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T-3159-75
Albin Achorner (Demandeur)
c.
La Reine (Défenderesse)
Division de première instance, le juge Walsh— Montréal, les 19 et 20 octobre; Ottawa, le 31 octobre 1978.
Couronne Relations du travail Contrat de travail Renvoi illicite Absence du demandeur pour une période prolongée par peur des brimades d'autres employés, pendant laquelle il demandait à l'employeur des assurances au sujet de sa sécurité Déclaration d'abandon de poste Procédure de grief de la Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique ignorée Action en résiliation de tout contrat obligeant le demandeur envers la défenderesse et en domma- ges-intérêts L'ignorance de la procédure de grief empêche- t-elle le demandeur d'engager l'action judiciaire? La Cour, ayant statué que la disposition sur l'abandon de poste prévue par la Loi sur l'emploi dans la Fonction publique a été interprétée irrégulièrement, peut-elle intervenir? Loi sur l'emploi dans la Fonction publique, S.R.C. 1970, c. P-32, art. 27 Code civil de la province de Québec, art. 2258 et 2261.
Cette action résulte des allégations de renvoi illégal du demandeur des Postes canadiennes. Le demandeur prétend qu'il lui était impossible de se présenter au travail à cause des actes illégaux des fonctionnaires de la défenderesse. Il estime faux que son congédiement soit pour «abandon de poste»; son renvoi est illégal et il a toujours été prêt à travailler et désireux de le faire. Plutôt que de se prévaloir de la procédure de grief prévue par la Loi sur les relations de travail dans la Fonction publi- que et vu le caractère illusoire de ce recours dans les circons- tances, il chercha à obtenir justice par d'autres canaux. En l'espèce le demandeur conclut à la résiliation de tout contrat qui le lierait aux Postes canadiennes, et à des dommages-inté- rêts. Le litige comporte la question, de droit, de savoir si, le demandeur ne s'étant pas prévalu de la procédure de grief, cela a pour effet de lui fermer tout recours judiciaire et si, concluant que l'article 27 de la Loi sur l'emploi dans la Fonction publique a été irrégulièrement interprété lorsqu'il a été estimé que le demandeur avait abandonné son emploi, le présent tribunal peut à bon droit intervenir.
Arrêt: l'action est accueillie. Le demandeur, spécialement comme la procédure de grief ne lui était pas en fait accessible, se trouverait sans recours aucun, à moins que la présente cour n'intervienne et, par ordonnance déclaratoire ou autrement, ne réforme ladite décision. Le législateur n'entendait pas par la Loi sur l'emploi dans la Fonction publique laisser l'employé sans recours aucun, advenant un usage irrégulier de l'article 27. Il ne s'agit nullement de réviser une décision administrative prise sur la foi du jugement de l'auteur de la décision et portant sur la compétence ou l'incompétence de l'employé, mais plutôt une appréciation fondée semble-t-il sur deux idées erronées: a) le demandeur abandonna son poste; sa conduite pourtant mon- trait qu'il ne l'abandonnait pas et, b) il se serait absenté pour des raisons non indépendantes de sa volonté alors qu'en fait les conditions qui avaient amené son absence étaient totalement
indépendantes de sa volonté. Comme cette décision ne peut être soutenue, la conclusion qui s'impose est que le demandeur, n'ayant jamais abandonné son poste, doit toujours être consi- déré comme un employé. Le demandeur aurait bien pu ne chercher aucun autre emploi, car il n'aurait plus été disponible pour reprendre le travail au bureau de poste tant qu'il voulait revenir y travailler. Lorsque le demandeur a compris qu'il y avait fort peu de possibilité de reprendre le travail au bureau de poste, comme il doit l'avoir compris après réception de la deuxième lettre du bureau, il devait essayer de réduire les dommages en cherchant un autre emploi.
Distinction faite avec les arrêts: Re Ahmad and Appeal Board Established by the Public Service Commission (1975) 51 D.L.R. (3 ° ) 470; Emms c. La Reine [1977] 1 C.F. 101. Arrêt examiné: Wright c. La Reine [1975] C.F. 506.
ACTION. AVOCATS:
C. E. Schwisberg, c.r. pour le demandeur. H. A. Newman pour la défenderesse.
PROCUREURS:
Schwisberg, Benson & MacKay, Montréal, pour le demandeur.
Le sous-procureur général du Canada pour la défenderesse.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE WALSH: Dans cette affaire, le deman- deur réclame des dommages-intérêts en raison de son renvoi, qu'il estime illégal, des Postes cana- diennes, au service desquelles il avait travaillé de 1961 jusqu'au 27 mai 1972. La première déclara- tion était fort longue et prêtait à discussion; il était difficile de discerner le fondement exact de la demande. La défenderesse a répondu par une requête pour décision préliminaire sur un point de droit, afin de savoir s'il y avait prescription. Cette requête a été rejetée, mais la Couronne a interjeté appel. L'arrêt rendu en appel, [[1977] 1 C.F. 641] dont les motifs ont été rédigés par le juge en chef Jackctt, contient un excellent résumé [aux pages 643 654] de la déclaration, qu'il est à propos de citer ici:
Les allégations qui figurent dans la déclaration sont diffuses. Autant que je puisse en juger, aux fins de l'espèce, elles se résument ainsi:
1. L'intimé a été engagé au ministère des Postes en 1961.
2. En 1965, il y a eu dans ce ministère une grève illégale à laquelle il a refusé de participer. Ce refus [TRADUCTION] «a provoqué une inimitié farouche chez ses collègues de travail», qui se sont livrés à son égard à de nombreux actes de harassement.
3. A partir de 1971, il est arrivé parfois que l'intimé ne se présente pas à son travail, le harassement que lui infligeaient ses collègues et un surveillant lui faisant craindre pour sa sécurité. Le 29 mai 1972, il a informé l'un de ses supérieurs qu'il ne pouvait plus se présenter à son travail [TRADUC- TION] «parce qu'il craignait vraiment pour sa sécurité» et lui a demandé de lui indiquer [TRADUCTION] «quand, à son avis, il pourrait le reprendre».
4. Le 15 août 1972, l'intimé a reçu notification qu'il était «renvoyé» en vertu de l'article 27 de la Loi sur l'emploi dans la Fonction publique, dont voici le libellé:
27. Lorsqu'un employé s'absente de son poste pendant une semaine ou davantage, sauf pour des raisons qui, de l'avis du sous-chef, sont indépendantes de sa volonté, ou sauf en conformité de ce qui est autorisé ou prévu par une loi du Parlement ou sous son régime, le sous-chef peut, au moyen d'un écrit approprié adressé à la Commission, déclarer que l'employé a abandonné le poste qu'il occupait. Cet employé cesse dès lors d'être un employé.
pour [TRADUCTION] «abandon de poste», ce qui, prétend-il [TRADUCTION] «est complètement faux en l'occurrence car il n'a jamais abandonné son poste».
5. L'intimé prétend [TRADUCTION] «qu'en réalité il n'a jamais été renvoyé légalement et qu'à partir du 27 mai, il a toujours voulu et désiré travailler, et a simplement cherché à obtenir de ses supérieurs l'assurance qu'il serait protégé contre les actes de harassement parfaitement illégaux perpé- trés par son surveillant et qui lui faisaient craindre pour sa vie ...».
6. Le 25 novembre 1974, l'intimé a demandé à l'appelante:
a) de le réintégrer dans son poste initial, et
b) de lui payer [TRADUCTION] «toutes ses pertes de salaire jusqu'au 1°" janvier 1974, soit environ $20,300». Il a déclaré qu'en sus de la perte de salaire, il estimait les dommages qu'il avait subis à $126,000. (Il estime mainte- nant avoir droit à des dommages-intérêts de $104,000 en guise de pension, ce qui fait au total $250,000.)
L'intimé conclut sa déclaration en formulant les réclamations suivantes:
a) [TRADUCTION] «l'annulation de tout contrat entre lui- même et le ministère des Postes, ... à toutes fins légales futures», et
b) un jugement lui accordant $250,000, plus les intérêts.
Si je comprends bien, cette réclamation peut se résumer ainsi: en raison d'actes illégaux commis par des tiers (prépo- sés de l'appelante se livrant à ces actes illégaux apparemment en dehors de leurs fonctions), l'intimé, qui peut avoir été ou non un préposé de l'appelante durant tout ou partie de la période en question, n'a pas rempli les fonctions du poste qu'il occupait précédemment en qualité de préposé de l'appe- lante ni n'a offert de les remplir depuis mai 1972. En se fondant sur la carence de l'appelante face à ces actes illé- gaux, il réclame l'annulation d'un contrat qu'elle n'invoque
pas contre lui, un salaire pour des services qu'il n'a ni accomplis ni offert d'accomplir et des dommages-intérêts pour perte d'emploi.
A la page 646 le docte juge en chef dit:
Lorsque j'examine s'il est «opportun* d'interrompre les procé- dures ordinaires afférentes à la conduite d'une action pour présenter une question préliminaire relative à la «prescription*, je suis tout d'abord frappé par le doute réel que je ressens après avoir lu la déclaration (que l'appelante a voulu être le sujet principal de la décision afférente au seul point de droit proposé) quant à la nature de la cause d'action, s'il y en a une. J'ai le sentiment que si on laissait l'affaire suivre son cours, au dernier moment, il surgirait une cause d'action qui n'apparaît pas à la simple lecture de la déclaration, mais apparaîtrait peut-être dans sa version modifiée. Je ne pense donc pas qu'à ce stade, il soit «opportun* de soumettre le point de droit proposé.
Suivent une déclaration et une demande révisée, aussi longues, dans lesquelles le demandeur conclut:
[TRADUCTION] C'EST POURQUOI le demandeur requiert qu'il vous plaise annuler à toutes fins que de droit tout contrat verbal ou écrit qui aurait pu le lier lui d'une part, et les Postes canadiennes d'autre part, et requiert que jugement soit rendu, contre la défenderesse et pour le demandeur, pour ladite somme de $362,000, intérêt compris, à compter de la signification des présentes, et tous les frais distraits par le soussigné procureur du demandeur.
A alors été présentée une requête en radiation desdits actes de procédure au motif qu'ils ne divul- guaient aucune cause raisonnable d'action. La requête a été rejetée par jugement du 9 février 1977 [[1977] 2 C.F. 344].
Les preuves produites au procès sont pour ainsi dire confuses et insatisfaisantes. Le seul témoin a été le demandeur lui-même qui, au lieu de donner des détails précis sur les menaces et les harcèle- ments auxquels il avait été soumis, s'est borné à énoncer des généralités disant que tout se trouvait déjà dans le dossier de la police, ou dans la corres- pondance qu'il avait échangée avec divers fonc- tionnaires du ministère des Postes, dont le Ministre lui-même, qu'ils étaient tous au fait de ce qui se passait par suite des entrevues qu'il avait eues avec eux. Pressé de produire au moins une partie de cette correspondance, il ouvre un volumineux dos sier que son avocat prétend voir pour la première fois et, après ajournement pour donner à l'avocat la possibilité de s'entretenir de cette correspon- dance avec lui, sont produites certaines copies de lettres plus ou moins pertinentes à l'espèce, le
procureur de la défenderesse y consentant, copies qu'il aurait été plus adéquat de produire lors de l'interrogatoire principal. Aucune preuve appro- priée n'a été présentée relativement à la méthode de calcul de la réclamation de $362,000 (originai- rement de $250,000, dans la première déclara- tion); aucun renseignement n'a été fourni quant au taux de rémunération du demandeur au moment s'est terminé son emploi, ni quant aux augmen tations éventuelles qu'il aurait obtenues s'il avait conservé cet emploi, ni quant à la valeur actuelle de la perte de son droit éventuel à une pension, ni aucun autre chiffre; le seul indice sur la méthode de calcul utilisée (et aucune preuve à l'appui n'a été présentée au procès) se trouvant au paragraphe 23 de la déclaration révisée, lequel évoque une lettre envoyée le 25 novembre 1974 au ministre des Postes d'alors, André Ouellet:
[TRADUCTION] ... indiquant que le demandeur ne démission- nerait pas et lui demandant de réintégrer ledit demandeur en son poste originaire, en garantissant sa sécurité, et en lui remboursant toutes pertes de salaire à ce jour, 1' janvier 1974, soit $20,300; signalant par la même occasion que le demandeur n'ayant que quarante-neuf ans à l'époque et l'âge de la retraite étant normalement de 65 ans, les années d'ancienneté et le montant de la pension auraient augmenté jusqu'à cet âge; qu'au moment ont été subis les dommages, en sus de la perte de salaire, ces derniers s'élevaient à $126,000; que maintenant, au moment de l'introduction de la présente action, ils étaient beaucoup plus considérables, ayant atteint un total de $250,- 000; en fait, à ce jour, le demandeur a 53 ans; la seule perte de salaire s'élève approximativement à $70,000 et il a droit à percevoir son salaire jusqu'à l'âge de 65 ans, date de la retraite; compte tenu de la montée des salaires avec le coût de la vie, le sien s'élèverait au moins à $16,000 par année, ce qui, pour les douze ans qui le séparent de ses 65 ans ferait $192,000. La perte totale de salaire est donc de $262,000; après il aurait eu droit à sa pension, qui aurait eu une valeur de $200,000 payables par versements, donc une valeur de $100,000 comp- tant, compte tenu particulièrement de ce que le demandeur est en fort bonne santé et qu'il est issu d'une famille l'on vit vieux, son père n'étant décédé qu'à l'âge de 75 ans et sa mère étant toujours en vie à 77 ans.
On n'a cité aucun témoin pour corroborer les dires du demandeur, ce qui se comprend; on ne peut espérer que les camarades de travail dont il se plaint, viennent témoigner en sa faveur. La seule corroboration possible est donc celle que l'on peut trouver dans les réponses à la correspondance volu- mineuse qu'il a entretenue avec divers fonctionnai- res du ministère des Postes, dans la mesure y sont évoqués certains des faits qui ont conduit à son renvoi. D'autre part, comme aucun témoin n'a été cité par la défenderesse, celle-ci doit s'appuyer
sur les éléments de preuve apportés par le deman- deur, y compris bien entendu le contre-interroga- toire, la correspondance produite, et le droit. Dans la mesure un seul témoin non contredit sur une question de fait suffit, le témoignage du deman- deur doit être accepté pour ce qui est de la situa tion prévalant au bureau de poste, laquelle a con duit éventuellement à son renvoi.
D'après son témoignage et la correspondance produite, il est évident que le demandeur Achorner a beaucoup d'indépendance d'esprit, qu'il n'ap- prouve pas les syndicats en général et certainement pas les actes illégaux que le syndicat des postiers, ou ses membres, pourraient commettre et, en con- séquence, qu'il est loin d'être populaire auprès de ses camarades de travail qui fréquemment l'ont harassé et menacé. Il a le sentiment de ne pas avoir été traité correctement par ses supérieurs immé- diats du bureau de poste, et fréquemment il n'est pas passé par la voie hiérarchique pour se plaindre à un plus haut niveau et obtenir gain de cause. Rien toutefois n'indique qu'il n'ait pas été un travailleur consciencieux et diligent; il ne peut certainement pas être blâmé pour avoir voulu faire convenablement son travail et avoir refusé de par- ticiper à des agissements qu'il jugeait illégaux. Lorsque les employés des Postes ont fait grève, (une grève illicite) en 1965, il a refusé de les imiter et a traversé les piquets de grève. Par la suite il a été constamment insulté verbalement et menacé; on lui a dit de faire attention à lui lorsqu'il travail- lerait dans l'équipe de minuit au bureau de poste principal de Montréal. Dans la nuit du 4 au 5 juin 1966, alors qu'il quittait le travail vers 8 h 40 du matin environ, une équipe complète d'environ 200 travailleurs était massée, l'attendant et, pendant que deux d'entre eux lui immobilisaient les bras, d'autres l'ont roué de coups. Il a eu le nez brisé, des blessures au menton et des contusions un peu partout; cela lui a valu une semaine d'hôpital. Il a déclaré que la police avait alors porté des accusa tions par suite de ces voies de fait mais il n'a pas établi ce qui s'en est suivi. Subséquemment toute- fois, il a revu ceux qui l'avaient attaqué; ils travail- laient toujours au bureau de poste. A la suite de cela, le 5 juin 1966 (quoiqu'il ait déclaré au procès qu'il avait passé une semaine à l'hôpital) il a écrit une lettre à M. A. Portelance, chef du personnel du bureau de poste principal, pour se plaindre des insultes constantes dont il faisait l'objet, et qui
s'étaient terminées par des voies de fait sur sa personne au cours des neuf précédents mois, et ce simplement parce qu'il n'était pas syndiqué. Il demandait quelles démarches devraient être faites pour lui permettre de s'acquitter de ses fonctions sans faire l'objet de discrimination ou d'intimida- tion. Ceci a eu pour résultat que le directeur des postes de Montréal, M. Cormier, a fait muter le demandeur à la sous-section de l'enregistrement du bureau de poste central, sous-section plus petite, il travailla durant cinq ans dans l'équipe de minuit à 8 h 30 du matin, sans être harassé indû- ment. Le 29 janvier 1971, il a été avisé qu'à compter du 7 février 1971 ses heures de travail commenceraient à 10 h du soir au lieu de minuit, conformément à l'article 5 d'une convention collec tive conclue par le Conseil du Trésor et le Conseil des syndicats des postiers. Il a protesté vigoureuse- ment, car cela l'obligeait à quitter le travail à 6 h 30 du matin au lieu de 8 h 30, c'est-à-dire à l'heure un grand nombre d'autres travailleurs quittent le bureau de poste central, dont ceux qui le harassaient continuellement, et comme, en hiver, il ferait encore sombre, il craignait pour sa sûreté. Il est allé voir M. Cormier mais apparemment n'a pu obtenir la révision de la décision. M. Cormier lui a écrit le 13 avril que la décision avait été réexaminée et jugée justifiable, que lorsque son horaire de travail avait été établi en 1966, c'était par suite d'une situation prévalant à cette époque, situation qui à son avis était maintenant chose du passé et dont la répétition était peu vraisemblable. Refusant d'accepter ces assurances, le 19 avril 1971 le demandeur a écrit à M. Jean-Pierre Côté, alors ministre des Postes, pour expliquer sa posi tion et ses craintes. Finalement il a obtenu de retourner dans l'équipe de minuit comme il le désirait mais entre-temps il avait perdu trois mois de salaire à cause de ce différend.
La situation s'est rapidement détériorée au prin- temps 1972. Ses camarades de travail lui ont fait clairement entendre qu'il était indésirable; ils le tenaient à l'écart pendant le lunch et deux ou trois d'entre eux le traitaient de noms injurieux ou obscènes. Soi-disant on l'aurait averti de bien prendre garde, que sa vie était en danger, mais il a refusé de nommer l'auteur de cette menace et apparemment il ne s'en est pas plaint à ses supérieurs.
Le 12 mai 1972 son supérieur immédiat, R. Dagenais, qui ne faisait pas partie des cadres mais était syndiqué, l'aurait vertement sermonné et insulté, cherchant à l'intimider pour qu'il ne se présente pas au travail le 13 mai et, lorsqu'il a tenté de venir travailler ce jour-là, il a trouvé l'entrée bloquée par des gens qui ressemblaient à ses assaillants de 1966. Des menaces ont été profé- rées mais il est allé travailler tout de même.
Le 26 mai M. Dagenais a ordonné au deman- deur de fermer à 3 h du matin au lieu de 5 h 35 le courrier d'un vol, et comme résultat une partie du courrier à destination de Val-d'Or et Rouyn est restée en souffrance; le même jour, M. Dagenais lui a ordonné de fermer le courrier destiné aux bureaux de poste satellites (Longueuil, Pointe- Claire-Dorval, Roxborough, Lachine, Laval-des- Rapides, Sainte-Anne-de-Bellevue) à 2 h du matin au lieu de 4 h 30, ce qui laissait en souffrance la plus grande partie du courrier à destination de ces localités. Il s'agissait du courrier du vendredi et il faut se souvenir que le demandeur travaillait dans la sous-section d'enregistrement la fermeture du courrier à l'heure prévue est une opération des plus importantes. Il a donc estimé que c'était un cas supplémentaire de harcèlement de la part de M. Dagenais et, bien qu'il ait obéi aux ordres, il ne voulait pas être blâmé pour des actes qu'il jugeait illégaux. Lorsqu'il a quitté le travail ce matin-là à 8 h 30, 10 membres de l'équipe de relève lui ont demandé comment il avait passé la nuit précé- dente; il en a conclu qu'on avait prévu de le harceler d'une manière plus importante la nuit précédente ou peut-être pire, et que cela était connu des syndiqués. En conséquence le 27 mai 1972 il a écrit à M. L. St -Cyr, chef de la Division du courrier d'acheminement une lettre dans laquelle il rappelait certaines plaintes qu'il avait déjà formulées à l'égard de M. Dagenais dans une lettre du 6 janvier 1972. Il citait M. Dagenais, lequel aurait dit qu'il avait l'intention de continuer à le harceler jusqu'à ce [TRADUCTION] «qu'il arrive à ses fins». Il concluait en demandant seule- ment qu'on lui indique ce qu'il devrait faire pour pouvoir oeuvrer en paix pendant ses huit heures conformément aux horaires de travail et aux règle- ments, à l'abri des harcèlements toujours renouve- lés. Il expliquait que c'était la raison pour
laquelle il ne s'était pas présenté au travail la nuit précédente et il demandait conseil pour ce qui était de la date à laquelle il pourrait reprendre le tra vail. Le 29 mars 1972 il a envoyé à M. L. Duro- cher, directeur du district métropolitain de Mont- réal, une copie de la lettre envoyée à M. St -Cyr. Dans cette lettre il écrit:
[TRADUCTION] Si je pose ce geste, c'est dans l'espoir que des mesures seront prises à l'égard d'un état de fait qui a déjà été trop longtemps toléré par le 715, rue Peel. Si rien n'est fait, je continuerai de signaler la chose au gouvernement à Ottawa ou je soumettrai les faits dont j'ai accumulé d'amples preuves dans ma correspondance avec votre bureau, à une commission parle- mentaire; ou encore, si cela s'avère nécessaire, je m'adresserai aux tribunaux. La presse serait fortement intéressée par divers aspects de la présente affaire.
Le paragraphe ci-dessus ne doit pas être considéré comme une menace; il ne fait qu'indiquer jusqu'où je suis prêt à aller.
Il est évident que le ton de cette lettre, quoiqu'elle ait probablement été écrite alors que le demandeur était au désespoir, n'était pas fait pour lui attirer la bienveillance de ses employeurs.
Curieusement aussi, après l'envoi de cette lettre, le demandeur n'a rien fait pendant deux mois et demi, se bornant à attendre une réponse. Peut-être a-t-il surestimé son importance pour le bureau de poste, lui, un employé parmi des milliers. De toute façon il pensait, et il pense encore, que c'était à eux d'agir. Lorsqu'on lui demande quelle mesure précisément il aurait voulu que l'on prenne, il répond que c'était leur affaire. Il reconnaît qu'il leur était impossible de le protéger des menaces ou du harcèlement des autres employés, mais appa- remment il n'a ni suggéré, ni demandé une muta tion, peut-être dans une succursale plus petite où, même s'il s'y trouvait des salariés syndiqués, il aurait moins à craindre. Il s'est dit heureux de travailler à la sous-section d'enregistrement, de minuit à 8 h 30 du matin, mais cela ne semble pas concorder avec ses plaintes à l'égard de son supé- rieur immédiat, M. Dagenais qui, pensait-il, cher- chait à lui nuire. Peut-être pensait-il que quelque chose pourrait être fait pour contrôler les actes, qu'il jugeait illégaux, de M. Dagenais, notamment les actes de harcèlement à son égard. Curieuse- ment aussi, bien qu'il ait été soi-disant menacé par ses camarades de travail dans la nuit du 12 au 13 mai, il se plaint principalement dans sa lettre des tracasseries de M. Dagenais, particulièrement du fait que ce dernier lui ait ordonné de fermer certains courriers avant l'heure. De toute façon il
semble qu'il y a eu confusion dans son esprit à l'époque sur ce qu'il voulait vraiment, si ce n'est le but irréalisable de pouvoir continuer à travailler en paix. Il laissait à son employeur le soin de décider quelles mesures prendre, mais ne demandait pas de mutation.
La mesure prise lui a causé un choc brutal. Le 15 août 1972, on lui a envoyé une lettre recom- mandée signée par M. H. Vallée, directeur par intérim du district de Montréal métropolitain, qui avait remplacé M. Durocher. La lettre se lisait comme suit:
[TRADUCTION] De par l'autorité que me délègue le sous-minis- tre, sur le fondement de l'article 6(5) de la Loi sur l'emploi dans la Fonction publique, je vous notifie par les présentes ma décision de recommander votre renvoi, à compter d'aujourd'hui, en vertu de l'article 27 de ladite loi, pour abandon de poste. Cette décision a été prise parce que vous êtes absent sans autorisation depuis le 27 mai 1972.
L'emploi des mots «décision de recommander» est peut-être malheureux, vu que, selon l'article 27, on «peut, au moyen d'un écrit approprié adressé à la Commission, déclarer que l'employé a abandonné le poste qu'il occupait. Cet employé cesse dès lors d'être un employé.* Copie de cette lettre a été envoyée le même jour au directeur de la région de Québec de la Commission de la Fonction publique. La Loi, prise au pied de la lettre, n'exige de la Commission aucune autre action une fois cette décision prise.
Dès la lettre reçue, on aurait pu penser que M. Achorner aurait immédiatement fait des démar- ches pour tenter de faire rapporter la décision. Au lieu de cela, ce n'est que le 21 septembre 1972 qu'il a écrit à M. Durocher, directeur général régional, en évoquant sa lettre du 29 mai 1972 (précitée), pour dire qu'il n'avait pas encore reçu de réponse. Il écrit:
[TRADUCTION] Avant que je ne porte mon affaire à un niveau auquel vous et vos fonctionnaires sont subordonnés, je voudrais m'assurer que le contenu des lettres précitées vous a été com- muniqué et, si c'est le cas, si quelque instruction a été donnée de votre part en réponse à la plainte formelle que j'ai déposée près le bureau de M. St -Cyr?
Vous apprécierez l'importance d'une réponse de votre part à la présente vu que depuis le 29 mai 1972 la Direction, 715 rue Peel, n'a pas jugé nécessaire de répondre auxdites lettres, pas plus qu'elle n'a, à ce jour, tenté d'entrer en relation avec moi afin de trouver une solution au litige que je signale dans ma lettre à M. St -Cyr.
Espérant avoir de vos nouvelles dès que vous le jugerez bon, etc.
Il appert que M. Durocher, sur réception de la lettre, a transmise celle-ci à M. St -Cyr en lui demandant de lui faire rapport.
Le 12 octobre, il a écrit à M. Achorner qu'il avait fait une étude complète de l'affaire, qu'on l'avait avisé qu'il était considéré comme ayant abandonné son poste, ne s'étant pas présenté au travail pendant une période supérieure à une semaine, ce que sanctionne l'article 27 de la Loi, et que des mesures avaient été prises pour que lui soient remboursées ses contributions au régime de retraite et ses autres avantages sociaux.
Le 22 octobre M. Achorner a écrit à M. Duro- cher qu'il n'était pas très logique de recommander son renvoi pour abandon d'emploi; qu'il ne permet- trait pas que la faute lourde de l'un ou l'autre cadre du bureau de poste central de Montréal, commise en ne répondant pas à ses plaintes légiti- mes, et ce pendant des mois, puisse être interprétée comme un abandon de poste de l'employé. Il disait par ailleurs refuser d'accepter quelque arrange ment que ce soit quant à sa retraite.
M. Durocher lui a répondu s'être assuré que les cadres qui lui étaient subordonnés avaient en fait exécuté leurs obligations régulièrement, conformé- ment aux paramètres de leur responsabilité et il lui rappelait les conséquences du défaut par l'employé d'exercer ses options en matière de retraite, con- formément à la Loi sur la pension de la Fonction publique, S.R.C. 1970, c. P-36. Il appert cepen- dant qu'entre le 27 mai et le 15 août 1972, M. Achorner avait tenté d'obtenir réparation par un autre canal. Le 30 octobre 1972 il avait écrit à Mue Thériault, adjointe du Ministre Jean-Pierre Côté, lui rappelant l'entrevue qu'elle lui avait accordée le 9 juin 1972 et l'avisant qu'aucun progrès n'avait été fait depuis cette date. Le 16 décembre 1972, il a écrit de nouveau à M"e Thériault, lui disant qu'il n'avait reçu aucune réponse à sa lettre du 27 mai (et cela en dépit de toute la correspondance échan- gée avec M. Durocher). Il cite l'avis que lui don- nait M. Aurèle Ouimet dans une lettre du 25 avril 1972 celui-ci lui suggérait d'avoir recours à l'unité de négociation le représentant. M. Achor- ner déclare qu'il ne permettra jamais à aucun syndicat de le représenter pour quoi que ce soit, pas plus qu'il ne veut être mêlé à un syndicat pour
la simple raison qu'il y a une convention collective en vigueur, laquelle d'ailleurs ne stipule nulle part qu'un employé du bureau de poste doive être membre du syndicat. Il termine en disant que c'est un de ses droits constitutionnels, en tant que citoyen d'un pays libre, de se conduire de manière à ce que sa conscience ne soit pas compromise par les actes d'une organisation qu'il estime nuisible à la société. Enfin il se dit prêt à retourner à son poste quand ses conditions de travail, telles qu'é- noncées au paragraphe final de sa lettre à M. St -Cyr, auront été réaffirmées explicitement.
Le 9 janvier 1973, le demandeur a écrit de nouveau à M. Durocher, lui signalant que sa lettre à M. St -Cyr du 27 mai 1972, celle envoyée, à lui, M. Durocher, le 29 mai 1972, son entrevue du 9 juin 1972 avec l'adjointe ministérielle et enfin, la deuxième lettre envoyée à M. Durocher le 21 septembre 1972, montrent clairement que le demandeur ne peut être considéré comme ayant abandonné son poste, puisqu'il a cherché, par tous ces moyens, à le conserver. Il conclut:
[TRADUCTION] Même au risque de me répéter, permettez-moi
une fois encore d'insister respectueusement pour appeler votre attention sur le fait que je n'ai jamais à ce jour reçu de réponse directe à mes lettres par lesquelles je cherchais, à résoudre le litige de façon à pouvoir retourner au travail. J'ai patiemment supporté les embarras et les humiliations, mais finalement l'un de mes supérieurs a dépassé les limites dans lesquelles je puis travailler. Le simple fait que certains cadres—pour des raisons que j'ignore—hésitent à l'extrême à faire face à la situation, a causé cette absence forcée, laquelle est entièrement de leur faute! Je ne permettrai à personne de travestir arbitrairement cette absence forcée en un «abandon de poste» de ma part.
Les efforts de M. Achorner pour obtenir répara- tion en s'adressant à l'échelon le plus élevé ont persisté. Il a vu M. Ian Watson, député, qui a écrit le 11 avril 1974 M. André Ouellet, alors ministre des Postes et lui a décrit tous les faits comme le demandeur les lui avait appris. Le Ministre a promis de faire faire enquête. Le 9 octobre 1974, M. Watson a envoyé une copie de cette lettre à M. Bryce Mackasey, le nouveau ministre des Postes, lui signalant qu'il concluait que si rien n'avait été fait c'était à cause de l'élection qui avait eu lieu entre-temps. De nouveau on a promis de faire enquête. La plupart des lettres sont postérieures au renvoi de M. Achorner. Les périodes les plus importantes sont celles qui précèdent immédiate-
ment sa cessation de travail du 27 mai 1972, devant supposément durer jusqu'à ce qu'il soit assuré de pouvoir travailler en sûreté, et la période suivant immédiatement sa lettre de cette même date, alors que les autorités des postes, présumé- ment, étudiaient la question, jusqu'au 15 août 1972, date il a été avisé qu'il était considéré comme ayant abandonné son poste. J'ai quand même évoqué la susdite correspondance pour mon- trer, au-delà de tout doute, que M. Achorner lui-même n'a jamais estimé avoir abandonné son poste et qu'en fait il a toujours désiré retourner travailler, mais sous réserve d'une condition que la direction apparemment estimait ne pouvoir rem- plir, soit qu'on lui garantisse protection contre tout harcèlement ultérieur. Il n'existe aucune preuve directe permettant d'établir si un autre ralentisse- ment délibéré de travail, préalable à l'arrêt com- plet de celui-ci, a eu lieu en mai 1972, détériorant ainsi les conditions qui avaient jusque-là paru tolé- rables au demandeur à la sous-section de l'enregis- trement, dans l'équipe dont auparavant il avait fait partie durant environ six ans. Il faut cependant noter qu'il a été suggéré que des ordres irréguliers de fermer avant l'heure le courrier aérien en par- tance ont été donnés dans la sous-section la nuit du 26 mai (on doit présumer que ces ordres étaient irréguliers puisque aucune preuve n'a été produite en défense pour les expliquer ou les justifier) et qu'ils peuvent avoir constitué une tentative de M. Dagenais de harasser le demandeur car s'il avait refusé d'obéir, il aurait pu faire l'objet de sanctions disciplinaires ou être renvoyé pour ce refus. Ces ordres peuvent aussi avoir constitué une autre tentative du syndicat pour gêner le public en ralen- tissant délibérément l'acheminement du courrier. Il y a aussi une forte possibilité qu'ayant à faire face à une force ouvrière militante et indisciplinée (la chose était notoire dans le cas du bureau de poste de Montréal à l'époque) les autorités des postes montréalaises aient décidé d'adopter la ligne de la moindre résistance et de se servir de l'absence d'Achorner comme d'une excuse pour se passer de ses services plutôt que d'aggraver les rapports avec les syndiqués les plus militants et de risquer la confrontation en retenant les services de quelqu'un que le syndicat considérait comme un «scab». La personnalité d'Achorner, sa susceptibilité et son refus de se soumettre, ainsi que ses plaintes fré- quentes à des niveaux supérieurs de gestion, peu- vent aussi avoir ennuyé la direction elle-même et
avoir contribué à la décision qu'elle a prise deux mois seulement après le 27 mai, soit le 15 août 1972. Si Achorner avait été renvoyé principale- ment pour plaire aux syndicats, ce serait injustifia- ble spécialement dans le cas d'un employé che- vronné (11 ans de service sans aucune défaillance).
Je ne suis pas le seul à en arriver à cette conclusion comme le montre la lettre du 11 avril 1974, envoyée par le député Ian Watson à M. André Ouellet et il est dit, à la page 4:
[TRADUCTION] Nous avons affaire ici purement et simple- ment à un cas la direction des Postes de Montréal a décidé que dans l'intérêt des bonnes relations avec les salariés, il valait mieux sacrifier les droits d'un seul individu, soit M. Albin Achorner. M. Achorner était un employé modèle ne s'écartant jamais des règles et des règlements et apparemment c'est cela qui a rendu sa présence doublement intolérable à certains de ses camarades postiers qui ont bonne mémoire et ne lui ont jamais pardonné son refus de participer à la grève illicite de 1965.
Je vous le demande, pouvait-on espérer que M. Achorner retourne à son travail après le 27 mai, vu ses expériences passées et compte tenu de ce qui s'est produit pendant qu'était au travail l'équipe de minuit à 8 h 30 du matin, sans qu'il lui soit donné quelque assurance sur sa sûreté et sur l'arrêt des actes de harcèlement dont il fait état dans sa lettre du 27 mai? N'ayant reçu aucun accusé de réception à ses lettres des 27 et 29 mai 1972, devait-il revenir au travail? Mettez-vous à sa place. Il craignait pour sa vie et à bon droit.
Il est certain qu'aucune tentative n'a été faite pour communiquer avec le demandeur après sa lettre du 27 mai 1972, pas plus qu'on ne lui a offert de le muter à un autre service comme cela aurait facile- ment pu être fait; il n'a jamais été averti qu'il serait renvoyé en application littérale de l'article 27 de la Loi sur l'emploi dans la Fonction publi- que, S.R.C. 1970, c. P-32, pour avoir soi-disant abandonné son poste. Il est parfaitement clair que le demandeur n'avait aucune intention d'abandon- ner son emploi, mais qu'il désirait simplement être protégé dans l'exécution de ses fonctions. L'article 27 précité parle d'une absence d'une semaine ou davantage, la proposition, fort importante, «sauf pour des raisons qui, de l'avis du sous-chef, sont indépendantes de sa volonté,» étant ajoutée. Un employé qui n'est pas malade, et Achorner recon- naît qu'il ne l'était pas, peut bien entendu décider de se présenter ou non au travail; mais les motifs qu'avait le demandeur en l'espèce pour ne pas se présenter semblent résulter d'une situation indé- pendante de sa volonté et découler des menaces de violence proférées par des syndiqués à son égard
comme du harcèlement auquel le soumettait son supérieur immédiat, un syndiqué, en lui donnant des ordres irréguliers et répréhensibles. Il me semble que la situation ressemble quelque peu aux affaires d'assurance-chômage et de droit du travail la jurisprudence dit que le refus de traverser une ligne de piquets de grève dressés par les mem- bres d'un autre syndicat ne peut être justifié, en l'absence de menace de violence, par la solidarité avec le syndicat dont les membres ont dressé les piquets, ou en se servant de cette solidarité comme excuse pour se dispenser de se présenter au travail, mais que par ailleurs, lorsqu'il y a danger réel et immédiat, pour le travailleur ou les membres de sa famille, et des menaces qu'il a toutes les raisons de croire sérieuses, on ne peut s'attendre à ce qu'il franchisse la ligne des piquets, licites ou illicites, et il ne sera pas pénalisé pour ne pas l'avoir fait. Chaque espèce est différente et il n'y a souvent qu'une ligne de démarcation fort mince entre le refus de se présenter au travail de sa propre initia tive et ce même refus motivé par les menaces et le danger qu'il en découlerait. En l'espèce, le deman- deur n'a subi aucune violence physique durant la nuit du 12 au 13 mai 1972, pas plus que durant sa dernière nuit de travail du 26 mai; mais il avait déjà subi une forme des plus extrêmes de la vio lence physique auparavant et était à ce moment-là soumis à une escalade d'actes de harcèlement et de menaces; il a finalement flanché et estimé, non sans raison, qu'il ne pouvait continuer dans ces conditions. Je considère donc comme un fait établi que son défaut de se présenter au travail le 27 mai 1972 et par la suite résultait d'une situation indé- pendante de sa volonté et qu'il ne peut être consi- déré comme ayant abandonné son emploi; il s'en- suit que l'article 27 a été irrégulièrement appliqué en l'espèce.
Toutefois, ce ne sont pas les faits, mais le droit qui en l'espèce soulève le plus de difficultés. Quoi- que la question de la prescription, n'ait pas été formellement abandonnée par la défenderesse, cel- le-ci n'y a attaché que peu d'importance. Il est évident qu'il ne s'agit pas ici d'une action en dommages-intérêts résultant d'un délit commis à son égard, sujette à la prescription par deux ans de l'article 2261 du Code civil de la province de Québec, mais d'une demande en rescision d'un contrat, pour violence, sujette à la prescription par dix ans de l'article 2258 ou, peut-être d'une action
relative au louage d'ouvrages, qui se prescrit par cinq ans en vertu de l'article 2260. Une deuxième question se pose: l'existence de la procédure de grief dans la Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique', dont le demandeur ne s'est pas prévalu, a-t-elle pour effet de lui fermer le présent recours judiciaire? J'ai déjà traité anté- rieurement de cet argument dans un jugement du 9 février 1977 [[1977] 2 C.F. 344] la défende- resse présentait une requête en radiation de la déclaration et j'ai dit, aux pages 349 et 350:
La défenderesse soutient qu'en vertu de l'article 27, on doit appliquer au demandeur les dispositions de l'article 90 de la Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique et que le demandeur, s'il n'était pas satisfait, aurait présenter un grief au lieu de s'adresser à plusieurs fonctionnaires et au ministre des Postes, à son député au Parlement et à d'autres pour obtenir un redressement et que, ne s'étant pas prévalu de ce recours, il n'aurait pas le droit d'intenter les procédures en cours.
Il semble y avoir quelques doutes, cependant, sur la question de savoir si la procédure de grief était accessible au demandeur en l'espèce. Son renvoi ne constituait pas une mesure discipli- naire et, au contraire, le demandeur désirait, en fait, poursuivre son travail conformément aux règlements et s'opposer aux ordres de ses supérieurs qui l'incitaient à participer à des ralentissements illégaux en vue de retarder la livraison des dépêches. Il a demandé à son surveillant de lui fournir une protection et lui a dit qu'il ne pouvait retourner au travail sans une telle assurance. Au lieu de cela, on a appliqué l'article 27 à son cas, l'accusant d'avoir abandonné son emploi parce qu'en l'absence d'une telle assurance, il n'avait pas repris son travail. Incontestablement, son renvoi ne constituait pas une mesure disciplinaire, laquelle aurait donné lieu aux procédures de grief. La Cour d'appel a étudié de près cette question dans Wright c. La Commission des relations de travail dans la Fonction publique ([1973] C.F. 765). En l'espèce, le juge en chef Jackett a soigneusement analysé les dispositions des articles de la Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique ayant trait aux griefs et celles de la Loi sur l'emploi dans la Fonction publique. Même s'il examine le droit d'un arbitre à rendre un jugement final et non le droit de présenter un grief, le juge en chef établit une liste des différents articles de la Loi sur l'emploi dans la Fonction publique en vertu desquels un fonc- tionnaire pourrait perdre son emploi dont, bien sûr, l'article 27 qui s'applique ici. Il affirme à la page 778:
Il convient de remarquer que toutes ces façons de mettre fin à un emploi peuvent éventuellement donner lieu à des litiges sur le point de savoir si les mesures nécessaires ont effective- ment été prises et peuvent éventuellement donner lieu à des litiges quant à l'effet de la loi. Toutefois, ce n'est que dans le cas «d'une mesure disciplinaire entraînant le congédiement» que la méthode appropriée pour trancher le litige est le renvoi à l'arbitrage.
Bien qu'à mon avis il aurait été plus prudent pour le deman- deur de chercher à obtenir un redressement en utilisant la procédure de grief, on peut soutenir qu'une telle procédure ne
' S.R.C. 1970, c. P-35.
lui était pas accessible dans le cas d'une décision prise en vertu de l'article 27 de la Loi l'accusant d'avoir abandonné son emploi, ce qu'il nie vigoureusement. Rien dans la loi ou la jurisprudence qui m'a été citée ne fait mention de l'éventuelle exception de l'arrêt Rao 2 (précité), selon lequel une partie qui a la possibilité d'utiliser une autre procédure, celle de grief, n'a pas de recours devant les tribunaux.
Rien de ce qui a été démontré devant moi au procès ne m'autorise à changer d'opinion et, en fait, la preuve de la défenderesse indique mainte- nant manifestement pourquoi, qu'il y ait eu ou non droit de recourir à la procédure de grief, ce recours aurait été illusoire pour Achorner vu que les per- sonnes même qui normalement auraient l'aider à présenter son grief, c'est-à-dire les dirigeants du syndicat, se seraient fortement opposées à lui et auraient vigoureusement fait leur la décision des autorités du bureau de poste de se prévaloir de l'article 27 de la Loi sur l'emploi dans la Fonction publique pour se débarasser de lui.
Autre argument juridique sur lequel on ne s'est guère attardé, l'article 24 de la Loi sur l'emploi dans la Fonction publique, lequel dispose qu'un fonctionnaire occupe son poste à titre amovible et, à moins que le contraire ne soit spécifié, pour une période indéterminée. Cet article ajoute toutefois «sous réserve de la présente loi et de toute autre loi ainsi que des règlements établis sous leur régime», ce qui bien entendu s'applique aux dispositions de l'article 27. Mais cela n'autorise pas, je crois, à renvoyer un employé sans motif. J'ai aussi traité de cet argument dans mon jugement du 9 février 1977 (supra) lorsque j'ai dit, à la page 348, par- lant de l'article 24:
Je ne crois pas que cet article soit correctement invoqué puisque le licenciement n'a pas eu lieu en vertu de cet article de la Loi. Aucun arrêté en conseil n'a été adopté pour son renvoi, comme c'était le cas dans l'affaire Hopson c. La Reine ([1966] R.C.É. 608).
L'arrêt Zamulinski c. La Reine ([1959-60] R.C.É. 175), s'il pose en principe qu'un employé ne peut réclamer de dommages- intérêts pour renvoi s'il détenait son poste selon le bon plaisir de la Couronne, a cependant attiré l'attention sur un article des règlements donnant à l'employé le droit de soumettre son cas à un agent supérieur nommé par un sous-ministre et d'être entendu avant son congédiement; et comme il avait été privé de ce droit, il lui était accordé une indemnité symbolique de $500.
Une décision semblable a été rendue par mon collègue le juge Cattanach dans l'arrêt Peck c. La Reine ([1964] R.C.É. 966), mais aucune indemnité n'a été accordée en l'espèce parce que le
2 [1937] A.C. 248.
demandeur avait eu la possibilité de faire connaître son point de vue avant son congédiement.
Dans Rao c. Secretary of State for India ([1937] A.C. 248), un article quelque peu semblable à l'article 24 prévoyait que l'employé restait en fonction durant bon plaisir de Sa Majesté. L'en-tête de la décision publiée est ainsi libellé:
[TRADUCTION] Les termes de l'art. 96B assurent que la durée d'un emploi, même détenu à titre amovible, ne sera pas sujette à une action capricieuse ou arbitraire, mais soumise aux règles, qui sont nombreuses, la plupart minutieuses dans leurs caractéristiques et toutes susceptibles d'être modifiées, mais l'appelant n'a en vertu de ces règles aucun droit, exécutoire au moyen d'une action, de détenir son poste et il peut donc être renvoyé, nonobstant le défaut d'observer la procédure prescrite par les règles.
En l'espèce ce n'est pas que la procédure prévue par l'article 27 n'ait pas été suivie; mais le point est semble-t-il, que le renvoi aurait été le résultat d'«une action capricieuse ou arbitraire», si l'on tient compte du vrai motif dudit renvoi.
L'importante question de droit qui reste à étu- dier est celle de savoir si, concluant que, d'après les faits, l'article 27 de la Loi sur l'emploi dans la Fonction publique a été irrégulièrement interprété lorsqu'il a été estimé que le demandeur avait aban- donné son emploi, le présent tribunal peut à bon droit intervenir. Il s'agissait d'une décision admi nistrative prise par H. Vallée, directeur par inté- rim du district de Montréal métropolitain, en vertu de l'autorité qui lui était déléguée par le sous- ministre, sur le fondement de l'article 6(5) de la Loi. Le libellé de l'article 27 montre clairement que l'unique condition requise c'est une déclaration du sous-chef disant que l'employé a abandonné son poste; il cesse alors d'être employé. Quoique la Commission doive recevoir notification de ce fait par écrit, ce qui a été fait en l'espèce, il n'est pas requis qu'elle agisse de quelque façon que ce soit. Mis à part le fait qu'il s'agit là, semble-t-il, d'un acte administratif non soumis au contrôle des tri- bunaux puisqu'il n'exige pas l'exercice d'une com- pétence juridictionnelle, il s'agit certainement d'une décision qui n'est pas soumise à l'examen de la Cour d'appel en vertu de l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale, en tout cas, ce n'est ni une décision ni une ordonnance rendue au cours d'une instance devant un office, une commission ou un autre tribunal fédéral. Cependant, spécialement comme j'ai déjà conclu que la procédure de grief n'était pas accessible au demandeur, celui-ci se trouverait sans recours aucun, à moins que la
présente cour n'intervienne et, par ordonnance déclaratoire ou autrement, ne réforme ladite déci- sion. Je ne puis conclure que le législateur enten- dait par cette loi, laisser l'employé sans recours aucun, advenant un usage irrégulier de l'article 27. La situation actuelle est tout à fait différente des espèces comme Re Ahmad and Appeal Board Established by the Public Service Commission', la Cour d'appel, ayant à connaître d'une requête fondée sur l'article 28, a infirmé la déci- sion du comité d'appel susdit, lequel avait confirmé le renvoi, en vertu de l'article 31(1) de la Loi, par le sous-chef du Ministère d'un employé qu'il jugeait incompétent. La Cour avait conclu que le comité n'était pas justifié à révoquer la recomman- dation du sous-chef à moins que ne soient produi- tes des pièces le convainquant que le sous-chef avait estimé à tort que la personne en cause était incompétente. On a fait remarquer que c'était question d'opinion et que tout ce qui était requis c'était que l'on prenne la décision honnêtement sur la foi des observations des supérieurs immédiats de l'employé. Mais en l'espèce, il ne s'agit nullement de réviser une décision administrative prise sur la foi du jugement de l'auteur de la décision et portant sur la compétence ou l'incompétence de l'employé, mais plutôt une appréciation fondée semble-t-il sur deux idées erronées:
a) qu'Achorner aurait abandonné son posté; il était parfaitement clair, compte tenu de sa con- duite et de ses lettres, qu'il ne l'abandonnait pas, mais désirait au contraire reprendre le travail dès qu'on lui assurerait qu'il pourrait le faire en toute sécurité, et
b) qu'il se serait absenté pour des raisons non indépendantes de sa volonté. Manifestement les conditions qui avaient amené son absence étaient totalement indépendantes de sa volonté,
et ce en dépit de l'avis aussitôt envoyé M. St -Cyr expliquant les raisons de sa conduite. 4
3 (1975) 51 D.L.R. (3°) 470.
4 Ce serait un cas tout à fait différent si l'article était invoqué pour déclarer qu'un salarié qui s'absente de son poste pour plus d'une semaine par suite d'une grève illicite sera considéré comme l'ayant abandonné, car alors il n'y aurait aucune discré- tion à exercer, les seuls faits à établir étant l'illégalité de la grève et l'absence de l'employé pendant plus de 7 jours.
Ayant conclu donc que cette décision ne peut être soutenue, la conclusion qui s'impose est que le demandeur, n'ayant jamais abandonné son poste, doit toujours être considéré comme un employé. Toutefois, la déclaration ne demande pas la réinté- gration, mais la résiliation du contrat de travail à toutes fins que de droit. Cependant Achorner, quoiqu'il ait toujours conservé le désir de retourner au travail (sous condition), doit sûrement avoir compris, au moins le jour il a reçu la deuxième lettre de M. Durocher, le 26 octobre 1972, qu'il y avait fort peu ou pas de possibilité qu'il reprenne son travail au bureau de poste. Quoiqu'il n'ait pas demandé la résiliation de son contrat de travail avant d'engager l'instance, le 12 septembre 1975, il serait déraisonnable de conclure qu'il pouvait toujours se considérer comme un employé du bureau de poste, prêt à tout moment et disposé à retourner au travail, s'il était adéquatement pro- tégé. Je trouve frappant qu'apparemment il n'ait fait aucune tentative pour chercher un autre emploi. Il est bien établi en droit que dans toute demande en dommages-intérêts, que ce soit pour inexécution de contrat, pour délit ou quasi-délit ou pour autre chose, le demandeur doit tout faire pour réduire les dommages; en l'espèce il n'est pas raisonnable que le demandeur n'ait fait aucune tentative en ce sens en cherchant à obtenir un autre emploi. Quoiqu'il ait déclaré que le seul travail pour lequel il ait reçu une formation est celui qu'il exécutait au bureau de poste (de fait, il a subi un examen de la Fonction publique pour obtenir cet emploi) je ne puis juger que ce travail demandait des aptitudes tellement particulières qu'il aurait été déraisonnable de sa part de cher- cher quelque autre travail, ni qu'il lui ait été impossible en 1972, alors que le chômage n'était pas aussi important qu'aujourd'hui, de trouver quelque emploi. Il avait 49 ans à l'époque et travaillait au bureau de poste depuis un peu plus de onze ans. Présumément il doit avoir fait autre chose avant ses 37 ans. Il n'a pas été prouvé qu'il ait cherché du travail. On peut opposer cela à la conduite de John A. Emms dans l'affaire Emms c. La Reine' le juge Cattanach a conclu qu'un employé avait été irrégulièrement démis de ses fonctions en vertu de l'article 28(3) de la Loi sur l'emploi dans la Fonction publique et qu'en consé-
5 [19771 1 C.F. 101.
quence le renvoi était nul et non avenu. A la page 116 de ce jugement le juge Cattanach écrit:
Immédiatement après son renvoi manqué du 24 septembre 1971, le demandeur a obtenu un emploi sous contrat avec un ministère du gouvernement de la Saskatchewan (Department of Co-Operation and Co -Operative Development). La pièce P-I2 révèle qu'il a commencé à travailler le l er octobre 1971; une période de sept jours s'est donc écoulée avant qu'il n'accepte un autre emploi (j'en félicite le demandeur), mais ce faisant, il lui devenait impossible de s'acquitter des fonctions du poste bien qu'il n'ait pas été valablement renvoyé.
En l'espèce, le demandeur aurait fort bien pu ne chercher aucun autre emploi, car il n'aurait plus été disponible pour reprendre le travail au bureau de poste, tant qu'il voulait revenir y travailler mais, comme je l'ai déjà dit je ne pense pas qu'il ait pu raisonnablement s'y attendre, et s'abstenir de chercher un autre emploi, après le 26 octobre 1972.
Dans l'affaire Wright c. La Reine 6 , le juge Heald devait évaluer les dommages-intérêts aux- quels avait droit un employé irrégulièrement démis de ses fonctions en application erronée de l'article 28(3) de la Loi. A la page 521 il dit:
Le demandeur avait le droit de rester en fonction du jour du renvoi inopérant, soit le 31 juillet 1970, jusqu'au 29 décembre 1973, date de sa retraite obligatoire. La défenderesse s'y est en fait injustement et illégalement opposée. Par conséquent, la perte de salaire du demandeur est un élément important des dommages qu'il a subis. Ainsi qu'il a été expliqué antérieure- ment, le demandeur tenta l'impossible pour obtenir un autre emploi, sans succès. Pendant toute cette période, il était en bonne santé et il était capable et désireux de travailler. Le demandeur a été privé de son droit à la pension de retraite puisque la défenderesse, au moment du prétendu renvoi, lui avait remboursé ses contributions, supprimant ainsi tous ses droits éventuels à des prestations de retraite. [C'est moi qui souligne.]
Dans ces deux affaires le demandeur a cherché ou obtenu un autre emploi, ce qui minimise, ou aurait minimisé, le quantum de sa réclamation. En l'es- pèce présente on a offert au demandeur soit le remboursement de ses prestations de retraite, soit une prestation de retraite, soit enfin une rente différée pouvant être réclamée entre 50 et 60 ans. La lettre de M. Durocher du 26 octobre 1972 dit que si le demandeur ne choisit pas avant un an, il sera présumé avoir opté pour la rente. Les formali- tés nécessaires n'ont jamais été remplies par M.
6 [1975] C.F. 506.
Achorner. Le procureur de la défenderesse a dit qu'il ne conteste pas le droit du demandeur au remboursement de ses contributions au régime de retraite, pas plus que son droit à la rente. Cela. s'ajouterait bien entendu aux sommes accordées pour perte de salaire et dommages-intérêts.
Pour ce qui est des dommages-intérêts, dans l'affaire Wright, précitée, le juge Heald a estimé que la perte de salaire était un élément important. Il a ajouté toutefois, comme il a été dit, que le demandeur avait fait tout ce qui était en son pouvoir pour obtenir un autre emploi, sans succès. Finalement il a accordé $20,000, soit un peu moins que la perte de salaire.
Ici, le salaire annuel du demandeur à l'époque était de $7,701.18 comme le montrent les formu- laires qui lui ont été envoyés pour le rembourse- ment de sa pension et qu'il a refusé de signer. Il aurait à mon avis eu droit à son salaire pendant au moins six mois; après quoi, il aurait se chercher un autre emploi, qu'il aurait pu abandonner s'il avait été réintégré en 1974 par suite de sa tentative de faire intervenir le Ministre. Comme le deman- deur le fait remarquer, quelle que soit la somme accordée en prenant en compte ses revenus de 1972, celle-ci vaut maintenant beaucoup moins à cause des effets de l'inflation. Bien qu'on lui rem- bourse ses contributions au régime de pension, ou qu'on lui donne une rente équivalente en fonction des contributions versées par lui avant son renvoi illégal, cela bien sûr ne permet pas de tenir compte des contributions futures au régime, s'il était demeuré au service du bureau de poste, ni de l'augmentation des prestations auxquelles il aurait eu droit suite aux augmentations salariales ou à son passage dans une autre catégorie de salaire.
D'autre part il a été dans une large mesure l'artisan de son propre malheur puisqu'il n'a pas donné suite à ses lettres des 27 et 29 mai 1972, pas plus qu'il n'a demandé de mutation, se contentant d'attendre passivement les réactions de ses employeurs sans chercher d'autre emploi; dans la mesure la faute commune peut être prise en compte, ceci a une certaine importance.
Il est impossible d'évaluer la réclamation sur une base actuarielle mais, toutes choses égales par ailleurs, je conclus qu'une indemnité de $10,000
est justifiée si l'on y ajoute le remboursement au demandeur de ses contributions à son régime de retraite, ou la rente qui en tiendra lieu, selon un calcul conforme aux règlements actuellement applicables à son cas, avec intérêt à compter du jour de l'introduction de l'instance, soit le 17 sep- tembre 1975.
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