinguer des marchandises fabriquées, ven-
dues, données à bail ou louées ou des services loués ou
exécutés, par elle, de marchandises fabriquées, vendues, don-
nées à bail ou louées ou des services loués ou exécutés, par
d'autres,
b) une marque de certification,
c) un signe distinctif, ou
d) une marque de commerce projetée;
12. (1) Sous réserve de l'article 13, une marque de com
merce est enregistrable si elle ne constitue pas
18. (1) L'enregistrement d'une marque de commerce est
invalide si
b) la marque de commerce n'est pas distinctive à l'époque où
sont entamées les procédures contestant la validité de l'enre-
gistrement; ..
Les dispositions ci-dessus doivent être interprétées
à la lumière de l'article 19 qui confère à l'usager
inscrit un droit exclusif à l'emploi de la marque de
commerce enregistrée (comme telle), et à la
lumière de l'article 20 selon lequel ce droit est
censé violé par «une marque de commerce ...
créant de la confusion».
A mon avis, ces dispositions seules montrent
clairement que la marque de commerce «OFF!»
n'est pas «distinctive» parce que, compte tenu de la
manière dont la marque canadienne a été dévelop-
pée par l'intimée canadienne, la marque de com
merce en question «ne distingue pas véritablement»
les marchandises en liaison avec lesquelles elle est
employée par son propriétaire (l'intimée améri-
caine) des marchandises d'autres propriétaires
(dont l'intimée canadienne); et ladite marque
«m'est pas adaptée à les distinguer». Toutes les
preuves produites établissent avec évidence que la
marque «OFF!» laisse entendre au public canadien
que les marchandises commercialisées sous cette
marque proviennent de l'intimée canadienne et non
de l'intimée américaine. 4
A ce stade je dois dire qu'à mon avis, les disposi
tions de la Loi sur les marques de commerce que
j'ai citées établissent un système de protection des
marques de commerce comme moyen important
pour protéger les commerçants en général et le
public contre des hommes d'affaire malhonnêtes
qui «tromperaient» le public en abusant de la
bonne réputation des concurrents établis. La for-
mule consiste essentiellement à fournir une protec
tion juridique à la personne qui a fait naître une
situation où une certaine «marque» permet de dis-
tinguer entre ses marchandises et celles d'autres
personnes. Elle peut faire enregistrer cette marque,
et si elle l'a fait, elle a le droit d'être protégée
contre des violations. Cependant, et c'est là un
point essentiel de la formule, une personne n'a
droit à la protection de la marque que si celle-ci
permet de distinguer entre ses marchandises et
celles d'autres personnes.
Il y a des exceptions commercialement et juridi-
quement acceptables à cette application stricte des
principes. Par exemple, une marque de commerce
peut être transférée, dans des limites bien détermi-
nées. Cependant, même si les dispositions de l'arti-
cle 47 autorisant le transfert ne l'ont pas expressé-
ment dit, la validité de l'enregistrement d'une
marque de commerce après transfert dépend de
son caractère «distinctif» des marchandises du nou-
veau propriétaire. 5
A mon avis, l'emploi sur les marchandises, du mot «John-
son's» en référence, dit-on, à l'intimée américaine, ne change
rien à la matière dans la mesure où l'on se réfère clairement à
l'intimée canadienne par l'emploi de son nom sur toutes les
marchandises et dans toutes les publicités au Canada. Cepen-
dant, compte tenu de l'emploi de ce mot et de son renvoi allégué
à l'intimée américaine, la matière n'est pas améliorée du point
de vue de l'intimée. La conséquence serait alors que le public a
été habitué à associer la marque de commerce «OFF!» avec les
deux intimées et non avec le propriétaire de la marque de
commerce, qui est l'intimée américaine.
5 Voir Breck's Sporting Goods Co. Ltd. c. Magder [1976] I
R.C.S. 527 et Wilkinson Sword (Canada) Limited c. Juda
[1968] 2 R.C.É. 137.
Ici se pose la question de savoir si le nouveau
système permettant l'usage des marques de com
merce introduit en 1953 par l'article 49 de la Loi
sur les marques de commerce, permet à l'enregis-
trement d'une marque de commerce de rester
valide nonobstant l'article 18(1), même si au
moment où la validité est attaquée (aussi bien
qu'antérieurement) ladite marque «distingue véri-
tablement» les marchandises, en liaison avec les-
quelles elle est employée par son propriétaire, des
marchandises d'autres personnes (et est adaptée à
les distinguer), et si elle «[ne] distingue [pas]
véritablement» les marchandises, en liaison avec
lesquelles elle est employée par son propriétaire,
des marchandises d'autres personnes et n'est pas
adaptée pour ce faire.
La lecture de l'article 49 montre que celui-ci
n'exprime nulle part un changement aussi fonda-
mental dans la nature des marques de commerce,
telles que celles-ci sont définies dans la Loi, au cas
où il y a un usager inscrit. Il faut donc se deman-
der si cette conséquence doit être dérivée des dis
positions dudit article.
Voici les parties pertinentes de l'article 49:
49. (1) Une personne autre que le propriétaire d'une
marque de commerce déposée peut être inscrite comme usager
inscrit de ladite marque pour la totalité ou quelque partie des
marchandises ou services à l'égard desquels elle est inscrite.
(2) L'emploi d'une marque de commerce déposée, par un
usager inscrit de cette marque, selon les termes de son enregis-
trement à ce titre, en liaison avec les marchandises par lui
fabriquées, vendues, données à bail ou louées, ou avec les
services qu'il a loués ou exécutés, ou l'usage d'une marque de
commerce projetée, ainsi que le prévoit le paragraphe 39(2),
par une personne agréée comme usager inscrit de la marque, est
dans le présent article appelé «l'emploi permis».
(3) L'emploi permis d'une marque de commerce a le même
effet, à toutes fins de la présente loi, qu'un emploi de cette
marque par le propriétaire inscrit.
(5) Concurremment avec la production d'une demande d'en-
registrement d'une marque de commerce ou à toute époque
postérieure à sa production, une demande en vue de l'inscrip-
tion d'une personne comme usager inscrit de la marque de
commerce peut être faite par écrit au registraire par cette
personne et par le propriétaire de la marque, et les auteurs de
cette demande doivent fournir au registraire, par écrit,
a) les détails des relations, existantes ou projetées, entre eux,
y compris les indications du degré de contrôle que leurs
relations conféreront au propriétaire sur l'emploi permis;
b) un état déclaratif des marchandises ou services pour
lesquels l'enregistrement est projeté;
c) les détails de toute condition ou restriction projetée con-
cernant les caractéristiques des marchandises ou services, le
mode ou le lieu de l'emploi permis, ou toute autre matière;
d) des renseignements sur la durée prévue de l'emploi
permis; et
e) tels autres documents, renseignements ou preuve que le
registraire peut exiger.
(7) Le registraire peut agréer une personne à titre d'usager
inscrit de la marque de commerce pour l'une quelconque des
marchandises ou l'un quelconque des services projetés, avec les
conditions ou restrictions qu'il juge à propos, s'il est convaincu
que, dans toutes les circonstances, l'emploi de la marque de
commerce en liaison avec ces marchandises ou services, par
l'usager inscrit projeté, ne serait pas contraire à l'intérêt public.
Sans examiner pour le moment le renvoi à l'arti-
cle 39(2), fait dans l'article 49(2), j'interprète
l'article 49 comme organisant un système contrôlé
permettant l'emploi d'une marque de commerce
par des personnes autres que le propriétaire. Évi-
demment, le système vise des situations spéciales
qui le justifient sans faillir à la protection du
public qui est le but général de la Loi sur les
marques de commerce. Ainsi, dans le monde
moderne des affaires, certains groupes de compa-
gnies mènent sous un contrôle unique le même
genre d'affaires dans nombre de pays différents.
Au moins dans certains cas, lesdites compagnies
prennent leur origine dans le fait que, pour fournir
un genre particulier de produits ou de services à
d'autres pays, la compagnie initiale a décidé de ce
faire par l'intermédiaire de filiales employant des
noms commerciaux ou des marques de commerce
qu'elle a instaurés et fait connaître. Dans de
pareils cas, et probablement dans d'autres encore,
on peut permettre à des personnes morales autres
que celles qui ont créé et possédé les marques de
les utiliser, sans trahir le principe essentiel du rôle
des marques de commerce. En fait, ces filiales
peuvent fonctionner sous le contrôle de la compa-
gnie-mère comme si elles en étaient simplement
des services. Pour régler de pareils cas, et proba-
blement d'autres, le législateur a jugé sage d'ins-
taurer un régime contrôlé dans lequel l'emploi des
marques de commerce par celui qui y est autorisé
ne constituerait pas une violation du droit conféré
par l'article 19 et ne serait pas contraire aux
dispositions de l'article 20. Avec l'autorisation
donnée en vertu de la loi, l'usager aurait le droit,
par l'emploi des marques de commerce, de montrer
au monde que ses marchandises proviennent du
propriétaire desdites marques. 6
Aux termes de l'article 49(3) «L'emploi permis
d'une marque de commerce a le même effet, à
toutes fins de la présente loi, qu'un emploi de cette
marque par le propriétaire inscrit». Aux fins du
présent procès, la question consiste à déterminer si
ladite disposition non seulement permet l'emploi
des marques de commerce par celui qui y est
autorisé sans violation des droits du propriétaire,
mais aussi juge identiques l'effet véritable de l'em-
ploi des marques de commerce par l'usager sous
son propre nom (lequel effet étânt d'habituer le
public à associer les marques en question avec les
marchandises de l'usager) et l'effet de l'emploi
desdites marques par leur propriétaire sous son
propre nom (l'effet étant d'habituer le public à
associer les marques en question avec les marchan-
dises du propriétaire). A mon avis, il faut répondre
à cette question par la négative. La loi ne s'est pas
expressément prononcée sur ce point; et, à mon
avis, il ne faut pas interpréter les intentions du
Parlement comme modifiant complètement, par
inférence, et pour cette catégorie de cas, le carac-
tère des marques de commerce, en changeant des
marques distinguant les marchandises du proprié-
taire de celles d'autres personnes, en marques dis-
tinguant les marchandises de l'usager de celles
d'autres personnes.
Reste cependant la question que j'ai jusqu'ici
réservée et qui consiste à déterminer si les référen-
ces croisées entre l'article 39(2) et l'article 49(2)
nous amènent à une conclusion à laquelle je ne
serais pas autrement arrivé, ainsi que je l'ai
indiqué.
Cet aspect de la matière exige quelque renvoi à
une autre innovation de la loi de 1953 [Loi sur les
marques de commerce, S.C. 1952-53, c. 49]. Pour
autant que je comprenne les arguments de l'avo-
cat, le système d'enregistrement antérieur à 1953
concernait des marques de commerce ayant déjà
acquis, par l'usager ou autrement, la capacité de
6 L'emploi de la marque de commerce par le propriétaire
inscrit a pour effet de faire distinguer ses marchandises de
celles d'autres personnes, et l'article 49(3) prévoit que «l'emploi
permis» a «le même effet» à toutes fins de la Loi, «qu'un emploi
de cette marque par le propriétaire inscrit».
distinguer entre les marchandises du propriétaire
et celles d'autres personnes. La Loi de 1953 intro-
duit l'idée «[d']une marque qu'une personne pro-
jette d'employer aux fins ou en vue de distinguer
des marchandises fabriquées, ... par elle, de mar-
chandises fabriquées, ... par d'autres». Cependant,
lorsqu'une demande de marque de commerce sem-
blable est admise, le registraire ne l'enregistre que
sur réception d'une déclaration de commencement
d'emploi. Cette exigence est pertinente au présent
litige car le commencement d'emploi peut provenir
d'un usager inscrit, conformément aux articles
39(2) et 49(2).'
Je constate que le problème ainsi présenté est
très difficile. Par définition, une marque de com
merce permet de distinguer entre les marchandises
du propriétaire de la marque et celles d'autres
personnes. D'un autre côté, conformément aux
articles 39(2) et 49(2), l'intention initiale a été de
permettre l'emploi des marques par des personnes
agréées comme usagers inscrits. S'ensuit-il que le
législateur, sans le dire expressément, a implicite-
ment prévu, comme un message au public, que des
marchandises associées avec des marques de com
merce et provenant d'une personne agréée comme
usager desdites marques sont censées en droit être
les mêmes que des marchandises provenant du
propriétaire desdites marques?
Je ne trouve dans la loi aucune implication de ce
genre. Pour trouver la réponse au problème, il
faut, à mon avis, déterminer quelle sorte d'usager
est autorisée par l'article 49. Suivant mon interpré-
tation, ledit article n'autorise pas un usager inscrit
à employer, en association avec des marchandises,
à la fois la marque de commerce et son nom
comme fabricant, de manière à communiquer au
public un message directement en contradiction
7 Voici le libellé de l'article 39(2) de la Loi sur les marques
de commerce:
39. ...
(2) Lorsqu'une demande d'enregistrement d'une marque
de commerce projetée est admise, le registraire doit en
donner avis au requérant, et il doit enregistrer la marque de
commerce et émettre un certificat de son enregistrement
après avoir reçu une déclaration portant que le requérant, son
successeur en titre ou une personne agréée comme usager
inscrit en vertu du paragraphe 49(7), a commencé l'emploi
de la marque de commerce au Canada, en liaison avec les
marchandises ou services spécifiés dans la demande.
avec l'enregistrement, lequel montre que la
marque de commerce est employée afin de distin-
guer les marchandises du propriétaire de ladite
marque. A mon avis, il faut:
a) que la personne agréée comme usager de la
marque l'emploie sans aucune indication relative
au fabricant,
b) ou que ladite personne emploie la marque
avec indication du propriétaire de la marque
comme fabricant (auquel cas la présentation
erronée ne nuirait pas pourvu que les contrôles
envisagés dans l'article 49 soient appliqués de
façon appropriée)
c) ou que ladite personne emploie la marque
avec l'indication que celle-ci est employée par un
usager inscrit, et une indication du nom du
propriétaire de la marque de commerce,
ou quelque emploi semblable compatible avec l'en-
registrement de la marque de commerce.
Quelle que soit l'interprétation du terme «emploi
permis» en vertu de l'article 49, celui-ci n'a pas
pour effet, à mon avis, de considérer les activités
de l'intimée canadienne (lesquelles ont pour consé-
quence de faire de la marque de commerce «OFF!»
une marque permettant de «distinguer véritable-
ment» les marchandises de l'intimée canadienne de
celles d'autres personnes) comme ayant pour résul-
tat de faire de cette marque de commerce une
marque permettant de «distinguer véritablement»
entre les marchandises de l'intimée américaine et
celles d'autres personnes. Ceci étant, il appert
évidemment en l'espèce que l'enregistrement de la
marque de commerce «OFF!» n'est pas valable en
vertu de l'article 18(1)b) de la Loi sur les marques
de commerce.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement prononcés à l'audience par
LE JUGE URIE: Je souscris entièrement aux
conclusions du juge en chef et au raisonnement par
lequel il a atteint lesdites conclusions. Je voudrais
cependant avant de clore ce dossier examiner tout
d'abord, très brièvement, les prétentions des inti-
mées voulant que les marques de commerce «OFF!»
et «BUGG OFF» créent de la confusion au sens de
l'article 6(2) de la Loi sur les marques de
commerce. 8
Auparavant, toutefois, je dois signaler que le
savant juge de première instance a constaté que la
marque de commerce «OFF!» «ne décrit pas claire-
ment» la nature et la qualité des marchandises en
liaison avec lesquelles elle est employée, et je
souscris à cette constatation.
Il a, cependant, constaté aussi que les marques
en question se ressemblent au point de créer de la
confusion. Une telle conclusion exige que l'on
tienne compte de toutes les circonstances, y com-
pris celles énoncées à l'article 6(5) de la Loi 9 ,
parmi lesquelles le degré de ressemblance dans la
présentation ou le son ou dans les idées que lesdites
marques suggèrent ne sont pas les moindres. A
mon avis, l'abondance des preuves révélant les
circonstances de l'espèce montre que le juge de
première instance avait évidemment tort en con-
cluant que les marques créaient de la confusion.
8 6. ...
(2) L'emploi d'une marque de commerce crée de la confu
sion avec une autre marque de commerce lorsque l'emploi des
deux marques de commerce dans la même région serait suscep
tible de faire conclure que les marchandises en liaison avec ces
marques de commerce sont fabriquées, vendues, données à bail
ou louées, ou que les services en liaison avec lesdites marques
sont loués ou exécutés, par la même personne, que ces mar-
chandises ou ces services soient ou non de la même catégorie
générale.
9 6. ...
(5) En décidant si des marques de commerce ou des noms
commerciaux créent de la confusion, la cour ou le registraire,
selon le cas, doit tenir compte de toutes les circonstances de
l'espèce, y compris
a) le caractère distinctif inhérent des marques de commerce
ou noms commerciaux, et la mesure dans laquelle ils sont
devenus connus;
b) la période pendant laquelle les marques de commerce ou
noms commerciaux ont été en usage;
c) le genre de marchandises, services ou entreprises;
d) la nature du commerce; et
e) le degré de ressemblance entre les marques de commerce
ou les noms commerciaux dans la présentation ou le son, ou
dans les idées qu'ils suggèrent.
En vertu de l'article 20 de la Loi '°, l'intimée
américaine, en tant que propriétaire de la marque,
a la charge d'établir que l'appelante «n'a pas le
droit» d'employer «BUGG OFF» en association avec
ses marchandises et qu'en outre la marque «BUGG
OFF» employée avec la marchandise (tissu insecti-
fuge prétraité), «crée de la confusion» ou «cause de
la confusion» avec les marchandises de l'intimée
américaine (insectifuge sous forme de liquide, de
mousse ou de pulvérisateur, commercialisé sous la
marque «OFF!»).
Sans passer en revue les éléments de preuve
produits, il suffit de dire que ni une revue visuelle
des paquets, des étiquettes ou de la littérature
publicitaire de chacun des produits portant respec-
tivement ces marques, ni un examen auditif desdits
produits, ni le message ou les idées que ces der-
niers suggèrent, ne peuvent amener, à mon avis, à
quelque confusion que ce soit ou à l'inférence
envisagée à l'article 6(2). Je suis arrivé à cette
conclusion nonobstant le fait qu'il est bien connu
que les produits portant la marque de commerce
«OFF!» étaient largement distribués et vendus sur le
marché pendant 18 ans avant que la marque
«BUGG OFF» n'y apparût en 1975.
En outre, quel que soit le coefficient de pondéra-
tion que l'on puisse y attacher en se rappelant la
courte période de temps pendant laquelle les deux
produits se vendaient concurremment, et en
admettant qu'il ne s'agit pas, en tout cas, d'un
élément important, il faut remarquer qu'aucune
des deux intimées n'a établi une confusion vérita-
ble entre les deux marques sur le marché.
A mon avis, l'intimée américaine ne s'est donc
pas acquittée de l'obligation à elle imposée par
1 °20. Le droit du propriétaire d'une marque de commerce
déposée à l'emploi exclusif de cette dernière est censé violé par
une personne non admise à l'employer selon la présente loi et
qui vend, distribue ou annonce des marchandises ou services en
liaison avec une marque de commerce ou un nom commercial
créant de la confusion; mais aucun enregistrement d'une
marque de commerce ne doit empêcher une personne
a) d'utiliser de bonne foi son nom personnel comme nom
commercial, ni
b) d'employer de bonne foi, autrement qu'à titre de marque
de commerce,
(i) le nom géographique de son siège d'affaires, ou
(ii) toute description exacte du genre ou de la qualité de
ses marchandises ou services,
d'une manière non susceptible d'entraîner la diminution de la
valeur de la clientèle attachée à la marque de commerce.
l'article 20, d'établir que la marque «BUGG OFF» a
créé de la confusion avec la marque «OFF!».
Pour ces motifs, et pour ceux rendus par le juge
en chef, j'accueillerais l'appel.
* *
LE JUGE RYAN y a souscrit.
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