T-4100-77
Hillsdale Golf & Country Club Inc. (Requérante)
c.
La Reine (Intimée)
Division de première instance, le juge Walsh—
Montréal, le 18 décembre; Ottawa, le 22 décembre
1978.
Pratique — Dépens — Instance en expropriation — Dispo-
sitif accordant les dépens, y inclus les honoraires et débours
des experts et les frais des pièces — Rapport d'évaluation
préparé pour négocier l'indemnité à accorder pour un terrain
de golf exproprié — Abandon de l'expropriation cinq ans plus
tard sous réserve d'imposition d'une servitude perpétuelle
interdisant tout usage résidentiel de la propriété — Prépara-
tion d'un second rapport d'évaluation sur les conséquences
financières défavorables de l'expropriation et de la diminution
de valeur de la propriété causée par la servitude — Requête
pour directives ou pour une ordonnance qui enjoindrait paie-
ment d'une somme fixe et globale en lieu et place des frais —
Loi sur l'expropriation, S.R.C. 1970 (1 e ' Supp.), c. 16, art. 27
— Règle 344(7) de la Cour fédérale, Tarif A, art. 4(2), Tarif
B, art. 2(2).
Il s'agit en l'espèce d'une requête afin d'obtenir des directi
ves, concernant les dépens de cette instance en expropriation,
ou une ordonnance qui enjoindrait le paiement d'une somme
fixe et globale en lieu et place des frais. La propriété en cause,
un terrain de golf luxueux, fut expropriée pour la construction
de l'aéroport de Mirabel. La requérante, se préparant pour les
négociations relatives à l'indemnité à accorder, engagea des
frais importants dans un rapport d'évaluation détaillé et com-
plet. L'expropriation, après cinq ans de négociations, fut aban-
donnée sous réserve de l'imposition d'une servitude perpétuelle
interdisant tout usage de la propriété à des fins résidentielles.
Un nouveau rapport d'évaluation tout à fait différent devint
nécessaire pour évaluer les conséquences financières défavora-
bles des cinq ans d'expropriation et pour calculer la diminution
de valeur de la propriété causée par la servitude. Le jugement
éventuellement accorda $180,000 dont on devait déduire
$45,000 pour les taxes payées par la Couronne pendant les cinq
ans où le bien-fonds lui a appartenu par suite de l'expropria-
tion, et les «dépens incluant les frais et débours des experts et
ceux des pièces».
Arrêt: les frais d'experts de la requérante doivent être taxés.
Le dispositif est tout à fait clair et montre qu'on voulait que les
honoraires et débours des experts et le coût des pièces soient
inclus dans le mémoire de frais. Pour établir ce qui constitue
une somme raisonnable, l'officier taxateur doit prendre en
compte toutes les circonstances contextuelles. La directive
appropriée à donner est donc qu'alors qu'il ne serait pas
opportun de taxer le montant entier des deux rapports d'évalua-
tion à titre de dépens entre parties, payables par la défende-
resse, vu spécialement que la moitié du montant ne fut pas
directement utilisée en l'instance présente, une part substan-
tielle de celui-ci pourrait être considérée raisonnable, particuliè-
rement celle portant sur la procédure effectivement engagée. Le
dispositif n'a pas prévu le versement d'une somme globale et la
Cour ne peut maintenant le faire car cela équivaudrait à
modifier le dispositif. La Cour donne pour instruction, sans
chercher à rendre une ordonnance par laquelle elle établirait le
montant des dépens, que les sommes fort peu élevées et irréalis-
tes prévues par le tarif soient augmentées de façon à indemniser
en partie, mais non en tout, la demanderesse des débours faits
pour ses experts et des honoraires versés à son avocat en
l'instance.
Arrêt appliqué: Smerchanski c. Le ministre du Revenu
national [1979] 1 C.F. 801.
DEMANDE.
AVOCATS:
Pierre Pinard pour la requérante.
Gilles Fafard pour l'intimée.
PROCUREURS:
Viau, Bélanger, Hébert, Mailloux, Pinard,
Denault & Legault, Montréal, pour la
requérante.
de Grandpré, Colas, Amyot, Lesage, Deschè-
nes & Godin, Montréal, pour l'intimée.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE WALSH: Il s'agit en l'espèce d'une
requête afin d'obtenir des directives concernant les
dépens de l'instance ou une ordonnance qui enjoin-
drait le paiement d'une somme fixe et globale en
lieu et place des frais. La question de l'attribution
de sommes appropriées au lieu de frais taxés et la
procédure à suivre pour les attribuer est devenue
difficile et controversée; elle induit fréquemment
les avocats des parties en erreur vu l'existence, au
moins jusqu'à tout récemment, d'une jurispru
dence contradictoire. Dans l'affaire Aladdin
Industries Inc. c. Canadian Thermos Products
Limited'; le juge Kerr a accordé des sommes
substantiellement supérieures au tarif, lequel à
mon avis est irréaliste et dépassé par les normes
contemporaines, si ce n'est pour quelques espèces
relativement rares, dont la présente cour a à con-
naître, où les sommes impliquées et le temps et
l'effort dépensés sont minimes; dans le jugement
que j'ai rendu dans Crelinsten Fruit Company c.
Maritime Fruit Carriers Co. Ltd. [1976] 2 C.F.
316, dans lequel, quoique j'aie substantiellement
réduit les sommes réclamées, calculées selon un
I [1973] C.F. 942.
taux horaire, celles accordées furent quand même
considérablement supérieures au tarif. J'ai suivi la
même ligne directrice dans l'affaire Le Bureau de
fiducie de l'Église presbytérienne au Canada c. La
Reine, n°' du greffe T-908-74 [[1977] 2 C.F. 107]
et A-404-74, non publiée, datée du 2 décembre
1976, qui, contrairement aux deux autres causes
précitées, était une action en expropriation enga
gée, toutefois, sur le fondement de la nouvelle
Loi. 2 Dans l'affaire Crelinsten j'avais fait réfé-
rence à l'arrêt de la Cour d'appel: Crabbe c. Le
ministre des Transports 3 , de même qu'à l'affaire
Thermos et qu'à l'arrêt de la Cour d'appel Bour-
que c. La Commission de la Capitale nationale 4 ,
où le juge en chef Jackett, à la page 530, après
avoir référé au paragraphe 4(2) du tarif A et au
paragraphe 2(2) du tarif B des Règles de la Cour
fédérale, écrit, entre parenthèses:
(Il est vrai que cette disposition prévoit que la Cour donnera
des instructions dans un délai qui est expiré en l'espèce, mais
nous ne doutons pas que ce délai serait prolongé, dans les
circonstances de l'espèce, aux termes de la Règle 3c).)
On souleva aussi la question dans Benmar De
velopment Corporation c. La Reine, n° du greffe
T-935-71, une affaire d'expropriation semblable à
la présente espèce en ce qu'elle fut engagée sur le
fondement de l'ancienne Loi sur les expropria
tions, S.R.C. 1970, c. E-19 et qui, au lieu de porter
sur l'indemnité à accorder en cas d'expropriation,
traitait de celle résultant de l'abandon postérieur
de celle-ci par la Couronne. C'est moi qui ai rendu
jugement en cette affaire le 17 décembre 1971
accordant $265,000, avec intérêts, moins les
sommes déjà versées et concluant, simplement, en
disant: «le tout avec dépens». Finalement l'officier
taxateur procéda à la taxation des dépens, y
incluant les frais des experts (qui se trouvaient être
les mêmes qu'en l'espèce présente) pour un mon-
tant de $33,641.99, qui fut considéré comme un
débours, la taxation totale s'élevant à $36,066.99.
La défenderesse demanda la révision de la taxa
tion; le juge Addy ordonna alors l'ajournement
sine die de la révision demandant que de plus
amples détails soient fournis. Ceux-ci une fois
fournis, il y eut transaction entre les parties et
paiement, de consentement mutuel, d'une somme
de $27,687.19.
2 S.R.C. 1970 (1" Supp.), c. 16.
3 [1973] C.F. 1091.
4 [1972] C.F. 527.
Dans l'arrêt récent de la Cour d'appel intitulé
Smerchanski c. Le ministre du Revenu national 5 ,
le juge en chef Jackett, instruisant seul une
demande d'ordonnance relative à des dépens, exa-
mina attentivement tout l'aspect procédural de la
question et, dans une annexe, critiqua les décisions
prises dans les affaires (précitées) Crelinsten Fruit
et Thermos. Il faut considérer cet arrêt, avec celui
de l'affaire Crabbe (précitée) comme réglant défi-
nitivement la question de procédure et celle du
quantum. J'ai eu aussi l'avantage de lire le juge-
ment récent du juge en chef adjoint Thurlow dans
l'affaire Parsons c. La Reine, n° du greffe
T-463-77, où il conclut qu'il lui est difficile,
compte tenu de ce qu'il a devant lui, de penser
qu'une indemnité appropriée puisse être correcte-
ment évaluée si ce n'est qu'approximativement
mais où il reconnaît que les $35 prévus par le
paragraphe 4(1) du tarif A sont inadéquats en
l'espèce et que le paragraphe 4(2) devrait s'appli-
quer. Il ordonne alors, conformément à la Règle
344(7) et à l'alinéa 2(2)a) du tarif B, de taxer les
débours du témoin-expert en allouant un montant
raisonnable pour les services rendus, en se prépa-
rant à témoigner et en déposant effectivement au
procès, compte étant dûment tenu du montant des
dommages recouvrés, du fait qu'il ait été ou non
raisonnable dans les circonstances pour le témoin
de prendre le temps qu'il a pris pour se préparer à
rendre témoignage ainsi que du caractère raison-
nable du tarif demandé pour ce faire.
Voici le libellé de la Règle 344(7):
Règle 344... .
(7) Une partie peut
a) après le prononcé du jugement, dans le délai accordé par
la Règle 337(5) pour requérir la Cour d'examiner de nou-
veau le prononcé du jugement, ou
b) après que la Cour aura décidé du jugement à prononcer,
au moment où la requête pour l'obtention d'un jugement est
présentée,
que le jugement ait ou non réglé la question des dépens,
requérir la Cour de donner, au sujet des dépens, des directives
spéciales aux termes de la présente Règle, y compris une
directive visée au tarif B, et de statuer sur tout point relatif à
l'application de tout ou partie des dispositions de la Règle 346.
Une demande faite à la Cour d'appel en vertu du présent
paragraphe doit être faite devant le juge en chef ou un juge
désigné par lui, mais l'une ou l'autre partie peut demander à un
tribunal composé d'au moins 3 juges de la Cour d'examiner une
décision ainsi obtenue.
5 Supra, à la page 801.
Le paragraphe 4(2) du tarif A se lit comme suit:
4....
(2) Au lieu de faire un versement aux termes de l'article 3,
la partie peut verser à un témoin qui comparaît pour déposer en
qualité d'expert une somme raisonnable en compensation de ce
que le témoin a dû faire pour se préparer à déposer et. pour
déposer.
Voici le texte du paragraphe 2(2) du tarif B:
2. Les frais suivants peuvent être accordés, sauf instructions
contraires de la Cour:
(2) Débours:
a) tous les débours visés au tarif A peuvent être accordés;
toutefois, les paiements faits à un témoin aux termes du
paragraphe 4(2) ne peuvent être accordés que dans la
mesure où la Cour le permet en vertu de la Règle 344(7).
b) peuvent également être accordés les autres débours qui,
selon la conviction du fonctionnaire taxateur, étaient
essentiels à la conduite de l'action.
Voici le texte de l'article 3:
3. Il ne doit pas être accordé, par taxation, entre parties,
d'autres sommes que celles indiquées ci-dessus; toutefois, tout
ou partie des sommes indiquées ci-dessus peuvent être augmen-
tées ou diminuées sur instructions données par la Cour dans le
jugement relatif aux dépens ou en vertu de la Règle 344(7).
Pour ce qui est de la révision des jugements, il
faut se reporter aux paragraphes (5) et (6) de la
Règle 337.
Si je comprends bien, voici quel est l'état actuel
du droit, après l'arrêt Smerchanski:
1. Si la Cour en rendant jugement se contente
d'accorder la taxation des dépens, elle ne peut
subséquemment leur substituer une somme globale
à moins que ce soit par le biais d'une réévaluation
du jugement pour un motif ressortissant à l'une ou
l'autre catégorie des cas des paragraphes (5) ou
(6) de la Règle 337.
2. Parlant de la taxation subséquente des dépens
en vertu de l'article 3 du tarif B et des Règles
344(7) et 350(3), le juge en chef Jackett, à la page
803, écrit:
La nature de l'ordonnance qu'on peut demander sans le consen-
tement de la partie adverse et de la Cour ne saurait changer
pour autant et l'on ne peut pas dire que la partie adverse ait
donné son assentiment pendant l'audition de la présente
requête.
C'est là certes la règle mais elle ne s'applique pas
en l'espèce présente où l'avocat de la défenderesse
lors de l'instruction devant moi de la requête a
consenti à l'application de l'article 3 du tarif B et
de la Règle 344(7) aussi bien qu'à la renonciation
de tout délai de présentation de la requête en
révision du jugement, conformément à la Règle
337, admettant que le tarif ne représente nulle-
ment une rémunération raisonnable des experts
comme des avocats de la demanderesse, dans les
circonstances particulières de l'espèce.
3. Quant à la Règle 350(3), qui se lit ainsi:
Règle 350. .. .
(3) Lorsque, pour une raison quelconque, il y aurait autre-
ment un retard dans la taxation d'un mémoire de frais, un juge
peut taxer le mémoire de frais comme s'il était protonotaire, s'il
estime qu'il peut le faire sans nuire à ses fonctions judiciaires.
elle ne s'applique que dans le cas où un juge siège
en un lieu où aucun officier taxateur autorisé n'est
disponible ou s'il s'agit de quelque autre cas excep-
tionnel comparable et ne donne pas au justiciable
automatiquement droit à la taxation des dépens
par un juge en lieu et place de l'officier taxateur
attitré. Ce n'est pas là le litige en l'espèce puisqu'il
existe un officier taxateur attitré à Montréal.
4. Toute directive judiciaire spéciale modifiant le
montant prévu par l'article 3 du tarif B doit être
obtenue avant que ne soit engagée la procédure de
taxation de façon qu'elle puisse être produite à
l'appui des sommes réclamées dans le mémoire de
frais au moment de la taxation.
5. La lecture des Règles 344(7) et 337(5) montre
qu'une demande de directive pour hausser les frais
doit être faite alors que le litige est suffisamment
présent à l'esprit de la Cour de sorte qu'elle soit à
même d'apprécier si oui ou non en l'espèce particu-
lière étaient présentes des circonstances justifiant
de s'écarter du tarif normal.
En l'espèce, contrairement à ce qui se passa
dans l'affaire Smerchanski, il n'y a pas eu de délai
déraisonnable. Le jugement a été prononcé le 3
octobre 1978 et j'ai encore la chose en tête. De
plus, comme il a déjà été indiqué, le procureur de
la défenderesse est consentant, de sorte qu'aucune
requête formelle, sur le fondement de la Règle
337, n'est nécessaire. La requête pour directive
dont j'ai à connaître demande à la Cour de rendre
l'ordonnance jugée appropriée en matière d'adjudi-
cation des dépens, ce qui inclurait la révision du
dispositif si nécessaire.
6. En exprimant ses vues sur les motifs de donner
une directive comme celle ici recherchée, le docte
juge en chef écrit à la page 805:
Rien n'indique que le déroulement de l'appel justifiait une
augmentation du tarif des frais entre parties. L'étude des
Règles pertinentes ne révèle pas l'existence de quelque principe
régissant la fixation des frais habituels entre parties. Toutefois,
il semble clair, à mon avis, que les frais entre parties ne visent
pas à indemniser intégralement la partie qui a gain de cause de
ses frais extrajudiciaires.
et encore, à la page 806:
Si, ainsi que je le pense, les dépens entre parties en Cour
fédérale ne sont pas destinés à indemniser intégralement la
partie à laquelle ils seront versés, ils sont censés se limiter aux
sommes tout à fait arbitraires prévues par les règles, sous
réserve des modifications autorisées se fondant sur des facteurs
relatifs au déroulement de la procédure dont il s'agit."
7. Comme le montre l'annexe de l'arrêt Smer-
chanski, le juge en chef est d'avis que la Règle
344(7) autorise les demandes de directives spécia-
les portant sur la taxation des dépens mais non
celles demandant la modification du prononcé d'un
jugement ou celle d'un jugement après qu'il a été
signé.
8. Il découle encore de l'annexe que lors d'une
révision de la taxation sur le fondement de la
Règle 346(2), l'arrêt Crabbe a établi que la Cour
doit se contenter de décider si l'officier taxateur a
commis une erreur dans l'exécution de ses fonc-
tions mais ne peut ni changer le jugement ni
donner l'une des directives envisagées soit par la
Règle 344 soit par l'article 3 du tarif B.
Il est maintenant nécessaire de revoir briève-
ment la situation particulièrement inhabituelle qui
existe en l'espèce présente. La propriété en cause
consistait en un terrain de golf luxueux et coûteux
situé dans la région expropriée pour la construc
tion de l'aéroport de Mirabel au nord de Montréal.
Les terrains de golf présentent des difficultés
exceptionnelles pour ce qui est de leur évaluation;
aussi les demandeurs ont-ils retenu les services de
la firme Warnock Hersey, laquelle prépara un
rapport d'évaluation détaillé et des plus complets.
A l'époque la. Couronne offrait environ $2,000,000
pour la propriété en question alors que, par suite
du rapport, la demanderesse demandait environ
$4,000,000. Environ $25,000 du compte de War-
nock Hersey, présenté le moment venu aux deman-
deresses, l'était pour ce travail et certainement la
somme en cause justifiait d'avoir passé tant de
temps à se préparer pour les négociations relatives
à l'indemnité à accorder et en anticipation de
l'engagement éventuel d'une procédure judiciaire
pour établir cette indemnité. Les négociations se
poursuivirent pendant presque cinq ans au cours
desquels les membres du club de golf ont été
incapables de prévoir pendant combien de temps
ils pourraient continuer à l'exploiter en tant que
tel, avec pour résultat une diminution des cotisa-
tions d'adhésion des nouveaux membres et le
report des dépenses de capital nécessaires, lesquel-
les par la suite devinrent plus coûteuses. Finale-
ment, en septembre 1974, le ministre des Trans
ports décida d'abandonner l'expropriation, laquelle
avait été effectuée en 1969, sous réserve de l'impo-
sition d'une servitude perpétuelle interdisant tout
usage de la propriété à des fins résidentielles. Cela
permettait au club de golf de conserver la pro-
priété de l'immeuble et de l'exploiter jusqu'à ce
que les hausses de taxe que l'on anticipait rendent
la chose impossible, sous la réserve fort sévère
toutefois de ne pouvoir vendre aucun des immeu-
bles de la périphérie du golf à des fins domiciliai-
res et d'ainsi en tirer un revenu supplémentaire.
Les experts durent alors préparer un autre rap
port d'évaluation tout à fait différent, ce dont ils
s'acquittèrent, encore une fois avec la plus grande
minutie et force détails, étudiant les cessions de
terrains de golf dans la région de Montréal, l'éva-
luation du terrain en lui-même, pour les fins de la
taxe foncière, au moment où ils avaient dû arrêter
leur exploitation, les règlements de zonage dans la
région de Mirabel et la valeur des propriétés s'y
trouvant en vue d'établir à quel moment futur la
taxe foncière de la propriété en cause aurait atteint
le point où son usage comme terrain de golf devrait
cesser, cherchant à prévoir la valeur possible de
l'immeuble à ce moment-là, calculant la valeur
actuelle, examinant les diminutions d'adhérents et
de revenus provenant des cotisations d'adhésion et
des comptes envoyés aux membres au cours de la
période d'incertitude entre l'expropriation et son
abandon, calculant aussi l'augmentation des coûts
des dépenses de capital reportées au cours de cette
période de cinq ans, et cherchant à calculer la
diminution de valeur de la propriété causée par la
servitude de non-conversion en usage résidentiel de
celle-ci. Il s'agissait là d'une méthode entièrement
différente impliquant pour les experts des recher-
ches et des études supplémentaires fort approfon-
dies, avec pour résultat un coût additionnel pour la
demanderesse de quelque $25,000. Par suite de ces
études l'indemnité réclamée pour l'abandon était
maintenant de $758,180 alors que la Couronne
n'offrait que $49,165.32, encore une fois une
marge fort importante, d'où il s'ensuivit que la
demanderesse engagea la présente instance.
Le jugement éventuellement, quoiqu'il dise que
le rapport des experts quant à l'indemnité pour
l'abandon de l'expropriation soit trop théorique,
parce que fondé sur trop de variables et d'impon-
dérables, le trouva néanmoins utile à quelque
chose et accorda $180,000, dont on devait déduire
$45,000 pour les taxes payées par la Couronne en
lieu et place de la demanderesse pendant le temps
où le bien-fonds lui a appartenu par suite de
l'expropriation.
Voici le libellé du dispositif du jugement:
Jugement en faveur de la demanderesse pour $135,000 avec
intérêts à compter du 23 septembre 1974 et les dépens, incluant
les frais et débours des experts et ceux des pièces.
Notons que le jugement ne se bornait pas à accor-
der les dépens mais qu'il adjugeait expressément
les honoraires et débours des experts et les frais
des pièces. J'ai fait ce prononcé précisément parce
qu'ayant en tête la différence qu'il y a entre l'an-
cienne Loi sur les expropriations, S.R.C. 1970, c.
E-19, sur le fondement de laquelle l'instance fut
engagée, et la nouvelle Loi, S.R.C. 1970 (ler
Supp.), c. 16. L'article 33 de l'ancienne Loi, qui
traite des dépens, se lit comme suit:
33. Les frais de toutes procédures prévues aux présentes ou
occasionnés par ces procédures sont laissés à la discrétion de la
cour, laquelle peut ordonner que la totalité ou partie en soit
payée par la Couronne ou par quelque partie à ces procédures.
Je crois que les mots, dans la version anglaise de
l'article, «incident to» (rattachés aux) sont signifi-
catifs comme l'est, dans l'une et l'autre version,
l'expression «à la discrétion de la cour»; ils sem-
blent viser des frais supérieurs au tarif normale-
ment prévu pourvu que la Cour estime approprié
de les autoriser. Quoiqu'il ne soit spécifiquement
rien dit au sujet des experts, les débours faits pour
eux pourraient peut-être être considérés comme
rattachés aux «procédures». Dans la nouvelle Loi,
l'article 27 prévoit:
27. (1) La Couronne doit payer à chaque personne ayant
droit à une indemnité en vertu de la présente Partie un montant
égal aux frais d'estimation, frais légaux et autres frais qui ont
été raisonnablement encourus par cette personne pour faire
valoir son droit à cette indemnité, sauf ceux de ces frais qui ont
été encourus après l'institution de procédures en vertu de
l'article 29.
il s'ensuit que tous les frais d'experts et les frais
extrajudiciaires antérieurs à l'engagement de la
présente instance font maintenant partie de la
réclamation et doivent y être inclus au lieu d'être
taxés après jugement. En outre l'article 36 prévoit
que lorsque l'indemnité accordée sera supérieure à
l'offre de la Couronne et à moins que la réclama-
tion ne soit jugée déraisonnable, les frais seront
déterminés sur une base procureur-client et payés
par la Couronne. Bien entendu je ne prétends
nullement que cette loi soit applicable à la présente
instance en tant que telle mais les avocats des deux
parties et la Cour avaient certainement en tête les
principes d'équité qui y sont énoncés; cela expli-
querait le libellé du dispositif, lequel reprend celui
des conclusions de la déclaration en prévoyant
expressément que les dépens devraient inclure les
honoraires et débours des experts et le coût des
pièces, ceux-ci, dans la déclaration, n'ayant pas été
réclamés à même l'indemnité comme cela aurait
été fait sous la nouvelle Loi.
Quant à la question des honoraires et débours
des experts et du coût des pièces, je crois que le
dispositif est tout à fait clair et montre qu'on
voulait qu'ils soient inclus dans le mémoire de
frais; il s'ensuit qu'il n'y a pas nécessité de reconsi-
dérer ce point sur le fondement de la Règle 337
quoiqu'il puisse être nécessaire, pour expliquer ce à
quoi je pensais, de donner une directive expresse,
conformément à la Règle 344(7), portant que les
experts, conformément au paragraphe 4(2) du
tarif A, se voient accorder «une somme raisonnable
en compensation de ce que le témoin a dû faire
pour se préparer à déposer et pour déposer». Cela
autorise l'officier taxateur, en vertu de l'article
2(2)a) du tarif B, à accorder à titre de débours un
paiement «raisonnable» de ce genre. Pour établir ce
qui constitue une somme raisonnable, l'officier
taxateur doit prendre en compte toutes les circons-
tances contextuelles. En l'espèce, le compte de la
firme Warnock Hersey s'élève à $50,478.03 dont,
comme déjà dit, environ $25,000 pour la prépara-
tion de la négociation de la transaction ou du
procès portant sur la valeur de la propriété. Finale-
ment il ne fut pas nécessaire de présenter cette
preuve mais cela n'est nullement de la faute des
experts, ni des avocats de la demanderesse qui leur
avaient donné instruction de se préparer sur cette
base, car la modification de la nature de la récla-
mation résulta de l'abandon de l'expropriation cinq
ans après par les autorités responsables de celle-ci;
ce qui mena à une évaluation entièrement diffé-
rente impliquant environ $25,000. Le compte est
appuyé dans le menu détail par des pièces mon-
trant le temps passé sur l'affaire, les honoraires
quotidiens moyens variant entre $114 et $185 et le
taux horaire des équipes d'évaluation variant entre
$10 l'heure pour les jeunes évaluateurs, app`oxi-
mativement $12 pour les techniciens, $15 pour les
évaluateurs moyennement expérimentés et $35
pour les plus chevronnés. Ces taux ne paraissent ni
excessifs ni déraisonnables. Toutefois comme l'in-
demnité nette ne fut augmentée que de quelque
$85,000 de plus que l'offre de la Couronne, il est
évident que les frais seraient disproportionnés par
rapport au résultat obtenu. Il n'appartient pas à la
Cour de décider qu'en conséquence les frais que les
experts demandent à la demanderesse doivent ou
seront réduits. C'est là matière à négociation entre
eux. Il me semble que la directive appropriée à
donner à l'officier taxateur en l'espèce est donc
qu'alors qu'il ne serait pas opportun de taxer les
$50,478.03 en leur entier, comme débours pour les
experts, à titre de dépens entre parties, payables
par la défenderesse, vu spécialement que la moitié
de ceux-ci ne furent pas directement utilisés en
l'instance présente, il semblerait certainement
qu'une part substantielle de ceux-ci pourrait être
considérée «raisonnable», particulièrement celle
portant sur la procédure effectivement engagée.
Lorsqu'on en arrive à la question des frais d'avo-
cats de la demanderesse, les choses se corsent
puisque le dispositif n'a pas prévu le versement
d'une somme globale et que la Cour ne peut
maintenant le faire car cela équivaudrait à modi
fier le dispositif. Que la Cour ne l'ait pas fait,
résulte peut-être, comme le reconnaît l'avocat de la
défenderesse, d'une erreur de droit dont il aurait
été la cause. Il a admis qu'à un certain stade au
cours du procès, l'avocat de la demanderesse pro-
posa de demander à la Cour d'accorder par son
jugement une somme globale et que lui, avocat de
la défenderesse, laissa entendre qu'il ne considérait
pas cela nécessaire car la question du caractère
raisonnable des honoraires des avocats de la
demanderesse pourrait être résolue au moment de
la taxation. Éventuellement aucune ordonnance de
ce genre ne fut demandée, l'aurait-elle été, je
l'aurais immédiatement accordée. Toutefois je me
demande si cela constitue un motif justifiant de
modifier le dispositif en vertu de la Règle 337(5)b)
parce qu'«on a négligé ou accidentellement omis de
traiter d'une question dont on aurait dû traiter».
Toutefois je ne crois pas que la jurisprudence
m'interdise d'accorder une requête pour directives
et de donner des directives spéciales à l'officier
taxateur au sujet des dépens. Je ne m'occupe pas
de la révision d'une taxation ni ne tente de donner
des directives sur le fondement de la Règle 344(7)
au sujet d'une telle révision comme dans les affai-
res Crelinsten Fruit et Thermos, procédure jugée
inacceptable dans les affaires Crabbe et Smer-
chanski, pas plus que je ne cherche à rendre une
ordonnance par laquelle j'établirais moi-même le
montant des dépens, comme on le demandait dans
l'affaire Smerchanski, plutôt que de les laisser
taxer par l'officier taxateur. Je propose simple-
ment, avec l'approbation de l'avocat de la défende-
resse, de donner certaines directives à l'officier
taxateur lui permettant de conclure à l'augmenta-
tion des sommes prévues par le tarif en appliquant
les indicateurs que j'énonce maintenant.
Le compte de l'avocat de la demanderesse, qui
s'élève à $25,000, énumère par le détail les nom-
breux services rendus à partir de 1971. Au moins
la moitié de ces services concerne les consultations
avec ses clients, avec les experts, les représentants
du Ministre, les fonctionnaires municipaux etc. et
les négociations pour tenter d'évaluer l'indemnité
payable pour l'expropriation; il serait déraisonna-
ble de conclure qu'étant donné que presque tout
ceci fut une perte de temps vu que finalement il y
eut abandon de l'expropriation et que l'action fut
engagée sur un tout autre fondement, l'avocat de
la demanderesse ne devrait pas être rémunéré pour
ce qui précède. Toutefois les dépens taxés doivent
l'être pour la procédure effectivement engagée.
Comme dans le cas des honoraires d'experts, il
serait inapproprié de ma part de chercher à dire si
la somme de $25,000 constitue des honoraires qu'il
était approprié pour l'avocat de demander lorsque
le jugement éventuellement obtenu en faveur de la
demanderesse n'a été que pour un montant net de
$135,000, quelque $85,000 seulement de plus que
l'offre. Il est intéressant de considérer le paragra-
phe 89(1) du Règlement du Barreau du Québec
qui suggère un tarif en matière d'expropriation; le
voici:
89. (1) En matière d'expropriation, les honoraires extrajudi-
ciaires suggérés sont les suivants:
a) Un pour cent (1%) du montant de l'indemnité (sauf dans
les cas où il a déjà droit à des honoraires équivalents en vertu
du tarif des frais judiciaires), plus
b) Dix pour cent (10%) de la différence entre le montant de
l'indemnité et le montant de l'offre initiale faite par l'expro-
priant ou dans le cas où l'expropriant ne fait pas d'offre, la
différence entre le montant de l'indemnité et le montant
minimum établi par les experts de l'expropriant.
Si on appliquait ce tarif, les honoraires extrajudi-
ciaires appropriés voisineraient les $9,850. Ce tarif
bien entendu n'est aucunement obligatoire pour la
présente cour. L'officier taxateur doit garder à
l'esprit en outre la mise en garde du juge en chef
Jackett dans l'affaire Smerchanski: les frais entre
parties du tarif ne sont pas destinés à rembourser
entièrement les frais que la partie qui obtient gain
de cause a dû débourser au cours du litige. Il serait
manifestement déraisonnable toutefois, vu les faits
de la présente espèce, de s'attendre à ce que la
demanderesse qui, quoique ayant cause gagnée,
voit déjà sa demande considérablement réduite par
le jugement, étant ramenée à $135,000, ait à payer
$50,000 pour les experts et $25,000 de frais d'avo-
cat pour obtenir cette indemnité, laissant un solde
fort mince à n'en pas douter. C'est pour cette
raison que je donne pour instruction que les
sommes fort peu élevées et irréalistes prévues par
le tarif soient augmentées de façon à indemniser
en partie, mais non en tout, la demanderesse des
débours faits pour ses experts et des honoraires
versés à son avocat en l'instance. En outre on
pourrait ajouter que c'est ainsi que les réclama-
tions de tous les expropriés de l'aéroport Mirabel
ont été traitées avant l'arrêt Smerchanski et quoi-
qu'il n'y ait aucun principe de droit voulant que
l'erreur, s'il est vrai que ces taxations furent erro-
nées, commise dans les affaires précédentes doive
être perpétuée et qu'une procédure différente ne
puisse être adoptée dans les causes subséquentes
consécutivement à l'arrêt d'une juridiction d'un
degré supérieur, ce serait faire de la discrimination
à l'égard de la demanderesse si, par suite d'un
raisonnement différent en l'espèce, les dépens ne
lui étaient accordés que conformément aux mon-
tants très minimes du tarif.
ORDONNANCE
Le délai de présentation de cette requête est
prorogé à aujourd'hui et il est donné comme ins
truction, conformément à la Règle 344(7) et au
paragraphe 2(2) du tarif B, que les débours de la
demanderesse au sujet de ses témoins-experts
soient taxés et adjugés conformément au paragra-
phe 4(2) du tarif A de façon à accorder une
somme raisonnable pour les services rendus par le
témoin en se préparant à rendre témoignage et en
déposant au procès, compte étant dûment tenu du
montant de l'indemnité accordée dans l'action sur
le fond, du caractère raisonnable, dans les circons-
tances, du temps passé par les experts à se prépa-
rer à rendre témoignage et du caractère raisonna-
ble du taux demandé pour ce temps aussi bien que
pour celui passé à assister au procès et à témoigner
et, de plus, que conformément à la Règle 344(7) et
au paragraphe 2(3) du tarif B, il y ait hausse du
montant taxé des honoraires d'avocat de la deman-
deresse compte étant dûment tenu du montant de
l'indemnité accordée par l'action sur le fond, du
caractère raisonnable du temps passé par l'avocat
relativement à cette instance, du taux demandé
pour ce temps et de la somme minimale auquelle il
aurait eu droit à titre d'honoraires extrajudiciaires
si le tarif en matière d'expropriation applicable
dans la province de Québec devait être respecté,
mais aussi gardant à l'esprit que les sommes ainsi
accordées ne sont pas destinées à indemniser entiè-
rement la partie ayant obtenu gain de cause des
frais du litige mais seulement d'une portion raison-
nable de ceux-ci. Les dépens de cette requête
peuvent être taxés comme partie des frais.
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