T-2501-75
La Reine (Demanderesse)
c.
Saskatoon Drug & Stationery Company Limited
(Défenderesse)
Division de première instance, le juge Mahoney—
Saskatoon et Toronto, du 12 au 14 et du 20 au 22
juin; Ottawa, le 20 juillet 1978.
Impôt sur le revenu — Calcul du revenu — Déductions —
Allocation de coût en capital — Réclamation de la valeur d'un
droit de clientèle comme bien inclus dans une tenure à bail —
La somme doit-elle être traitée comme la contrepartie d'une
tenure à bail? — Subsidiairement, la déduction des frais, de
justice et autres, engagés dans la transaction fut-elle rejetée à
bon droit? — Loi de l'impôt sur le revenu, S.C. 1970-71-72, c.
63, art. 11(1)a) — Règlements de l'impôt sur le revenu,
DORS/54-682, art. 1100(1), modifiés par DORS/64-483.
La défenderesse avait négocié avec un groupe de particuliers
et de compagnies, connus comme les McNeill, pour leur ache-
ter leurs pharmacies à Regina. Plusieurs des commerces étaient
exploités dans des locaux loués. Le contrat signé en est un de
vente qui prévoit par une clause expresse la cession de la
clientèle, ainsi que certains autres droits et biens incorporels.
Une autre clause, plus loin, fixe la valeur de ces biens à
$290,000 sans plus de détail. Après la conclusion du contrat, la
défenderesse a vendu les marchandises en stock et les immeu-
bles par destination de trois des magasins achetés, au prix
coûtant, et en sus la clientèle, réduisant ainsi sa mise de fonds
pour la clientèle à $207,500. La demanderesse rejeta la déduc-
tion de $207,500 réclamée par la défenderesse, représentant la
valeur du droit de clientèle, soit une tenure à bail, à titre
d'allocation de coût en capital, en vertu de l'alinéa 11(1)a) de
la Loi de l'impôt sur le revenu. Il faut établir d'abord si la
somme doit être traitée comme la contrepartie d'une tenure à
bail. Il faut ensuite savoir si la déduction des frais, de justice et
autres, engagés par la défenderesse dans la transaction a été
rejetée à bon droit parce qu'ils ont été engagés à compte de
capital, si leur déduction doit être accordée, ou si leur montant
doit être ajouté au coût en capital de la tenure à bail.
Arrêt: l'action est rejetée. La Cour ne peut séparer l'achalan-
dage des autres avantages dont jouit celui qui a droit à la
possession des lieux. Lorsque l'achalandage découle du bail, il
en fait partie et le prix payé pour cet élément doit être intégré
au coût en capital de la tenure à bail. Les déclarations d'impôt
de 1969 et 1970 de la défenderesse seront renvoyées au Minis-
tre qui établira de nouvelles cotisations compte tenu que les
$187,500 constituent le coût en capital des deux magasins pour
lesquels la défenderesse a droit de réclamer une allocation du
coût en capital. Quant aux $20,000 litigieux restants, il n'a pas
été prouvé qu'ils aient été versés en contrepartie d'une quelcon-
que tenure à bail. Rien ne permet de modifier la cotisation
rejetant la déduction réclamée des dépenses engagées lors de la
négociation de la transaction McNeill.
Arrêt mentionné: Chissum c. Dewes (1828) 38 E.R. 938.
ACTION.
AVOCATS:
W. A. Ruskin pour la demanderesse.
F. J. Matthews et G. R. Baker pour la
défenderesse.
PROCUREURS:
Le sous-procureur général du Canada pour la
demanderesse.
Robertson, Lane, Perrett, Toronto, pour la
défenderesse.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE MAHONEY: La présente action résulte
du rejet par la demanderesse de la déduction récla-
mée par la défenderesse, de $207,500 représentant
la valeur d'un droit de clientèle soit une tenure à
bail. La déduction est réclamée à titre de coût en
capital, en vertu de l'alinéa 11(1)a) de la Loi de
l'impôt sur le revenu, S.R.C. 1952, c. 148, en
vigueur en 1969 et 1970. Ledit alinéa se lit ainsi:
11. (1) Par dérogation aux alinéas a), b) et h) du paragra-
phe (1) de l'article 12, les montants suivants peuvent être
déduits dans le calcul du revenu d'un contribuable pour une
année d'imposition:
a) la partie de ce que coûtent en capital les biens au contri-
buable, ou la somme à l'égard de ce que coûtent en capital
les biens au contribuable, s'il en est, qui est allouée par
règlement;
La déduction est demandée sur le fondement de
l'alinéa 1100(1)b) des Règlements de l'impôt sur
le revenu:
1100. (1) En vertu de l'alinéa a) du premier paragraphe de
l'article 11 de la Loi, il est par les présentes alloué au contri-
buable dans le calcul de son revenu d'une entreprise ou de
biens, selon le cas, des déductions pour chaque année d'imposi-
tion égales
b) au montant qu'il peut réclamer à l'égard de ce que lui
coûtent en capital les biens de la catégorie 13 de l'Annexe B,
sans dépasser le montant pour l'année calculé en conformité
de l'Annexe H;
Les biens de la catégorie 13 sont des «biens consti-
tués par une tenure à bail excepté ...b. Aucune des
exceptions n'entre en jeu. Il faut donc établir
d'abord si les $207,500 doivent être traités comme
la contrepartie d'une tenure à bail. Il faut ensuite
savoir si la déduction des frais, de justice et autres,
engagés par la défenderesse dans la transaction en
question a été rejetée à bon droit parce qu'ils ont
été engagés à compte de capital, si leur déduction
doit être accordée, ou si leur montant doit être
ajouté au coût en capital de la tenure à bail.
En 1967, la défenderesse a entamé dcs négocia-
tions avec un groupe de particuliers et de compa-
gnies dénommés ci-après les «McNeill», pour leur
acheter trois pharmacies à Régina en Saskatche-
wan, l'une, le magasin de la rue Broad, se trouvant
dans des locaux appartenant aux McNeill, les deux
autres, le Centre pharmaceutique et le magasin de
la rue Albert sud, dans des locaux loués par eux.
Les McNeill exploitaient à Régina et à Calgary
d'autres pharmacies de détail et des entreprises de
gros pour les approvisionner; la défenderesse ne
cherchait pas à acquérir ces affaires. Elle possédait
alors à son propre compte trois magasins de détail
à Régina et d'autres à Saskatoon. Elle croyait
conclure la transaction, mais les McNeill ont
refusé de signer l'accord au début de 1968. En
novembre de cette même année, Cunningham
Drug Stores Ltd. a fait aux McNeill une offre
d'achat de tous leurs magasins de détail, mais les
conditions étaient inacceptables. Les McNeill ont
alors indiqué à la défenderesse qu'ils étaient dispo-
sés à entrer en pourparlers pour vendre toutes leurs
entreprises commerciales de Régina.
La défenderesse a alors insisté pour que les
McNeill lui fassent une offre écrite avant qu'elle
ne consacre temps et argent à des négociations
supplémentaires. Le projet originaire d'offre de
vente, apparemment préparé par la défenderesse,
envisageait le paiement d'une «prime» en sus du
prix du stock et des aménagements fixes. La prime
devait être divisée entre [TRADUCTION] «Le prix
d'achat de la tenure à bail se montant à ...» et
[TRADUCTION] «Le reliquat de la prime s'élevant à
... à payer en clientèle». Le deuxième projet d'of-
fre de vente a fait l'objet d'une lettre du 2 décem-
bre 1968 envoyée par les McNeill à la défende-
resse. On y stipulait que [TRADUCTION] «La
clientèle a une valeur de ... $300,000 ...». Aucun
prix d'achat n'y était proposé pour les tenures à
bail. L'offre de vente signée le 6 décembre 1968,
envisage la vente [TRADUCTION] «A. des marchan-
dises en stock ...» à un prix comportant diverses
remises sur les prix de détail, [TRADUCTION] «B.
des biens immeubles par destination ...» à leur
valeur aux livres et [TRADUCTION] «C. la clien-
tèle.» Le paiement du stock et des biens immeubles
par destination devait être effectué dans les trois
jours de la signature de l'acte, prévue pour le 31
janvier 1969; l'offre poursuit:
[TRADUCTION] c) La somme de $290,000 en compte à valoir
sur la valeur de la clientèle sera exigible dans les cinq (5)
ans, à raison de $58,000 l'an ...
avec intérêt. Il est stipulé ensuite:
[TRADUCTION] 3. La présente pollicitation est faite sous
réserve des conditions suivantes:
(1) L'acheteur devra être mis à même de louer les lieux dont
l'achat est projeté et les vendeurs devront prendre les mesu-
res nécessaires pour effectuer la cession de leurs baux à
l'acheteur.
(2) Les lieux appartenant aux vendeurs et où se trouvent
certaines de leurs pharmacies seront loués au vendeur [sic]
aux mêmes conditions (excepté les clauses portant sur le
loyer, le droit à la reconduction et la durée du bail) que celles
stipulées dans le bail conclu le 22 novembre 1965 par la
Humford Realty Ltd. d'une part et la McNeill's Drug Stores
Ltd. d'autre part. En outre il est entendu que ces baux
stipuleront que si, en raison de l'évolution des affaires, le
loyer dont l'acheteur sera débiteur tombe au taux de base de
$2.50 le pied carré, alors on devra ajouter au loyer mensuel
de base versé en contrepartie de la jouissance des lieux toute
augmentation de taxe dépassant le niveau de 1968, et ce en
proportion de l'espace qu'occupera l'acheteur.
D'autres stipulations suivent, mais seuls les para-
graphes (1) et (2) nous importent ici.
Le bail Humford constatait le louage du maga-
sin de la rue Albert Sud. Si on prend en compte les
exceptions en matière de loyer, de droit de recon-
duction et de durée du bail, il est clair qu'à ce
stade aucun accord n'était intervenu en ce qui
concerne le louage, par les McNeill à la défende-
resse, des trois locaux leur appartenant.
Le 8 janvier 1969, lorsque l'avocat des McNeill
a remis le projet de bail, on était tombé d'accord
sur les clauses essentielles. Le magasin de la rue
Broad serait loué pour cinq ans avec possibilité de
cinq reconductions quinquennales et les deux
autres locaux le seraient aussi pour cinq ans mais
seulement avec possibilité de quatre reconductions
quinquennales. Toutes les reconductions seraient
sujettes aux mêmes conditions que les baux origi-
naires. Un loyer minimum de $2.50 le pied carré
l'an, en regard de 4% du chiffre annuel des ventes,
était proposé et, comme le stipulait l'offre de
vente, la clause de variation de taxe ne s'applique-
rait que si le chiffre annuel des ventes devenait si
bas qu'aucun pourcentage ne serait payable à titre
de loyer. Quoique la durée projetée du bail du
local de la rue Broad ait été modifiée au cours des
négociations, le loyer prévu ne l'a pas été.
Par lettre du 24 janvier 1969, l'avocat de la
défenderesse lui a envoyé une première rédaction
d'un acte constatant toutes les modalités du con-
trat. Il stipulait, en ce qui nous importe, ce qui
suit:
[TRADUCTION] 1.... le vendeur accepte de vendre en bloc,
et l'acheteur d'acheter, tout l'actif et tous les biens appartenant
audit fonds de commerce du vendeur, ou utilisés dans le cadre
dudit commerce, ... y compris notamment:
a) la clientèle desdits fonds de commerce, dont le droit
exclusif pour l'acheteur de se présenter comme le successeur
du vendeur à l'égard desdits commerces et le droit de faire
usage de toute expression indiquant que lesdits commerces
sont ainsi continués, et le droit de faire usage du nom
«McNeill's Drug Stores», ou de toute variante de celui-ci,
comme raison sociale desdits commerces continués par
l'acheteur ou de partie de ceux-ci;
c) tous les bénéfices rattachés aux ordonnances encore inexé-
cutées reçus par le vendeur dans l'exploitation de ses com-
merces et tout autre contrat, arrangement ou avantage dont
le vendeur est bénéficiaire ou auquel il a droit dans le cadre
desdits commerces.
3. Le prix d'achat des biens dont l'achat et la vente sont par
les présentes convenus sera le total des prix de tous les éléments
d'actif ci-après énumérés:
a) les biens décrits à l'alinéa 1a), ci-dessus, pour la somme
de $290,000.
L'acte révèle aussi que la volonté des parties
semble être de reporter la date de la signature.
Un mémoire préparé par M. H. C. Pinder
(secrétaire-trésorier de la défenderesse) et commu-
niqué par téléphone le 7 février 1969 son avocat,
contient les commentaires suivants:
[TRADUCTION] a) Projet de contrat
2. insérer dans la clause portant sur le prix, page 2a),
[«et une tenure à bail grevant les biens loués et le droit
de louer les biens lui appartenant pour un loyer inférieur
ou égal à 4% des ventes»] (biens incorporels)
b) Bail -5th & Pasqua
6. Page 14—FEU. Si le bail est résilié parce que les biens
sont complètement détruits—le locataire devrait recou-
vrer, au prorata, une partie du prix d'achat de tout le
N.B. bail, dont le droit de reconduire—(c.-à-d. il ne peut
assurer la prime versée à l'achat au-delà de la valeur des
biens,—ou nouveau bail advenant reconstruction—ou
option d'achat de l'immeuble.
Le 30 janvier 1969, ayant apparemment étudié
l'acte modifié selon les instructions de M. Pinder,
l'avocat des McNeill a écrit à celui de la défende-
resse, lui disant, entre autres:
[TRADUCTION] 5. Page 4, paragraphe 3, alinéa a)
Le vendeur requiert que la somme de $290,000 représente le
prix de la clientèle seule.
En marge (apparemment de l'écriture de M.
Pinder) se trouve un «non» souligné. Le 28 février,
l'avocat de la défenderesse a fait par lettre rapport
d'une série de rencontres avec l'avocat des
McNeill, lequel rapport comportait, en référence à
la lettre du 30 janvier, ce qui suit:
[TRADUCTION] Paragraphe 5—refusé.
Il semble aussi que les McNeill aient accepté en
principe la suggestion de M. Pinder en ce qui
concerne la clause d'incendie. Ils étaient prêts à
s'engager, le choix étant leur, soit à reconstruire
dans les douze mois de la destruction ou à rem-
bourser au prorata une partie du prix de la
clientèle.
A ce moment-là, M. Pinder a écrit lui-même le
mémo suivant:
[TRADUCTION] Insérer «tenure à bail« au paragraphe 1 du
contrat seulement, devant l'alinéa a) de ce paragraphe. A
vérifier auprès du comptable.
Le comptable a été consulté et, semble-t-il, la
défenderesse a renoncé à demander l'insertion
expresse de l'expression tenure à bail en contrepar-
tie du paiement de $290,000, mais l'idée directrice
du mémo a été acceptée par les McNeill.
En fait les négociations se sont poursuivies au
sujet de la clause d'incendie. La défenderesse dési-
rait que la stipulation s'applique dix ans durant;
les McNeill s'en tenaient à cinq. Le fondement de
leur position a été expliqué par leur avocat à celui
de la défenderesse, comme le rapporte la lettre du
3 mars 1969 de ce dernier à sa cliente:
[TRADUCTION] M. Goetz m'a expliqué qu'après cinq ans vous
auriez recouvré le prix total de la clientèle grâce à vos bénéfi-
ces; la formule pour calculer la valeur de la clientèle consiste à
multiplier par deux et demi les profits moyens des deux années
précédentes.
Finalement, le 28 mars 1969, le contrat a été
signé, la vente devant prendre effet le ler avril.
Voici les stipulations qui nous importent:
[TRADUCTION] 1.... le vendeur accepte de vendre en bloc, et
l'acheteur d'acheter, tout l'actif (tenures à bail et droit de
devenir partie aux baux comme il est dit à la page (7) ci-
après)* et tous les biens appartenant audit fonds de commerce
du vendeur, ou utilisés dans le cadre dudit commerce, ... y
compris notamment:
a) la clientèle desdits fonds de commerce, dont le droit
exclusif pour l'acheteur de se présenter comme le successeur
du vendeur à l'égard desdits commerces et le droit de faire
usage de toute expression indiquant que lesdits commerces
sont ainsi continués, et le droit de faire usage du nom
«McNeill's Drug Stores», ou de toute variante de celui-ci,
comme raison sociale desdits commerces continués par
l'acheteur ou de partie de ceux-ci;
3. Le prix d'achat des biens dont l'achat et la vente sont par les
présentes convenus sera le total des prix de tous les éléments
d'actif ci-après énumérés:
a) les biens décrits à l'alinéa 1 a), ci-dessus, pour la somme
de $290,000.
6. Le prix d'achat ... sera versé ... comme suit:
a) la somme de $10,000 sera versée en fiducie à la firme
Goetz & Murphy, à Régina, qui en sera dépositaire jusqu'à
la signature de l'acte, sur cessions valides et exécutoires par
le vendeur à l'acheteur des baux portant sur les immeubles
dont la liste suit, la cession étant consentie à l'acheteur avec
l'accord en bonne et due forme des bailleurs:
(i) La pharmacie McNeill North Plaza .. .
(ii) Le Centre pharmaceutique McNeill .. .
(iii) La pharmacie McNeill de la rue Albert sud ...
(iv) La pharmacie McNeill Highland Park...
et sur location par le vendeur à l'acheteur des immeubles
suivants, appartenant audit vendeur:
(i) La pharmacie McNeill Rexall .. .
(ii) La pharmacie McNeill de la rue Broad .. .
(iii) La pharmacie McNeill Lorne .. .
aux conditions énoncées dans les projets de baux ci-joints et
intitulés annexes «A», «B» et «C».
Ces sept locaux, et je n'en ai omis que l'adresse,
sont ceux qui font l'objet des [TRADUCTION]
«tenures à bail et droit de devenir partie aux baux
comme il est dit à la page (7)» et dans l'ajout entre
crochets de la clause 1. Cet ajout remplace, dans le
contrat signé, par ces mots le mot «bien», lequel
apparaît dans les rédactions antérieures de la
clause 1.
*C'est moi qui souligne.
En sus des biens corporels (marchandises en
stock et biens immeubles par destination) pour
lesquels $353,980 ont été payés, la défenderesse a
acheté certains droits et biens incorporels auxquels
aucune part des $290,000, reliquat du prix
d'achat, n'a été expressément attribuée. Il y avait
bien entendu les baux cédés ou consentis par les
McNeill. Les vendeurs, individuellement, ont
accepté de ne pas concurrencer l'acheteur pendant
cinq ans. Il y avait un droit de préemption don-
nant, apparemment pour cinq ans, priorité pour
l'achat du magasin de variétés dénommé «The
Happy Shopper», que les McNeill exploitaient à
Régina. Il y avait des droits de préemption incessi-
bles prévus par les baux et s'appliquant pendant
toute la durée de ceux-ci et de leurs reconductions,
pour l'achat des biens loués en tout ou en partie,
dans le cas des magasins Rexall, Lorne et de la rue
Broad.
Quant à la soi-disant «clause d'incendie», le con-
trat stipulait ce qui suit, advenant résiliation par
suite de destruction totale antérieure à avril 1974,
et pourvu que la défenderesse exploite toujours le
fonds de commerce dans les locaux:
[TRADUCTION] ... le vendeur payera à l'acheteur à titre de
dommages-intérêts relatifs audit bail, les sommes suivantes:
a)(i) Bail
Pharmacie McNeill Rexall .. .
(ii) Dommages-intérêts
La part correspondante des $30,000.. .
b)(i) Bail
Pharmacie McNeill de la rue Broad ...
(ii) Dommages-intérêts
La part correspondante des $120,000.. .
c)(i) Bail
Pharmacie McNeill Lorne ...
(ii) Dommages-intérêts
La part correspondante des $35,000 .. .
La «part correspondante» était calculée selon le
nombre de mois restant à courir avant le terme du
bail, au moment de la destruction totale, divisé
par 60.
Immédiatement après la conclusion du contrat,
la défenderesse a vendu les marchandises en stock
et les immeubles par destination des magasins
Lorne, Rexall et Highland Park au prix coûtant, et
en sus la clientèle à un prix total de $82,500,
réduisant ainsi sa mise de fonds pour la clientèle
de $290,000 $207,500, somme en litige ici. Elle a
obtenu $40,000 pour le magasin Lorne, au lieu des
$35,000 prévus par la clause incendie; $30,000
pour le magasin Rexall, comme stipulé, et $12,500
pour le magasin d'Highland Park. A la fin de 1969
la défenderesse a vendu le magasin North Plaza
qui a été loué au mois et pour lequel aucune
clientèle n'a été recouvrée. En plus des sept maga-
sins de détail, deux commerces de gros, l'un de
produits pharmaceutiques et le second d'autres
produits, ont été achetés. Ceux-ci se trouvaient
dans les locaux du magasin Lorne. La défenderesse
ne s'intéressait pas à ces fonds de commerces en
eux-mêmes et a inclus simplement leurs stocks
dans ses propres opérations de gros. Aucune tenure
à bail ne grevait ces commerces. Ainsi, à la fin de
1969, la défenderesse ne conservait que les trois
magasins de vente au détail qui l'intéressaient à
l'origine.
Le Centre pharmaceutique avait ouvert au cours
de 1967. Le loyer annuel (il n'y avait pas de loyer
au pourcentage) était de beaucoup supérieur à $10
le pied carré. On ne prétend pas que quelque
portion des $207,500 versés l'ait été en contrepar-
tie d'une tenure à bail grevant le Centre. Restent
les magasins des rues Broad et Albert sud.
Avant d'en parler, je note que la défenderesse,
qui exploite ses propres pharmacies sous la raison
sociale «Pinder», ne désirait pas vraiment se servir
de la raison sociale McNeill quoiqu'il soit clair
qu'elle en ait voulu la disparition des centres com-
merciaux de Régina. Elle n'a continué à se servir
du nom McNeill que jusqu'à la parution du nouvel
annuaire téléphonique, apparemment environ un
an après l'achat. Dans l'intervalle, sa publicité a
vanté les mérites de ses propres magasins de
Régina et de ceux acquis des McNeill, sous la
raison sociale commune «Pinder-McNeill». A la
parution du nouvel annuaire téléphonique, les
enseignes ont été changées et le nom McNeill a
disparu tout à fait.
La demanderesse a cité comme témoin-expert
James P. Catty, et la défenderesse, Clifford W.
Worden. Il s'agit de deux comptables agréés;
Catty est un évaluateur commercial expérimenté.
Leurs conclusions sont totalement contradictoires.
Worden a conclu que les bénéfices des commerces
McNeill vendus ne justifiaient nullement le paie-
ment d'une partie des $290,000 alors que Catty a
soutenu qu'ils justifiaient en fait un paiement à
titre de clientèle qu'il fixe à $283,000. Alors que la
démarche unique de Worden a consisté à faire une
évaluation fondée sur les bénéfices, Catty lui, a
suivi une démarche différente. Pour évaluer la
clientèle, il s'est attaché à l'objet de la vente, ce qui
l'a amené à conclure que la somme de $290,000
constituait un chiffre équitable pour la clientèle.
Aucun des rapports n'est d'un grand secours pour
régler le point principal en litige, à savoir si oui ou
non quelque portion des $290,000 a été payée, non
pour la clientèle, mais pour les baux des magasins
de la rue Broad et de la rue Albert sud. Le rapport
Worden n'est d'aucun secours pour répondre aux
autres questions qui me paraissent se poser. Les
$290,000 n'ont pas été payés pour rien et je suis
convaincu, après avoir entendu M. Pinder, que la
défenderesse ne les aurait pas versés pour quelque
chose qui, grosso modo, n'aurait pas valu cette
somme.
Le magasin de la rue Albert sud, d'une superfi-
cie d'environ 2,500 pieds carrés, est situé dans un
centre commercial dont le locataire principal est
un réseau national de supermarchés. Il se trouve
dans la principale artère nord-sud de Régina. La
durée du bail cédé était de dix ans à compter du Zef
janvier 1966. Le loyer minimal annuel était de
$6,000 ($2.40 le pied carré) en regard de 5% du
chiffre annuel des ventes. Les ventes de tabac, de
liqueurs douces, de magazines et d'articles utilitai-
res, ainsi que les opérations du bureau de poste
auxiliaire en sont exclues. Les ventes ont été suffi-
santes en 1967 et 1968 pour faire jouer la clause
du loyer proportionnel. Une option de reconduc-
tion quinquennale unique exigeait une renégocia-
tion du loyer. L'acte consiste en un bail type en
usage pour les centres commerciaux en vertu
duquel le locataire devait payer, en sus du loyer,
certains frais pour les services, l'entretien des lieux
communs ainsi que l'augmentation des taxes, à
compter de 1966.
M. Pinder a dit dans son témoignage qu'il consi-
dérait le bail de la rue Albert sud comme favorable
du point de vue du locataire, compte tenu du
marché à l'époque. La seule preuve concluante
dont la Cour ait connaissance à l'appui de cette
conclusion, c'est le fait que dans un centre com
mercial similaire, situé juste en face, de l'autre
côté de la rue Albert, le bail du pharmacien pour
une superficie d'environ 4,280 pieds carrés, fixe un
loyer proportionnel à 6% du total de toutes les
ventes sans exception. Sa durée est de vingt ans à
compter du 1 er mars 1961 et prévoit deux recon-
ductions quinquennales successives avec renégocia-
tion du loyer. D'autre part, le rapport de M.
Howard P. Hamilton, l'un des témoins-experts de
la demanderesse, démontre que les baux relatifs à
des pharmacies situées dans des centres commer-
ciaux, baux conclus à Régina dans la dernière
partie de la décennie des années 1960, prévoient
des loyers proportionnels aussi bien de 5% que de
6% du chiffre des ventes. Ces baux n'ont pas été
produits et en leur absence on ne peut réellement
comparer les transactions respectives. Je pourrais
aussi faire observer que même la comparaison des
baux des centres commerciaux, si l'on ne connaît
pas les contrats antérieurs se rapportant à ces
bâtiments, peut induire en erreur vu que le loyer
est forcément influencé par certains facteurs
comme les frais de finition des lieux, laissés à la
charge de l'une ou l'autre des parties. Somme
toute, bien que je souscrive à l'opinion de M.
Pinder lorsqu'il dit que le bail de la rue Albert sud
était, toutes choses égales par ailleurs, favorable
au locataire, il n'a pas été démontré qu'il ait été si
favorable, compte tenu du marché, qu'un éventuel
locataire aurait été prêt à payer n'importe quoi
pour pouvoir l'obtenir, même une somme bien
supérieure à ce qu'il présumait devoir en vertu
dudit bail.
Par suite des négociations, le bail du magasin de
la rue Broad a été consenti pour dix ans à compter
du 1" avril 1969, avec option pour la défenderesse
de reconduire pour trois périodes quinquennales
successives aux mêmes conditions, dont le loyer. Il
comportait aussi un droit incessible de préemption
sur l'immeuble. Le loyer annuel, comme il avait
été proposé originairement, était de $2.50 le pied
carré en regard de 4% du chiffre des ventes, les
opérations du bureau de poste auxiliaire et la vente
des articles utilitaires exclues. La clause de varia
tion de taxe n'entrait en jeu que si aucun loyer
proportionnel n'était exigible, situation qu'on ne
prévoyait pas devoir se produire vu le chiffre d'af-
faires effectué par le passé (et qui, de fait, ne s'est
pas produite). Et même, les versements mensuels
de loyer pour la première année ont été fixés, selon
une prévision du loyer annuel, bien au-dessus du
$2.50. La défenderesse n'avait à payer que le
service téléphonique; l'électricité et l'eau étaient
fournies.
J'accepte les déclarations de Jack M. Warren,
témoin-expert cité par la demanderesse, en ce qui
a trait au caractère du magasin de la rue Broad et
à ses alentours. Il occupe tout le rez-de-chaussée
et, pour fins d'entrepôt, une partie du sous-sol d'un
bâtiment séparé sur le côté est de la rue Broad. La
surface du rez-de-chaussée est d'environ 3,462
pieds carrés, et celle du sous-sol de 1,044. II y a
des appartements aux étages supérieurs. Le bâti-
ment en façade, de trois étages, a été construit en
1912; une annexe de deux étages à l'arrière a été
construite en 1938. Les bâtiments ont été bien
entretenus et amplement rénovés périodiquement.
Ils sont en assez bonne condition pour leur âge. Il y
a un terrain de stationnement à l'arrière.
Cette partie de la rue Broad est une artère
nord-sud à quatre voies à la lisière orientale du
centre-ville commercial de Régina. C'est une rue
commerciale, bien que les rues avoisinantes aient
une haute densité résidentielle. Le General Hospi
tal de Régina est à deux pâtés de maisons à l'est
du magasin de la rue Broad. C'est la pharmacie la
plus proche de l'hôpital et les arrêts des transports
en commun allant à l'hôpital se trouvent directe-
ment en face du magasin des deux côtés de la rue
Broad. Il semble que ce soit là un avantage parti-
culier, mais plutôt pour la vente des cadeaux que
pour celle de médicaments sur ordonnance.
Celles des ventes du magasin de la rue Broad
qui auraient fait l'objet du loyer proportionnel
durant l'exercice financier des McNeill, qui s'est
terminé les 31 janvier 1966, 1967 et 1968, ont été
de $364,612, $427,251 et $477,483 respective-
ment, soit de l'ordre du quart du chiffre d'affaires
annuel des McNeill et, de toute évidence, elles
progressaient à un taux fort satisfaisant. Les
ventes de l'année se terminant le 31 janvier 1969
n'ont pas été évaluées et n'ont pas fait l'objet de
preuves; toutefois, les ventes de la défenderesse
dans ce magasin pour les neuf mois allant du 1"
avril au 31 décembre 1969 ont totalisé $373,459.
M. Howard P. Hamilton, évaluateur immobilier
de Calgary, assigné à témoigner par la demande-
resse à titre d'expert, avait conclu que le taux de
base de $2.50 était généralement utilisé pour ce
genre d'immeuble, que la durée éventuelle du bail,
soit 25 ans, était supérieure à la normale et que le
loyer à un taux de 4% n'aurait donné lieu à aucune
prime en cas de cession du bail en 1969. En
conclusion il était d'avis qu'aucune prime appré-
ciable ne devrait être attribuée au bail de la rue
Broad. Il n'a étudié comme point de comparaison
que des pharmacies situées dans des centres
commerciaux.
Bien que vraisemblablement M. Hamilton ait eu
à se tourner vers les centres commerciaux pour
trouver suffisamment de pharmacies dont le bail
stipule un loyer au pourcentage, il existe, c'est
évident, des frais, et, sans aucun doute, des bénéfi-
ces compensatoires dus à la situation dans un
centre commercial qu'on ne trouve pas dans un
commerce comme celui de la rue Broad. En l'es-
pèce, il me semble que la démarche de l'autre
expert de la demanderesse, M. Jack M. Warren,
qui s'est servi aussi de certains immeubles séparés
comme point de comparaison, est préférable. M.
Warren est évaluateur immobilier au service de
Revenu Canada; il résidait auparavant à Saska-
toon et habite maintenant à Ottawa. Il a aussi
comparé, du mieux qu'il a pu, les frais d'occupa-
tion du magasin de la rue Broad avec d'autres qui
lui sont comparables. J'évoque uniquement les
bâtiments séparés, tous dans Régina:
1. La pharmacie McGregor, 2,100 pieds carrés,
louée le 29 novembre 1971 pour cinq ans avec
possibilité de reconduction quinquennale, loyer à
renégocier. Le loyer initial était de $400 par
mois pour les trente premiers mois et de $450
ensuite soit un loyer annuel moyen de $2.43 le
pied carré. Chiffre d'affaires en 1972: $169,090;
en 1973: $174,522. Le loyer annuel moyen cor
respond à 2.84% du chiffre d'affaires moyen
annuel. La clause de variation de taxe joue à
compter de 1971. Ayant tenu compte des taxes,
des assurances, des autorisations, du nettoyage,
des réparations et de l'entretien, du chauffage et
des services, Warren a calculé que les frais de
location, y compris le loyer, s'élevaient à $9,278,
soit 5.48% du chiffre d'affaires pour ces
années-là.
2. La pharmacie Harris, 1,606 pieds carrés,
louée le 1er septembre 1965 pour dix ans avec
possibilité d'une reconduction quinquennale,
loyer à renégocier. Le loyer était de $4,134 l'an,
soit $2.57 le pied carré. Chiffre d'affaires en
1970: $125,795; en 1971: $130,731 et en 1972:
$137,439. La clause de variation de taxe jouait à
compter de 1965. Warren a calculé que les frais
totaux de location, y compris le loyer, étaient de
$6,731 en regard de 5.35% du chiffre des ventes
pour ces années-là.
3. La pharmacie Duncan, 1,211 pieds carrés,
louée au mois à raison de $3,100 l'an, soit $2.56
le pied carré, le locataire payant tous les frais,
taxes exceptées. Le chiffre d'affaires annuel en
1969 était de $89,496 et les frais totaux de
location, y compris le loyer, étaient de $5,657
soit 6.32% du chiffre des ventes pour cette
année-là.
Quant au magasin de la rue Broad, compte tenu
d'une exploitation de neuf mois en 1969, les calculs
de Warren portant sur les frais totaux annuels de
location de la défenderesse, loyer compris, donnent
5.32% du chiffre des ventes pour 1969 et 5.63%
pour 1970. Aucun des magasins ayant servi de
points de comparaison à Warren n'a fait l'objet de
paiement de loyer proportionnel et tous consis-
taient, bien évidemment, en de plus petits maga-
sins, et de beaucoup. Il est vrai aussi, comme la
chose est apparue au cours du contre-interroga-
toire, que les dépenses qualifiées, d'après les rubri-
ques comptables adoptées par M. Warren, de frais
d'occupation peuvent, c'est normal, varier considé-
rablement tant en ordre de grandeur qu'en nature,
d'un commerce à l'autre. Cela dit, la démarche de
M. Warren me paraît être la seule base pratique
de comparaison des coûts du bail de la rue Broad
d'avec ceux des autres pharmacies situées hors des
centres commerciaux. Comme dans le cas du bail
de la rue Albert sud, il n'a pas été démontré que le
bail de la rue Broad ait été si favorable au loca-
taire, compte tenu du marché, qu'un sous-locataire
éventuel aurait payé n'importe quoi pour pouvoir
en bénéficier.
Il suffit de citer Halsbury pour étayer la distinc
tion faite de longue date entre la clientèle due au
commerçant et la clientèle due à l'emplacement
seul (ou achalandage).'
[TRADUCTION] On a établi une distinction entre la clientèle
due à la réputation du commerçant et à la raison sociale, et
celle qui est fonction seulement de la situation des lieux, et dont
il faut tenir compte quand on calcule la valeur de ces lieux.
' Halsbury's Laws of England, 3' éd., volume 29, p. 362, par.
718.
La seule preuve que je possède en ce qui con-
cerne la valeur de la clientèle due à l'emplacement
seul (ou achalandage) du magasin de la rue Albert
sud est l'opinion du témoin de la demanderesse, M.
Catty, qui la fixe à $67,500. Ce chiffre est obtenu
en acceptant la somme de $120,000 comme la
valeur appropriée pour l'achalandage du magasin
de la rue Broad et en tenant compte des différen-
ces entre les chiffres d'affaires respectifs. En l'es-
pèce, je considère comme exact ce chiffre de
$67,500.
Je note que dans son rapport, Catty se réfère
[TRADUCTION] «à l'achalandage et à la conti-
nuité». C'est moi qui souligne. Nulle part il n'éla-
bore sur le sens particulier de «continuité» en ce
qui le distingue de l'emplacement. A la page 6, il
écrit:
[TRADUCTION] 5. Achalandage et continuité
On confond souvent, notamment dans le cas des détaillants,
l'achalandage avec la valeur locative. Ce n'est pas la même
chose. L'achalandage est lié au va et vient des alentours. Ce
va et vient, et par conséquent le commerce qui y est lié, peut
augmenter ou diminuer en fonction de plusieurs facteurs
externes comme le développement d'une zone résidentielle,
un concurrent qui ouvre ses portes en face, etc.
La continuité c'est, si je comprends bien, cet aspect
de l'emplacement qui implique la poursuite par un
nouveau propriétaire des activités commerciales à
une même adresse.
Quant au magasin de la rue Broad, il a claire-
ment été démontré que sa situation offrait, dans
les faits, un avantage particulier. Cet avantage a
une valeur pécuniaire. Quoique les McNeill et la
défenderesse n'aient pas expressément quantifié
cette valeur, il me semble qu'ils l'ont fait tacite-
ment. Si le magasin avait été totalement détruit
immédiatement après la conclusion du contrat et
qu'en conséquence le bail ait été résilié, la défende-
resse aurait eu droit de recouvrer $120,000 des
$290,000 versés pour la clientèle. Ces $120,000
étaient destinés à indemniser la défenderesse pour
un bien incorporel acheté aux McNeill et perdu
par suite de la résiliation du bail. Ce ne peut être
son droit exclusif de commercer sous la raison
sociale des McNeill ni celui de faire respecter
l'obligation de non-concurrence. Elle n'aurait pas
perdu non plus son droit de préemption sur le
magasin Happy Shopper; elle n'aurait perdu que
deux biens incorporels: son droit de préemption en
cas de vente de l'immeuble de la rue Broad et son
droit d'exploiter cette pharmacie en ce lieu vingt-
cinq années durant.
On est arrivé au chiffre de $120,000 après de
dures négociations entre parties sur leurs gardes,
conseillées par des spécialistes avertis, ayant une
bonne connaissance des lieux et du commerce y
exploité ou pouvant y être exploité. Le contrat est
donc une preuve concluante que les $120,000 cor
respondent à la valeur de ces deux biens
incorporels.
Que la valeur du droit de préemption ait été, au
mieux, purement symbolique, cela est confirmé par
le fait qu'encore une fois entre parties se gardant
mutuellement l'une de l'autre et agissant en con-
naissance de cause, il y a eu vente par l'une d'elles,
la défenderesse, de l'achalandage des magasins
Lorne et Rexall pour autant sinon plus que ce
qu'elle a payé pour obtenir un droit de préemption
incessible. J'accepte, comme le fit Catty, que les
$120,000 payés pour l'achalandage dans le cas du
magasin de la rue Broad l'ont été entièrement pour
l'achalandage, soit la clientèle due à l'emplace-
ment.
Le fond de la question, c'est, comme l'a dit le
juge Kearney dans Plouffe c. M.R.N. 2 :
[TRADUCTION] Dans quelle mesure l'achalandage, ou clientèle
attachée à la situation des lieux,. si achalandage il y a, par
opposition à la clientèle due au commerçant, fait-il partie
intégrante d'une tenure à bail?
Il est regrettable qu'il n'ait pas alors été jugé
nécessaire de répondre à la question; il avait été
reconnu qu'aucune valeur d'achalandage n'était
impliquée dans la transaction; il s'ensuivait que la
somme litigieuse constituait vraiment le coût en
capital du bail. La question ne s'est pas posée
depuis.
On m'a cité une certaine jurisprudence anglaise
qui applique les dispositions du Landlord and
Tenant Act, 1927 3 . Elle n'est pas particulièrement
applicable ici, mais appelle l'attention, à toutes
fins utiles, sur le fait que le Parlement de West-
minster a jugé que la clientèle locale que crée le
locataire accroît la valeur de l'immeuble tout
comme les améliorations physiques. Cela donne au
locataire le droit de se faire indemniser par le
propriétaire à l'expiration du bail.
2 [1965] 1 R.C.L. 781, à la p. 797.
3 17 & 18 Geo. V, c. 36 (R.-U.).
La jurisprudence australienne est un peu plus
utile. Là-bas une loi fédérale d'imposition du reve-
nu 4 prévoit que les primes ou contreparties similai-
res [TRADUCTION] «demandées et fournies en
matière de tenures à bail> doivent, selon le cas, être
incluses ou déduites de ce que l'on nomme dans la
terminologie canadienne, le revenu imposable. La
High Court d'Australie a jugé qu'une contrepartie
pour l'achalandage, avait été versée et reçue [TRA-
DUCTION] «relativement à des tenures à bail» dans
les ventes de commerces en activité lorsque le
vendeur accordait un bail sur les lieux en cause. 5
Dans la première affaire, l'appelant, le vendeur-
propriétaire, qui a vendu l'achalandage, a été
débouté; dans la seconde, l'acheteur-locataire,
intimé, qui l'acheta, a eu gain de cause.
On peut voir une analogie (et, bien qu'on n'en
ait pas parlé lors des plaidoiries, elle me semble
pertinente) dans l'expropriation d'un droit réel
immobilier. Que ce droit soit une tenure libre ou
une tenure à bail, la valeur de l'achalandage, si
celui-ci permet au commerce de se poursuivre, est
accepté comme l'un des éléments du droit
exproprié.
Si l'on se réfère expressément à la loi fédérale
actuelle 6 , la seule chose que l'on puisse exproprier
c'est un droit réel immobilier et la seule indemni-
sation autorisée, c'est la valeur du droit exproprié.
La loi le reconnaît expressément, lorsque le pro-
priétaire est privé du droit exproprié, la valeur de
ce dernier comprend «la valeur, pour le titulaire, de
tout facteur représentant pour lui un avantage
économique particulier attribuable ou connexe à
son occupation de l'immeuble».
Le titulaire du droit exproprié peut fort bien
être entièrement indemnisé pour l'achalandage en
recevant la valeur marchande du bien. Toutefois le
locataire dépossédé a droit aussi à cette indemnité.
Vu que d'après la Loi la seule chose qui puisse être
expropriée et dont on puisse être indemnisé c'est
un droit réel immobilier, et vu que le seul droit du
locataire est sa tenure à bail, il faut conclure que
4 Le Income Tax Assessment Act, 1922, art. 16d); Loi de
1922 n° 37.
5 Daniell c. The Federal Commissioner of Taxation (1928)
42 C.L.R. 296. The Federal Commissioner of Taxation c.
Williamson (1943) 67 C.L.R. 561.
6 Loi sur l'expropriation, S.R.C. 1970 (1°' Supp.), c. 16.
la Loi sur l'expropriation considère l'achalandage
comme partie intégrante de la tenure à bail.
D'après la jurisprudence fiscale, c'est le vérita-
ble caractère de la transaction que l'on doit exami
ner.' Le point en litige en l'espèce est, à la connais-
sance et des avocats et du tribunal, nouveau en
droit fiscal canadien. Bien que la question ait été
posée antérieurement, il ne semble pas qu'on y ait
répondu. Je doute que le dernier mot soit dit sur
cette question en la présente espèce.
L'affaire Chissum c. Dewes$ a été jugée bien
avant que la forme des transactions commerciales
soit dictée par les lois fiscales modernes, avant que
dans les fonds de commerce on distingue plusieurs
éléments comme c'est, d'après les preuves faites, le
cas aujourd'hui. La clientèle dont il est question
dans l'affaire précitée c'est manifestement ce
qu'aujourd'hui nous appellerions l'achalandage, ou
clientèle due à l'emplacement seul. Dans cette
affaire un bail en cours, grevé d'un mortgage en
equity, était vendu en bloc avec l'achalandage d'un
commerce qui se tenait dans des locaux faisant
partie intégrante du patrimoine du locataire
défunt. La somme totale obtenue à la liquidation
de la succession était insuffisante pour rembourser
la créance privilégiée. On a donc cherché à ventiler
la contrepartie due, de façon à ne payer au créan-
cier que la somme correspondant à la partie du
bail restant à courir. Sir John Leach, Maître des
rôles, a statué comme suit:
[TRADUCTION] L'achalandage d'un fonds de commerce, ce
n'est rien d'autre que l'avantage attaché à la possession de la
maison et le créancier privilégié qui a droit à la possession de la
maison a droit à cet avantage en son entier. Je ne saurais
séparer l'achalandage du bail.
Tout comme le docte Maître des rôles je ne puis
séparer l'achalandage des autres avantages dont
jouit celui qui a droit à la possession des lieux.
Lorsque l'achalandage découle du bail, il en fait
partie et le prix payé pour cet élément doit être
intégré au coût de la tenure à bail.
Rien ne permet de modifier la cotisation rejetant
la déduction réclamée des dépenses engagées lors
de la négociation de la transaction McNeill. Quoi -
Firestone Tire and Rubber Company of Canada, Limited c.
Commissaire de l'impôt sur le revenu [1942] R.C.S. 476.
8 (1828) 38 E.R. 938.
que la question ait été soulevée dans les conclu
sions écrites, elle n'a pas été évoquée lors des
plaidoiries.
Les déclarations d'impôt de 1969 et 1970 de la
défenderesse seront renvoyées au Ministre qui éta-
blira de nouvelles cotisations compte tenu que les
$187,500 constituent le coût en capital de la tenure
à bail grevant les magasins des rues Broad et
Albert sud pour lesquels la défenderesse a droit de
réclamer une allocation du coût en capital. Quant
aux $20,000 litigieux restants, il n'a pas été prouvé
qu'ils aient été versés en contrepartie d'une quel-
conque tenure à bail.
Selon la décision de la Commission de révision
de l'impôt 9 , rendue apparemment en l'absence de
la plupart des preuves produites devant la Cour, on
devait présumer que 50% des $207,500 avaient été
payés pour les tenures à bail. Il s'ensuit que la
défense est entièrement accueillie et que la
demande reconventionnelle doit l'être en majeure
partie, la défenderesse ayant droit à ses dépens
dans les deux cas, taxables comme s'il s'agissait
d'une action de troisième classe.
L'avocat de la demanderesse avait demandé,
advenant que sa cliente soit déboutée, que les
dépens soient accordés comme dans l'affaire Herb
Payne Transport Limited c. M.R.N. 10 , où il a été
jugé que le contribuable, quoique ayant eu gain de
cause, était le principal responsable d'un différend
en grande partie frivole. J'ai soupesé l'argument,
mais je pense que les circonstances ne sont compa-
rables qu'en apparence et, en conséquence, je le
rejette.
9 75 DTC 103.
10 [1964] R.C.E. 1, à la p. 16.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.