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T-2429-75
La Reine (Demanderesse)
c.
Wilchar Construction Limited (Défenderesse)
Division de première instance, le juge Mahoney— Toronto, le 30 janvier; Ottawa, le 5 février 1979.
Impôt sur le revenu Calcul du revenu Provisions Ce n'est qu'à l'établissement de l'exposé conjoint des faits avant l'audition de la Commission de révision de l'impôt que le représentant de la demanderesse s'aperçoit qu'il s'est mépris sur les intentions de la défenderesse Il s'agit de savoir si l'exposé conjoint des faits établit clairement les montants et leur nature et si l'inclusion de ces montants dans le revenu imposable de la défenderesse est contraire à la jurisprudence Loi de l'impôt sur le revenu, S.R.C. 1952, c. 148, art. 4.
La défenderesse, entrepreneur de bâtiments, cherche à déduire de son revenu imposable pour l'année qui a pris fin le 31 juillet 1968, la somme de $227,171. Elle avait constitué deux provisions prélevées sur son revenu: l'une pour les retenues de garantie à recevoir éventuellement et l'autre pour l'entretien et les remboursements éventuels. Le représentant de la deman- deresse a cru comprendre que la défenderesse voulait modifier sa méthode de déclaration des retenues de garantie à recevoir et à payer, à savoir celle qu'elle a en réalité adoptée pour les années 1970 et 1971. A son avis, l'application de la nouvelle méthode aux provisions de la première catégorie ne présentait aucun problème particulier puisque les montants déclarés comme recevables pour 1968 étaient pratiquement les mêmes, alors que les provisions de la seconde catégorie n'étaient pas autorisées par la Loi. Au cours d'une réunion tenue pour établir l'exposé conjoint des faits trois jours avant l'audition de la Commission de révision de l'impôt, le représentant de la demanderesse apprit que la défenderesse entendait obtenir la déduction à la fois des demandes de paiement partiel non certifiées à la fin de l'année d'imposition 1968 et de la provision pour entretien et remboursements éventuels. Entre-temps, l'éta- blissement d'une nouvelle cotisation à l'égard de la déclaration d'impôt de 1969 de la défenderesse n'était plus légalement possible. La défenderesse demande à la Cour d'accueillir l'argu- ment accepté par la Commission de révision de l'impôt: l'exposé conjoint des faits a clairement établi les montants et les objets des sommes en cause et l'inclusion de ces sommes dans le revenu de la défenderesse est contraire à la jurisprudence.
Arrêt: l'action est accueillie. Les arrêts Colford et Guay, dans la mesure ils s'apparentent à l'affaire en instance, s'appliquent aux demandes de paiement partiel non certifiées. Ils font jurisprudence pour autoriser un contribuable à exclure ces sommes de son revenu, mais non pour l'obliger à les exclure ou, en d'autres termes, pour obliger le Ministre à établir une nouvelle cotisation de manière à les exclure au cas le contribuable ne les aurait pas exclues. En l'absence d'»autres dispositions», les bénéfices doivent être calculés conformément aux principes comptables généralement admis. Il existe au moins deux méthodes acceptables pour comptabiliser les sommes en question, mais la défenderesse ne s'est pas acquittée de la charge qui lui incombe de prouver que l'application de différentes méthodes acceptables à des périodes d'imposition
successives était conforme aux principes comptables générale- ment admis. Enfin, la défenderesse n'est plus recevable à changer l'imputation des demandes de paiement partiel non certifiées dans le calcul de ses bénéfices de l'année d'imposition 1968.
Arrêts examinés: Le ministre du Revenu national c. John Colford Contracting Co. Ltd. [1960] R.C.E. 433; J. L. Guay Liée c. Le ministre du Revenu national [1971] C.F. 237.
ACTION. AVOCATS:
N. Helfield pour la demanderesse.
W. Goodman, c.r. et J. Clow pour la
défenderesse.
PROCUREURS:
Le sous-procureur général du Canada pour la demanderesse.
Goodman & Carr, Toronto, pour la défende- resse.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE MAHONEY: A l'ouverture du procès, les parties ont déposé une transaction portant règlement de toutes les questions litigieuses, sauf une.
La défenderesse est, entre autres, entrepreneur de bâtiments. Elle cherche à exclure de son revenu imposable de l'exercice se terminant le 31 juillet 1968, la somme de $227,171 mentionnée au para- graphe 3 de l'exposé conjoint des faits dont voici le texte intégral:
[TRADUCTION] 1. Les parties conviennent qu'au 31 juillet 1968 la compagnie appelante avait $452,123 de créances qui ne deviendraient exigibles qu'à l'émission des certificats des archi- tectes et que les certificats en question n'étaient pas encore émis à cette date.
2. Les parties conviennent en outre que l'appelante a grossi de $57,426 le total de certaines de ses dettes arrêtées au 31 juillet 1968. Par ailleurs, elle a indûment inclus dans les frais qu'elle a subis en 1968 la somme de $167,526 qu'elle devait à ses sous-traitants pour les travaux qu'ils avaient exécutés pour son compte, somme qui ne deviendrait exigible qu'à l'émission des certificats par les architectes, lesquels certificats n'étaient pas encore émis à cette date.
3. Eussent-ils été admis, ces calculs auraient pour effet de diminuer de $227,171 le revenu de l'appelante en 1968, rédui- sant ainsi à néant son revenu imposable de 1968 et créant une perte qu'elle aurait pu déduire de son revenu imposable de 1967.
La défenderesse se fonde au premier chef sur l'exposé conjoint des faits et sur le précédent M.R.N. c. John Colford Contracting Co. Ltd.' ainsi que son corollaire J. L. Guay Ltée c. M.R.N. 2 pour faire valoir que ni les $452,123 de créances ni les $224,952 de dettes ne doivent entrer en ligne de compte pour le calcul de son revenu de l'année d'imposition 1968.
En plus de l'exposé conjoint des faits, je dispose du témoignage incontesté de M. Robert Arthur Weavers, fonctionnaire du ministère du Revenu national, dont l'intervention a conduit à l'établisse- ment de la cotisation en litige.
Dans ses déclarations d'impôt des années d'im-
position 1962 1969 inclusivement, la défende- resse a toujours tenu compte, dans le calcul de son revenu, des retenues de garantie et des demandes de paiement partiel relatives aux tranches de tra- vaux non encore certifiées à la fin de l'exercice en question. Pour ce qui est des années d'imposition 1970 et 1971, elle a exclu de ce calcul les retenues de garantie tout en continuant d'y inclure les demandes de paiement partiel non certifiées.
Le 29 décembre 1971, des avis de nouvelle cotisation furent établis à l'égard des déclarations d'impôt de 1967 et de 1968 de la défenderesse. Ces nouvelles cotisations se rapportaient à diverses matières fiscales qui ne sont plus contestées par les parties, à l'exception bien sûr de l'objet du présent litige. Le Ministre ne s'opposait pas à ce que la défenderesse déclare des retenues de garantie et des demandes de paiement partiel non certifiées comme des créances et des dettes parce que cette pratique devait normalement, sur une période de plusieurs exercices, avoir pour effet d'anticiper l'impôt et non de le différer. C'est la défenderesse elle-même qui a soulevé cette question dans ses avis d'opposition en date du 15 mars 1972.
Dans ces avis d'opposition, la défenderesse a revendiqué le droit de déduire $117,552 en 1967 et $90,013 en 1968 titre de [TRADUCTION] «rete- nues de garantie à recevoir éventuellement». Le Ministre n'ayant pas donné suite à ses oppositions, elle a formé appel le 14 mars 1974 devant la Commission de révision de l'impôt pour faire valoir ce droit en ces termes:
' [1960] R.C.É. 433; confirmé par [1962] R.C.S. viii. 2 [1971] C.F. 237.
[TRADUCTION] 3. Dans le calcul de son revenu de l'année d'imposition 1967, l'appelante a déduit des retenues de garantie d'un total de CENT DIX-SEPT MILLE CINQ CENT CINQUANTE- DEUX DOLLARS ($117,552.00).
4. Dans le calcul de son revenu de l'année d'imposition 1968, l'appelante a déduit des retenues de garantie d'un total de QUATRE-VINGT-DIX MILLE TREIZE DOLLARS ($90,013.00).
5. Par avis de nouvelle cotisation datés du 29 décembre 1971 et relatifs aux années d'imposition 1967 et 1968, l'intimée a fixé une nouvelle cotisation pour l'appelante en majorant les revenus déclarés de CENT DIX-SEPT MILLE CINQ CENT CINQUANTE- DEUX DOLLARS ($117,552.00) et de QUATRE-VINGT-DIX MILLE TREIZE DOLLARS ($90,013.00) que celle-ci avait déduits à titre de retenues de garantie.
La preuve ne révèle pas comment la déduction de $117,552 réclamée pour 1967 et celle de $90,013 réclamée pour 1968 ont donné le chiffre net de $227,171 pour la seule année 1968, chiffre qui était finalement en cause devant la Commission de révision de l'impôt et qui demeure en litige devant la Cour.
En fait, la défenderesse a constitué deux provi sions prélevées sur son revenu, l'une pour les rete- nues de garantie à recevoir éventuellement et l'au- tre pour l'entretien et les remboursements éventuels. Dans sa réponse déposée le 20 septem- bre 1974, le Ministre a réfuté les allégations figu- rant aux paragraphes 3, 4 et 5 de l'avis d'appel et a contesté la régularité de ces provisions qui s'éle- vaient alors pour la seule année d'imposition 1968 à $57,428.29 au titre des retenues de garantie et à $50,985 au titre de l'entretien et des rembourse- ments éventuels.
M. Weavers a cru comprendre que la défende- resse voulait modifier sa méthode de déclaration des retenues de garantie à recevoir et à payer, à savoir celle qu'elle a en réalité adoptée à l'égard des années 1970 et 1971. A son avis, l'application de la nouvelle méthode à l'année d'imposition 1968 ne présentait aucun problème particulier puisque les montants totaux qui étaient déclarés comme étant des revenues de garantie à recevoir et à payer arrêtées au 31 juillet 1968 étaient pratiquement les mêmes: $57,428.39 recevoir, $57,425.82 payer. Dans la réponse, le rejet de la déduction de la provision pour retenues de garantie éventuelles a été justifié en ces termes:
[TRADUCTION] 12. L'intimée soutient qu'elle a eu raison de rejeter, en calculant le revenu de l'appelante de l'année d'impo- sition 1968, une déduction de $57,428.39, cette somme ayant servi à grossir les frais de cette dernière et, de ce fait, n'étant
pas déductible en vertu des articles 3, 4 et 12(1)a) de la Loi de l'impôt sur le revenu.
Quant à la provision pour entretien et rembourse- ments éventuels, il ressortait simplement de la réponse qu'une telle provision n'était pas admise par la Loi.
Les représentants des parties se réunirent le 4 novembre 1974 en présence de M. Weavers. Un exposé conjoint des faits fut établi en vue de l'audition de la Commission de révision de l'impôt, prévue pour le 7 novembre. C'est à cette réunion que M. Weavers apprit pour la première fois que la défenderesse entendait obtenir la déduction à la fois des demandes de paiement partiel non certi fiées à la fin de son année d'imposition 1968 et de la provision pour entretien et remboursements éventuels. Entre-temps, l'établissement d'une nou- velle cotisation à l'égard de la déclaration d'impôt de 1969 de la défenderesse n'était plus légalement possible. Je ne suis pas saisi de cette cotisation, mais je retiens l'objection formulée par la défende- resse contre l'admissibilité de la preuve relative à une nouvelle cotisation qui eût fait suite aux modi fications qu'elle cherche par cette action à appor- ter à son revenu de 1968.
La défenderesse me demande d'accueillir l'argu- ment suivant qui a été accueilli par le savant membre de la Commission de révision de l'impôt: l'exposé conjoint des faits a clairement établi les montants et les objets des sommes en cause et l'inclusion de ces sommes dans le calcul du revenu imposable de la défenderesse est de toute évidence contraire à la jurisprudence. A mon avis, le problè- me n'est pas aussi simple.
Quoique les arrêts Colford et Guay, tout en s'apparentant à l'affaire en l'instance, ne visent que les retenues de garantie et non les demandes de paiement partiel non certifiées, j'accepte qu'ils s'appliquent également à la seconde catégorie de créances et de dettes visées en l'espèce. A mon avis, ces arrêts font jurisprudence pour autoriser un contribuable à exclure ces sommes de son revenu calculé conformément à la Loi de l'impôt sur le revenu, mais non pour l'obliger à les exclure ou, en d'autres termes, pour obliger le Ministre à établir une nouvelle cotisation de manière à les exclure au cas le contribuable ne les aurait pas exclues.
Je n'ajouterais rien de nouveau en rappelant que la Loi de l'impôt sur le revenu institue un système fiscal dans lequel le contribuable calcule lui-même le montant de l'impôt qu'il doit. La personne assu- jettie à l'impôt doit remplir et déposer une déclara- tion d'impôt dans laquelle elle calcule son revenu ainsi que l'impôt y afférent. Elle est obligée d'ef- fectuer ces calculs conformément à la Loi et le Ministre, par le processus d'établissement de la cotisation, est censé veiller à ce qu'elle s'y conforme.
Dans sa version en vigueur à l'époque en cause, la Loi prévoyait que le revenu d'un contribuable pour une année d'imposition comprenait son revenu pour l'année provenant de toutes ses entre- prises et que
4. Sous réserve des autres dispositions de la présente Partie, le revenu provenant, pour une année d'imposition, d'une entre- prise ... est le bénéfice en découlant pour l'année.
Aucune «autre disposition» n'interdit à la défende- resse d'inclure dans le calcul de ses bénéfices pour l'année des retenues de garantie et des demandes de paiement partiel non certifiées.
En l'absence donc d'«autres dispositions», les bénéfices doivent être calculés conformément aux principes comptables généralement admis. Je n'ai été saisi d'aucune preuve relative à ces principes et peut-être ne devrais-je pas en admettre de noto- riété de droit. Je suis certes enclin à conclure, d'après la preuve, qu'il existerait au moins deux méthodes acceptables pour comptabiliser les sommes en question, mais il me suffit de dire que la défenderesse ne s'est pas acquittée de la charge qui lui incombe de prouver que l'application de différentes méthodes acceptables à des périodes d'imposition successives était conforme aux princi- pes comptables généralement admis.
La demanderesse soutient par ailleurs que la défenderesse n'est en tout cas plus recevable à changer l'imputation des demandes de paiement partiel non certifiées dans le calcul de ses bénéfices de l'année d'imposition 1968. Je souscris à cet argument.
La défenderesse a fait état dans sa déclaration d'impôt de 1968 d'un revenu basé sur des bénéfices dont le calcul tenait compte des demandes de paiement partiel non certifiées qu'elle a faites ou
reçues. Elle a appliqué cette même méthode de calcul de 1962 à 1971 inclusivement. Dans ses avis d'opposition comme dans son avis d'appel devant la Commission de révision de l'impôt, elle mention- nait les retenues de garantie comme étant [TRA- DUCTION] «à recevoir éventuellement» et [TRA- DUCTION] «non légalement exigibles» au cours de ses années d'imposition 1967 et 1968. Elle ne mentionnait pas les demandes de paiement partiel non certifiées.
Les faits articulés aux paragraphes 3, 4 et 5 de l'avis d'appel sont contraires à la vérité. La défen- deresse n'a pas déduit des retenues de garantie s'élevant à $117,552 et à $90,013 respectivement en calculant ses revenus de 1967 et de 1968 et le Ministre, par ses avis de nouvelle cotisation, n'a pas non plus majoré son revenu de ces sommes. Il m'a fallu faire ces constatations et citer ces para- graphes parce que la défenderesse n'a pas jugé nécessaire dans cette action de les réitérer et s'est contentée de prendre comme points de départ l'ex- posé conjoint des faits et la décision de la Commis sion de révision de l'impôt.
La défenderesse avait certes indiqué en temps utile qu'elle voulait modifier sa méthode de comp- tabilisation des retenues de garantie, la nouvelle méthode pouvant alors s'appliquer à l'année 1968 et une nouvelle cotisation pouvant être établie, le cas échéant, à l'égard de son revenu redressé de 1969. Elle avait cependant indiqué trop tard qu'elle voulait modifier sa méthode de comptabili- sation des demandes de paiement partiel non certi fiées pour pouvoir appliquer la nouvelle méthode à l'année 1968 et permettre, le cas échéant, l'établis- sement d'une nouvelle cotisation à l'égard de sa déclaration d'impôt de 1969. M. Weavers a déposé qu'une application de cette nouvelle méthode à l'année 1968, alors que l'établissement d'une nou- velle cotisation complémentaire n'était plus possi ble à l'égard de 1969, résulterait en une perte de recettes fiscales, quoique le montant exact de cette perte ne fût pas admis en preuve.
La défenderesse a déclaré ses bénéfices de 1968 et de 1969, lesquels ont été calculés de la même manière. La demanderesse s'est basée sur ces déclarations pour lui fixer les cotisations qu'elle devait pour ces deux années. Permettre à la défen- deresse de modifier la méthode de calcul de ses bénéfices de 1968 et de contredire ainsi les décla-
rations sur lesquelles s'est basée la demanderesse, créera une situation dans laquelle cette dernière aurait agi à l'encontre de ses propres intérêts.
La défenderesse cherche essentiellement à appli- quer à son année d'imposition 1968 une nouvelle méthode de comptabilisation de ses bénéfices sans toutefois appliquer la même méthode à l'année 1969, ce qui est illogique et, à mon avis, tout à la fois contraire à la loi.
Les déclarations d'impôt des années 1967 et 1968 de la défenderesse seront renvoyées au minis- tre du Revenu national pour qu'il établisse de nouvelles cotisations conformément à ces motifs et à la transaction à l'amiable ci-jointe. La demande- resse a droit aux dépens.
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