A-892-77
La Banque Toronto-Dominion (Requérante)
c.
Le Conseil canadien des relations du travail
(Intimé)
Cour d'appel, les juges Urie et Ryan et le juge
suppléant MacKay—Toronto, le 31 mai et le 1"
juin 1978.
Examen judiciaire — Relations du travail — Accréditation
du syndicat à titre d'agent négociateur Le Conseil doit-il
vérifier si les employés répondent aux conditions requises pour
être membres du syndicat avant de décider d'accorder l'accré-
ditation au syndicat, et dans l'affirmative, a-t-il bien examiné
et interprété les statuts du syndicat? — Code canadien du
travail, S.R.C. 1970, c. L-1, art. 126, 127 et 134 — Règlement
du Conseil canadien des relations du travail, DORS/73-205,
art. 18 et 29 — Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e
Supp.), c. 10, art. 28.
Il s'agit d'une demande d'examen et d'annulation, en vertu
de l'article 28, d'une décision du Conseil canadien des relations
du travail qui a accrédité le syndicat des Métallurgistes unis
d'Amérique à titre d'agent négociateur d'une unité d'employés
de la Banque Toronto-Dominion travaillant à sa succursale de
Saskatoon. La requérante conteste la décision au motif que
l'intimé a outrepassé sa compétence en ne vérifiant pas si les
employés de la banque répondaient aux conditions requises
pour être membres du syndicat. La question est de savoir si
l'intimé, soit le Conseil, devait procéder à une telle enquête, et
dans l'affirmative, s'il a bien examiné et interprété les statuts
du syndicat.
Arrêt: la demande est rejetée. En promulguant l'article 126
dans sa forme actuelle, le Parlement a clairement indiqué qu'un
syndicat, en vue d'obtenir l'accréditation, n'avait pas à prouver
que les employés avaient adhéré à celui-ci. Les articles 127(2)
et 134(2) n'imposent absolument pas au syndicat requérant de
faire la preuve que les employés lui ont donné leur adhésion et
il ne s'agit pas d'une condition préalable à l'exercice par le
Conseil de son pouvoir en vertu de l'article 126, qui ne déroge
pas à l'obligation du Conseil, suivant ledit article, de vérifier
seulement si la majorité des employés de l'unité veut que le
syndicat les représente, peu importe qu'ils soient membres du
syndicat ou non. Les articles 18 et 29 du Règlement ne peuvent
déroger à la Loi et, tout au plus, il ne peuvent qu'appuyer la
prétention de la requérante relative à l'économie du Code, sur
laquelle nous avons déjà statué.
DEMANDE d'examen judiciaire.
AVOCATS:
J. C. Murray pour la requérante.
J. Scott, c.r. pour l'intimé.
Lorne Ingle pour les Métallurgistes unis
d'Amérique.
PROCUREURS:
Hicks, Morley, Hamilton, Stewart, Storie,
Toronto, pour la requérante.
Cameron, Brewin & Scott, Toronto, pour
l'intimé.
MacLean, Chercover, Toronto, pour les
Métallurgistes unis d'Amérique.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement de la Cour prononcés à l'audience
par
LE JUGE URIE: Il s'agit d'une demande d'exa-
men et d'annulation, en vertu de l'article 28, d'une
décision du Conseil canadien des relations du tra
vail, en date du 22 novembre 1977, qui a accrédité
le syndicat des Métallurgistes unis d'Amérique
(ci-après appelé «le syndicat>) à titre d'agent négo-
ciateur d'une unité d'employés de la requérante.
Voici la description de cette unité:
[TRADUCTION] Tous les employés de la Banque Toronto-Domi
nion travaillant à la succursale située au n° 300 Confederation
Park Plaza, Saskatoon (Saskatchewan), sauf le directeur, le
chef des services administratifs et les employés intermittents.
La requérante conteste la décision au motif que
l'intimé, au moment de décider si le syndicat pou-
vait être accrédité, a outrepassé sa compétence en
ne vérifiant pas si les employés de la banque
répondaient aux conditions requises pour être
membres du syndicat et s'ils en étaient vraiment
membres. L'avocat a reconnu que, pour avoir gain
de cause, il devait d'abord établir que l'intimé
avait l'obligation de prendre des renseignements
sur ce point et qu'il lui resterait ensuite à convain-
cre la Cour que le Conseil intimé n'avait pas
recueilli de renseignements suffisants puisqu'il ne
disposait pas du document qui lui aurait permis de
trancher cette question, savoir les statuts du syndi-
cat ou, s'il en disposait, qu'il en a donné une fausse
interprétation.
Pour étayer sa prétention selon laquelle le Con-
seil devait décider si les employés de la banque
répondaient aux conditions requises pour être
membres du syndicat et s'ils étaient vraiment
membres de ce dernier, l'avocat a affirmé que
cette prescription découlait de l'économie du Code
canadien du travail et il s'est appuyé sur les
articles 126c), 127(2) et 134(2) ainsi que sur les
articles 18 et 29 du Règlement [Règlement du
Conseil canadien des relations du travail, DORS/
73-205] pour illustrer son affirmation.
126. Lorsque le Conseil
a) a reçu d'un syndicat une demande d'accréditation à titre
d'agent négociateur d'une unité,
b) a déterminé l'unité qui constitue une unité de négociation
habile à négocier collectivement, et
c) est convaincu que la majorité des employés de l'unité veut
que le syndicat les représente à titre d'agent négociateur,
il doit, sous réserve des autres dispositions de la présente Partie,
accréditer ce syndicat à titre d'agent négociateur de l'unité de
négociation.
127. (1) Le Conseil peut, en toute circonstance, pour véri-
fier si les employés d'une unité veulent qu'un syndicat déter-
miné les représente à titre d'agent négociateur, ordonner la
tenue d'un scrutin de représentation au sein de l'unité.
(2) Quand
a) un syndicat demande son accréditation à titre d'agent
négociateur d'une unité qu'aucun autre syndicat ne repré-
sente à ce titre, et que
b) le Conseil est convaincu que trente-cinq pour cent au
moins et cinquante pour cent au plus des employés de l'unité
sont membres du syndicat,
le Conseil doit ordonner la tenue d'un scrutin de représentation
au sein de l'unité.
134. ...
(2) Nonobstant toute autre disposition de la présente Partie,
lorsque le Conseil est convaincu qu'un syndicat refuse l'adhé-
sion à un employé ou à une catégorie d'employés faisant partie
d'une unité de négociation en vertu d'un principe ou d'une
pratique que suit le syndicat relativement aux conditions requi-
ses pour y adhérer,
a) il ne doit pas accréditer le syndicat à titre d'agent négo-
ciateur de l'unité de négociation; et
b) toute convention collective conclue par le syndicat et
l'employeur des employés de l'unité de négociation et qui
s'applique à cette dernière est censée, aux fins de la présente
Partie, ne pas être une convention collective.
18. Une demande présentée au Conseil par un syndicat ou
une association patronale doit comprendre
a) un exemplaire des statuts et des règlements administratifs
du syndicat ou de l'association, et
b) la liste des noms et adresses de chacun de ses dirigeants,
à moins que les statuts et les règlements administratifs et les
noms et adresses des dirigeants n'aient déjà été présentés au
Conseil.
29. (1) Aux fins d'une demande d'accréditation, la preuve
qu'un employé est membre d'un syndicat doit être présentée par
écrit et comprendre:
a) une preuve que l'employé est, au cours de la période qui a
commencé le premier jour du troisième mois précédant le
mois civil au cours duquel la demande est présentée et qui
s'est terminée à la date de la présentation de la demande,
devenu membre du syndicat
(i) en signant une demande d'adhésion ou tout autre
document acceptable au Conseil, et
(ii) en payant en son propre nom au moins deux dollars
qui représente soit le droit d'adhésion syndicale, soit le
montant d'un mois de cotisation au cours de la période
susmentionnée; ou
b) une preuve que l'employé est membre depuis longtemps
du syndicat et a, en son propre nom, payé pas moins du
montant de la cotisation d'un mois, soit au moins deux
dollars, au cours de la période fixée à l'alinéa a).
(2) Lorsqu'un employé a versé le montant dont il est ques
tion au paragraphe (1) et qu'il est inférieur au montant exigé
par les statuts du syndicat, le Conseil peut, si le montant payé
est d'au moins deux dollars, accepter une preuve par écrit que
le montant inférieur a été autorisé conformément aux disposi
tions des statuts du syndicat.
(3) Lorsqu'un employé s'oppose à une demande d'accrédita-
tion d'un syndicat ou indique au Conseil qu'il ne veut plus être
représenté par le requérant, il doit fournir au Conseil, par écrit
et portant sa signature, les renseignements ci-après:
a) son nom, son adresse au complet et sa profession;
b) la date de la demande;
c) le nom et l'adresse au complet du syndicat requérant; et
d) le nom et l'adresse au complet de son employeur.
(4) Le Conseil doit traiter comme confidentielles les preuves
qui lui sont présentées conformément aux paragraphes (1) ou
(2), et il ne doit pas les publier.
D'après la prétention de l'avocat, bien que le
texte de l'article 126c) oblige seulement le Conseil
à vérifier si «la majorité des employés de l'unité
veut que le syndicat les représente à titre d'agent
négociateur» avant d'ordonner la tenue d'un scru-
tin de représentation, l'article 127(2) impose aussi
au Conseil de décider si les employés sont mem-
bres du syndicat. A cet effet, il faut examiner les
statuts du syndicat pour vérifier les conditions
requises pour y adhérer. Autrement dit, selon
l'avocat, il s'agit d'une condition préalable. Pour
s'assurer que la majorité des employés de l'unité
veut que le syndicat les représente à titre d'agent
négociateur, le Conseil doit vérifier, à l'aide des
statuts du syndicat, si ces employés répondent aux
conditions requises pour être membres et si, de
fait, ils sont membres.
L'avocat prétend également, à ce qu'il nous
semble, que l'article 134(2) oblige, au préalable, le
Conseil à s'assurer que le syndicat ne refuse pas
l'adhésion à un employé ou à une catégorie d'em-
ployés en vertu d'un principe ou d'une pratique
qu'il suit. Pour ce faire, dit-il, le Conseil doit
déterminer les conditions requises pour être
membre du syndicat, selon les statuts de ce der-
nier, ainsi que les principes et les pratiques qui ne
relèvent pas des statuts du syndicat.
Pour interpréter les articles 127(2) et 134(2),
l'avocat s'appuie sur les dispositions des articles 18
et 29 du Règlement qui prescrivent le dépôt des
statuts et des règlements administratifs et de la
preuve de l'adhésion des employés au syndicat sous
une forme spécifique.
Il importe de remarquer, selon nous, qu'avant
l'entrée en vigueur du Code canadien du travail
actuel, le 1" mars 1973, le Conseil tirait ses pou-
voirs en matière d'accréditation d'un syndicat à
titre d'agent négociateur, de l'article 115(2) de la
Loi dont voici le libellé:
115....
(2) Lorsque, conformément à une demande d'accréditation
prévue dans la présente Partie et faite par un syndicat, le
Conseil a décidé qu'une unité d'employés est habile à négocier
collectivement
a) si le Conseil est convaincu que la majorité des employés
de l'unité sont membres en règle du syndicat, ou
b) si, par suite d'un vote des employés de l'unité, le Conseil
est convaincu qu'une majorité d'entre eux a choisi le syndicat
comme agent négociateur en leur nom,
le Conseil peut accréditer ce syndicat comme agent négociateur
des employés de l'unité.
Nous constatons que l'article 126c) apporte une
modification importante à l'obligation du Conseil
en matière d'accréditation d'un syndicat à titre
d'agent négociateur d'une unité d'employés. Le
Conseil n'a plus à vérifier si la majorité des
employés sont membres du syndicat; il doit plutôt
s'assurer que la majorité des employés veut que le
syndicat soit son agent négociateur. Par consé-
quent, il faut peser avec soin la jurisprudence
fondée sur les lois provinciales qui obligent encore
les conseils provinciaux de relations du travail à
s'assurer que les employés sont membres du syndi-
cat avant d'accréditer ce dernier et il faut se
rappeler que l'obligation du Conseil intimé en
vertu du Code canadien du travail n'est pas de la
même nature. Selon la plupart des lois provincia-
les, sinon toutes, les conseils régis par ces lois
doivent vérifier à tout le moins si les employés sont
membres du syndicat; en vertu du Code canadien
du travail, à moins que les prétentions de la requé-
rante ne soient bien fondées, l'intimé n'a pas cette
obligation.
A notre avis, la requérante n'a pas bien inter-
prété l'article 126. En promulguant l'article 126
dans sa forme actuelle, le Parlement a clairement
indiqué qu'un syndicat, en vue d'obtenir l'accrédi-
tation, n'avait pas à prouver que les employés
avaient adhéré à celui-ci. Les articles 127(2) et
134(2) n'imposent absolument pas, selon nous, au
syndicat requérant de faire la preuve que les
employés lui ont donné leur adhésion et il ne s'agit
pas d'une condition préalable à l'exercice par le
Conseil de son pouvoir en vertu de l'article 126.
L'article 127 a pour objet de a) permettre au
Conseil d'ordonner la tenue d'un scrutin de repré-
sentation dans le cas où, pour un motif quelcon-
que, il entretiendrait des doutes sur la véritable
volonté des employés de l'unité ou b) de prescrire
la tenue d'un tel scrutin lorsqu'un syndicat, à
l'appui de sa demande d'accréditation a déposé les
demandes d'adhésion des employés conformément
à l'article 29 du Règlement pour faire la preuve de
leur volonté et que le nombre de demandes dépo-
sées est inférieur à 50 pour 100 mais supérieur à
35 pour 100 du nombre d'employés de l'unité si le
Conseil n'est pas convaincu au sens de l'article
126. L'article ne peut pas déroger et de fait ne
déroge pas à l'obligation du Conseil en vertu de
l'article 126 de vérifier seulement si la majorité des
employés de l'unité veut que le syndicat les repré-
sente, peu importe qu'ils soient membres du syndi-
cat ou non. Cet article ne s'applique qu'à des
situations particulières que le Conseil doit régler
en conséquence après avoir formé sa conviction.
L'article 134(2) ne comporte pas non plus de
condition préalable. Il énonce simplement la règle
générale selon laquelle le Conseil ne doit pas
accréditer un syndicat qui, en vertu d'un principe
ou d'une pratique, établit une distinction injuste à
l'égard d'employés ou de catégories d'employés. Il
ne déroge pas à l'obligation du Conseil en vertu de
l'article 126.
Quant à la prétention selon laquelle les articles
18 et 29 du Règlement étayent la thèse de la
requérante, nous pensons qu'ils spécifient simple-
ment la nature et la forme de la preuve que le
Conseil prendra en considération dans l'exécution
de son obligation en vertu de l'article 126 et pour
décider si les employés de l'unité sont membres du
syndicat, si cette décision est rendue nécessaire par
l'application d'autres dispositions de la Loi. Quoi
qu'il en soit, il est manifeste que le Règlement ne
peut pas déroger à la Loi et que, tout au plus, il ne
peut qu'appuyer la prétention de la requérante
relative à l'économie du Code, sur laquelle nous
avons déjà statué.
Comme nous pensons que le Conseil n'est pas
obligé de vérifier si les employés sont membres du
syndicat, il n'est pas nécessaire d'étudier l'autre
point soulevé par l'avocat de la requérante.
Par conséquent, la demande présentée en vertu
de l'article 28 est rejetée.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.