T-3159-75
Albin Achorner (Demandeur)
c.
La Reine (Défenderesse)
Division de première instance, le juge Walsh—
Montréal, les 19 et 20 octobre; Ottawa, le 31
octobre 1978.
Couronne — Relations du travail — Contrat de travail —
Renvoi illicite — Absence du demandeur pour une période
prolongée par peur des brimades d'autres employés, pendant
laquelle il demandait à l'employeur des assurances au sujet de
sa sécurité — Déclaration d'abandon de poste — Procédure de
grief de la Loi sur les relations de travail dans la Fonction
publique ignorée — Action en résiliation de tout contrat
obligeant le demandeur envers la défenderesse et en domma-
ges-intérêts — L'ignorance de la procédure de grief empêche-
t-elle le demandeur d'engager l'action judiciaire? — La Cour,
ayant statué que la disposition sur l'abandon de poste prévue
par la Loi sur l'emploi dans la Fonction publique a été
interprétée irrégulièrement, peut-elle intervenir? — Loi sur
l'emploi dans la Fonction publique, S.R.C. 1970, c. P-32, art.
27 — Code civil de la province de Québec, art. 2258 et 2261.
Cette action résulte des allégations de renvoi illégal du
demandeur des Postes canadiennes. Le demandeur prétend qu'il
lui était impossible de se présenter au travail à cause des actes
illégaux des fonctionnaires de la défenderesse. Il estime faux
que son congédiement soit pour «abandon de poste»; son renvoi
est illégal et il a toujours été prêt à travailler et désireux de le
faire. Plutôt que de se prévaloir de la procédure de grief prévue
par la Loi sur les relations de travail dans la Fonction publi-
que et vu le caractère illusoire de ce recours dans les circons-
tances, il chercha à obtenir justice par d'autres canaux. En
l'espèce le demandeur conclut à la résiliation de tout contrat
qui le lierait aux Postes canadiennes, et à des dommages-inté-
rêts. Le litige comporte la question, de droit, de savoir si, le
demandeur ne s'étant pas prévalu de la procédure de grief, cela
a pour effet de lui fermer tout recours judiciaire et si, concluant
que l'article 27 de la Loi sur l'emploi dans la Fonction
publique a été irrégulièrement interprété lorsqu'il a été estimé
que le demandeur avait abandonné son emploi, le présent
tribunal peut à bon droit intervenir.
Arrêt: l'action est accueillie. Le demandeur, spécialement
comme la procédure de grief ne lui était pas en fait accessible,
se trouverait sans recours aucun, à moins que la présente cour
n'intervienne et, par ordonnance déclaratoire ou autrement, ne
réforme ladite décision. Le législateur n'entendait pas par la
Loi sur l'emploi dans la Fonction publique laisser l'employé
sans recours aucun, advenant un usage irrégulier de l'article 27.
Il ne s'agit nullement de réviser une décision administrative
prise sur la foi du jugement de l'auteur de la décision et portant
sur la compétence ou l'incompétence de l'employé, mais plutôt
une appréciation fondée semble-t-il sur deux idées erronées: a)
le demandeur abandonna son poste; sa conduite pourtant mon-
trait qu'il ne l'abandonnait pas et, b) il se serait absenté pour
des raisons non indépendantes de sa volonté alors qu'en fait les
conditions qui avaient amené son absence étaient totalement
indépendantes de sa volonté. Comme cette décision ne peut être
soutenue, la conclusion qui s'impose est que le demandeur,
n'ayant jamais abandonné son poste, doit toujours être consi-
déré comme un employé. Le demandeur aurait bien pu ne
chercher aucun autre emploi, car il n'aurait plus été disponible
pour reprendre le travail au bureau de poste tant qu'il voulait
revenir y travailler. Lorsque le demandeur a compris qu'il y
avait fort peu de possibilité de reprendre le travail au bureau de
poste, comme il doit l'avoir compris après réception de la
deuxième lettre du bureau, il devait essayer de réduire les
dommages en cherchant un autre emploi.
Distinction faite avec les arrêts: Re Ahmad and Appeal
Board Established by the Public Service Commission
(1975) 51 D.L.R. (3 ° ) 470; Emms c. La Reine [1977] 1
C.F. 101. Arrêt examiné: Wright c. La Reine [1975] C.F.
506.
ACTION.
AVOCATS:
C. E. Schwisberg, c.r. pour le demandeur.
H. A. Newman pour la défenderesse.
PROCUREURS:
Schwisberg, Benson & MacKay, Montréal,
pour le demandeur.
Le sous-procureur général du Canada pour la
défenderesse.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE WALSH: Dans cette affaire, le deman-
deur réclame des dommages-intérêts en raison de
son renvoi, qu'il estime illégal, des Postes cana-
diennes, au service desquelles il avait travaillé de
1961 jusqu'au 27 mai 1972. La première déclara-
tion était fort longue et prêtait à discussion; il était
difficile de discerner le fondement exact de la
demande. La défenderesse a répondu par une
requête pour décision préliminaire sur un point de
droit, afin de savoir s'il y avait prescription. Cette
requête a été rejetée, mais la Couronne a interjeté
appel. L'arrêt rendu en appel, [[1977] 1 C.F. 641]
dont les motifs ont été rédigés par le juge en chef
Jackctt, contient un excellent résumé [aux pages
643 654] de la déclaration, qu'il est à propos de
citer ici:
Les allégations qui figurent dans la déclaration sont diffuses.
Autant que je puisse en juger, aux fins de l'espèce, elles se
résument ainsi:
1. L'intimé a été engagé au ministère des Postes en 1961.
2. En 1965, il y a eu dans ce ministère une grève illégale à
laquelle il a refusé de participer. Ce refus [TRADUCTION] «a
provoqué une inimitié farouche chez ses collègues de travail»,
qui se sont livrés à son égard à de nombreux actes de
harassement.
3. A partir de 1971, il est arrivé parfois que l'intimé ne se
présente pas à son travail, le harassement que lui infligeaient
ses collègues et un surveillant lui faisant craindre pour sa
sécurité. Le 29 mai 1972, il a informé l'un de ses supérieurs
qu'il ne pouvait plus se présenter à son travail [TRADUC-
TION] «parce qu'il craignait vraiment pour sa sécurité» et lui
a demandé de lui indiquer [TRADUCTION] «quand, à son avis,
il pourrait le reprendre».
4. Le 15 août 1972, l'intimé a reçu notification qu'il était
«renvoyé» en vertu de l'article 27 de la Loi sur l'emploi dans
la Fonction publique, dont voici le libellé:
27. Lorsqu'un employé s'absente de son poste pendant
une semaine ou davantage, sauf pour des raisons qui, de
l'avis du sous-chef, sont indépendantes de sa volonté, ou
sauf en conformité de ce qui est autorisé ou prévu par une
loi du Parlement ou sous son régime, le sous-chef peut, au
moyen d'un écrit approprié adressé à la Commission,
déclarer que l'employé a abandonné le poste qu'il occupait.
Cet employé cesse dès lors d'être un employé.
pour [TRADUCTION] «abandon de poste», ce qui, prétend-il
[TRADUCTION] «est complètement faux en l'occurrence car il
n'a jamais abandonné son poste».
5. L'intimé prétend [TRADUCTION] «qu'en réalité il n'a
jamais été renvoyé légalement et qu'à partir du 27 mai, il a
toujours voulu et désiré travailler, et a simplement cherché à
obtenir de ses supérieurs l'assurance qu'il serait protégé
contre les actes de harassement parfaitement illégaux perpé-
trés par son surveillant et qui lui faisaient craindre pour sa
vie ...».
6. Le 25 novembre 1974, l'intimé a demandé à l'appelante:
a) de le réintégrer dans son poste initial, et
b) de lui payer [TRADUCTION] «toutes ses pertes de salaire
jusqu'au 1°" janvier 1974, soit environ $20,300». Il a
déclaré qu'en sus de la perte de salaire, il estimait les
dommages qu'il avait subis à $126,000. (Il estime mainte-
nant avoir droit à des dommages-intérêts de $104,000 en
guise de pension, ce qui fait au total $250,000.)
L'intimé conclut sa déclaration en formulant les réclamations
suivantes:
a) [TRADUCTION] «l'annulation de tout contrat entre lui-
même et le ministère des Postes, ... à toutes fins légales
futures», et
b) un jugement lui accordant $250,000, plus les intérêts.
Si je comprends bien, cette réclamation peut se résumer
ainsi: en raison d'actes illégaux commis par des tiers (prépo-
sés de l'appelante se livrant à ces actes illégaux apparemment
en dehors de leurs fonctions), l'intimé, qui peut avoir été ou
non un préposé de l'appelante durant tout ou partie de la
période en question, n'a pas rempli les fonctions du poste
qu'il occupait précédemment en qualité de préposé de l'appe-
lante ni n'a offert de les remplir depuis mai 1972. En se
fondant sur la carence de l'appelante face à ces actes illé-
gaux, il réclame l'annulation d'un contrat qu'elle n'invoque
pas contre lui, un salaire pour des services qu'il n'a ni
accomplis ni offert d'accomplir et des dommages-intérêts
pour perte d'emploi.
A la page 646 le docte juge en chef dit:
Lorsque j'examine s'il est «opportun* d'interrompre les procé-
dures ordinaires afférentes à la conduite d'une action pour
présenter une question préliminaire relative à la «prescription*,
je suis tout d'abord frappé par le doute réel que je ressens après
avoir lu la déclaration (que l'appelante a voulu être le sujet
principal de la décision afférente au seul point de droit proposé)
quant à la nature de la cause d'action, s'il y en a une. J'ai le
sentiment que si on laissait l'affaire suivre son cours, au dernier
moment, il surgirait une cause d'action qui n'apparaît pas à la
simple lecture de la déclaration, mais apparaîtrait peut-être
dans sa version modifiée. Je ne pense donc pas qu'à ce stade, il
soit «opportun* de soumettre le point de droit proposé.
Suivent une déclaration et une demande révisée,
aussi longues, dans lesquelles le demandeur
conclut:
[TRADUCTION] C'EST POURQUOI le demandeur requiert qu'il
vous plaise annuler à toutes fins que de droit tout contrat verbal
ou écrit qui aurait pu le lier lui d'une part, et les Postes
canadiennes d'autre part, et requiert que jugement soit rendu,
contre la défenderesse et pour le demandeur, pour ladite somme
de $362,000, intérêt compris, à compter de la signification des
présentes, et tous les frais distraits par le soussigné procureur
du demandeur.
A alors été présentée une requête en radiation
desdits actes de procédure au motif qu'ils ne divul-
guaient aucune cause raisonnable d'action. La
requête a été rejetée par jugement du 9 février
1977 [[1977] 2 C.F. 344].
Les preuves produites au procès sont pour ainsi
dire confuses et insatisfaisantes. Le seul témoin a
été le demandeur lui-même qui, au lieu de donner
des détails précis sur les menaces et les harcèle-
ments auxquels il avait été soumis, s'est borné à
énoncer des généralités disant que tout se trouvait
déjà dans le dossier de la police, ou dans la corres-
pondance qu'il avait échangée avec divers fonc-
tionnaires du ministère des Postes, dont le Ministre
lui-même, qu'ils étaient tous au fait de ce qui se
passait par suite des entrevues qu'il avait eues avec
eux. Pressé de produire au moins une partie de
cette correspondance, il ouvre un volumineux dos
sier que son avocat prétend voir pour la première
fois et, après ajournement pour donner à l'avocat
la possibilité de s'entretenir de cette correspon-
dance avec lui, sont produites certaines copies de
lettres plus ou moins pertinentes à l'espèce, le
procureur de la défenderesse y consentant, copies
qu'il aurait été plus adéquat de produire lors de
l'interrogatoire principal. Aucune preuve appro-
priée n'a été présentée relativement à la méthode
de calcul de la réclamation de $362,000 (originai-
rement de $250,000, dans la première déclara-
tion); aucun renseignement n'a été fourni quant au
taux de rémunération du demandeur au moment
où s'est terminé son emploi, ni quant aux augmen
tations éventuelles qu'il aurait obtenues s'il avait
conservé cet emploi, ni quant à la valeur actuelle
de la perte de son droit éventuel à une pension, ni
aucun autre chiffre; le seul indice sur la méthode
de calcul utilisée (et aucune preuve à l'appui n'a
été présentée au procès) se trouvant au paragraphe
23 de la déclaration révisée, lequel évoque une
lettre envoyée le 25 novembre 1974 au ministre des
Postes d'alors, André Ouellet:
[TRADUCTION] ... indiquant que le demandeur ne démission-
nerait pas et lui demandant de réintégrer ledit demandeur en
son poste originaire, en garantissant sa sécurité, et en lui
remboursant toutes pertes de salaire à ce jour, 1' janvier 1974,
soit $20,300; signalant par la même occasion que le demandeur
n'ayant que quarante-neuf ans à l'époque et l'âge de la retraite
étant normalement de 65 ans, les années d'ancienneté et le
montant de la pension auraient augmenté jusqu'à cet âge; qu'au
moment où ont été subis les dommages, en sus de la perte de
salaire, ces derniers s'élevaient à $126,000; que maintenant, au
moment de l'introduction de la présente action, ils étaient
beaucoup plus considérables, ayant atteint un total de $250,-
000; en fait, à ce jour, le demandeur a 53 ans; la seule perte de
salaire s'élève approximativement à $70,000 et il a droit à
percevoir son salaire jusqu'à l'âge de 65 ans, date de la retraite;
compte tenu de la montée des salaires avec le coût de la vie, le
sien s'élèverait au moins à $16,000 par année, ce qui, pour les
douze ans qui le séparent de ses 65 ans ferait $192,000. La
perte totale de salaire est donc de $262,000; après il aurait eu
droit à sa pension, qui aurait eu une valeur de $200,000
payables par versements, donc une valeur de $100,000 comp-
tant, compte tenu particulièrement de ce que le demandeur est
en fort bonne santé et qu'il est issu d'une famille où l'on vit
vieux, son père n'étant décédé qu'à l'âge de 75 ans et sa mère
étant toujours en vie à 77 ans.
On n'a cité aucun témoin pour corroborer les
dires du demandeur, ce qui se comprend; on ne
peut espérer que les camarades de travail dont il se
plaint, viennent témoigner en sa faveur. La seule
corroboration possible est donc celle que l'on peut
trouver dans les réponses à la correspondance volu-
mineuse qu'il a entretenue avec divers fonctionnai-
res du ministère des Postes, dans la mesure où y
sont évoqués certains des faits qui ont conduit à
son renvoi. D'autre part, comme aucun témoin n'a
été cité par la défenderesse, celle-ci doit s'appuyer
sur les éléments de preuve apportés par le deman-
deur, y compris bien entendu le contre-interroga-
toire, la correspondance produite, et le droit. Dans
la mesure où un seul témoin non contredit sur une
question de fait suffit, le témoignage du deman-
deur doit être accepté pour ce qui est de la situa
tion prévalant au bureau de poste, laquelle a con
duit éventuellement à son renvoi.
D'après son témoignage et la correspondance
produite, il est évident que le demandeur Achorner
a beaucoup d'indépendance d'esprit, qu'il n'ap-
prouve pas les syndicats en général et certainement
pas les actes illégaux que le syndicat des postiers,
ou ses membres, pourraient commettre et, en con-
séquence, qu'il est loin d'être populaire auprès de
ses camarades de travail qui fréquemment l'ont
harassé et menacé. Il a le sentiment de ne pas avoir
été traité correctement par ses supérieurs immé-
diats du bureau de poste, et fréquemment il n'est
pas passé par la voie hiérarchique pour se plaindre
à un plus haut niveau et obtenir gain de cause.
Rien toutefois n'indique qu'il n'ait pas été un
travailleur consciencieux et diligent; il ne peut
certainement pas être blâmé pour avoir voulu faire
convenablement son travail et avoir refusé de par-
ticiper à des agissements qu'il jugeait illégaux.
Lorsque les employés des Postes ont fait grève,
(une grève illicite) en 1965, il a refusé de les imiter
et a traversé les piquets de grève. Par la suite il a
été constamment insulté verbalement et menacé;
on lui a dit de faire attention à lui lorsqu'il travail-
lerait dans l'équipe de minuit au bureau de poste
principal de Montréal. Dans la nuit du 4 au 5 juin
1966, alors qu'il quittait le travail vers 8 h 40 du
matin environ, une équipe complète d'environ 200
travailleurs était massée, l'attendant et, pendant
que deux d'entre eux lui immobilisaient les bras,
d'autres l'ont roué de coups. Il a eu le nez brisé,
des blessures au menton et des contusions un peu
partout; cela lui a valu une semaine d'hôpital. Il a
déclaré que la police avait alors porté des accusa
tions par suite de ces voies de fait mais il n'a pas
établi ce qui s'en est suivi. Subséquemment toute-
fois, il a revu ceux qui l'avaient attaqué; ils travail-
laient toujours au bureau de poste. A la suite de
cela, le 5 juin 1966 (quoiqu'il ait déclaré au procès
qu'il avait passé une semaine à l'hôpital) il a écrit
une lettre à M. A. Portelance, chef du personnel
du bureau de poste principal, pour se plaindre des
insultes constantes dont il faisait l'objet, et qui
s'étaient terminées par des voies de fait sur sa
personne au cours des neuf précédents mois, et ce
simplement parce qu'il n'était pas syndiqué. Il
demandait quelles démarches devraient être faites
pour lui permettre de s'acquitter de ses fonctions
sans faire l'objet de discrimination ou d'intimida-
tion. Ceci a eu pour résultat que le directeur des
postes de Montréal, M. Cormier, a fait muter le
demandeur à la sous-section de l'enregistrement du
bureau de poste central, sous-section plus petite,
où il travailla durant cinq ans dans l'équipe de
minuit à 8 h 30 du matin, sans être harassé indû-
ment. Le 29 janvier 1971, il a été avisé qu'à
compter du 7 février 1971 ses heures de travail
commenceraient à 10 h du soir au lieu de minuit,
conformément à l'article 5 d'une convention collec
tive conclue par le Conseil du Trésor et le Conseil
des syndicats des postiers. Il a protesté vigoureuse-
ment, car cela l'obligeait à quitter le travail à
6 h 30 du matin au lieu de 8 h 30, c'est-à-dire à
l'heure où un grand nombre d'autres travailleurs
quittent le bureau de poste central, dont ceux qui
le harassaient continuellement, et comme, en hiver,
il ferait encore sombre, il craignait pour sa sûreté.
Il est allé voir M. Cormier mais apparemment n'a
pu obtenir la révision de la décision. M. Cormier
lui a écrit le 13 avril que la décision avait été
réexaminée et jugée justifiable, que lorsque son
horaire de travail avait été établi en 1966, c'était
par suite d'une situation prévalant à cette époque,
situation qui à son avis était maintenant chose du
passé et dont la répétition était peu vraisemblable.
Refusant d'accepter ces assurances, le 19 avril
1971 le demandeur a écrit à M. Jean-Pierre Côté,
alors ministre des Postes, pour expliquer sa posi
tion et ses craintes. Finalement il a obtenu de
retourner dans l'équipe de minuit comme il le
désirait mais entre-temps il avait perdu trois mois
de salaire à cause de ce différend.
La situation s'est rapidement détériorée au prin-
temps 1972. Ses camarades de travail lui ont fait
clairement entendre qu'il était indésirable; ils le
tenaient à l'écart pendant le lunch et deux ou trois
d'entre eux le traitaient de noms injurieux ou
obscènes. Soi-disant on l'aurait averti de bien
prendre garde, que sa vie était en danger, mais il a
refusé de nommer l'auteur de cette menace et
apparemment il ne s'en est pas plaint à ses
supérieurs.
Le 12 mai 1972 son supérieur immédiat, R.
Dagenais, qui ne faisait pas partie des cadres mais
était syndiqué, l'aurait vertement sermonné et
insulté, cherchant à l'intimider pour qu'il ne se
présente pas au travail le 13 mai et, lorsqu'il a
tenté de venir travailler ce jour-là, il a trouvé
l'entrée bloquée par des gens qui ressemblaient à
ses assaillants de 1966. Des menaces ont été profé-
rées mais il est allé travailler tout de même.
Le 26 mai M. Dagenais a ordonné au deman-
deur de fermer à 3 h du matin au lieu de 5 h 35 le
courrier d'un vol, et comme résultat une partie du
courrier à destination de Val-d'Or et Rouyn est
restée en souffrance; le même jour, M. Dagenais
lui a ordonné de fermer le courrier destiné aux
bureaux de poste satellites (Longueuil, Pointe-
Claire-Dorval, Roxborough, Lachine, Laval-des-
Rapides, Sainte-Anne-de-Bellevue) à 2 h du matin
au lieu de 4 h 30, ce qui laissait en souffrance la
plus grande partie du courrier à destination de ces
localités. Il s'agissait du courrier du vendredi et il
faut se souvenir que le demandeur travaillait dans
la sous-section d'enregistrement où la fermeture
du courrier à l'heure prévue est une opération des
plus importantes. Il a donc estimé que c'était là un
cas supplémentaire de harcèlement de la part de
M. Dagenais et, bien qu'il ait obéi aux ordres, il ne
voulait pas être blâmé pour des actes qu'il jugeait
illégaux. Lorsqu'il a quitté le travail ce matin-là à
8 h 30, 10 membres de l'équipe de relève lui ont
demandé comment il avait passé la nuit précé-
dente; il en a conclu qu'on avait prévu de le
harceler d'une manière plus importante la nuit
précédente ou peut-être pire, et que cela était
connu des syndiqués. En conséquence le 27 mai
1972 il a écrit à M. L. St -Cyr, chef de la Division
du courrier d'acheminement une lettre dans
laquelle il rappelait certaines plaintes qu'il avait
déjà formulées à l'égard de M. Dagenais dans une
lettre du 6 janvier 1972. Il citait M. Dagenais,
lequel aurait dit qu'il avait l'intention de continuer
à le harceler jusqu'à ce [TRADUCTION] «qu'il
arrive à ses fins». Il concluait en demandant seule-
ment qu'on lui indique ce qu'il devrait faire pour
pouvoir oeuvrer en paix pendant ses huit heures
conformément aux horaires de travail et aux règle-
ments, à l'abri des harcèlements toujours renouve-
lés. Il expliquait que c'était là la raison pour
laquelle il ne s'était pas présenté au travail la nuit
précédente et il demandait conseil pour ce qui était
de la date à laquelle il pourrait reprendre le tra
vail. Le 29 mars 1972 il a envoyé à M. L. Duro-
cher, directeur du district métropolitain de Mont-
réal, une copie de la lettre envoyée à M. St -Cyr.
Dans cette lettre il écrit:
[TRADUCTION] Si je pose ce geste, c'est dans l'espoir que des
mesures seront prises à l'égard d'un état de fait qui a déjà été
trop longtemps toléré par le 715, rue Peel. Si rien n'est fait, je
continuerai de signaler la chose au gouvernement à Ottawa ou
je soumettrai les faits dont j'ai accumulé d'amples preuves dans
ma correspondance avec votre bureau, à une commission parle-
mentaire; ou encore, si cela s'avère nécessaire, je m'adresserai
aux tribunaux. La presse serait fortement intéressée par divers
aspects de la présente affaire.
Le paragraphe ci-dessus ne doit pas être considéré comme une
menace; il ne fait qu'indiquer jusqu'où je suis prêt à aller.
Il est évident que le ton de cette lettre, quoiqu'elle
ait probablement été écrite alors que le demandeur
était au désespoir, n'était pas fait pour lui attirer la
bienveillance de ses employeurs.
Curieusement aussi, après l'envoi de cette lettre,
le demandeur n'a rien fait pendant deux mois et
demi, se bornant à attendre une réponse. Peut-être
a-t-il surestimé son importance pour le bureau de
poste, lui, un employé parmi des milliers. De toute
façon il pensait, et il pense encore, que c'était à
eux d'agir. Lorsqu'on lui demande quelle mesure
précisément il aurait voulu que l'on prenne, il
répond que c'était leur affaire. Il reconnaît qu'il
leur était impossible de le protéger des menaces ou
du harcèlement des autres employés, mais appa-
remment il n'a ni suggéré, ni demandé une muta
tion, peut-être dans une succursale plus petite où,
même s'il s'y trouvait des salariés syndiqués, il
aurait moins à craindre. Il s'est dit heureux de
travailler à la sous-section d'enregistrement, de
minuit à 8 h 30 du matin, mais cela ne semble pas
concorder avec ses plaintes à l'égard de son supé-
rieur immédiat, M. Dagenais qui, pensait-il, cher-
chait à lui nuire. Peut-être pensait-il que quelque
chose pourrait être fait pour contrôler les actes,
qu'il jugeait illégaux, de M. Dagenais, notamment
les actes de harcèlement à son égard. Curieuse-
ment aussi, bien qu'il ait été soi-disant menacé par
ses camarades de travail dans la nuit du 12 au 13
mai, il se plaint principalement dans sa lettre des
tracasseries de M. Dagenais, particulièrement du
fait que ce dernier lui ait ordonné de fermer
certains courriers avant l'heure. De toute façon il
semble qu'il y a eu confusion dans son esprit à
l'époque sur ce qu'il voulait vraiment, si ce n'est le
but irréalisable de pouvoir continuer à travailler en
paix. Il laissait à son employeur le soin de décider
quelles mesures prendre, mais ne demandait pas de
mutation.
La mesure prise lui a causé un choc brutal. Le
15 août 1972, on lui a envoyé une lettre recom-
mandée signée par M. H. Vallée, directeur par
intérim du district de Montréal métropolitain, qui
avait remplacé M. Durocher. La lettre se lisait
comme suit:
[TRADUCTION] De par l'autorité que me délègue le sous-minis-
tre, sur le fondement de l'article 6(5) de la Loi sur l'emploi
dans la Fonction publique, je vous notifie par les présentes ma
décision de recommander votre renvoi, à compter d'aujourd'hui,
en vertu de l'article 27 de ladite loi, pour abandon de poste.
Cette décision a été prise parce que vous êtes absent sans
autorisation depuis le 27 mai 1972.
L'emploi des mots «décision de recommander» est
peut-être malheureux, vu que, selon l'article 27, on
«peut, au moyen d'un écrit approprié adressé à la
Commission, déclarer que l'employé a abandonné
le poste qu'il occupait. Cet employé cesse dès lors
d'être un employé.* Copie de cette lettre a été
envoyée le même jour au directeur de la région de
Québec de la Commission de la Fonction publique.
La Loi, prise au pied de la lettre, n'exige de la
Commission aucune autre action une fois cette
décision prise.
Dès la lettre reçue, on aurait pu penser que M.
Achorner aurait immédiatement fait des démar-
ches pour tenter de faire rapporter la décision. Au
lieu de cela, ce n'est que le 21 septembre 1972 qu'il
a écrit à M. Durocher, directeur général régional,
en évoquant sa lettre du 29 mai 1972 (précitée),
pour dire qu'il n'avait pas encore reçu de réponse.
Il écrit:
[TRADUCTION] Avant que je ne porte mon affaire à un niveau
auquel vous et vos fonctionnaires sont subordonnés, je voudrais
m'assurer que le contenu des lettres précitées vous a été com-
muniqué et, si c'est le cas, si quelque instruction a été donnée
de votre part en réponse à la plainte formelle que j'ai déposée
près le bureau de M. St -Cyr?
Vous apprécierez l'importance d'une réponse de votre part à la
présente vu que depuis le 29 mai 1972 la Direction, 715 rue
Peel, n'a pas jugé nécessaire de répondre auxdites lettres, pas
plus qu'elle n'a, à ce jour, tenté d'entrer en relation avec moi
afin de trouver une solution au litige que je signale dans ma
lettre à M. St -Cyr.
Espérant avoir de vos nouvelles dès que vous le jugerez bon, etc.
Il appert que M. Durocher, sur réception de la
lettre, a transmise celle-ci à M. St -Cyr en lui
demandant de lui faire rapport.
Le 12 octobre, il a écrit à M. Achorner qu'il
avait fait une étude complète de l'affaire, qu'on
l'avait avisé qu'il était considéré comme ayant
abandonné son poste, ne s'étant pas présenté au
travail pendant une période supérieure à une
semaine, ce que sanctionne l'article 27 de la Loi, et
que des mesures avaient été prises pour que lui
soient remboursées ses contributions au régime de
retraite et ses autres avantages sociaux.
Le 22 octobre M. Achorner a écrit à M. Duro-
cher qu'il n'était pas très logique de recommander
son renvoi pour abandon d'emploi; qu'il ne permet-
trait pas que la faute lourde de l'un ou l'autre
cadre du bureau de poste central de Montréal,
commise en ne répondant pas à ses plaintes légiti-
mes, et ce pendant des mois, puisse être interprétée
comme un abandon de poste de l'employé. Il disait
par ailleurs refuser d'accepter quelque arrange
ment que ce soit quant à sa retraite.
M. Durocher lui a répondu s'être assuré que les
cadres qui lui étaient subordonnés avaient en fait
exécuté leurs obligations régulièrement, conformé-
ment aux paramètres de leur responsabilité et il lui
rappelait les conséquences du défaut par l'employé
d'exercer ses options en matière de retraite, con-
formément à la Loi sur la pension de la Fonction
publique, S.R.C. 1970, c. P-36. Il appert cepen-
dant qu'entre le 27 mai et le 15 août 1972, M.
Achorner avait tenté d'obtenir réparation par un
autre canal. Le 30 octobre 1972 il avait écrit à Mue
Thériault, adjointe du Ministre Jean-Pierre Côté,
lui rappelant l'entrevue qu'elle lui avait accordée le
9 juin 1972 et l'avisant qu'aucun progrès n'avait
été fait depuis cette date. Le 16 décembre 1972, il
a écrit de nouveau à M"e Thériault, lui disant qu'il
n'avait reçu aucune réponse à sa lettre du 27 mai
(et cela en dépit de toute la correspondance échan-
gée avec M. Durocher). Il cite l'avis que lui don-
nait M. Aurèle Ouimet dans une lettre du 25 avril
1972 où celui-ci lui suggérait d'avoir recours à
l'unité de négociation le représentant. M. Achor-
ner déclare qu'il ne permettra jamais à aucun
syndicat de le représenter pour quoi que ce soit,
pas plus qu'il ne veut être mêlé à un syndicat pour
la simple raison qu'il y a une convention collective
en vigueur, laquelle d'ailleurs ne stipule nulle part
qu'un employé du bureau de poste doive être
membre du syndicat. Il termine en disant que c'est
là un de ses droits constitutionnels, en tant que
citoyen d'un pays libre, de se conduire de manière
à ce que sa conscience ne soit pas compromise par
les actes d'une organisation qu'il estime nuisible à
la société. Enfin il se dit prêt à retourner à son
poste quand ses conditions de travail, telles qu'é-
noncées au paragraphe final de sa lettre à M.
St -Cyr, auront été réaffirmées explicitement.
Le 9 janvier 1973, le demandeur a écrit de
nouveau à M. Durocher, lui signalant que sa lettre
à M. St -Cyr du 27 mai 1972, celle envoyée, à lui,
M. Durocher, le 29 mai 1972, son entrevue du 9
juin 1972 avec l'adjointe ministérielle et enfin, la
deuxième lettre envoyée à M. Durocher le 21
septembre 1972, montrent clairement que le
demandeur ne peut être considéré comme ayant
abandonné son poste, puisqu'il a cherché, par tous
ces moyens, à le conserver. Il conclut:
[TRADUCTION] Même au risque de me répéter, permettez-moi
une fois encore d'insister respectueusement pour appeler votre
attention sur le fait que je n'ai jamais à ce jour reçu de réponse
directe à mes lettres par lesquelles je cherchais, à résoudre le
litige de façon à pouvoir retourner au travail. J'ai patiemment
supporté les embarras et les humiliations, mais finalement l'un
de mes supérieurs a dépassé les limites dans lesquelles je puis
travailler. Le simple fait que certains cadres—pour des raisons
que j'ignore—hésitent à l'extrême à faire face à la situation, a
causé cette absence forcée, laquelle est entièrement de leur
faute! Je ne permettrai à personne de travestir arbitrairement
cette absence forcée en un «abandon de poste» de ma part.
Les efforts de M. Achorner pour obtenir répara-
tion en s'adressant à l'échelon le plus élevé ont
persisté. Il a vu M. Ian Watson, député, qui a écrit
le 11 avril 1974 M. André Ouellet, alors ministre
des Postes et lui a décrit tous les faits comme le
demandeur les lui avait appris. Le Ministre a
promis de faire faire enquête. Le 9 octobre 1974,
M. Watson a envoyé une copie de cette lettre à M.
Bryce Mackasey, le nouveau ministre des Postes,
lui signalant qu'il concluait que si rien n'avait été
fait c'était à cause de l'élection qui avait eu lieu
entre-temps. De nouveau on a promis de faire
enquête. La plupart des lettres sont postérieures au
renvoi de M. Achorner. Les périodes les plus
importantes sont celles qui précèdent immédiate-
ment sa cessation de travail du 27 mai 1972,
devant supposément durer jusqu'à ce qu'il soit
assuré de pouvoir travailler en sûreté, et la période
suivant immédiatement sa lettre de cette même
date, alors que les autorités des postes, présumé-
ment, étudiaient la question, jusqu'au 15 août
1972, date où il a été avisé qu'il était considéré
comme ayant abandonné son poste. J'ai quand
même évoqué la susdite correspondance pour mon-
trer, au-delà de tout doute, que M. Achorner
lui-même n'a jamais estimé avoir abandonné son
poste et qu'en fait il a toujours désiré retourner
travailler, mais sous réserve d'une condition que la
direction apparemment estimait ne pouvoir rem-
plir, soit qu'on lui garantisse protection contre tout
harcèlement ultérieur. Il n'existe aucune preuve
directe permettant d'établir si un autre ralentisse-
ment délibéré de travail, préalable à l'arrêt com-
plet de celui-ci, a eu lieu en mai 1972, détériorant
ainsi les conditions qui avaient jusque-là paru tolé-
rables au demandeur à la sous-section de l'enregis-
trement, dans l'équipe dont auparavant il avait fait
partie durant environ six ans. Il faut cependant
noter qu'il a été suggéré que des ordres irréguliers
de fermer avant l'heure le courrier aérien en par-
tance ont été donnés dans la sous-section la nuit du
26 mai (on doit présumer que ces ordres étaient
irréguliers puisque aucune preuve n'a été produite
en défense pour les expliquer ou les justifier) et
qu'ils peuvent avoir constitué une tentative de M.
Dagenais de harasser le demandeur car s'il avait
refusé d'obéir, il aurait pu faire l'objet de sanctions
disciplinaires ou être renvoyé pour ce refus. Ces
ordres peuvent aussi avoir constitué une autre
tentative du syndicat pour gêner le public en ralen-
tissant délibérément l'acheminement du courrier.
Il y a aussi une forte possibilité qu'ayant à faire
face à une force ouvrière militante et indisciplinée
(la chose était notoire dans le cas du bureau de
poste de Montréal à l'époque) les autorités des
postes montréalaises aient décidé d'adopter la ligne
de la moindre résistance et de se servir de l'absence
d'Achorner comme d'une excuse pour se passer de
ses services plutôt que d'aggraver les rapports avec
les syndiqués les plus militants et de risquer la
confrontation en retenant les services de quelqu'un
que le syndicat considérait comme un «scab». La
personnalité d'Achorner, sa susceptibilité et son
refus de se soumettre, ainsi que ses plaintes fré-
quentes à des niveaux supérieurs de gestion, peu-
vent aussi avoir ennuyé la direction elle-même et
avoir contribué à la décision qu'elle a prise deux
mois seulement après le 27 mai, soit le 15 août
1972. Si Achorner avait été renvoyé principale-
ment pour plaire aux syndicats, ce serait injustifia-
ble spécialement dans le cas d'un employé che-
vronné (11 ans de service sans aucune défaillance).
Je ne suis pas le seul à en arriver à cette
conclusion comme le montre la lettre du 11 avril
1974, envoyée par le député Ian Watson à M.
André Ouellet et où il est dit, à la page 4:
[TRADUCTION] Nous avons affaire ici purement et simple-
ment à un cas où la direction des Postes de Montréal a décidé
que dans l'intérêt des bonnes relations avec les salariés, il valait
mieux sacrifier les droits d'un seul individu, soit M. Albin
Achorner. M. Achorner était un employé modèle ne s'écartant
jamais des règles et des règlements et apparemment c'est cela
qui a rendu sa présence doublement intolérable à certains de ses
camarades postiers qui ont bonne mémoire et ne lui ont jamais
pardonné son refus de participer à la grève illicite de 1965.
Je vous le demande, pouvait-on espérer que M. Achorner
retourne à son travail après le 27 mai, vu ses expériences
passées et compte tenu de ce qui s'est produit pendant qu'était
au travail l'équipe de minuit à 8 h 30 du matin, sans qu'il lui
soit donné quelque assurance sur sa sûreté et sur l'arrêt des
actes de harcèlement dont il fait état dans sa lettre du 27 mai?
N'ayant reçu aucun accusé de réception à ses lettres des 27 et
29 mai 1972, devait-il revenir au travail? Mettez-vous à sa
place. Il craignait pour sa vie et à bon droit.
Il est certain qu'aucune tentative n'a été faite pour
communiquer avec le demandeur après sa lettre du
27 mai 1972, pas plus qu'on ne lui a offert de le
muter à un autre service comme cela aurait facile-
ment pu être fait; il n'a jamais été averti qu'il
serait renvoyé en application littérale de l'article
27 de la Loi sur l'emploi dans la Fonction publi-
que, S.R.C. 1970, c. P-32, pour avoir soi-disant
abandonné son poste. Il est parfaitement clair que
le demandeur n'avait aucune intention d'abandon-
ner son emploi, mais qu'il désirait simplement être
protégé dans l'exécution de ses fonctions. L'article
27 précité parle d'une absence d'une semaine ou
davantage, la proposition, fort importante, «sauf
pour des raisons qui, de l'avis du sous-chef, sont
indépendantes de sa volonté,» étant ajoutée. Un
employé qui n'est pas malade, et Achorner recon-
naît qu'il ne l'était pas, peut bien entendu décider
de se présenter ou non au travail; mais les motifs
qu'avait le demandeur en l'espèce pour ne pas se
présenter semblent résulter d'une situation indé-
pendante de sa volonté et découler des menaces de
violence proférées par des syndiqués à son égard
comme du harcèlement auquel le soumettait son
supérieur immédiat, un syndiqué, en lui donnant
des ordres irréguliers et répréhensibles. Il me
semble que la situation ressemble quelque peu aux
affaires d'assurance-chômage et de droit du travail
où la jurisprudence dit que le refus de traverser
une ligne de piquets de grève dressés par les mem-
bres d'un autre syndicat ne peut être justifié, en
l'absence de menace de violence, par la solidarité
avec le syndicat dont les membres ont dressé les
piquets, ou en se servant de cette solidarité comme
excuse pour se dispenser de se présenter au travail,
mais que par ailleurs, lorsqu'il y a danger réel et
immédiat, pour le travailleur ou les membres de sa
famille, et des menaces qu'il a toutes les raisons de
croire sérieuses, on ne peut s'attendre à ce qu'il
franchisse la ligne des piquets, licites ou illicites, et
il ne sera pas pénalisé pour ne pas l'avoir fait.
Chaque espèce est différente et il n'y a souvent
qu'une ligne de démarcation fort mince entre le
refus de se présenter au travail de sa propre initia
tive et ce même refus motivé par les menaces et le
danger qu'il en découlerait. En l'espèce, le deman-
deur n'a subi aucune violence physique durant la
nuit du 12 au 13 mai 1972, pas plus que durant sa
dernière nuit de travail du 26 mai; mais il avait
déjà subi une forme des plus extrêmes de la vio
lence physique auparavant et était à ce moment-là
soumis à une escalade d'actes de harcèlement et de
menaces; il a finalement flanché et estimé, non
sans raison, qu'il ne pouvait continuer dans ces
conditions. Je considère donc comme un fait établi
que son défaut de se présenter au travail le 27 mai
1972 et par la suite résultait d'une situation indé-
pendante de sa volonté et qu'il ne peut être consi-
déré comme ayant abandonné son emploi; il s'en-
suit que l'article 27 a été irrégulièrement appliqué
en l'espèce.
Toutefois, ce ne sont pas les faits, mais le droit
qui en l'espèce soulève le plus de difficultés. Quoi-
que la question de la prescription, n'ait pas été
formellement abandonnée par la défenderesse, cel-
le-ci n'y a attaché que peu d'importance. Il est
évident qu'il ne s'agit pas ici d'une action en
dommages-intérêts résultant d'un délit commis à
son égard, sujette à la prescription par deux ans de
l'article 2261 du Code civil de la province de
Québec, mais d'une demande en rescision d'un
contrat, pour violence, sujette à la prescription par
dix ans de l'article 2258 ou, peut-être d'une action
relative au louage d'ouvrages, qui se prescrit par
cinq ans en vertu de l'article 2260. Une deuxième
question se pose: l'existence de la procédure de
grief dans la Loi sur les relations de travail dans
la Fonction publique', dont le demandeur ne s'est
pas prévalu, a-t-elle pour effet de lui fermer le
présent recours judiciaire? J'ai déjà traité anté-
rieurement de cet argument dans un jugement du
9 février 1977 [[1977] 2 C.F. 344] où la défende-
resse présentait une requête en radiation de la
déclaration et où j'ai dit, aux pages 349 et 350:
La défenderesse soutient qu'en vertu de l'article 27, on doit
appliquer au demandeur les dispositions de l'article 90 de la Loi
sur les relations de travail dans la Fonction publique et que le
demandeur, s'il n'était pas satisfait, aurait dû présenter un grief
au lieu de s'adresser à plusieurs fonctionnaires et au ministre
des Postes, à son député au Parlement et à d'autres pour
obtenir un redressement et que, ne s'étant pas prévalu de ce
recours, il n'aurait pas le droit d'intenter les procédures en
cours.
Il semble y avoir quelques doutes, cependant, sur la question
de savoir si la procédure de grief était accessible au demandeur
en l'espèce. Son renvoi ne constituait pas une mesure discipli-
naire et, au contraire, le demandeur désirait, en fait, poursuivre
son travail conformément aux règlements et s'opposer aux
ordres de ses supérieurs qui l'incitaient à participer à des
ralentissements illégaux en vue de retarder la livraison des
dépêches. Il a demandé à son surveillant de lui fournir une
protection et lui a dit qu'il ne pouvait retourner au travail sans
une telle assurance. Au lieu de cela, on a appliqué l'article 27 à
son cas, l'accusant d'avoir abandonné son emploi parce qu'en
l'absence d'une telle assurance, il n'avait pas repris son travail.
Incontestablement, son renvoi ne constituait pas une mesure
disciplinaire, laquelle aurait donné lieu aux procédures de grief.
La Cour d'appel a étudié de près cette question dans Wright c.
La Commission des relations de travail dans la Fonction
publique ([1973] C.F. 765). En l'espèce, le juge en chef Jackett
a soigneusement analysé les dispositions des articles de la Loi
sur les relations de travail dans la Fonction publique ayant
trait aux griefs et celles de la Loi sur l'emploi dans la Fonction
publique. Même s'il examine le droit d'un arbitre à rendre un
jugement final et non le droit de présenter un grief, le juge en
chef établit une liste des différents articles de la Loi sur
l'emploi dans la Fonction publique en vertu desquels un fonc-
tionnaire pourrait perdre son emploi dont, bien sûr, l'article 27
qui s'applique ici. Il affirme à la page 778:
Il convient de remarquer que toutes ces façons de mettre fin
à un emploi peuvent éventuellement donner lieu à des litiges
sur le point de savoir si les mesures nécessaires ont effective-
ment été prises et peuvent éventuellement donner lieu à des
litiges quant à l'effet de la loi. Toutefois, ce n'est que dans le
cas «d'une mesure disciplinaire entraînant le congédiement»
que la méthode appropriée pour trancher le litige est le
renvoi à l'arbitrage.
Bien qu'à mon avis il aurait été plus prudent pour le deman-
deur de chercher à obtenir un redressement en utilisant la
procédure de grief, on peut soutenir qu'une telle procédure ne
' S.R.C. 1970, c. P-35.
lui était pas accessible dans le cas d'une décision prise en vertu
de l'article 27 de la Loi l'accusant d'avoir abandonné son
emploi, ce qu'il nie vigoureusement. Rien dans la loi ou la
jurisprudence qui m'a été citée ne fait mention de l'éventuelle
exception de l'arrêt Rao 2 (précité), selon lequel une partie qui a
la possibilité d'utiliser une autre procédure, celle de grief, n'a
pas de recours devant les tribunaux.
Rien de ce qui a été démontré devant moi au
procès ne m'autorise à changer d'opinion et, en
fait, la preuve de la défenderesse indique mainte-
nant manifestement pourquoi, qu'il y ait eu ou non
droit de recourir à la procédure de grief, ce recours
aurait été illusoire pour Achorner vu que les per-
sonnes même qui normalement auraient dû l'aider
à présenter son grief, c'est-à-dire les dirigeants du
syndicat, se seraient fortement opposées à lui et
auraient vigoureusement fait leur la décision des
autorités du bureau de poste de se prévaloir de
l'article 27 de la Loi sur l'emploi dans la Fonction
publique pour se débarasser de lui.
Autre argument juridique sur lequel on ne s'est
guère attardé, l'article 24 de la Loi sur l'emploi
dans la Fonction publique, lequel dispose qu'un
fonctionnaire occupe son poste à titre amovible et,
à moins que le contraire ne soit spécifié, pour une
période indéterminée. Cet article ajoute toutefois
«sous réserve de la présente loi et de toute autre loi
ainsi que des règlements établis sous leur régime»,
ce qui bien entendu s'applique aux dispositions de
l'article 27. Mais cela n'autorise pas, je crois, à
renvoyer un employé sans motif. J'ai aussi traité
de cet argument dans mon jugement du 9 février
1977 (supra) lorsque j'ai dit, à la page 348, par-
lant de l'article 24:
Je ne crois pas que cet article soit correctement invoqué puisque
le licenciement n'a pas eu lieu en vertu de cet article de la Loi.
Aucun arrêté en conseil n'a été adopté pour son renvoi, comme
c'était le cas dans l'affaire Hopson c. La Reine ([1966] R.C.É.
608).
L'arrêt Zamulinski c. La Reine ([1959-60] R.C.É. 175), s'il
pose en principe qu'un employé ne peut réclamer de dommages-
intérêts pour renvoi s'il détenait son poste selon le bon plaisir de
la Couronne, a cependant attiré l'attention sur un article des
règlements donnant à l'employé le droit de soumettre son cas à
un agent supérieur nommé par un sous-ministre et d'être
entendu avant son congédiement; et comme il avait été privé de
ce droit, il lui était accordé une indemnité symbolique de $500.
Une décision semblable a été rendue par mon collègue le juge
Cattanach dans l'arrêt Peck c. La Reine ([1964] R.C.É. 966),
mais aucune indemnité n'a été accordée en l'espèce parce que le
2 [1937] A.C. 248.
demandeur avait eu la possibilité de faire connaître son point de
vue avant son congédiement.
Dans Rao c. Secretary of State for India ([1937] A.C. 248),
un article quelque peu semblable à l'article 24 prévoyait que
l'employé restait en fonction durant bon plaisir de Sa Majesté.
L'en-tête de la décision publiée est ainsi libellé:
[TRADUCTION] Les termes de l'art. 96B assurent que la
durée d'un emploi, même détenu à titre amovible, ne sera pas
sujette à une action capricieuse ou arbitraire, mais soumise
aux règles, qui sont nombreuses, la plupart minutieuses dans
leurs caractéristiques et toutes susceptibles d'être modifiées,
mais l'appelant n'a en vertu de ces règles aucun droit,
exécutoire au moyen d'une action, de détenir son poste et il
peut donc être renvoyé, nonobstant le défaut d'observer la
procédure prescrite par les règles.
En l'espèce ce n'est pas que la procédure prévue
par l'article 27 n'ait pas été suivie; mais le point
est semble-t-il, que le renvoi aurait été le résultat
d'«une action capricieuse ou arbitraire», si l'on
tient compte du vrai motif dudit renvoi.
L'importante question de droit qui reste à étu-
dier est celle de savoir si, concluant que, d'après les
faits, l'article 27 de la Loi sur l'emploi dans la
Fonction publique a été irrégulièrement interprété
lorsqu'il a été estimé que le demandeur avait aban-
donné son emploi, le présent tribunal peut à bon
droit intervenir. Il s'agissait d'une décision admi
nistrative prise par H. Vallée, directeur par inté-
rim du district de Montréal métropolitain, en vertu
de l'autorité qui lui était déléguée par le sous-
ministre, sur le fondement de l'article 6(5) de la
Loi. Le libellé de l'article 27 montre clairement
que l'unique condition requise c'est une déclaration
du sous-chef disant que l'employé a abandonné son
poste; il cesse alors d'être employé. Quoique la
Commission doive recevoir notification de ce fait
par écrit, ce qui a été fait en l'espèce, il n'est pas
requis qu'elle agisse de quelque façon que ce soit.
Mis à part le fait qu'il s'agit là, semble-t-il, d'un
acte administratif non soumis au contrôle des tri-
bunaux puisqu'il n'exige pas l'exercice d'une com-
pétence juridictionnelle, il s'agit certainement
d'une décision qui n'est pas soumise à l'examen de
la Cour d'appel en vertu de l'article 28 de la Loi
sur la Cour fédérale, en tout cas, ce n'est ni une
décision ni une ordonnance rendue au cours d'une
instance devant un office, une commission ou un
autre tribunal fédéral. Cependant, spécialement
comme j'ai déjà conclu que la procédure de grief
n'était pas accessible au demandeur, celui-ci se
trouverait sans recours aucun, à moins que la
présente cour n'intervienne et, par ordonnance
déclaratoire ou autrement, ne réforme ladite déci-
sion. Je ne puis conclure que le législateur enten-
dait par cette loi, laisser l'employé sans recours
aucun, advenant un usage irrégulier de l'article 27.
La situation actuelle est tout à fait différente des
espèces comme Re Ahmad and Appeal Board
Established by the Public Service Commission',
où la Cour d'appel, ayant à connaître d'une
requête fondée sur l'article 28, a infirmé la déci-
sion du comité d'appel susdit, lequel avait confirmé
le renvoi, en vertu de l'article 31(1) de la Loi, par
le sous-chef du Ministère d'un employé qu'il
jugeait incompétent. La Cour avait conclu que le
comité n'était pas justifié à révoquer la recomman-
dation du sous-chef à moins que ne soient produi-
tes des pièces le convainquant que le sous-chef
avait estimé à tort que la personne en cause était
incompétente. On a fait remarquer que c'était là
question d'opinion et que tout ce qui était requis
c'était que l'on prenne la décision honnêtement sur
la foi des observations des supérieurs immédiats de
l'employé. Mais en l'espèce, il ne s'agit nullement
de réviser une décision administrative prise sur la
foi du jugement de l'auteur de la décision et
portant sur la compétence ou l'incompétence de
l'employé, mais plutôt une appréciation fondée
semble-t-il sur deux idées erronées:
a) qu'Achorner aurait abandonné son posté; il
était parfaitement clair, compte tenu de sa con-
duite et de ses lettres, qu'il ne l'abandonnait pas,
mais désirait au contraire reprendre le travail
dès qu'on lui assurerait qu'il pourrait le faire en
toute sécurité, et
b) qu'il se serait absenté pour des raisons non
indépendantes de sa volonté. Manifestement les
conditions qui avaient amené son absence
étaient totalement indépendantes de sa volonté,
et ce en dépit de l'avis aussitôt envoyé M.
St -Cyr expliquant les raisons de sa conduite. 4
3 (1975) 51 D.L.R. (3°) 470.
4 Ce serait un cas tout à fait différent si l'article était invoqué
pour déclarer qu'un salarié qui s'absente de son poste pour plus
d'une semaine par suite d'une grève illicite sera considéré
comme l'ayant abandonné, car alors il n'y aurait aucune discré-
tion à exercer, les seuls faits à établir étant l'illégalité de la
grève et l'absence de l'employé pendant plus de 7 jours.
Ayant conclu donc que cette décision ne peut
être soutenue, la conclusion qui s'impose est que le
demandeur, n'ayant jamais abandonné son poste,
doit toujours être considéré comme un employé.
Toutefois, la déclaration ne demande pas la réinté-
gration, mais la résiliation du contrat de travail à
toutes fins que de droit. Cependant Achorner,
quoiqu'il ait toujours conservé le désir de retourner
au travail (sous condition), doit sûrement avoir
compris, au moins le jour où il a reçu la deuxième
lettre de M. Durocher, le 26 octobre 1972, qu'il y
avait fort peu ou pas de possibilité qu'il reprenne
son travail au bureau de poste. Quoiqu'il n'ait pas
demandé la résiliation de son contrat de travail
avant d'engager l'instance, le 12 septembre 1975,
il serait déraisonnable de conclure qu'il pouvait
toujours se considérer comme un employé du
bureau de poste, prêt à tout moment et disposé à
retourner au travail, s'il était adéquatement pro-
tégé. Je trouve frappant qu'apparemment il n'ait
fait aucune tentative pour chercher un autre
emploi. Il est bien établi en droit que dans toute
demande en dommages-intérêts, que ce soit pour
inexécution de contrat, pour délit ou quasi-délit ou
pour autre chose, le demandeur doit tout faire
pour réduire les dommages; en l'espèce il n'est pas
raisonnable que le demandeur n'ait fait aucune
tentative en ce sens en cherchant à obtenir un
autre emploi. Quoiqu'il ait déclaré que le seul
travail pour lequel il ait reçu une formation est
celui qu'il exécutait au bureau de poste (de fait, il
a subi un examen de la Fonction publique pour
obtenir cet emploi) je ne puis juger que ce travail
demandait des aptitudes tellement particulières
qu'il aurait été déraisonnable de sa part de cher-
cher quelque autre travail, ni qu'il lui ait été
impossible en 1972, alors que le chômage n'était
pas aussi important qu'aujourd'hui, de trouver
quelque emploi. Il avait 49 ans à l'époque et
travaillait au bureau de poste depuis un peu plus
de onze ans. Présumément il doit avoir fait autre
chose avant ses 37 ans. Il n'a pas été prouvé qu'il
ait cherché du travail. On peut opposer cela à la
conduite de John A. Emms dans l'affaire Emms c.
La Reine' où le juge Cattanach a conclu qu'un
employé avait été irrégulièrement démis de ses
fonctions en vertu de l'article 28(3) de la Loi sur
l'emploi dans la Fonction publique et qu'en consé-
5 [19771 1 C.F. 101.
quence le renvoi était nul et non avenu. A la page
116 de ce jugement le juge Cattanach écrit:
Immédiatement après son renvoi manqué du 24 septembre
1971, le demandeur a obtenu un emploi sous contrat avec un
ministère du gouvernement de la Saskatchewan (Department of
Co-Operation and Co -Operative Development). La pièce P-I2
révèle qu'il a commencé à travailler le l er octobre 1971; une
période de sept jours s'est donc écoulée avant qu'il n'accepte un
autre emploi (j'en félicite le demandeur), mais ce faisant, il lui
devenait impossible de s'acquitter des fonctions du poste bien
qu'il n'ait pas été valablement renvoyé.
En l'espèce, le demandeur aurait fort bien pu ne
chercher aucun autre emploi, car il n'aurait plus
été disponible pour reprendre le travail au bureau
de poste, tant qu'il voulait revenir y travailler
mais, comme je l'ai déjà dit je ne pense pas qu'il
ait pu raisonnablement s'y attendre, et s'abstenir
de chercher un autre emploi, après le 26 octobre
1972.
Dans l'affaire Wright c. La Reine 6 , le juge
Heald devait évaluer les dommages-intérêts aux-
quels avait droit un employé irrégulièrement démis
de ses fonctions en application erronée de l'article
28(3) de la Loi. A la page 521 il dit:
Le demandeur avait le droit de rester en fonction du jour du
renvoi inopérant, soit le 31 juillet 1970, jusqu'au 29 décembre
1973, date de sa retraite obligatoire. La défenderesse s'y est en
fait injustement et illégalement opposée. Par conséquent, la
perte de salaire du demandeur est un élément important des
dommages qu'il a subis. Ainsi qu'il a été expliqué antérieure-
ment, le demandeur tenta l'impossible pour obtenir un autre
emploi, sans succès. Pendant toute cette période, il était en
bonne santé et il était capable et désireux de travailler. Le
demandeur a été privé de son droit à la pension de retraite
puisque la défenderesse, au moment du prétendu renvoi, lui
avait remboursé ses contributions, supprimant ainsi tous ses
droits éventuels à des prestations de retraite. [C'est moi qui
souligne.]
Dans ces deux affaires le demandeur a cherché ou
obtenu un autre emploi, ce qui minimise, ou aurait
minimisé, le quantum de sa réclamation. En l'es-
pèce présente on a offert au demandeur soit le
remboursement de ses prestations de retraite, soit
une prestation de retraite, soit enfin une rente
différée pouvant être réclamée entre 50 et 60 ans.
La lettre de M. Durocher du 26 octobre 1972 dit
que si le demandeur ne choisit pas avant un an, il
sera présumé avoir opté pour la rente. Les formali-
tés nécessaires n'ont jamais été remplies par M.
6 [1975] C.F. 506.
Achorner. Le procureur de la défenderesse a dit
qu'il ne conteste pas le droit du demandeur au
remboursement de ses contributions au régime de
retraite, pas plus que son droit à la rente. Cela.
s'ajouterait bien entendu aux sommes accordées
pour perte de salaire et dommages-intérêts.
Pour ce qui est des dommages-intérêts, dans
l'affaire Wright, précitée, le juge Heald a estimé
que la perte de salaire était un élément important.
Il a ajouté toutefois, comme il a été dit, que le
demandeur avait fait tout ce qui était en son
pouvoir pour obtenir un autre emploi, sans succès.
Finalement il a accordé $20,000, soit un peu moins
que la perte de salaire.
Ici, le salaire annuel du demandeur à l'époque
était de $7,701.18 comme le montrent les formu-
laires qui lui ont été envoyés pour le rembourse-
ment de sa pension et qu'il a refusé de signer. Il
aurait à mon avis eu droit à son salaire pendant au
moins six mois; après quoi, il aurait dû se chercher
un autre emploi, qu'il aurait pu abandonner s'il
avait été réintégré en 1974 par suite de sa tentative
de faire intervenir le Ministre. Comme le deman-
deur le fait remarquer, quelle que soit la somme
accordée en prenant en compte ses revenus de
1972, celle-ci vaut maintenant beaucoup moins à
cause des effets de l'inflation. Bien qu'on lui rem-
bourse ses contributions au régime de pension, ou
qu'on lui donne une rente équivalente en fonction
des contributions versées par lui avant son renvoi
illégal, cela bien sûr ne permet pas de tenir compte
des contributions futures au régime, s'il était
demeuré au service du bureau de poste, ni de
l'augmentation des prestations auxquelles il aurait
eu droit suite aux augmentations salariales ou à
son passage dans une autre catégorie de salaire.
D'autre part il a été dans une large mesure
l'artisan de son propre malheur puisqu'il n'a pas
donné suite à ses lettres des 27 et 29 mai 1972, pas
plus qu'il n'a demandé de mutation, se contentant
d'attendre passivement les réactions de ses
employeurs sans chercher d'autre emploi; dans la
mesure où la faute commune peut être prise en
compte, ceci a une certaine importance.
Il est impossible d'évaluer la réclamation sur
une base actuarielle mais, toutes choses égales par
ailleurs, je conclus qu'une indemnité de $10,000
est justifiée si l'on y ajoute le remboursement au
demandeur de ses contributions à son régime de
retraite, ou la rente qui en tiendra lieu, selon un
calcul conforme aux règlements actuellement
applicables à son cas, avec intérêt à compter du
jour de l'introduction de l'instance, soit le 17 sep-
tembre 1975.
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