A-800-76
Lignes aériennes Canadien Pacifique, Limitée
(Appelante) (Demanderesse)
c.
La Reine (Intimée) (Défenderesse)
Cour d'appel, les juges Heald et Le Dain et le juge
suppléant Kerr—Ottawa, le 6 décembre 1977 et le
7 avril 1978.
Couronne — Responsabilité délictuelle — Aérodromes —
Responsabilité des dommages résultant du défaut d'entretien
— Fermeture pendant plusieurs heures des aérodromes de
l'intimée à cause du déclenchement d'une grève au début d'une
tempête de neige, et ce, en dépit des plans d'urgence existants
— L'appelante prétend avoir subi des pertes et des dommages
par suite de l'interruption de ses vols commerciaux — Étendue
de l'obligation du ministre des Transports d'entretenir et de
construire des aérodromes — Le Ministre a-t-il pris toutes les
mesures raisonnables ou praticables pour s'assurer que les
installations des aérodromes de l'État seraient en état opéra-
tionnel? — Y a-t-il eu manquement à une obligation légale,
manquement donnant lieu au droit d'action de l'appelante? —
Loi sur l'aéronautique, S.R.C. 1970, c. A-3, art. 3 — Loi sur
la responsabilité de la Couronne, S.R.C. 1970, c. C-38, art. 3.
Appel est interjeté du jugement de la Division de première
instance rejetant l'action en dommages-intérêts intentée par
l'appelante contre l'intimée. L'appelante allègue qu'elle a subi
des pertes et des dommages lors de l'interruption de vingt et un
de ses vols prévus à l'horaire causée par la fermeture des pistes
d'envol à deux aérodromes de l'intimée. Les employés normale-
ment affectés à l'enlèvement de la neige obstruant les pistes ont
déclenché une grève légale au début d'une forte tempête de
neige. Les aérodromes, en dépit des plans d'urgences pour
maintenir les pistes en état de service, ont été fermés pendant
un certain nombre d'heures. Les questions soulevées par cet
appel touchent l'obligation qui incombe au ministre des Trans
ports en vertu de la loi de construire et de maintenir les
aérodromes de l'État. Elles s'énoncent comme suit: le Ministre
a-t-il omis de prendre toutes les mesures raisonnables ou prati-
cables pour s'assurer que les installations des aérodromes de
l'État seraient en état opérationnel ou de fonctionnement?
Dans l'affirmative, cette omission du Ministre constituait-elle
un manquement à une obligation légale, manquement donnant
lieu au droit d'action de l'appelante?
Arrêt: l'appel est rejeté.
Le juge Heald: C'est à bon droit que le savant juge de
première instance a déclaré que «l'obligation du Ministre se
limitait à prendre toutes les mesures qui étaient raisonnables
dans les circonstances, tant en gardant présent à l'esprit les
intérêts du grand public». Le juge de première instance, compte
tenu des circonstances, a estimé que le Ministre avait pris
toutes les mesures raisonnables; il n'existe donc aucune raison
de contredire cette conclusion de fait.
Le juge Le Dain: L'appel est rejeté au motif que la Loi sur
l'aéronautique ne donne pas à l'appelante ou à d'autres compa-
gnies d'aviation commerciale un droit d'action en recouvrement
de la perte financière pouvant résulter pour elles d'un manque-
ment à l'obligation de maintenir les aérodromes de l'État,
obligation qui incombe au Ministre en vertu de la Loi. La
dépendance ou la confiance absolue à l'égard d'un service
public ou d'installations mises à la disposition du public ne
suffisent pas à créer un droit privé d'action pour manquement à
une obligation statutaire de fournir ce service ou ces installa
tions. Le contexte de la naissance de l'obligation doit être tel
que raisonnablement il aurait fallu, lors de l'adoption de la loi,
y préciser l'intention de donner un droit privé d'action pour
manquement à ladite obligation. Les dispositions législatives
adoptées l'ont été dans l'intérêt du pays en général et non à
l'avantage ou pour la protection d'une catégorie déterminée de
personnes; ce n'était pas l'intention du Parlement de rendre la
Couronne responsable de pertes comme celle dont l'indemnisa-
tion est réclamée ici. Il faudrait une indication nette de l'inten-
tion de transférer une perte de cette nature des compagnies
aériennes au Trésor public.
Et le juge suppléant Kerr: Il n'y a aucune raison de combat-
tre ces conclusions. En outre, la Loi sur l'aéronautique ne rend
pas la Couronne responsable de la sorte de perte en cause ici.
Distinction faite avec les arrêts: R. (Canada) c. R.
(1.-P.-É.) [1978] 1 C.F. 533; Home Office c. Dorset Yacht
Co. Ltd. [1970] A.C. 1004; Dutton c. Bognor Regis Urban
District Council [1972] 1 Q.B. 373; O'Rourke c. Schac
[1976] 1 R.C.S. 53. Arrêts examinés: Groves c. Wimborne
(Lord) [1898] 2 Q.B. 402; Cutler c. Wandsworth Stadium
Ld. [1949] A.C. 398.
APPEL.
AVOCATS:
C. R. O. Munro, c.r., et T. Maloney pour
l'appelante (demanderesse).
André Garneau et Duff Friesen pour l'intimée
(défenderesse).
PROCUREURS:
Service du contentieux Canadien Pacifique,
Montréal, pour l'appelante (demanderesse).
Le sous-procureur général du Canada pour
l'intimée (défenderesse).
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE HEALD: Appel est interjeté du juge-
ment de la Division de première instance [[1977] 1
C.F. 715] rejetant l'action en dommages-intérêts
intentée par l'appelante contre l'intimée. L'appe-
lante, compagnie d'aviation commerciale cana-
dienne, exploite des vols internationaux et inté-
rieurs. Ce faisant, elle utilise les aérodromes de
divers centres du Canada, aérodromes dont l'inti-
mée est propriétaire et exploitante. L'appelante
allègue qu'elle a subi des pertes et des dommages
lors de l'interruption, les 7 et 8 mars 1975, de 21
de ses vols prévus à l'horaire. Ces interruptions ont
été causées par la fermeture des pistes d'envol aux
aérodromes internationaux de l'intimée à Toronto
et à Ottawa. Pendant la période en cause, les
employés de l'intimée dans ces deux villes, norma-
lement affectés à l'enlèvement de la neige obs-
truant les pistes, étaient membres de l'A.F.P.C.,
agent négociateur accrédité aux termes de la Loi
sur les relations de travail dans la Fonction publi-
que, S.R.C. 1970, c. P-35. Leur convention collec
tive venait à expiration le 24 novembre 1974. Il a
été fait appel à la conciliation et le 6 février 1975
le bureau de conciliation a remis son rapport. Les
employés, en vertu de la loi précitée, avaient alors
le droit de faire grève à tout moment à partir du
13 février 1975. L'intimée, en la personne du
ministère des Transports, avait prévu des arrêts de
travail dans les aérodromes, en raison de l'échec
des négociations afférentes aux nouvelles conven
tions collectives, et avait en conséquence élaboré
un plan d'urgence à mettre en place en cas de
grève légale. Ce plan prévoyait que le Ministre
aurait recours à des «employés désignés» (ceux
dont les fonctions sont essentielles à la sécurité du
public et auxquels il est interdit de faire grève)
pour maintenir les services essentiels. Dans l'éven-
tualité d'une tempête de neige, le plan prévoyait le
nettoyage d'une piste d'envol dans toute sa largeur
et sa longueur, d'une voie de circulation de chaque
extrémité de la piste à l'aire de manoeuvre et
d'autres surfaces aussi étendues qu'il serait jugé
nécessaire. Le 13 février 1975, le directeur général
de l'aérodrome international de Toronto a tenu
une réunion pour tous les transporteurs aériens
utilisant ce dernier. L'appelante y était représen-
tée. On a expliqué le plan d'urgence aux' transpor-
teurs et on leur a indiqué que si une grève légale se
produisait à un moment où les conditions atmos-
phériques étaient défavorables à l'aérodrome, on
s'efforcerait de remettre en état une seule piste
d'envol avec les services connexes, en faisant appel
aux employés désignés.
Le matin du 7 mars 1975, une forte tempête de
neige a commencé à la fois dans la région de
Toronto et celle d'Ottawa. Le lundi 7 mars à 10
heures, le syndicat a fait savoir que ses membres
allaient débrayer, comme la loi leur en donnait le
droit. A Toronto, on a tenté de maintenir ouverte
la piste 05R. Vers 14 heures, les conditions d'atter-
rissage étant devenues trop dangereuses, on a
fermé l'aérodrome à toute circulation. Plus tard ce
jour-là, un changement étant prévu dans la direc
tion des vents, on a tenté de rendre utilisable la
piste 14/32 en faisant appel encore à un certain
nombre d'employés désignés. La neige était très
lourde et une machine est tombée en panne. Quel-
ques minutes avant minuit, la piste 14/32 a été
remise en service, mais avec certaines restrictions.
A Ottawa, l'aérodrome était assailli par les mêmes
problèmes atmosphériques et de main-d'oeuvre. Le
personnel autre que les employés désignés a pro-
cédé à un arrêt de travail légal. A cause de la neige
et de la glace créant des conditions d'atterrissage
dangereuses, l'aérodrome est resté fermé, les jours
en question, pendant environ 15 heures. Comme à
Toronto, on s'est efforcé de maintenir une piste en
état opérationnel.
A Toronto, les effectifs préposés au nettoyage de
la neige comptent normalement 42 personnes. Il
s'agit d'opérateurs d'équipement lourd. Vingt-qua-
tre de ces employés sont des employés désignés. Le
7 mars, dix-sept d'entre eux ont travaillé, mais pas
les sept autres. C'était leur jour de congé régulier.
Le 8 mars, six seulement des employés désignés
ont travaillé, dix-sept ont pris leur jour de congé
régulier et un, son congé annuel. L'intimée n'a pas
demandé aux employés désignés dont les jours de
congé régulier tombaient les 7 et 8 mars de se
présenter au travail pour affronter les difficultés
atmosphériques, car il se serait agi pour eux d'heu-
res supplémentaires. Avant l'arrêt de travail, la
direction de l'aérodrome de l'intimée avait convenu
avec le syndicat de ne faire appel pendant le conflit
aux employés désignés qu'en équipes de travail
régulières. En contrepartie, le syndicat avait
accepté qu'il n'y ait pas de harassement. La raison
invoquée par la direction pour éviter d'imposer des
heures supplémentaires était que cette mesure
pourrait être interprétée comme une tentative de
briser la grève. En outre, le syndicat avait fait
remarquer qu'un problème moral se poserait au
sein du personnel si les employés désignés, grâce à
des heures supplémentaires, gagnaient davantage
que les grévistes syndiqués. Il faut ajouter que le
savant juge de première instance est arrivé à la
conclusion de fait que l'intimée n'avait pas tenté de
faire appel à des travailleurs non syndiqués, à des
militaires ou à des entrepreneurs indépendants
pour ramener les effectifs de déblaiement à leur
importance normale.
A Ottawa, l'équipe de jour du 7 mars pour le
déblaiement des pistes comprenait trois employés
désignés et deux employés saisonniers (opérateurs
non syndiqués d'équipement lourd), et l'équipe de
nuit trois employés désignés. Le 8 mars, l'équipe
de jour comprenait deux employés désignés et deux
employés saisonniers, et l'équipe de nuit cinq
employés. A Ottawa comme à Toronto, les 7 et 8
mars aucun employé désigné ne travaillait si ces
dates correspondaient à ses jours de congé régulier.
Se fondant sur les éléments de preuve exposés
ci-dessus, le savant juge de première instance a
conclu que l'appelante avait prouvé par la prépon-
dérance des probabilités que l'interruption ou l'an-
nulation de ses 21 vols était attribuable à la ferme-
ture des aérodromes de Toronto et d'Ottawa, et
que cette fermeture avait bien été causée par
l'arrêt de travail des employés syndiqués non
désignés.
Les avocats des parties ont reconnu que les
questions soulevées par cet appel touchent l'obliga-
tion qui incombe au ministre des Transports en
vertu de la loi de construire et maintenir les aéro-
dromes de l'État. Ces questions peuvent se résumer
comme suit:
a) le Ministre a-t-il omis de prendre toutes les
mesures raisonnables ou praticables pour s'assu-
rer que les installations des aérodromes de l'État
seraient en état opérationnel ou de fonctionne-
ment à tous les moments convenables?
et
b) dans l'affirmative, cette omission du Minis-
tre constituait-elle un manquement à une obliga
tion légale, manquement donnant lieu au droit
d'action de l'appelante?
Traitant de la première de ces deux questions
ainsi formulées, le savant juge de première ins
tance a raisonné comme suit aux pages 731 et 732
du dossier:
... j'estime que l'obligation du Ministre se limitait à prendre
toutes les mesures qui étaient raisonnables dans les circons-
tances, tout en gardant présent à l'esprit les intérêts du grand
public. Les diverses obligations qu'énonce l'article 3 de la Loi
sur l'aéronautique sont, pour le moins, dues à l'État et à ses
citoyens. Elles visent les intérêts (et notamment la sécurité) de
tous les usagers des services aéronautiques et non pas principa-
lement le bien-être des compagnies d'aviation commerciale. Or,
le grand public et les usagers des aérodromes ont intérêt à ce
que l'employeur, le ministère des Transports, et ses employés
entretiennent des relations de travail harmonieuses. Le fait de
faire venir du personnel extérieur, quel qu'il soit, pour garder
toutes les pistes ouvertes lorsque le temps est inclément doit
être mis dans la balance avec les effets provocateurs qu'il risque
d'avoir sur les employés qui font une grève pacifique et légale.
A mon avis, le Ministre doit trouver la juste mesure lorsqu'il
décide (tout en gardant présent à l'esprit la sécurité du public)
quelles sont les mesures raisonnables pour s'acquitter de l'obli-
gation qu'il a de maintenir les pistes en service lorsque les
questions de main-d'oeuvre et de travail sont instables et com-
pliquées et qu'il en est de même des conditions atmosphériques.
En me fondant sur les faits de cette cause, j'estime que les 7 et
8 mars, compte tenu des circonstances, le Ministre a pris les
mesures raisonnables. Sa décision de se limiter aux équipes
régulières d'employés désignés et de ne pas suivre les procédés
proposés par la demanderesse a également été raisonnable.
Le devoir légal incombant au Ministre est for-
mulé à l'article 3c) de la Loi sur l'aéronautique'.
Voici le libellé de cette disposition:
3. Il incombe au Ministre
c) de construire et maintenir tous les aérodromes et stations
ou postes d'aéronautique de l'État, y compris toutes les
installations, machines et tous les bâtiments nécessaires à
leur équipement et entretien efficaces;
Le savant juge de première instance a conclu
dans sa décision que l'obligation incombant au
Ministre aux termes de l'article 3c) précité, ne va
pas jusqu'à lui imposer de s'assurer que les instal
lations des aérodromes sont opérationnelles ou
fonctionnent à tous les moments raisonnables, par
comparaison avec l'entretien, la réparation ou la
durée des installations.
Cependant, à l'audience d'appel l'avocat de l'in-
timée n'a pas maintenu cette position. Il a en fait
concédé que l'obligation de «maintenir» incombant
au Ministre en vertu de l'article 3c) comportait
l'obligation de garder lesdites installations en état
de fonctionnement à tous les moments raisonna-
bles. Donc, le seul point qui demeure en litige dans
cette première partie du dossier consiste à savoir si
les mesures prises par le Ministre l'ont acquitté de
l'obligation qui lui incombait de faire tout ce qui
était raisonnable et praticable en l'espèce.
L'avocat de l'appelante s'est appuyé sur une
décision récente de la Cour (La Reine (Canada) c.
' S.R.C. 1970, c. A-3.
La Reine (Ï.-P.-É.) 2 ). Dans ce dossier, la Cour
devait interpréter l'une des dispositions en vertu
desquelles l'Île-du-Prince-Édouard a été admise
dans la Confédération le 26 juin 1873. A mon avis,
cette jurisprudence ne s'applique pas ici, où il
s'agit d'interpréter et d'appliquer une disposition
statutaire. Dans l'autre affaire, le juge en chef
avait dit à l'annexe «A» de ces motifs, à la page
567 de son recueil:
A mon avis, il ne serait pas réaliste de classer ensemble ces
dispositions, issues évidemment de négociations difficiles,
comme étant soit
a) une limitation du pouvoir législatif—par ex., la disposi
tion en question dans Le procureur général de la Saskatche-
wan c. Le Chemin de fer canadien du Pacifique—qui agit
par elle-même, soit
b) une disposition imposant aux organismes de services gou-
vernementaux l'obligation légale d'assurer des services au
public lorsque, jusqu'à récemment du moins, la sanction pour
manquement n'a été qu'une action politique.
Il semble que le paragraphe b) tel qu'il est
libellé s'applique à la situation de fait en l'espèce
qui nous est soumise. Je ne pense pas en consé-
quence que le jugement lie-du-Prince-Édouard
susmentionné étaye la thèse de l'appelante. C'est à
bon droit, à mon avis, que le savant juge de
première instance a déclaré [à la page 731] que
«l'obligation du Ministre se limitait à prendre
toutes les mesures qui étaient raisonnables dans les
circonstances, tout en gardant présent à l'esprit les
intérêts du grand public». Je pense également
comme lui que les mesures prises les 7 et 8 mars
1975 par le Ministre étaient raisonnables dans les
circonstances considérées.
L'obligation qui incombe au Ministre en vertu
de l'article 3c) de la Loi sur l'aéronautique doit
être considérée dans le cadre plus large de ses
autres devoirs et obligations de Ministre du gou-
vernement du Canada. Il doit veiller en tout temps
à l'intérêt du public, ce qui, dans les circonstances
en cause, exigeait certainement de peser l'impor-
tance respective des facteurs suivants:
a) le droit des employés de l'État à la négocia-
tion collective et au recours à la grève, si elle est
tenue pour souhaitable, en vue de meilleures
conditions de travail en conformité avec la Loi
sur les relations de travail dans la Fonction
publique;
2 [1978] 1 C.F. 533.
b) le droit et le devoir du gouvernement, à titre
d'employeur et de dépositaire des deniers
publics, de s'opposer aux revendications des
employés si, à son avis, celles-ci sont incompati
bles avec l'intérêt public;
c) la sécurité du public usager des aérodromes
canadiens.
Comme il l'a dit dans ses motifs précités, le juge
de première instance a estimé que le Ministre avait
agi raisonnablement. Je ne vois aucune raison de
contredire cette conclusion de fait, puisque je con-
sidère qu'elle applique bien les justes principes du
droit aux faits de l'espèce.
Ayant répondu par la négative à la première
question, je n'ai pas à traiter de la seconde.
En conséquence et pour les motifs ci-dessus je
rejette l'appel avec dépens.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE LE DAIN: Je souscris au rejet de
l'appel, mais je voudrais fonder cette conclusion
sur le motif suivant: la Loi sur l'aéronautique ne
donne pas à l'appelante ou à d'autres compagnies
d'aviation commerciale un droit d'action en recou-
vrement de la perte financière pouvant résulter
pour elles d'un manquement à l'obligation de
maintenir les aérodromes de l'État, obligation qui
incombe au Ministre en vertu de l'article 3c) de la
Loi. J'ai eu l'avantage de lire les motifs de mon
confrère Heald; mais je préfère réserver mon opi
nion quant à l'effet d'une grève légale sur une
obligation de cette nature, en admettant qu'il
s'agisse d'une obligation à l'égard de l'appelante.
Bien que le mémoire de cette dernière allègue
que les aérodromes de l'État étaient à toutes les
époques considérées la propriété de Sa Majesté,
occupée, possédée et contrôlée par elle au sens de
la Loi sur la responsabilité de la Couronne 3 ,
l'action, selon moi, n'est pas fondée sur cette der-
nière loi, mais sur la responsabilité directe encou-
rue par un manquement à l'obligation statutaire
censée être créée par la Loi sur l'aéronautique 4 .
En vertu de l'article 3c) de cette loi, l'obligation
qui incombe au Ministre est traitée comme une
obligation de la Couronnes.
On a dit que la question de savoir si le manque-
ment à une obligation statutaire donnait à la per-
sonne lésée le droit d'intenter une action civile
était affaire d'interprétation de la loi et devait
donner lieu à [TRADUCTION] «un examen complet
de ladite loi et des circonstances de son adoption, y
compris le droit préexistant» (Cutler c. Wands-
worth Stadium Ld. [1949] A.C. 398, la page
407). Il appert que la question comporte deux
aspects: a) l'obligation imposée était-elle, au moins
en partie, à l'avantage ou pour la protection de la
catégorie de personnes à laquelle appartient l'ap-
pelante 6 ? b) dans l'affirmative, le droit d'action
serait-il exclu s'il existe un recours ou une autre
sanction en cas de manquement à l'obligation, ou
3 L'article 3(1)b) de la Loi sur la responsabilité de la
Couronne, S.R.C. 1970, c. C-38, prévoit ce qui suit:
3. (1) La Couronne est responsable des dommages dont
elle serait responsable, si elle était un particulier majeur et
capable,
b) à l'égard d'un manquement au devoir afférent à la
propriété, l'occupation, la possession ou la garde d'un bien.
4 La Loi sur la responsabilité de la Couronne ne comporte
pas de disposition générale concernant le manquement à une
obligation statutaire, comme c'est le cas pour l'article 2(2) du
Crown Proceedings Act, 1947, 11 & 12 Geo. 6, c. 44 (R.-U.);
toutefois, elle n'exclut évidemment pas, et c'est là affaire
d'interprétation, la possibilité d'une telle responsabilité en vertu
d'une autre loi du Parlement.
5 Comme la distinction entre la responsabilité directe et la
responsabilité pour la faute d'autrui n'a pas été évoquée dans
les plaidoiries, je ne me propose pas ici d'examiner si le
Ministre pouvait être considéré comme un préposé de la Cou-
ronne dans l'exercice des fonctions à lui dévolues par l'article
3c) de la Loi sur l'aéronautique, ni de rechercher le fondement
légal d'une éventuelle responsabilité de la Couronne pour la
faute d'autrui en raison du manquement à une obligation
statutaire; ce fondement est établi par l'article 2(3) du Crown
Proceedings Act, 1947 (voir Street, The Law of Torts, 6'
édition, 1976, aux pages 433 et 434).
6 Groves c. Wimborne (Lord) [1898] 2 Q.B. 402, aux pages
407 et 408, 413 et 414, 415; Cutler c. Wandsworth Stadium
Ld. [1949] A.C. 398, aux pages 408 et 409, 413, 414, 416 et
417.
encore l'exclusion serait-elle fondée sur un principe
général? Il appert qu'il s'agit, en dernière analyse,
d'une question de principe', surtout si la responsa-
bilité de la Couronne est en cause. On doit distin-
guer entre la législation adoptée manifestement
pour le bénéfice ou la protection d'une catégorie
déterminée de personnes, comme les dispositions
prescrivant des normes de sécurité pour les travail-
leurs, dont l'affaire Groves c. Wimborne (voir
note 6 ci-dessous) est un exemple d'application, et
la législation qui impose une obligation générale de
fournir un service public ou des installations à
l'usage du public. Selon une opinion qui a été
exprimée, dans ce dernier cas les tribunaux recon-
naîtront plus difficilement le droit d'ester de la
personne privée'.
L'obligation qui incombe au Ministre de mainte-
nir les aérodromes figure à l'article 3 de la Loi sur
l'aéronautique qui énumère comme suit les respon-
sabilités attribuées au Ministre:
3. Il incombe au Ministre
a) de diriger toutes les affaires se rattachant à l'aéronauti-
que;
b) d'entreprendre, et de coopérer avec les personnes qui
entreprennent, les projets, recherches techniques, études ou
enquêtes qui, à son avis, doivent favoriser le développement
de l'aéronautique au Canada;
c) de construire et maintenir tous les aérodromes et stations
ou postes d'aéronautique de l'État, y compris toutes les
installations, machines et tous les bâtiments nécessaires à
leur équipement et entretien efficaces;
' Comparer O'Connor c. S.P. Bray Ltd. (1937) 56 C.L.R.
464, aux pages 477 et 478 et O'Rourke c. Schacht [1976] 1
R.C.S. 53, la page 64.
s Voir Hogg, Liability of the Crown, 1971, aux pages 99 et
100; Wade, Administrative Law, 3' édition, 1971, aux pages
157 et 158; l'article 2(2) du Crown Proceedings Act, 1947,
lequel prévoit: [TRADUCTION] «Si la Couronne est assujettie à
une obligation statutaire liant également des personnes autres
que la Couronne et ses représentants, la Couronne sera alors,
sous réserve des dispositions de la présente loi, responsable, en
cas de manquement à l'obligation statutaire, de tous les dom-
mages dont elle serait responsable, si elle était un particulier
majeur et capable» est l'expression du principe d'ordre législatif
voulant que la Couronne ne soit pas responsable de manque-
ments comme celui en cause ici. Voir sur cette disposition les
commentaires (dont l'opinion qu'il était inutile de se prononcer
sur le cas où le raisonnement aurait été différent) de Barnes
dans «The Crown Proceedings Act, 1947», (1948)"26 Revue du
Barreau canadien 387, aux pages 390 et 391; Williams, Crown
Proceedings, 1948, aux pages 47 et 48; Street, Governmental
Liability, 1953, aux pages 39 et 40, Hogg, ouvrage cité, aux
pages 101 et 102; Griffith & Street, Principles of Admin
istrative Law, 5e édition, 1973, la page 257.
d) de contrôler et d'administrer tous les aéronefs et tout
l'équipement nécessaires à la direction des services de Sa
Majesté;
e) de faire fonctionner les services que le gouverneur en
conseil peut approuver;
J) de prescrire des routes aériennes;
g) de coopérer avec d'autres fonctionnaires de Sa Majesté,
d'aider à l'exécution de tous services de leur ressort qui
peuvent exiger des travaux aériens de toute nature et de
collaborer avec les fonctionnaires employés dans les services
aériens établis de Sa Majesté, à l'extension de leur travail
actuel que peut nécessiter le développement de l'aéronauti-
que;
h) de prendre les mesures qui peuvent être nécessaires pour
sauvegarder, par réglementation internationale ou autre-
ment, les droits de Sa Majesté, à l'égard de son gouverne-
ment du Canada, dans le trafic aérien international;
i) de coopérer avec les fonctionnaires de son ministère sur
toutes les questions relatives à la défense aérienne du
Canada;
j) de coopérer avec les personnels ou autorités de l'air d'au-
tres gouvernements ou pays pour toutes fins connexes aux
services aériens;
k) de s'enquérir, faire l'inspection et rendre compte du fonc-
tionnement et du développement des services aériens com-
merciaux à l'intérieur, ou en partie à l'intérieur, du Canada,
y compris la mer territoriale du Canada et toutes les eaux du
côté de la ligne de base qui fait face à la terre;
1) d'étudier, rédiger et préparer, pour l'approbation du gou-
verneur en conseil, les règlements qui .peuvent être jugés
nécessaires pour le contrôle ou le fonctionnement de l'aéro-
nautique au Canada, y compris la mer territoriale du Canada
et toutes les eaux du côté de la ligne de base qui fait face à la
terre, ainsi pour le contrôle ou le fonctionnement d'aéronefs
immatriculés au Canada, où qu'ils se trouvent; et.
m) de s'acquitter des autres devoirs que le gouverneur en
conseil peut imposer.
Ces obligations avaient d'abord été dévolues à la
Commission de l'Air par l'article 3 de la Loi de la
Commission de l'Air, S.C. 1919, c. 11. En 1922
elles ont été mises à la charge du ministre de la
Défense nationale par l'article 7(2) de la Loi de la
Défense nationale, 1922, S.C. 1922, c. 34. Finale-
ment, en 1936, elles ont été transférées au ministre
des Transports par l'article 6 de la Loi du minis-
tère des Transports, 1936, S.C. 1936, c. 34. Selon
les éléments de preuve produits dans la présente
espèce, le premier aérodrome de l'État a été ouvert
en 1927 et utilisé en premier lieu par une compa-
gnie d'aviation commerciale en 1928. Le gouverne-
ment a commencé à exploiter un aérodrome civil à
Ottawa en 1938 et à Toronto en 1939. La Loi sur
les Lignes aériennes Trans -Canada, 1937, S.C.
1937, c. 43, a prévu la création d'Air Canada.
L'appelante a été constituée en compagnie en
1942.
Cette dernière fait valoir que l'obligation de
maintenir des aérodromes doit être entendue
comme une obligation à l'égard des compagnies
d'aviation commerciale, car celles-ci sont obligées
par les nécessités d'ordre pratique d'utiliser les
aérodromes de l'État et elles ont investi des
sommes considérables compte tenu de l'existence
de cette obligation de maintenir les aérodromes en
état opérationnel. Dans son mémoire, l'appelante a
formulé ainsi cette prétention:
[TRADUCTION] 5. L'obligation statutaire de maintenir les aéro-
dromes civils du gouvernement fédéral incombait à l'origine au
ministre des Transports, quand l'État a mis en œuvre une
politique de promotion de l'aviation commerciale au Canada.
Alors comme aujourd'hui, il n'était pas pratique pour les
compagnies d'aviation de fournir leurs propres aérodromes et le
gouvernement fédéral en conséquence a commencé à construire
et à acquérir les aérodromes civils pour favoriser l'essor de
l'aviation commerciale.
Fermement appuyées sur l'engagement pris par la Couronne
aux termes de l'article 3c) de maintenir les aérodromes de
l'État, les entreprises commerciales ont investi de gros capitaux
pour fournir des services aériens commerciaux au Canada, et
c'est précisément ce à quoi visait la législation évoquée. Elle
avait été adoptée pour assurer les compagnies que les aérodro-
mes de l'État seraient maintenus en conditions de fonctionne-
ment, faute de quoi l'aviation commerciale n'aurait pas été
développée. L'obligation contractée par le gouvernement à cet
égard en vertu de la Loi est la contrepartie de l'obligation mise
à la charge des compagnies d'aviation commerciale titulaires de
permis d'exploitation.
6. La relation existant entre lesdites compagnies et l'État dans
de telles circonstances est analogue à la relation de confiance et
de responsabilité qui, dans d'autres contextes, a été jugée
engendrer une obligation juridique incombant à la personne à
laquelle on a fait confiance. Elle est analogue aussi (puisque
l'État est dans une situation de monopole virtuel en ce qui a
trait aux aérodromes mis à la disposition des compagnies
d'aviation) à la relation existant dans d'autres situations de
monopole où le monopolisateur a l'obligation de fournir des
biens et services à ceux qui les requièrent.
La confiance peut constituer le fondement d'une
obligation en common law, comme c'est le cas
pour l'allégation de négligence; mais je ne crois pas
que la dépendance ou la confiance absolue à
l'égard d'un service public ou d'installations mises
à la disposition du public suffisent à créer un droit
privé d'action pour manquement à une obligation
statutaire de fournir ce service ou ces installations.
Le contexte de la naissance de l'obligation doit
être tel que raisonnablement il aurait fallu, lors de
l'adoption de la loi, y préciser l'intention de donner
un droit privé d'action pour manquement à ladite
obligation. L'intention du législateur quand il l'a
créée ne peut en bonne logique être influencée par
la dépendance ou la confiance absolue ressenties
ultérieurement en raison de cette obligation. Je ne
pense pas non plus que l'idée de contrôle ou de
monopole soit une raison suffisante pour altérer la
susdite intention. Le contrôle et le monopole sont
parties intégrantes de la plupart des fonctions de
l'État. L'allégation que nous examinons aboutirait
à prétendre que l'existence de fonctions de cette
nature donne nécessairement lieu à un droit d'ac-
tion en cas de manquement à l'obligation statu-
taire de mener lesdites fonctions à bien.
L'obligation imposée par l'article 3c) de la Loi
sur l'aéronautique est l'une des responsabilités
ministérielles générales attribuées en ce domaine.
A l'époque où cette obligation a été imposée, et
même à l'époque de son transfert au ministre des
Transports en 1936, elle exprimait incontestable-
ment le souci du législateur de développer l'avia-
tion civile 9 , mais, à mon avis, les dispositions légis-
latives adoptées l'ont été dans l'intérêt du pays en
général et non à l'avantage ou pour la protection
d'une catégorie déterminée de personnes. Les com-
pagnies d'aviation qui auraient pu être touchées
n'existaient pas encore. Mais même en supposant
que l'obligation en cause doive dans une certaine
mesure être considérée comme une obligation con-
tractée en faveur des compagnies d'aviation usagè-
res futures des aérodromes, je ne puis admettre
que le législateur ait eu l'intention de rendre la
Couronne responsable de pertes comme celle dont
l'indemnisation est réclamée ici. Attribuer au Par-
lement l'intention de donner aux compagnies
d'aviation commerciale un droit d'action pour la
perte financière résultant de la fermeture d'un
aérodrome, ce serait lui attribuer l'intention de
créer une responsabilité de la Couronne de nature
et de portée beaucoup plus étendues que la respon-
sabilité pour dommage à la personne ou aux biens
existant à l'époque conformément aux lois
fédérales 10 . Il aurait fallu une indication nette de
l'intention de transférer une perte de cette nature
des compagnies aériennes au Trésor public.
9 On doit cependant noter que l'article 3 ne porte pas exclusi-
vement sur l'aviation civile et qu'en vertu de l'article 2, en toute
matière relative à la défense nationale, le mot (Ministre» dési-
gne le ministre de la Défense nationale.
10 L'article 16a) de l'Acte à l'effet de modifier l'Acte des
cours Suprême et de l'Échiquier, et d'établir de meilleures
dispositions pour l'instruction des réclamations contre la Cou-
ronne, S.C. 1887, c. 16, modifié par S.C. 1917, c. 23, art. 2.
La jurisprudence invoquée par l'appelante, et en
particulier Home Office c. Dorset Yacht Co. Ltd.
[ 1970] A.C. 1004; Dutton c. Bognor Regis Urban
District Council [1972] 1 Q.B. 373; et O'Rourke c.
Schacht, ci-dessus, tous arrêts appuyant ce que le
juge Spence appelle dans l'affaire O'Rourke «ces
propositions novatrices en matière de responsabi-
lité», ne s'appliquent pas en l'espèce. Les décisions
Dorset Yacht et Dutton portaient sur la négligence
dans l'exercice de fonctions ou de pouvoirs statu-
taires, non sur un manquement à une obligation
statutaire" en tant que telle, et elles postulaient
l'application des principes énoncés par lord Black-
burn aux pages 455 et 456 dans la décision Géddis
c. Proprietors of the Bann Reservoir (1878) 3
App. Cas. 430, ainsi que par lord Atkin à la page
580 dans la décision M'Alister (or Donoghue)
(Pauper) c. Stevenson [1932] A.C. 562. Ces déci-
sions portaient sur une obligation de diligence
incombant à certains particuliers. La présente
espèce met en cause un manquement à une obliga
tion statutaire, lequel constituait un acte délibéré
posé dans le cadre d'une ligne de conduite adoptée
pendant une grève. Les motifs de la majorité de la
Cour suprême du Canada dans la décision
O'Rourke donnent à penser qu'il s'agissait dans
cette affaire d'un manquement à une obligation
statutaire 12 , mais je ne vois aucune analogie entre
le fondement légal, reconnu par le tribunal, de
l'obligation de diligence à l'égard du demandeur
qui incombait aux policiers dans la première
affaire et la disposition statutaire en cause dans la
présente espèce. Dans l'affaire O'Rourke, la Cour
a confirmé l'existence d'une obligation statutaire
de faire patrouiller la route par des agents de la
circulation pour la protection des usagers. Pour les
raisons que j'ai indiquées, l'article 3 de la Loi sur
l'aéronautique ne laisse pas entendre qu'il vise à
protéger les compagnies d'aviation commerciale
contre des pertes comme celle subie en l'espèce. Si
je comprends bien l'allégation de l'appelante, elle a
cité O'Rourke surtout pour montrer que des dispo
sitions législatives consacrées à une répartition
"Home Office c. Dorset Yacht Co. Ltd. [1970] A.C. 1004,
par lord Pearson, à la page 1055; Dutton c. Bognor Regis
Urban District Council [1972] 1 Q.B. 373 par les juges lord
Sachs à la page 408 et lord Stamp aux pages 412 et 415.
12 [1976] 1 R.C.S. 53, aux pages 65 et 71.
générale ou à une division des responsabilités d'or-
dre administratif pouvaient en même temps conte-
nir des obligations exécutoires en vertu de la loi.
Le fait que l'article 3c) impose une obligation n'est
pas contesté. La question est de savoir s'il s'agit
d'une obligation à l'égard de l'appelante. Comme
je l'ai indiqué, je ne crois pas qu'on puisse interpré-
ter l'article comme imposant une obligation de
cette sorte.
En définitive, je souscris respectueusement à la
conclusion du savant juge de première instance [à
la page 729] sur cet aspect du dossier lorsqu'il dit:
Je conclus que l'obligation imposée au Ministre par l'alinéa 3c)
de la loi n'est pas exécutable par les personnes, y compris la
demanderesse, à qui son inexécution cause un dommage corpo-
rel ou matériel. Il s'agit d'une obligation exclusivement publi-
que. Le Ministre répond de son inexécution devant le seul
Parlement.
Je n'entends pas, toutefois, que l'on comprenne par
là que chaque fois qu'incombe à un ministre de la
Couronne l'obligation de fournir un service public,
l'existence du principe de la responsabilité ministé-
rielle exclut nécessairement ou par lui-même la
possibilité d'une responsabilité civile pour un man-
quement à ladite obligation.
L'appelante s'appuie sur le jugement rendu par
la Cour dans l'affaire Ile -du-Prince -Edouard c.
Canada 13 , où la majorité a conclu que le gouverne-
ment de cette province était en droit de recevoir du
gouvernement fédéral un dédommagement pour le
tort à lui causé par l'interruption, du fait d'une
grève, du service de bac reliant l'île au continent.
C'était là un cas tout à fait différent. Il s'agissait
d'une disposition constitutionnelle édictée confor-
mément à un accord fédéral-provincial et imposant
une obligation à un gouvernement au bénéfice d'un
autre. C'était un litige entre le Canada et une
province, et il devait être réglé conformément à
l'article 19 de la Loi sur la Cour fédérale; la
responsabilité de la Couronne à l'égard d'un de ses
sujets n'était pas en cause. En raison de la décision
rendue dans cette affaire, je préfère éviter de me
prononcer, comme je l'ai déjà dit, quant à l'effet
d'une grève légale sur l'obligation statutaire de
maintenir les aérodromes, au cas où il s'agirait
d'une obligation à l'égard de l'appelante.
* *
13 La Reine (Canada) c. La Reine (1.-P.-É.) [1978] 1 C.F.
533.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE SUPPLÉANT KERR: Les faits et points
litigieux en cause ici sont exposés dans les motifs
du juge Heald et du juge Le Dain, que j'ai eu
l'avantage de lire et que je n'ai pas à répéter.
Le savant juge de première instance a conclu
que l'obligation du Ministre se limitait à prendre
toutes les mesures qui étaient raisonnables dans les
circonstances, tout en gardant à l'esprit les intérêts
du grand public; que les mesures prises par le
Ministre les 7 et 8 mars 1975 étaient raisonnables
dans les circonstances considérées; et que sa déci-
sion de se limiter aux équipes régulières d'em-
ployés désignés et de ne pas suivre les procédés
proposés par l'appelante était également raisonna-
ble.
Je ne vois aucune raison de combattre ces
conclusions.
En outre, je suis d'avis que la Loi sur l'aéronau-
tique ne rend pas la Couronne responsable de la
sorte de perte en cause ici.
En conséquence, je souscris au rejet de l'appel.
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