T-3201-78
Michael Holden (Appelant)
c.
Marcil Levesque et le ministre de l'Emploi et de
l'Immigration du Canada (Intimés)
et
Le sous-procureur général du Canada (Mis-en-
cause)
Division de première instance, le juge Marceau—
Montréal, le 18 septembre; Ottawa, le 21 septem-
bre 1978.
Immigration — Requête visant l'émission d'une ordonnance
obligeant les intimés à considérer et à traiter la demande de
prolongation d'un permis de travail dans la perspective et
selon la Loi et le Règlement — Requête rejetée au motif que le
nouveau Règlement empêche toute possibilité d'accorder une
prolongation — L'interprétation qu'a donnée l'agent était-elle
correcte? — Loi sur l'immigration de 1976, S.C. 1976-77, c.
52 — Règlement sur l'immigration, 1978, DORS/78-172.
DEMANDE
AVOCATS:
Julius H. Grey pour l'appelant.
Suzanne Marcoux-Paquette pour les intimés.
PROCUREURS:
Julius H. Grey, Montréal, pour l'appelant.
Le sous-procureur général du Canada pour
les intimés.
Voici les motifs de l'ordonnance rendus en fran-
çais par
LE JUGE MARCEAU: Le requérant, un citoyen
américain, est musicien. Depuis quelque temps, il
exerce son art au Canada comme membre d'un
groupe qui s'identifie comme le groupe Fantasia.
Le 19 juin 1978, il se présenta au bureau du
ministère de l'Emploi et de l'Immigration à Mont-
réal et s'adressa à un agent d'immigration pour
obtenir une prolongation de son permis de travail
qui venait à échéance. Sa demande fut refusée
sur-le-champ et sans autre examen, l'agent étant
d'avis qu'une disposition du Règlement, SOR/78-
172, adopté tout récemment sous l'empire de la
nouvelle Loi de 1976 sur l'immigration, S.C.
1976-77, c. 52, soit celle du sous-alinéa 20(5)c)(ii),
empêchait toute possibilité qu'elle put être
accordée.
Le requérant conteste ici que le nouveau Règle-
ment qui lui est applicable puisse s'interpréter
comme s'opposant automatiquement à la prolonga
tion de son permis de travail et il prie la Cour
d'émettre une ordonnance obligeant les intimés à
considérer et à traiter sa demande dans la perspec
tive et selon les exigences que requièrent les dispo
sitions pertinentes de la Loi et du Règlement.
La requête met donc en cause strictement une
question d'interprétation de textes. Les faits sur
lesquels elle se fonde ne sont pas contestés et le
procureur des intimés admet que si l'interprétation
adoptée par ces derniers est jugée incorrecte, la
requête devrait être accordée.
Les articles du Règlement qui sont mis en cause
sont les articles 18, 19 et 20, qui ont trait à l'octroi
des permis de travail. Des deux premiers, il suffit
pour notre propos, d'en connaître les grandes
lignes. L'article 18 donne le principe qu'une per-
sonne qui n'est ni citoyen canadien ni résident
permanent doit pour exercer un emploi au Canada
obtenir un permis de travail, permis dont elle doit
naturellement respecter toutes les conditions. L'ar-
ticle 19, dans un premier paragraphe, énumère une
série d'exceptions au principe général: (agent
diplomatique, fonctionnaire consulaire, ecclésiasti-
que en devoir, employé d'une agence de presse,
représentant d'une société étrangère, membre
d'une équipe sportive, etc.); il prévoit dans un
second paragraphe que ces personnes exemptées de
l'obligation d'obtenir un permis ne bénéficient de
l'exemption que pour leur emploi essentiel; enfin,
dans un troisième paragraphe, il donne les cas ou
circonstances où un étranger qui se trouve déjà au
Canada peut se voir accorder le droit d'y travailler.
On arrive alors à l'article 20, celui qui nous con-
cerne ici. Le problème d'interprétation qu'il nous
faut résoudre exige qu'on en analyse soigneuse-
ment le texte, mais il ne me paraît pas nécessaire
de le reproduire in extenso. Voici les principales de
ses dispositions, celles qu'il faut connaître pour en
discuter valablement et situer l'alinéa (5)c) qu'il
nous faut interpréter:
20. (1) L'agent d'immigration ne peut délivrer de permis de
travail à une personne
a) s'il est d'avis que l'embauchage de cette personne nuira à
celui des citoyens canadiens ou des résidents permanents au
Canada; ou
(3) Pour être en mesure de se faire une opinion aux fins de
l'alinéa (1)a), l'agent d'immigration doit tenir compte des
facteurs suivants, à savoir:
a) si l'employeur éventuel a fait des efforts raisonnables pour
embaucher ou former des citoyens canadiens ou des résidents
permanents afin qu'ils puissent exercer l'emploi pour lequel
un permis de travail a été sollicité;
b) si le requérant possède la qualification professionnelle
voulue pour exercer l'emploi pour lequel un permis de travail
a été sollicité; et
c) si les conditions de travail et le salaire offerts sont de
nature à attirer des citoyens canadiens ou des résidents
permanents pour qu'ils exercent et continuent d'exercer l'em-
ploi en question.
(4) L'agent d'immigration doit consulter un agent du bureau
du service national de placement dont relève le secteur où la
personne sollicitant un permis de travail désire exercer un
emploi pour ce qui concerne les points visés aux alinéas (3)a) et
c).
(5) Nonobstant l'alinéa (1)a), l'agent d'immigration peut
délivrer un permis de travail
e) à une personne qui entre ou se trouve au Canada pour
remplir en vertu d'un contrat un engagement d'un jour ou de
plusieurs jours consécutifs à titre d'artiste de spectacle invité,
sauf
(i) lorsque l'engagement n'est qu'un élément accessoire
des activités d'un établissement commercial qui ne se
limite pas à la présentation de spectacles, ou
(ii) lorsque l'engagement constitue un emploi permanent
au sein d'une organisation canadienne;
Le sens qui se dégage de ces textes ainsi situés et
regroupés me paraît si logique et clair que je sens
nullement le besoin d'épiloguer longuement pour
affirmer que la prétention des intimés n'est pas
acceptable. Il est manifesté que les sous-alinéas (i)
et (ii) du paragraphe (5) contiennent des excep
tions à la disposition principale du paragraphe (5)
qui elle-même est une exception à l'alinéa (1)a):
cela étant, il est clair, que la mise en oeuvre dans
un cas précis d'un des sous-alinéas (i) ou (ii) va
avoir pour seul effet la non-application de l'excep-
tion introduite par la disposition principale du
paragraphe (5) et du même coup la remise en
vigueur de la règle de base de l'alinéa (1)a). La
conséquence s'impose: le sous-alinéa 20(5)c)(i) ne
saurait s'interpréter comme rendant impossible
l'octroi d'un permis en faveur de celui dont «l'en-
gagement constitue un emploi permanent au sein
d'une organisation canadienne»; il exige unique-
ment que la demande de ce dernier soit considérée
en tenant compte des prescriptions de l'alinéa
20(1)a). Non seulement est-ce là, à mon avis, la
seule interprétation qu'une analyse littérale des
textes permet, c'est aussi la seule qui semble
rationnellement acceptable, quand on songe à
l'ampleur de l'exclusion qui autrement en résulte-
rait et aux conséquences qu'elle pourrait avoir en
empêchant de façon automatique et péremptoire
tout artiste non citoyen canadien, d'oeuvrer, autre-
ment que de façon purement occasionnelle, au sein
d'une organisation canadienne.
L'agent-intimé a eu tort, à mon avis, d'interpré-
ter le texte comme il l'a fait et de s'en prévaloir
pour refuser péremptoirement et sans examen la
demande de renouvellement qui lui était faite par
le requérant. Cette demande devait être considérée
selon les prescriptions des alinéas 20(1)a) et sui-
vants, et une ordonnance sera émise pour qu'elle
soit effectivement considérée ainsi.
ORDONNANCE
La requête est accordée avec dépens.
IL EST PAR LES PRÉSENTES ORDONNE aux inti-
més de recevoir et de considérer la demande sou-
mise par le requérant en vue d'obtenir la prolonga
tion de son permis de travail en se conformant aux
prescriptions de l'alinéa a) du paragraphe (1) de
l'article 20 du Règlement adopté le 24 février 1978
(DORS/78-172) sous l'autorité de la Loi de 1976
sur l'immigration, S.C. 1976-77, c. 52, et aux
autres dispositions dudit article qui se rapportent
au mode d'application des prescriptions de l'alinéa
(1)a).
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.