T-1729-75
Émilien Letarte, faisant affaires sous la raison
sociale Centro Leasing Reg'd—Location Centro
Enrg. (Demandeur)
c.
La Reine (Défenderesse)
Division de première instance, le juge Decary—
Montréal, le 14 février; Ottawa, le 11 mai 1978.
Douanes — Saisie — Fourgons achetés et recueillis aux
E.-U. — Cargaison déclarée, mais non les fourgons — Rou-
tiers non spécialisés dans le transport de fourgons et les
douaniers ne leur ont pas indiqué la nécessité d'une déclara-
tion — Les fourgons saisis ont-ils été déclarés selon la Loi sur
les douanes? — Loi sur les douanes, S.R.C. 1970, c. C-40,
art. 18.
ACTION.
AVOCATS:
Pierre Dupras pour le demandeur.
J. M. Aubry pour la défenderesse.
PROCUREURS:
Gottlieb, Agard & Dupras, Montréal, pour le
demandeur.
Le sous-procureur général du Canada pour la
défenderesse.
Voici les motifs du jugement rendus en français
par
LE JUGE DECARY: La question â trancher peut
se poser de la façon suivante: est-ce que l'objet de
la saisie a été ou a pu être déclaré selon les
dispositions de l'article 18 de la Loi sur les doua-
nes, S.R.C. 1970, c. C-40. Cette façon de poser le
problème ne tient pas nécessairement compte des
faits, gestes et paroles des douaniers et des routiers
afin de déterminer si effectivement les routiers ont
déclaré ou auraient pu déclarer les fourgons avant
leur saisie et si effectivement les douaniers ont agi
comme ils le devaient en tenant compte des us,
coutumes, habitudes et langage des routiers aux-
quels ils sont habitués.
Je crois que les faits dans l'affaire présente
doivent être scrutés avec minutie afin de détermi-
ner la portée de l'article 18 de la Loi:
18. Toute personne ayant la charge d'un véhicule, autre
qu'une voiture de chemin de fer, arrivant au Canada, comme
toute personne arrivant au Canada à pied ou autrement, doit
a) se rendre au bureau de douane le plus rapproché de
l'endroit où elle est arrivée au Canada, ou au poste du
préposé le plus rapproché de cet endroit si ce poste en est plus
rapproché qu'un bureau de douane;
b) avant d'en effectuer le déchargement ou d'en disposer de
quelque façon, faire connaître par écrit au receveur ou
préposé compétent, à ce bureau de douane ou à ce poste, tous
les effets dont elle a la charge ou garde ou dans le véhicule,
et les garnitures, équipements et accessoires du véhicule, et
tous animaux qui le traînent ainsi que leurs harnais et
attelages, de même que les quantités et les valeurs des effets,
équipements, accessoires, harnais et attelages en question; et
c) sur-le-champ répondre véridiquement à telles questions,
relatives aux articles mentionnés dans l'alinéa b), que lui
pose le receveur ou préposé compétent et faire à ce sujet une
déclaration en bonne forme ainsi que l'exige la loi.
L'objet de la saisie était 5 fourgons achetés aux
États-Unis et ramenés au Canada, chargés de
marchandises. Seuls les fourgons furent saisis.
La preuve a démontré que les routiers sont des
hommes pour qui la paperasserie ne présente
aucun attrait car c'est la cargaison, le tracteur et
le fourgon sous leur garde qui représentent leur
souci primordial. Les routiers qui ont témoigné ont
établi que leur métier est de transporter de la
cargaison dans les fourgons et qu'il n'est pas du
tout habituel pour eux d'aller chercher des four-
gons neufs aux États-Unis pour les ramener au
Canada. Ces routiers n'étaient, ni de près ni de
loin, spécialisés dans le transport de fourgons neufs
des États-Unis vers le Canada. Leur conduite et
comportement, au poste de douane de Rock Island,
démontre leur état d'esprit: ils étaient très fiers de
tirer des fourgons neufs, de couleur aluminium, qui
devait reluire sous les réflecteurs du poste de
douane.
Il est à noter qu'avant que les douaniers n'aient
annoncé la saisie des fourgons, les routiers, comme
à l'accoutumée, avaient fait les déclarations et
rempli les formules nécessaires à l'entrée au
Canada de la cargaison ramassée (picked up) au
cours du voyage aux États-Unis. Les routiers
avaient également dit, avant la saisie, que les
fourgons avaient été ramassés (picked up) aux
États-Unis et qu'ils étaient neufs. L'emploi du mot
apick up» utilisé par les routiers pour les fourgons
avait le même sens que «pick up» pour la cargaison
et c'est le même sens qu'il faut lui donner pour les
fourgons, à savoir acheté-ramassé et, comme dans
le cas présent, acheté-ramassé aux États-Unis.
Tard dans la soirée ou à la fin d'une journée qui
devait avoir été fort remplie, soit le 1 °r août, date
de départ et retour de nombreux vacanciers, les
douaniers n'ont pas cru bon d'aider les routiers à
faire leur déclaration par écrit en leur rappelant
d'avoir à le faire, bien que les routiers avaient déjà
dit avoir «picked up» (acheté-ramassé) aux États-
Unis les fourgons, tout comme la cargaison. Les
routiers, dans l'affaire présente, ont l'habitude de
dédouaner la cargaison à St-Hyacinthe et après
qu'ils eurent dit que les fourgons étaient neufs et
ramassés (picked up) aux États-Unis, il me semble
que les douaniers auraient dû rappeler la déclara-
tion écrite. Il ne faut pas oublier que les routiers
ont l'habitude de donner toujours le même sens à
leur déclaration qui a trait à l'entrée de cargaison,
et non pas à l'entrée de fourgons neufs.
Il me semble injustifiable qu'un douanier qui se
fait dire qu'un fourgon est neuf et qu'il a été
ramassé (picked up) aux États-Unis n'indique pas
qu'il faut une déclaration écrite, à un, routier qui
est habitué à transporter une cargaison et non un
fourgon neuf. Il y avait là aveu d'achat aux États-
Unis et si l'on avait invité les routiers à faire une
déclaration écrite, elle aurait été faite car chaque
routier avait dans son véhicule tous les papiers
nécessaires pour que les fourgons neufs soient
admis au Canada sans difficultés. Mais l'on a
choisi de saisir les fourgons avant qu'une telle
déclaration écrite puisse être faite et en prenant,
semble-t-il, bien soin que rien n'en indique la
nécessité. Un traquenard n'aurait pas pu être
mieux imaginé.
J'ai lu attentivement les affaires qui m'ont été
référées et je crois que dans chaque cas il s'agit de
questions de fait.
Dans l'affaire présente, chaque routier a fait une
déclaration écrite quant à la cargaison, soit le
contenu du fourgon qu'il transportait, et ils
auraient pu être aidés par les douaniers après leur
avoir dit, et ceci avant la saisie, que les fourgons
étaient neufs et qu'ils avaient été «picked up» aux
États-Unis. A mon avis, la déclaration que les
fourgons avaient été «picked up» aux Etats-Unis
constitue une déclaration d'achat qui se greffe à
celle concernant la cargaison et il appartenait dès
lors aux officiers de douane d'aider les routiers à
remplir les formules nécessaires plutôt que d'agir
de telle sorte que les routiers tombent dans un
piège monté soit par excès de zèle, soit par fatigue
à la fin d'une journée surchargée. De toute façon,
la pratique employée par les douaniers me semble
contraire à l'usage, empreinte de formalisme et
contraire à l'esprit de la Loi.
La façon d'agir des douaniers a empêché les
routiers de faire la déclaration écrite pour les
fourgons après qu'ils eurent faite celle concernant
la cargaison car la saisie s'est opérée avant qu'ils
puissent déclarer, par écrit, les fourgons, mais
après avoir déclaré la cargaison.
L'action du demandeur est accueillie et la saisie
effectuée le ou vers le ler août 1974 sur les véhicu-
les 1974 Strick Van numéro de série 191586, 1974
Strick Van numéro de série 191588, 1974 Strick
Van numéro de série 191589, 1974 Strick Van
numéro de série 191591, 1974 Strick Van numéro
de série 191592 est annulée; les décisions du minis-
tre du Revenu national, Canada, douanes et accise,
datées du 7 mars 1975, sont annulées; la garantie
émise par la Banque Canadienne Impériale de
Commerce est annulée; il est permis au demandeur
d'entrer les marchandises en question au Canada
en payant les droits de douane et la taxe de vente
appropriés. Le tout avec dépens contre la
défenderesse.
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