A-835-77
Hijos de Romulo Torrents Albert S.A. (Appe-
lante) (Demanderesse)
c.
Le navire Star Blackford et Blandford Shipping
Co. Ltd. et Star Shipping A/S (Intimés)
(Défendeurs)
Cour d'appel, les juges Pratte, Urie et Le Dain—
Vancouver, le 7 décembre 1978; Ottawa, le 9
février 1979.
Pratique — Appel du rejet d'une requête visant à ajouter
trois demandeurs proposés — Les actions des demandeurs
proposés ont été prescrites — L'appelante (demanderesse), qui
n'a pas d'intérêt pécuniaire dans les actions des demandeurs
proposés, soutient que l'adjonction de ces demandeurs, est
nécessaire pour assurer qu'on pourra justement statuer sur
toutes les questions en litige — Règles 424, 425 et 1716 de la
Cour fédérale.
Une action a été intentée par l'appelante nommée à propos
d'avaries subies par quatre lots différents de pâte de bois. Ces
lots étaient expédiés à bord du navire intimé par un même
expéditeur à quatre destinataires différents et faisaient l'objet
de quatre connaissements. L'appelante n'est en droit de récla-
mer des dommages-intérêts qu'à l'égard des avaries subies par
les marchandises visées à un seul connaissement. Trois autres
compagnies qui n'ont apparemment aucun lien avec l'appelante
seraient en droit de réclamer des dommages-intérêts à l'égard
des avaries subies par les marchandises visées aux autres con-
naissements. Après l'expiration du délai d'un an fixé par les
Règles de la Haye pour intenter une action en indemnisation à
propos d'une cargaison, l'appelante a introduit en vertu de la
Règle 1716 une demande visant à obtenir une ordonnance
prescrivant l'adjonction de ces compagnies à la présente action
et ce, ab initio et nunc pro tunc. L'appelante interjette appel du
rejet de cette demande.
Arrêt: l'appel est accueilli. Quoiqu'il s'agisse d'un cas où il
eût été possible de joindre les quatre compagnies à titre de
codemanderesses en vertu de la Règle 1715, on ne peut pas
appliquer en l'espèce la Règle 1716. L'expression figurant à
l'alinéa (2)b) de cette dernière règle a été interprétée comme
signifiant que la jonction des parties proposées doit être néces-
saire pour assurer que le tribunal pourra valablement et com-
plètement se prononcer sur les droits revendiqués par le deman-
deur initial. La jonction des demandeurs proposés n'est pas
nécessaire au jugement de la demande d'indemnisation de
l'appelante à l'égard des marchandises visées au connaissement
en cause. On peut considérer toutefois qu'il s'agit d'un cas
d'erreur de nom, à condition de ne dénaturer ni cette notion ni
la portée de la Règle 425. L'intimée n'a nullement été induite
en erreur quant aux avaries faisant l'objet de la demande ou
quant aux parties au nom desquelles la demande d'indemnisa-
tion a été faite. Cela satisfait au critère essentiel pour savoir s'il
s'agit ou non d'un cas d'erreur de nom. En ce qui concerne la
cause d'action issue de chacun des autres connaissements,
l'amendement aurait pour effet non pas tant d'ajouter des
demanderesses que de remplacer le nom de l'appelante par ceux
des autres compagnies.
Arrêts mentionnés: Ladouceur c. Howarth [1974] R.C.S.
1111; Witco Chemical Co., Canada, Ltd. c. La Corpora
tion de la ville d'Oakville [1975] 1 R.C.S. 273; Dupuis c.
De Rosa [1955] B.R. (Qué.) 413. Arrêt examiné: Leesona
Corp. c. Consolidated Textile Mills Ltd. [1978] 2
R.C.S. 2.
APPEL.
AVOCATS:
S. Harry Lipetz pour l'appelante (demande-
resse).
J. William Perrett pour les intimés (défen-
deurs).
PROCUREURS:
Ray, Wolfe, Connell, Lightbody & Reynolds,
Vancouver, pour l'appelante (demanderesse).
Macrae, Montgomery, Spring & Cunning-
ham, Vancouver, pour les intimés (défen-
deurs).
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE LE DAIN: Une action a été intentée par
l'appelante nommée à propos d'avaries subies par
quatre lots différents de pâte de bois. Ces lots
étaient expédiés à bord du navire intimé par un
même expéditeur à quatre destinataires différents
et faisaient l'objet de quatre connaissements por-
tant les numéros GR/B-7, GR/B-8, GR/B-9 et
GR/B-10. L'appelante n'est en droit de réclamer
des dommages-intérêts qu'à l'égard des avaries
subies par les marchandises visées au connaisse-
ment n° GR/B-7. Trois autres compagnies qui
n'ont apparemment aucun lien avec l'appelante, à
savoir J. Vilaseca S.A., Miguel y Costas et Miguel
S.A., et S. Torras Domenech S.A., sont censées
être en droit de réclamer des dommages-intérêts à
l'égard des avaries subies par les marchandises
visées aux connaissements n°' GR/B-8, GR/B-9 et
GR/B-10 respectivement. Après l'expiration du
délai d'un an fixé par les Règles de La Haye pour
intenter une action en indemnisation à propos
d'une cargaison, l'appelante a introduit une
demande en vertu de la Règle 1716 pour demander
une ordonnance spécifiant que ces compagnies
soient [TRADUCTION] «ajoutées comme parties à
la présente action et ce, ab initio et nunc pro tunc.»
L'affidavit qui a été déposé à l'appui de cette
demande indique que [TRADUCTION] «c'est par
inadvertance que les parties mentionnées n'ont pas
été incluses comme demanderesses dans la déclara-
tion qui a été déposée le 15 février 1977» et que
[TRADUCTION] «il est nécessaire d'ajouter J. Vila-
seca S.A., Miquel y Costas et Miguel S.A., Miquel
Alie la Torre et S. Torras Domenech S.A. comme
demandeurs dans la présente action pour assurer
qu'on pourra justement statuer sur toutes les ques
tions en litige entre la demanderesse et les deman-
deurs proposés, d'une part, et les défendeurs, d'au-
tre part.»
Quoiqu'il s'agisse d'un cas où les quatre compa-
gnies peuvent être jointes à titre de codemanderes-
ses en vertu de la Règle 1715 pour la raison
qu'aune même question de droit ou de fait se pose
dans toutes les actions si des actions distinctes
étaient intentées par ... chacune de ces person-
nes», je ne pense pas qu'on puisse appliquer en
l'espèce la Règle 1716. L'expression figurant à
l'alinéa (2)b) de cette règle, à savoir «dont la
présence devant la Cour est nécessaire pour assu-
rer qu'on pourra valablement et complètement
juger toutes les questions en litige dans l'action et
statuer sur elles», ou la formule équivalente dans
des règles de pratique, a été, à mon avis, interpré-
tée par la jurisprudence comme signifiant que la
jonction des parties proposées doit être nécessaire
pour assurer que le tribunal pourra valablement et
complètement se prononcer sur les droits revendi-
qués par le demandeur initial. Voir, par exemple,
Armstrong c. Poole (1978) 5 B.C.R. 32. La jonc-
tion des demandeurs proposés n'est pas nécessaire
au jugement de la demande d'indemnisation de
l'appelante à l'égard des marchandises visées au
connaissement n° GR/B-7.
Il s'agit, à mon avis, de savoir si la Cour devrait
appliquer en l'espèce les Règles 424 et 425, dont
voici le texte:
Règle 424. Lorsque permission de faire un amendement men-
tionné aux Règles 425, 426 ou 427 est demandée à la Cour
après l'expiration de tout délai de prescription applicable mais
qui courait à la date du début de l'action, la Cour pourra
néanmoins, accorder cette permission dans les circonstances
mentionnées dans la Règle applicable s'il semble juste de le
faire.
Règle 425. Un amendement aux fins de corriger le nom d'une
partie peut être permise en vertu de la Règle 424, même s'il est
allégué que l'amendement aura pour effet de substituer une
nouvelle partie à l'ancienne, pourvu que la Cour soit convaincue
que l'erreur dont la correction est demandée était véritablement
une erreur et n'était ni de nature à tromper ni susceptible
d'engendrer un doute raisonnable sur l'identité de la partie qui
avait l'intention de poursuivre, ou, selon le cas, qu'on avait
l'intention de poursuivre.
Le savant juge de première instance mentionnait
la possibilité d'appliquer la Règle 425, mais était
d'avis qu'elle ne s'appliquait pas. Voici ce qu'il a
dit [[1978] 2 C.F. 189, aux pages 192 et 193]:
A mon avis, on ne pourrait pas non plus désigner comme «un
amendement aux fins de corriger le nom d'une partie» la
requête de la demanderesse, pour mettre celle-ci sous l'empire
de la Règle 425. Je suis tout à fait convaincu que l'omission,
dans la requête introductive d'instance, des demandeurs propo-
sés, provenait d'une erreur véritable et que, par suite des avis de
pertes antérieurs, on n'a pas cherché à tromper le défendeur et
on n'a pas fait naître en lui un doute raisonnable sur l'identité
des parties ayant l'intention d'ester en justice. Ceci dit, lorsque
la Règle 1716 édicte des dispositions spécifiques pour le cas de
fausse constitution de partie ou d'omission de mettre une partie
en cause, ce serait étendre l'application de la Règle 425 au-delà
de toute limite raisonnable que considérer un cas évident
d'omission de mettre une partie en cause comme une erreur
susceptible d'être redressée par correction du nom de la partie.
Il est certes difficile, en l'espèce, de distinguer
entre une omission de mettre une partie en cause
et une erreur dans le nom d'une partie. Étant
donné que c'est l'appelante elle-même qui a quali-
fié cette faute, il ne faudrait peut-être pas interve-
nir pour modifier la conclusion de la Division de
première instance. Mais, à mon avis, l'intervention
de la Cour est, en l'espèce, tellement indiquée,
pour la raison qu'elle ne cause absolument aucun
préjudice à l'intimée, que je suis disposé à considé-
rer qu'il s'agit ici d'un cas d'erreur de nom, à
condition de ne dénaturer ni cette notion ni la
portée de la Règle 425.
Les principales décisions jurisprudentielles en
matière de rectification d'une erreur de nom après
l'expiration du délai de prescription sont naturelle-
ment les arrêts rendus par la Cour suprême du
Canada dans Ladouceur c. Howarth [1974]
R.C.S. 1111, Witco Chemical Company, Canada,
Limited c. La Corporation de la ville d'Oakville
[1975] 1 R.C.S. 273, et Leesona Corporation c.
Consolidated Textile Mills Limited [1978] 2
R.C.S. 2. Dans tous ces cas, la rectification de
l'erreur de nom s'est faite, sans exception, en
substituant le nom d'une personne physique ou
morale à celui d'une autre. Les arrêts Ladouceur
et Witco étaient fondés sur la Règle 136(1) de
l'Ontario, dont en voici un extrait: [TRADUCTION]
«... lorsque, par suite d'une erreur réelle, l'action
a été intentée par un demandeur autre que celui
qui y était nommé ou lorsqu'il y a doute quant à la
personne du demandeur qui y était nommé, le
tribunal peut ordonner la substitution ou l'adjonc-
tion de toute autre personne au demandeur
nommé." L'arrêt Leesona nous intéresse particuliè-
rement parce qu'il a appliqué les Règles 424 et 425
des Règles de la Cour fédérale. A propos du
critère pour déterminer s'il s'agit véritablement
d'un cas d'erreur de nom, le juge Pigeon, en ren-
dant l'arrêt au nom de la Cour, a cité [[1978] 2
R.C.S. 2, aux pp. 8 et 9] en y souscrivant ce qu'a
énoncé le juge Rinfret dans Dupuis c. De Rosa
[ 1955] B.R. (Qué.) 413 dont en voici un extrait:
... si l'on peut, dans la substance des procédures, se rendre
compte que la véritable partie demanderesse y a, depuis le
début, de fait, été partie, même s'il y a erreur quant à sa
description, l'on doit permettre à cette partie demanderesse de
corriger l'erreur, régulariser la situation et permettre à cette
véritable partie de continuer les procédures.
Si, par ailleurs, les procédures ne peuvent pas déceler la
présence de la partie véritable derrière l'erreur commise, on ne
lui permettra pas de continuer.
Le juge Pigeon a ajouté [à la p. 9]:
Le principe énoncé par le juge Rinfret dans Dupuis c. De Rosa
ne diffère pas du critère que cette Cour a admis dans Ladou-
ceur c. Howarth ...
La personne dirait-elle, si elle était défenderesse, «ce doit être
à moi qu'on s'adresse, mais on m'a faussement nommée», ou
ferait-elle des recherches ailleurs que dans le document
lui-même pour savoir ce qu'il en est? La personne dirait-elle,
si elle était défenderesse, «ce demandeur dans le bref est
nommé ainsi par erreur je ne traite pas avec lui»?
En l'espèce, l'action a été intentée par l'appe-
lante nommée à propos des quatre connaissements.
Il a dû cependant être évident à l'intimée, à partir
des renseignements qu'elle avait déjà à sa disposi
tion sur l'identité des parties intéressées, que l'ap-
pelante ne pouvait intenter son action qu'à l'égard
d'un seul connaissement et que le nom de la
demanderesse à l'égard des trois autres connaisse-
ments était inexact. L'intimée n'était nullement
induite en erreur quant aux avaries faisant l'objet
de la demande ou quant aux parties au nom des-
quelles la demande d'indemnisation a été faite. Ce
fait a été établi par la Division de première ins
tance. J'estime qu'il satisfait au critère essentiel
pour savoir s'il s'agit ou non d'un cas d'erreur de
nom. En ce qui concerne la cause d'action issue de
chacun des trois autres connaissements, l'amende-
ment aurait pour effet non pas tant d'ajouter des
demanderesses que de remplacer le nom de l'appe-
lante par ceux des autres compagnies.
Par ces motifs, je suis d'avis d'accueillir l'appel,
d'annuler l'ordonnance de la Division de première
instance et d'accorder à l'appelante la permission
d'amender la déclaration avec effet rétroactif à
l'introduction de l'action, de manière à inscrire à
titre de demanderesses à l'égard des causes d'ac-
tion issues des connaissements portant les numéros
GR/B-8, GR/B-9 et GR/B-10, J. Vilaseca S.A.,
Miguel y Costas et Miguel S.A., et S. Torras
Domenech S.A. respectivement.
* * *
LE JUGE PRATTE: J'y souscris.
* * *
LE JUGE URIE: J'y souscris.
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