A-311-78
Henri Lemyre (Appelant)
c.
Sergent Jacques Trudel et le commissaire de la
Gendarmerie royale du Canada (Intimés)
Cour d'appel, les juges Pratte et Le Dain et le juge
suppléant Hyde—Montréal, le 3 avril 1979.
Brefs de prérogative — Appel contre le rejet de la demande
de mandamus — L'appelant a demandé un bref de mandamus
ordonnant aux intimés de lui émettre le certificat d'enregistre-
ment d'une arme à feu automatique — Au moment de la
demande de certificat d'enregistrement formulée en novembre
1977, l'arme était une arme à autorisation restreinte ne néces-
sitant qu'un enregistrement auprès du commissaire de la
G.R.C. — A compter du let janvier 1978, l'arme est devenue
prohibée à moins d'avoir été enregistrée avant cette date —
L'enregistrement n'était pas fait au 1" janvier 1978, date à
laquelle le Commissaire n'était plus compétent pour faire droit
à la demande — Il s'agit de savoir si l'art. 35c) de la Loi
d'interprétation a préservé intact le droit que l'appelant pré-
tend avoir eu avant le le' janvier 1978 — Loi d'interprétation,
S.R.C. 1970, c. I-23, art. 35c).
APPEL.
AVOCATS:
H. Lemyre pour son propre compte.
S. Marcoux-Paquette pour les intimés.
PROCUREURS:
H. Lemyre, St-Chrysostome, pour son propre
compte.
Le sous-procureur général du Canada pour
les intimés.
Voici les motifs du jugement de la Cour pro-
noncés en français à l'audience par
LE JUGE PRATTE: Nous l'avons déjà dit ce
matin après avoir entendu l'appelant, nous sommes
tous d'avis que cet appel doit être rejeté. Mais,
comme nous en arrivons à cette conclusion pour
des motifs qui diffèrent quelque peu de ceux du
premier juge, il convient que nous expliquions
brièvement notre décision.
L'appelant demande l'émission d'un bref de
mandamus ordonnant aux intimés de lui émettre le
certificat d'enregistrement d'une arme à feu
automatique.
Cette demande d'enregistrement, le requérant
l'a d'abord formulée à la fin du mois de novembre
1977 en vertu des articles 82 et suivants du Code
criminel qui prévoyaient alors qu'une arme à feu
comme celle du requérant était une «arme à auto-
risation restreinte» dont la possession était inter-
dite à moins que l'arme n'ait été enregistrée par le
commissaire de la Gendarmerie royale du Canada.
Pour des motifs qu'il n'importe pas de mentionner
ici, le Commissaire n'avait pas encore, le ler jan-
vier 1978, fait droit à la demande d'enregistrement
du requérant. A cette date du ler janvier 1978
entra en vigueur la Loi de 1977 modifiant le droit
pénal, S.C. 1976-77, c. 53, qui abrogeait les arti
cles 82 à 106 du Code criminel et les remplaçait
par de nouvelles dispositions. Suivant les nouveaux
textes, la possession d'armes comme celle dont le
requérant sollicite l'enregistrement est dorénavant
prohibée sauf, cependant, s'il s'agit d'une arme
«qui, lors de l'entrée en vigueur du présent alinéa,
était enregistrée comme arme à autorisation res-
treinte», auquel cas cette arme continue à être
considérée comme une arme à autorisation res-
treinte susceptible d'enregistrement. Le 22 février
1978, le commissaire de la Gendarmerie royale du
Canada écrivait à l'appelant et le prévenait que sa
demande d'enregistrement était refusée parce que
la nouvelle législation ne permettait pas au Com-
missaire d'y faire droit puisque l'arme du requé-
rant n'était pas enregistrée le le` janvier 1978.
C'est à la suite de ce refus que l'appelant a pré-
senté la demande de mandamus qu'a rejetée le
premier juge.
L'appelant a invoqué l'article 35c) de la Loi
d'interprétation, S.R.C. 1970, c. I-23, qui aurait,
suivant lui, préservé intact le droit qu'il prétend
avoir eu avant le lei janvier 1978 d'obtenir l'enre-
gistrement de son arme.
Suivant cet article,
35. Lorsqu'un texte législatif est abrogé en tout ou en partie,
l'abrogation
c) n'a pas d'effet sur quelque droit, privilège, obligation ou
responsabilité acquis, né, naissant ou encouru sous le régime
du texte législatif ainsi abrogé;
A notre avis, cet article 35 n'a aucune applica
tion en l'espèce. En effet, il réglemente l'effet de
l'abrogation d'un texte législatif et précise que
cette abrogation ne peut porter préjudice à cer-
tains droits ou privilèges. Or, s'il est bien vrai que
les articles 82 106 du Code criminel ont été
abrogés le 1" janvier 1978, cette abrogation n'était
pas, en elle-même, susceptible de causer préjudice
à l'appelant. Ce qui porte préjudice à l'appelant, ce
n'est pas l'abrogation de ces articles du Code
criminel mais bien l'adoption des dispositions nou-
velles qui les ont remplacés.
Si cette nouvelle législation avait prescrit que
toutes les armes à feu automatiques sans exception
étaient des armes prohibées, il aurait été clair que
la demande d'enregistrement de l'appelant avait
été rejetée à bon droit puisque, en pareille hypo-
thèse, personne n'aurait eu, depuis le 1" janvier
1978, le droit de posséder de pareilles armes. En
fait, la législation nouvelle n'a pas édicté une
prohibition aussi absolue. La règle qu'elle édicte à
l'effet que les armes du même genre que celle de
l'appelant sont prohibées est assortie d'une excep
tion: cette règle ne s'applique pas aux armes qui, le
1" janvier 1978, étaient enregistrées comme armes
à autorisation restreinte. Pour réussir, il nous
semble que l'appelant devait établir que son arme
était incluse dans cette exception, c'est-à-dire
qu'elle était enregistrée (non pas qu'elle aurait pu
ou dû l'être) le 1" janvier 1978. Comme il est
constant que tel n'est pas le cas, il nous paraît clair
que l'arme du requérant est, depuis le 1" janvier
1978, une arme prohibée que le Commissaire n'a
pas le pouvoir d'enregistrer.
L'appel sera donc rejeté.
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