T-1946-78
Otto John Rath (Demandeur)
c.
La Reine (Défenderesse)
Division de première instance, le juge Mahoney—
Ottawa, les 5 et 7 mars 1979.
Impôt sur le revenu — Calcul du revenu — Déductions —
Frais de déménagement — Le demandeur était muté d'Ed-
monton à Ottawa vers la fin de son congé d'étude — Certains
meubles du demandeur, après avoir servi pendant son congé
d'étude à Berkeley (Californie), ont été envoyés à Ottawa où ils
ont été entreposés — Les meubles entreposés, qui n'étaient que
partiellement assurés, ont été détruits par un incendie — II
s'agit de savoir si les frais de déménagement de Berkeley à
Ottawa sont déductibles, et si la valeur des meubles non
assurés et détruits constitue à bon droit des frais de déména-
gement déductibles — Loi de l'impôt sur le revenu, S.C.
1970-71-72, c. 63, art. 62.
Le demandeur interjette appel contre deux nouvelles cotisa-
tions relatives à ses déclarations d'impôt sur le revenu pour
1974 et 1975. Ces nouvelles cotisations rejetaient la déduction
qu'il revendiquait en application de l'article 62 de la Loi de
l'impôt sur le revenu, de la valeur non assurée d'articles
ménagers et d'effets personnels détruits par un incendie d'en-
trepôt au cours du déménagement. Les meubles étaient entre-
posés à Ottawa où ils avaient été envoyés de Berkeley (Califor-
nie) à la fin du congé d'étude du demandeur. Au lieu d'être
envoyés à Edmonton où le demandeur travaillait, les articles et
effets du demandeur qui se trouvaient à Berkeley ont été
envoyés à Ottawa où le demandeur a été muté. La défenderesse
soutient que la perte d'articles et d'effets détruits ou, en
d'autres termes, leur coût de remplacement, ne constitue pas
une dépense de déménagement et que, même si cette perte est
une dépense de déménagement, elle n'est pas déductible parce
qu'elle n'a pas été engagée durant le déménagement des articles
d'un point à un autre au Canada.
Arrêt: l'appel est rejeté. L'ancienne résidence du demandeur
était à Edmonton, non à Berkeley, et il avait le droit de déduire
ses frais de déménagement d'Edmonton à Ottawa. La Loi ne
stipule pas que ses articles et effets personnels doivent toujours
être transportés entre les deux mêmes points même si, évidem-
ment, il en sera ainsi. Le montant du préjudice subi par le
demandeur par suite de la destruction de ses articles et effets ne
constitue évidemment pas une dépense de déménagement, au
sens naturel et habituel de ce terme, même si l'on admet qu'il
l'a payé lui-même. Les dépenses nécessairement engagées pour
remplacer les articles ne sont pas celles encourues pour effec-
tuer leur transport matériel et leur déduction n'est pas expres-
sément admise par le paragraphe 62(3).
Arrêt appliqué: Storrow c. La Reine [1979] 1 C.F. 595.
APPEL en matière d'impôt sur le revenu.
AVOCATS:
Mme O. J. Rath pour le demandeur.
Charles G. Pearson pour la défenderesse.
PROCUREURS:
Le sous-procureur général du Canada pour la
défenderesse.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE MAHONEY: Le demandeur interjette
appel contre les nouvelles cotisations relatives à ses
déclarations de revenu pour les années d'imposi-
tion 1974 et 1975. Ces cotisations refusaient, en
vertu de l'article 62 de la Loi de l'impôt sur le
revenu', la déduction de la valeur non assurée
d'articles ménagers et d'effets personnels détruits
par un incendie d'entrepôt au cours du déménage-
ment.
Le demandeur est haut fonctionnaire dans un
ministère fédéral. Il travaillait à Edmonton
(Alberta). En août 1973, il a commencé à bénéfi-
cier d'un congé d'étude. Il a déménagé avec sa
famille à Berkeley (Californie), emportant des
objets ménagers et des effets personnels. Vers la
fin de son congé, on lui a offert de le muter
d'Edmonton à Ottawa à compter du 15 juillet
1974, ce qu'il a accepté. Selon le simple bon sens,
les meubles et effets ont été envoyés directement
de Berkeley à Ottawa où ils ont été entreposés,
pendant que le demandeur et sa famille retour-
naient de Berkeley à Edmonton pour y régler des
affaires officielles et des affaires personnelles
avant d'aller à Ottawa. Le demandeur a acheté à
Ottawa une nouvelle maison, où les meubles et
effets laissés à Edmonton ont été envoyés directe-
ment. Ils ne font pas l'objet du présent litige. Les
meubles et effets venus de Berkeley et entreposés à
Ottawa ont été totalement détruits par un
incendie.
La perte a été évaluée à un montant total de
$74,808.19.* L'assurance a couvert $22,000. Le
demandeur a réclamé que la partie restante de la
perte, soit $52,869.19, soit déduite de son revenu
de 1974 par application de l'article 62. La déduc-
tion réclamée dépasse le total du revenu gagné par
ledit demandeur dans son nouveau lieu de travail,
et la déduction a été refusée pour la somme excé-
dentaire seulement, dans la cotisation initiale. La
' S.C. 1970-71-72, c. 63.
*Le montant exact, révélé au cours de l'interrogatoire au
préalable, est de $75,350.76; toutefois, les conclusions écrites
n'ont pas été modifiées en conséquence.
demande a été faite une nouvelle fois, et a été
accueillie en 1975. Des remboursements élevés en
ont résulté, par suite des cotisations initiales, et les
nouvelles cotisations qui font l'objet du présent
litige visaient la restitution de ces remboursements.
La défenderesse allègue, en premier lieu, que la
perte d'articles et d'effets détruits par l'incendie,
ou, en d'autres termes, le coût de remplacement de
ces articles et effets, ne constitue pas une dépense
de déménagement; et, en second lieu, elle allègue
que, même si cette perte est une dépense de démé-
nagement, elle n'est pas déductible parce qu'elle
n'a pas été engagée durant le déménagement des
articles d'un point à un autre au Canada. Voici le
libellé des dispositions pertinentes de la Loi de
l'impôt sur le revenu de 1974:
62. (1) Lorsqu'un contribuable a,
a) à une date donnée,
(i) cessé d'exploiter une entreprise ou d'être employé dans
le ou les lieux, suivant le cas, situés au Canada, où,
habituellement, il exploitait ainsi une entreprise ou était
ainsi employé, ...
et a commencé à exploiter une entreprise ou à être employé
dans un autre lieu situé au Canada (appelé ci-après son
«nouveau lieu de travail»), ...
et a, de ce fait, déménagé d'une résidence sise au Canada où,
avant le déménagement, il résidait habituellement pendant les
jours de travail ordinaires (appelée ci-après son «ancienne
résidence») pour venir occuper une autre résidence sise au
Canada où, après le déménagement, il a résidé habituellement
(appelée ci-après sa «nouvelle résidence»), de sorte que la
distance entre son ancienne résidence et son nouveau lieu de
travail soit supérieure d'au moins 25 milles à la distance entre
sa nouvelle résidence et son nouveau lieu de travail, il peut
déduire, lors du calcul de son revenu pour l'année d'imposition
au cours de laquelle il a déménagé de son ancienne résidence
pour venir occuper sa nouvelle résidence, ou pour l'année
d'imposition suivante, les sommes qu'il a payées à titre ou au
titre des frais de déménagement engagés pour déménager de
son ancienne résidence pour venir occuper sa nouvelle rési-
dence, dans la mesure où
Les restrictions qui suivent ne sont pas contestées.
Celle prévue à l'alinéa f), déjà évoquée et seule
applicable en la matière, exige l'ajournement d'une
partie de la déduction. Le paragraphe 62(2) n'est
pas pertinent. Voici le libellé du paragraphe 62(3):
62....
(3) Dans le paragraphe (1), «frais de déménagement» com-
prend toutes dépenses engagées à titre ou au titre
a) de frais de déplacement (y compris les dépenses raisonna-
bles pour repas et logement) engagés pour le déménagement
du contribuable et des membres de sa maisonnée, qui se
transportent de l'ancienne résidence à la nouvelle résidence
du contribuable,
b) de frais de transport et d'entreposage des meubles du
contribuable qui doivent être transportés de son ancienne
résidence dans sa nouvelle résidence,
c) de frais de repas et de logement, près de l'ancienne
résidence ou de la nouvelle résidence, engagés par le contri-
buable et les membres de sa maisonnée pendant une période
maximale de 15 jours,
d) de frais de résiliation du bail, si bail il y a, en vertu
duquel il était le locataire de son ancienne résidence, et
e) de frais relatifs à la vente de son ancienne résidence.
Le demandeur s'est fait représenter par un
avocat devant la Commission de révision de l'im-
pôt, et, devant la Cour, par sa femme, seul témoin
cité. Il n'a fait lui-même aucune déposition. Dans
ces circonstances, il est évidemment souhaitable de
traiter de certaines matières très importantes, bien
que non essentielles pour le litige. Il s'agit par
exemple des dispositions prises par le bureau d'Ed-
monton du ministère des Approvisionnements et
Services pour l'entreposage des articles et effets du
demandeur à Ottawa, alors que ce dernier était à
Berkeley; de l'échec du demandeur, dans ses
efforts pour conclure une police d'assurance adé-
quate, par suite du manque de précision sur la
construction de l'entrepôt et la distance entre
celui-ci et la borne d'incendie; et du fait supplé-
mentaire que le demandeur ait déjà dépensé, pour
acheter des articles en remplacement de ceux
détruits, l'argent qui lui avait été remboursé, alors
lorsqu'on lui réclame la restitution de cet argent,
et ce, qui plus est, avec intérêts; on comprend dès
lors le sentiment d'injustice qu'évidemment il res-
sent. Tout comme le savant président adjoint de la
Commission de révision de l'impôt, j'ai beaucoup
de sympathie pour ce couple. Le demandeur est
titulaire d'un poste bien rémunéré, mais la preuve
produite ne permet pas de conclure qu'il s'agit
d'une famille riche; elle établit que la perte a été
grave, sinon ruineuse. Évidemment, la preuve n'a
pas établi toutes les circonstances de l'espèce, et il
n'incombe pas à la Cour de décider s'il est dans
l'intérêt du demandeur de requérir le gouverneur
en conseil d'examiner la matière sur un fondement
ex gratia.
Dans le libellé de 1974 de la Loi, le mot «rési-
dence» utilisé dans l'article 62 est évidemment
défini et modifié par les adjectifs «ancienne» et
«nouvelle», pour désigner des lieux situés au
Canada où le contribuable réside habituellement
pendant les jours de travail ordinaires. Nous n'hé-
sitons pas à constater que l'ancienne résidence du
demandeur était à Edmonton, non à Berkeley, et il
a le droit de déduire «les sommes qu'il a payées à
titre ou au titre des frais de déménagement enga-
gés pour déménagera> d'Edmonton à Ottawa. Le
fondement de la déduction est le déménagement,
par le contribuable, de son ancienne à sa nouvelle
résidence. La Loi ne stipule pas que ses articles et
effets personnels doivent toujours être transportés
entre les deux mêmes points, même si, évidem-
ment, il en sera ainsi. En l'espèce, pour éviter un
gaspillage exagéré, le demandeur a, au cours de
son déménagement d'Edmonton à Ottawa, fait
transporter les articles en question de Berkeley à
Ottawa pour les y entreposer, ce qui était raison-
nable de sa part; il ne pouvait faire autrement. Je
suis convaincu que, si la déduction litigieuse a été
réclamée au titre de dépense de déménagement,
elle est bien fondée en l'espèce.
Nous ne voulons pas insister sur l'importance du
mot «payées» dans l'article 62. Il se peut que la
restriction évidente de la déduction aux «sommes
... payées» entraînerait en tout cas l'exclusion de
la réclamation du demandeur. Cependant, ce point
sera mieux examiné lorsque la Cour entendra les
plaidoiries des avocats des deux parties. Il n'est pas
nécessaire de le trancher ici.
Dans Storrow c. La Reine 2 , le juge Collier a
examiné un certain nombre de dépenses qui n'au-
raient pas été engagées si le contribuable n'avait
pas déménagé, tout comme dans le présent litige.
Le passage suivant, extrait du jugement, définit la
nature de ces dépenses:
A mon avis, les dépenses contestées ne constituaient pas des
frais de déménagement selon la signification ordinaire ou habi-
tuelle de l'expression. Les dépenses ou les frais que cette
expression comprend sont, à mon avis, des débours ordinaires
engagés par un contribuable qui, en fait, change de résidence.
L'expression ne comprend pas (sauf si le paragraphe 62(3) le
fait ressortir de façon explicite) des choses comme l'augmenta-
tion du coût de la nouvelle habitation par rapport à l'ancienne
(que ce soit en vertu de la vente, du bail ou autrement). Elle ne
comprend pas non plus les frais d'installation d'articles ména-
gers de l'ancienne maison dans la nouvelle, ou le coût de
remplacement et de rajustement qui y sont afférents (comme
les tentures, les tapis, etc.). Les frais de déménagement, comme
le permet le paragraphe 62(3), ne comprennent pas, à mon avis,
les dépenses ou les frais occasionnés à la suite de l'acquisition
2 [1979] 1 C.F. 595, la page 599.
d'une nouvelle résidence. Seules sont déductibles les dépenses
engagées en vue du déplacement physique du contribuable, de
sa maisonnée et de ses biens à la nouvelle résidence.
Dans Storrow, l'objet des déductions réclamées
diffère entièrement de celui en cause ici: il s'agit
de dépenses engagées à l'occasion de l'acquisition
d'une nouvelle résidence, non du préjudice subi au
cours d'un transport; mais le principe reste le
même.
Le montant du préjudice subi par le demandeur
par suite de la destruction de ses articles et effets
ne constitue évidemment pas une dépense de démé-
nagement, au sens naturel et habituel de ce terme,
même si l'on admet qu'il l'a payé lui-même. Les
dépenses nécessairement engagées pour remplacer
les articles ne sont pas celles encourues pour effec-
tuer leur transport matériel et leur déduction n'est
pas expressément admise par le paragraphe 62(3).
JUGEMENT
L'action du demandeur est rejetée avec frais.
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