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T-993-75
Lomer Rivard (Demandeur)
c.
La Reine (Défenderesse)
Division de première instance, le juge Walsh— Montréal, les 5 et 6 juin; Ottawa, le 15 juin 1979.
Couronne Responsabilité délictuelle Érosion et dom- mage causés à une propriété par les blocs de glace mis en mouvement par la navigation au printemps Mur de soutè- nement construit par le demandeur à ses propres frais La défenderesse a pris par la suite des mesures pour protéger la berge Les mesures prises par la défenigeresse compromet- tent subséquemment la jouissance de !alberge par suite de planification et d'exécution défectueuses Il s'agit de savoir si le demandeur a une réclamation valide pour ce qui est des dommages causés par l'érosion, pour ce qui est du coût de construction du mur de soutènement ou pour ce qui est d'une servitude requérant la protection de la Couronne Il s'agit de savoir si la défenderesse est responsable des dommages causés par ses mesures de protection Loi sur la responsabilité de la Couronne, S.R.C. 1970, c. C-38, art. 3(1 ), 4(2),(4),(5).
La propriété, que le demandeur possède depuis 1957 sur la rive du fleuve Saint-Laurent, a été gravement érodée surtout par le mouvement des blocs de glace au printemps, les eaux atteignent un niveau élevé. Puisque le Saint-Laurent est un cours d'eau navigable sous juridiction fédérale, le demandeur reproche aux autorités fédérales d'avoir permis l'aggravation de l'effet naturel des eaux en autorisant l'aménagement de la voie maritime et, plus spécialement, en permettant la navigation de printemps. Le demandeur a construit un mur pour protéger sa berge, quoiqu'il eût été informé que le gouvernement fédéral ne le rembourserait pas. Quelques années plus tard, malgré l'oppo- sition du demandeur, la défenderesse a entrepris de protéger la berge en plaçant de grosses pierres contre les berges et le long du mur de soutènement du demandeur. Les interstices entre les grosses pierres ont été remplis de petites pierres. L'action du vent et des vagues au cours des années subséquentes a éparpillé ces petites pierres sur la plage du demandeur et en a gravement compromis la jouissance. Le demandeur réclame le coût de la construction du mur de soutènement ainsi que la réparation des dommages et inconvénients résultant de l'érosion, et une autre somme représentant la dépréciation de sa propriété résultant de ce que les ouvrages protecteurs ont été mal construits.
Arrêt: la réclamation des dommages-intérêts fondés sur la construction défectueuse des ouvrages protecteurs de la Cou- ronne est accueillie, les autres réclamations sont rejetées. L'éta- blissement d'une politique prévoyant la construction d'ouvrages de protection de la berge ne crée pas une obligation légale, laquelle justifierait la réclamation faite par le demandeur du remboursement de la construction du mur: une obligation de la Couronne doit naître de la Loi sur la responsabilité de la Couronne. La défenderesse n'a aucun contrôle sur les tendances dans la construction navale qui ont eu pour résultat un accrois- sement de la navigation en hiver et au début de printemps ainsi qu'un accroissement du tonnage, et l'on ne peut considérer qu'elle commet une faute en permettant aux navires de navi- guer le Saint-Laurent à la limite de leurs possibilités. Par
ailleurs, le demandeur ne jouit d'aucune servitude prévue aux articles 501 et suivants du Code civil et obligeant les propriétai- res du lit du fleuve à ordonner l'arrêt de la navigation à certaines époques de l'année de façon à ne pas aggraver l'effet de la crue des eaux et de la glace sur son terrain. En l'absence de délit et de servitude, le demandeur n'a aucune réclamation valide à l'égard des parties de son terrain emportées par l'érosion ou pour la perte de jouissance de celles-ci ni pour le coût du mur de soutènement. Aucune action délictuelle ne peut être intentée contre la Couronne pour le délai dans la construc tion des ouvrages protecteurs une fois qu'elle eut indiqué son intention d'y procéder. Cependant, lorsque la défenderesse a assumé volontairement l'obligation de construire la barrière protectrice, elle a assumé la responsabilité de voir à ce qu'elle soit construite correctement de façon à ne pas causer des dommages additionnels. Le fait de combler les interstices entre les grosses pierres par des petites pierres et du gravier était une erreur de jugement dont les conséquences étaient prévisibles.
ACTION. AVOCATS:
Lomer Rivard pour son propre compte. Claude Ruelland, c.r. pour la défenderesse.
PROCUREURS:
Le sous-procureur général du Canada pour la défenderesse.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE WALSH: Le demandeur est proprié- taire, depuis 1957, d'une jolie maison sur la rive du fleuve Saint-Laurent dans la paroisse de St-Joseph de Lanoraie, à l'est de Montréal. Ces derniers printemps en particulier, l'érosion causée par le niveau élevé de l'eau et par le morcellement des glaces, a sérieusement endommagé son terrain, situation qu'il attribue essentiellement à l'augmen- tation du volume de la navigation de printemps. Bien que sa maison soit située au-dessus du niveau de l'eau, la berge a été tellement érodée au prin- temps de 1974 qu'il n'est resté que peu de terrain entre la grève et la maison, si bien que celle-ci était en danger de s'écrouler si aucun correctif n'était apporté. Puisque le fleuve Saint-Laurent est un cours d'eau navigable sous juridiction fédérale, le demandeur reproche aux autorités fédérales d'avoir permis l'aggravation de l'effet naturel des eaux en autorisant la construction de barrages et de digues et, plus spécialement, en permettant la navigation de printemps au cours de laquelle les navires de passage rejettent, sur les terrains rive-
rains, d'énormes blocs de glace qui, lorsque trans portés de nouveau vers le large par la vague, entraînent avec eux des parties de la berge. Le 14 août 1974, la défenderesse, par l'intermédiaire du ministre des Travaux publics, s'engagea à assumer tous les coûts des ouvrages protecteurs nécessaires. Il devint apparent, en septembre 1974 que ces ouvrages ne seraient pas construits immédiate- ment. Craignant les conséquences de la crue et de l'action des glaces au printemps de 1975, le demandeur avisa le Ministre de son intention de les construire lui-même. Tard à l'automne de 1974, le demandeur construisit un mur de béton pour protéger ce qui restait de son terrain.
Bien que la crue de 1975 n'ait rien eu d'excep- tionnel, une situation très sérieuse survint au prin- temps de 1976 et, selon le demandeur, s'il n'avait pas construit le mur, le dommage causé à son terrain aurait été irréparable. Ce n'est que tôt en 1977 que les autorités gouvernementales ont effec- tué des travaux sur le terrain du demandeur et des terrains voisins en y plaçant de grosses pierres pesant d'une à deux tonnes chacune. Ces pierres ont été placées en pente contre les berges de façon à subir la force du mouvement des blocs de glace et de l'eau et ainsi prévenir une érosion addition- nelle. Comme il y avait déjà sur le terrain du demandeur le mur de béton vertical construit par ce dernier, les pierres n'ont pu y être placées à un angle prononcé, comme sur les terrains voisins; toutefois, une tranchée a été creusée à la base du mur vertical et des pierres y ont été placées; d'au- tres ont été placées sur la grève même contre le mur, de façon à le protéger. Soulignons de nou- veau que l'inclinaison des pierres placées sur la berge n'était pas aussi importante que sur les terrains voisins elles n'avaient été que déposées contre des remblais. Malheureusement, en ce fai- sant, et apparemment à la demande de plusieurs propriétaires voisins, quoique le demandeur ne l'ait pas lui-même demandé et qu'il s'y soit en fait opposé, des pierres plus petites ont aussi été pla cées sur le dessus des gros blocs de pierre de façon à remplir les interstices et ainsi offrir une surface moins irrégulière et moins choquante pour la vue. En outre, selon un témoin de la défenderesse, ces petites pierres ont également été placées pour des raisons de sécurité au cas quelqu'un sauterait sur les pierres à partir d'une propriété adjacente située à un niveau plus élevé, étant ainsi moins
exposé aux blessures que s'il tentait de sauter sur la surface très inégale des grosses pierres. La malheureuse conséquence de cette opération, qui aurait possiblement pu être prévue, est que l'action des vagues et de la glace au cours des années subséquentes a transporté ces petites pierres vers le large, de sorte que la grève du demandeur, qui autrefois était une plage de sable fin, est mainte- nant encombrée de pierres de différentes tailles qui la rendent impropres à y jouer, inconfortable pour le bronzage et qui obligent pour la baignade, à sauter à l'eau de l'extrémité d'un quai mobile servant à amarrer le bateau à moteur du deman- deur. L'eau est profonde de quatre ou cinq pieds à l'extrémité du quai.
Selon le témoignage du fils du demandeur, il y a aujourd'hui beaucoup de grosses pierres dans l'eau sur lesquelles l'hélice du bateau s'est brisée à quelques reprises et le ski nautique qu'il aime pratiquer à partir de la plage est plus difficile et plus dangereux. Il est aussi très difficile de mettre le bateau à l'eau au printemps et de l'en sortir à l'automne à partir du terrain du demandeur parce que de grosses pierres bloquent le chemin menant directement à la rampe d'accès installée sur la grève et utilisée pour mettre le bateau à l'eau. Il a aussi affirmé dans son témoignage qu'il est main- tenant nécessaire de porter des chaussures dans l'eau pour mettre en place ou retirer le quai et pour mettre le bateau à l'eau, car il est impossible de marcher pieds nus sur la grève en raison des nombreuses roches.
La réclamation du demandeur est en fait double. Il réclame $10,117.90 pour le coût de la construc tion du mur de soutènement qu'il a érigé sur le terrain, de même et pour les dommages et les inconvénients résultant de l'érosion; il réclame en outre une somme de $10,000 pour la dépréciation de sa propriété résultant de ce que les ouvrages protecteurs ont été mal construits. Bien que la Couronne nie toute responsabilité légale envers lui pour la protection de son terrain, vu l'absence de contrat entre eux et l'absence de faute ou de reconnaissance de responsabilité pour la cause de l'érosion, il a néanmoins été admis que s'il y avait quelque responsabilité envers le demandeur pour le coût de la construction du mur de soutènement, elle s'élèverait à $7,500. La défenderesse plaide que depuis des temps immémoriaux, les propriétés
riveraines de Lanoraie ont subir l'effet des vagues soulevées soit par le vent ou le passage des navires ou par une combinaison des deux, que le gel et le dégel varient suivant la saison et qu'en conséquence, des blocs de glace déplacés par le vent et les navires de passage ont causé de l'éro- sion. Quant aux ouvrages publics, tels que les barrages et la voie maritime du Saint-Laurent, construits en amont du fleuve ou sur ses affluents, il est nié qu'ils aient aggravé cet effet, ceux-ci étant au contraire des facteurs de contrôle du niveau de l'eau, réduisant par le fait même les dangers d'érosion. A cet égard il faut noter que le. demandeur n'a pas tenté de faire la preuve des allégations contenues dans sa déclaration amendée selon lesquelles ces ouvrages publics ont été un facteur contributif aux dommages visés par la réclamation, préférant s'appuyer entièrement sur l'aggravation des effets naturels par l'augmenta- tion du nombre et de la taille des navires de passage sur le fleuve comme fondement de la faute qu'il essaie d'imputer à la défenderesse relative- ment à la première partie de sa réclamation. La défenderesse plaide en outre qu'elle n'a aucune obligation légale envers le demandeur de protéger son terrain contre l'érosion, et qu'elle ne peut être tenue responsable des dommages causés par le vent ou le passage des navires ou par une combinaison des deux, ni être poursuivie à cet égard.
Un nombre important de photographies du ter rain en question ont été produites en preuve. Ces photographies ont été prises avant et après les désastres printaniers de 1974 et 1976, et après que la défenderesse eut fait construire les ouvrages protecteurs, et s'il est vrai qu'une image vaut mille mots c'est certes le cas en l'espèce les photogra- phies démontrent, infiniment plus clairement qu'aucune description verbale ne pourrait le faire, exactement ce qui s'est produit. Le demandeur a un très joli bungalow moderne construit sur une pente herbeuse poussent de nombreux arbres; il semble situé suffisamment au-dessus du niveau des eaux du fleuve et il en est assez éloigné, si bien qu'on ne s'est jamais douté, à l'époque de sa construction, qu'un jour il pourrait être menacé. La photographie prise en 1957 montre une jolie plage de sable à l'avant, à partir de laquelle s'avance le quai mobile. Le chenal de passage est relativement étroit à cet endroit comme on peut le voir à partir de la photo d'un navire qui le
remonte. Au printemps de 1974, les dommages considérables ont été causés par l'érosion à tous les terrains de Lanoraie quand le niveau de l'eau atteignit 24,69 pieds au-dessus du point de réfé- rence Cap Chat, loin en aval vers l'est). Des photographies montrent la piscine d'un voisin du demandeur, adjacente à la grève, qui a été complè- tement démolie, de même que les débris d'un mur de soutènement en béton sur un autre terrain, qui a aussi été complètement détruit. En comparaison, le niveau moyen quotidien le plus élevé a été enregistré le 11 avril 1928 quand l'eau atteignit 31,55 pieds, tandis qu'en 1975, le niveau le plus élevé a été de 22,75 pieds le 27 avril. En 1976 cependant, un niveau inhabituellement élevé de 26,61 pieds a été atteint en avril à Sorel qui est situé plus à l'est et la preuve démontre que le niveau de l'eau aurait été légèrement plus élevé à Lanoraie. Des photographies prises en 1976 mon- trent des eaux en crue dépassant le faîte du mur de soutènement construit par le demandeur en 1974 et se rendant jusqu'à la maison qui aurait très probablement subi de sévères dommages si aucun mur n'avait été construit avant ce printemps.
En octobre 1973, le témoin William F. Baird a préparé un rapport très complet pour le compte de la section Études et construction de génie maritime de Travaux publics Canada. En juin et juillet 1973, l'on avait mesuré, à la hauteur de Lanoraie, la vitesse et la distance de la rive à laquelle les navires passaient; la hauteur et la période des vagues ainsi soulevées avaient également été mesu- rées, de même qu'ont été mesurées la vitesse des vents locaux et les vagues soulevées par eux. L'énergie des vagues causées par les navires avait été enregistrée et calculée, de même que celle des vagues soulevées par le vent, afin de déterminer l'étendue du rôle joué par les vagues causées par les navires dans l'érosion de la berge par rapport à l'érosion résultant de causes naturelles. Des relevés effectués à deux endroits dans le voisinage avaient indiqué que pendant les mois de mars, avril et mai, la proportion d'énergie attribuable aux vagues cau sées par le passage des navires et aux vagues soulevées par le vent était, à un endroit, de 38 p. 100 et de 62 p. 100 respectivement tandis qu'elle était de 47 p. 100 et 53 p. 100 respectivement à l'autre endroit. Il a été souligné que des phénomè- nes naturels autres que les vagues soulevées par le vent contribuent à l'érosion de la berge. On a
conclu que, dans les environs de Lanoraie, le pas sage des navires est responsable d'un peu moins de la moitié de l'érosion. Le demandeur conteste l'exactitude de cette conclusion, les expériences ayant été effectuées en juin et en juillet; toutefois, les mesures de longueur et d'énergie des vagues ne varient pas suivant l'époque de l'année à laquelle elles sont prises. D'ailleurs, des statistiques avaient été compilées sur le nombre de passages de navires durant les mois en question et elles ont été jointes au rapport. Celui-ci contient des tableaux qui indi- quent que le tonnage net moyen des navires de haute mer et de l'intérieur arrivant au port de Montréal a presque doublé entre 1960 et 1974, et que le tonnage brut a augmenté en proportion comme on pouvait s'y attendre. Cependant, le nombre de navires arrivant au port a en fait quel- que peu diminué. Le rapport est très scientifique et très complet, et c'est à la suite de celui-ci qu'il a été décidé de construire des ouvrages protecteurs consistant en des amoncellements de grosses pier- res le long de la rive à Lanoraie.
Dans une lettre adressée à M. Rivard le 14 août 1974, le sous-ministre des Travaux publics, M. L. A. Deschamps, affirme que son Ministère assu- mera les coûts des ouvrages protecteurs nécessai- res. Il souligne cependant que bien que ces ouvra- ges aient été approuvés en principe, leur construction ne sera pas entreprise durant l'année en raison de la priorité accordée à d'autres travaux et de la disponibilité des fonds. Le 23 août, M. Rivard lui répondait qu'il ne peut se permettre une telle attente car si l'érosion se poursuivait au prin- temps de 1975, la fondation de sa maison pourrait être détruite. Il avait déjà envoyé une estimation de $12,500 pour les travaux qu'il se proposait d'entreprendre. Le 23 septembre 1974, M. Des- champs l'informe que le projet gouvernemental consiste à entreprendre la construction d'ouvrages protecteurs à Lanoraie, sur une distance d'environ 14,500 pieds, une fois que le Parlement aura approuvé les fonds nécessaires, mais que ces ouvra- ges ne seront prioritaires que l'année suivante. Il déclare en outre très clairement que:
Si un propriétaire décide dans l'intervalle d'effectuer lui-même les travaux, la Couronne ne pourra en aucune façon partager les frais de ces travaux.
Dans ces circonstances, M. Rivard a pris ce qui a pu être une décision logique: il a fait effectuer le travail lui-même mais ce, en sachant fort bien que
la défenderesse ne le rembourserait pas. Bien que ces travaux aient pu empêcher que le terrain du demandeur ne soit sérieusement endommagé en 1976 et, par conséquent, diminuer sa réclamation, on ne peut dire que la défenderesse en a profité en ce qu'ils ont permis de réduire le coût des ouvrages éventuellement entrepris. Au contraire, ils en ont plutôt augmenté le coût puisqu'il fut nécessaire de creuser une tranchée à quelque 20 pieds du mur de soutènement que le demandeur avait fait cons- truire, afin de ne pas le saper par la base, et les pierres ont être placées dans la tranchée et contre le mur de façon à en protéger la base. C'était une opération sans doute plus coûteuse que de simplement empiler des pierres en une pente, de la grève jusqu'à la limite du terrain du demandeur. Les témoins de la défenderesse préten- dent que cet ouvrage protecteur en pierres était nécessaire de toute façon car autrement, le mur du demandeur n'aurait pas résisté longtemps puisque l'eau se serait infiltrée sous lui et l'aurait sapé par la base, comme ce fut le cas pour l'un des murs qui apparaît sur la photographie prise après le désastre de 1974. Une certaine preuve démontre qu'un mur de soutènement vertical en béton ne constitue pas, de toute façon, une bonne protection contre l'ac- tion des vagues et de la glace. Le demandeur attire, pour sa part, l'attention sur les photogra- phies montrant plusieurs autres murs de soutène- ment verticaux en béton construits sur d'autres terrains, il y a plus de 20 ans dans certains cas, et qui sont toujours en place. Quoi qu'il en soit le travail du demandeur n'a, tout au plus, fait que double emploi et n'a permis de réaliser aucune économie dans le travail effectué subséquemment pour protéger son terrain et ceux des autres pro- priétaires riverains.
Pour être dédommagé des coûts de construction de son mur, il ne suffit pas au demandeur de démontrer que celui-ci était nécessaire, mais il doit en outre prouver qu'il incombait légalement à la défenderesse de construire des ouvrages protec- teurs pour sauver de l'érosion la berge de Lano- raie. Une directive du ministère des Travaux publics, en date du 26 juillet 1974, expose la politique de ce dernier en matière d'ouvrages de protection. Le paragraphe 2, intitulé HISTORIQUE, se lit comme suit:
HISTORIQUE
1. L'Acte de l'Amérique du Nord britannique confère à l'Ad- ministration fédérale la compétence de régir la navigation. Le 6
novembre 1966, le Cabinet fédéral publiait une directive selon laquelle l'Administration fédérale ne pouvait collaborer à l'aménagement d'ouvrages de protection que lorsque l'érosion était attribuable à l'effet de la vague soulevée par le passage des navires commerciaux ou à la présence d'un de ses ouvrages.
2. Le ministère des Travaux publics était chargé pour le compte de l'Administration fédérale de l'aménagement d'ouvra- ges de protection le long des berges du Saint-Laurent et d'autres voies d'eau navigables lorsque l'érosion était attribua- ble à l'effet de la vague soulevée par le passage des navires commerciaux.
3. Le Ministère estime également que sa responsabilité est en cause lorsque l'érosion est attribuable à la présence d'un ouvrage de l'Administration fédérale ou lorsqu'un bien immobi- lier fédéral est mis en danger par l'érosion attribuable à des phénomènes naturels tels que les vagues, courants, les eaux de ruissellement, le gel, les glaces, etc.
4. Il faut également qu'il y ait un rapport relativement raison- nable entre les frais d'aménagement de l'ouvrage de protection et la valeur de la propriété à protéger. Autrement, l'on pourrait reprocher à l'Administration fédérale d'avoir affecté des sommes trop importantes à l'aménagement d'un ouvrage des- tiné à protéger de très peu de valeur. (sic)
5. Afin d'assurer l'établissement de critères justes et raisonna- bles, la directive de 1966 était modifiée et une nouvelle politi- que était approuvée par le Cabinet le 2 mai 1974. Toutes les notes de services rédigées sur le sujet avant l'introduction de cette nouvelle politique, qui ne font pas état des critères et principes directeurs établis par le ministère des Travaux publics, sont donc annulées.
Sous le paragraphe 3 intitulé POLITIQUE, nous trouvons ce qui suit:
POLITIQUE
Voici en résumé la politique modifiée:
a) Le ministère des Travaux publics est autorisé à aménager, à ses propres frais, un ouvrage de protection lorsque l'érosion est attribuable dans une proportion supérieure à 50% l'effet de la vague soulevée par le passage des navires ou à la présence d'un ouvrage de l'Administration fédérale et lorsque la valeur de la propriété à protéger est égale ou supérieure au coût de l'ouvrage de protection;
b) Lorsque l'érosion est en grande partie attribuable à des phénomènes naturels, le ministère des Travaux publics peut partager les frais de l'ouvrage de protection dans la mesure proportionnelle que peut avoir l'effet de la vague soulevée par le passage des navires ou la présence d'un ouvrage de l'Admi- nistration fédérale. La quote-part de l'Administration fédé- rale sera établie en se fondant sur le coût de l'ouvrage que déterminera le ministère des Travaux publics en vue d'assu- rer une protection suffisante.
Strictement parlant, il semble que ce soit le paragraphe 3b) qui doive s'appliquer; toutefois, le Ministère a appliqué le paragraphe 3a) et n'a donc réclamé aucune quote-part, accordant ainsi au demandeur le bénéfice du doute puisqu'il est possi-
ble que l'érosion soit attribuable, dans une propor tion de 50 p. 100, au passage des navires. Le fait qu'une politique ait été établie prévoyant la cons truction de ces ouvrages ne crée cependant pas, à mon avis, une obligation légale à la charge de la Couronne, qui n'aurait autrement pas existé.
La responsabilité, s'il en est, de la Couronne pour les dommages causés à la propriété du demandeur doit naître des dispositions de la Loi sur la responsabilité de la Couronne'. Voici le libellé des alinéas 3a) et b) de cette loi:
3. (1) La Couronne est responsable des dommages dont elle serait responsable, si elle était un particulier majeur et capable,
a) à l'égard d'un délit civil commis par un préposé de la Couronne, ou
b) à l'égard d'un manquement au devoir afférent à la pro- priété, l'occupation, la possession ou la garde d'un bien.
Voici celui des paragraphes 4(2) et (4):
4....
(2) On ne peut exercer de recours contre la Couronne, en vertu de l'alinéa 3(1)a), à l'égard d'un acte ou d'une omission d'un préposé de la Couronne, sauf si, indépendamment de la présente loi, l'acte ou l'omission eût donné ouverture à une poursuite en responsabilité délictuelle contre ce préposé ou sa succession.
(4) On ne peut exercer de recours contre la Couronne en vertu de l'alinéa 3(1)b) sauf si, dans les sept jours après que la réclamation a pris naissance, un avis écrit de la réclamation et du préjudice subi
a) est signifié à un fonctionnaire compétent du ministère ou de l'organisme qui gère le bien ou à l'employé du ministère ou de l'organisme qui a la garde dudit bien, et
b) copie de l'avis est envoyée par courrier recommandé au sous-procureur général du Canada.
Toutefois, la Cour peut, en vertu du paragraphe (5) que voici, relever le demandeur de l'obligation de donner l'avis exigé par le paragraphe (4):
4....
(5) Au cas de décès de la victime, le défaut de donner l'avis requis par le paragraphe (4) n'empêche pas d'exercer le recours. Le défaut de donner cet avis ou l'insuffisance de l'avis donné n'empêche pas l'exercice du recours (sauf si la neige ou la glace a causé le dommage), si le tribunal ou le juge devant lequel le recours est intenté estime, bien que l'on n'ait établi aucune excuse raisonnable de l'absence ou de l'insuffisance de l'avis, que la Couronne n'en a pas subi préjudice dans sa défense et qu'il serait injuste de prononcer l'irrecevabilité du recours.
' S.R.C. 1970, c. C-38.
Si la défense invoquait le défaut d'avoir donné l'avis, ce qu'elle ne fait pas, je n'aurais de toute façon aucune hésitation à appliquer les dispositions du paragraphe (5), la volumineuse correspondance indiquant bien que les représentants de la Cou- ronne étaient au courant du problème et que le défaut d'avis formel n'a pas causé préjudice à celle-ci.
Il ne fait aucun doute que le fleuve Saint-Lau- rent, en tant que cours d'eau navigable, est un bien en la «propriété, l'occupation, la possession ou la garde» de la Couronne du chef du Canada. Il n'est pas nécessaire, pour les fins de la présente ins tance, d'aborder la question de la ligne de démar- cation les rives deviennent propriétés de la Couronne du chef de la Province, ni d'aborder la question de la ligne le terrain devient propriété du propriétaire riverain, soit le demandeur en l'es- pèce. L'obligation énoncée à l'alinéa 3(1)b) ne naît, cependant, qu'«à l'égard d'un manquement au devoir», aussi le demandeur ne peut-il fonder de réclamation sur cet article pour les dommages visés dans la première partie de sa réclamation à moins qu'il ne puisse démontrer que la défende- resse avait à son égard le devoir de protéger son terrain de l'érosion causée par l'action de l'eau et de la glace du fleuve. J'ai étudié la jurisprudence considérable citée par le demandeur, ainsi que ses arguments et je ne puis conclure qu'un pareil devoir existe. L'arrêt sans doute le plus important sur lequel il s'appuie est celui de Nord-Deutsche c. La Reine 2 , confirmé sur ce point en appel par la Cour suprême ([1971] R.C.S. 849), qui trouva la Couronne responsable à 50 p. 100 d'un abordage survenu après que l'un des navires eut été induit en erreur du fait qu'un feu de direction sur lequel il se fiait pour naviguer avait été déplacé par l'action de la glace. Les faits sont tout à fait différents en l'espèce le dommage a été causé par l'action du fleuve et de la glace qui, quant à elle, n'est certes pas sous le contrôle ou la garde de la Couronne dans le même sens qu'une balise placée dans le fleuve ou sur la rive. Comme le prétend le deman- deur, une responsabilité peut certainement décou- ler tout autant d'une omission que de la commis sion d'un acte par un préposé de la Couronne et ce, tant en vertu des dispositions de la Loi sur la
[1969] 1 R.C.É. 117.
responsabilité de la Couronne que de celles du Code civil du Québec. Le demandeur soutient que l'omission par le Sous-ministre ou d'autres person- nes autorisées, d'ordonner la cessation complète de la navigation sur le fleuve quand ses eaux sont inhabituellement élevées et que la glace se mor- celle, est un délit qui peut faire l'objet d'une action en vertu de l'alinéa 3(1)a) de la Loi sur la respon- sabilité de la Couronne ou un manquement à un devoir aux termes de l'alinéa 3(1)b) et que cela tombe aussi sous l'empire des dispositions de l'arti- cle 1054 du Code civil du Québec traitant de la responsabilité pour autrui découlant de la faute de personnes sous le contrôle du défendeur ou de choses sous sa garde. Il convient cependant d'éta- blir des distinctions quant aux arrêts cités par le demandeur à l'appui de cette prétention. Ceux-ci traitent de l'évidente responsabilité de la Couronne pour les dommages résultant d'une chute sur le plancher glissant d'un aéroport, du renversement d'un motocycliste par suite du boum sonique d'un avion militaire le survolant, de la collision entre un navire et un objet quelconque flottant dans le chenal de navigation du fleuve Saint-Laurent, de la pollution de l'eau par les déchets provenant des égouts d'un complexe résidentiel de la Défense nationale, et pour les dommages subis par le loca- taire d'une propriété de la Couronne sur les rives du canal Lachine fermé par suite de l'ouverture de la voie maritime du Saint-Laurent, etc. Bien que la Couronne soit responsable des inondations causées par des fins hydro-électriques ou de navigation ou par d'autres ouvrages publics sur le fleuve, il n'y a aucune preuve qu'un tel ouvrage ainsi construit ait causé l'érosion du terrain du demandeur.
La navigation d'hiver et de début de printemps sur le fleuve a beaucoup augmenté en raison de tendances dans la construction navale qui font que plusieurs navires sont maintenant équipés de coques renforcées capables de fendre la glace. De plus, la preuve démontre que bien que le nombre de navires de passage sur le Saint-Laurent n'ait pas augmenté, le tonnage a doublé de 1959 à 1973 (la dernière année pour laquelle des chiffres ont été avancés) et il n'y a aucune raison de douter que cette tendance ne se soit pas maintenue. La défen- deresse n'a aucun contrôle sur les tendances dans la construction navale et l'on ne peut non plus considérer qu'elle commet une faute en permettant à ces navires de naviguer le fleuve Saint-Laurent
dans la mesure cela leur est possible compte tenu de la profondeur du chenal, de la dimension des écluses de la voie maritime, et du jugement des capitaines et pilotes quant à la possibilité de.navi- guer à travers la glace. A plusieurs endroits sur le fleuve le chenal passe près de la rive, même la navigation d'été provoque de grosses vagues qui tendent à éroder et endommager les propriétés riveraines, mais l'on ne peut prétendre que la navigation sur le fleuve doit cesser à cause de cela et je suis d'avis qu'il doit en être de même pour la navigation de printemps. Il n'y a donc aucune faute à permettre une telle navigation.
Les autorités gouvernementales ont la responsa- bilité de minimiser autant que possible les domma- ges causés aux propriétés riveraines en construi- sant les ouvrages publics appropriés, comme le prévoit la directive du ministère des Travaux publics susmentionnée. Qu'une telle politique ait été volontairement adoptée ne signifie pas, cepen- dant, qu'en l'absence d'un engagement volontaire de cette nature, il existerait contre la Couronne un droit d'action délictuelle fondé sur le fait qu'elle autorise, durant la saison de la débâcle et de la crue de printemps, le passage sur le Saint-Laurent de navires privés.
Le demandeur s'appuie aussi sur les dispositions des articles 501 et suivants du Code civil du Québec relatifs aux servitudes qui dérivent de la situation des lieux et sur la jurisprudence traitant de ces articles. Il prétend ainsi avoir une servitude qui oblige les propriétaires du lit du fleuve à ne pas en user de façon à aggraver la condition de sa propriété. Ainsi, le propriétaire d'un terrain à tra- vers lequel passe un cours d'eau ne peut l'endiguer de façon à nuire à son écoulement sur la propriété de son voisin, ni l'utiliser comme un égout de façon à nuire aux autres usages que pourraient en faire les propriétaires des autres terrains à travers les- quels il coule.
Parmi la jurisprudence mentionnée se trouve l'arrêt Procureur général du Québec c. Bélanger' dans lequel l'intimé réclamait des dommages-inté- rêts pour la dépréciation de sa propriété riveraine résultant de la formation de dépôts alluviaux dans l'eau baignant sa façade. Ces dépôts provenaient
3 [1975] C.A. (Qué.) 887.
d'ouvrages publics construits par le gouvernement sur un terrain adjacent plus élevé. La Cour rejeta son action et statua qu'il devait démontrer qu'il avait l'équivalent d'une servitude sur le domaine public qui lui conférait le droit à une plage diffé- rente de celles des autres citoyens. Il convient de souligner que la première partie de la présente demande n'est pas fondée sur la présence d'ouvra- ges publics construits pour le compte de la défen- deresse. Je ne peux donc conclure que le deman- deur a une servitude obligeant les propriétaires du lit du fleuve à ordonner l'arrêt de la navigation à certaines époques de l'année de façon à ne pas aggraver l'effet de la crue des eaux et de la glace sur son terrain. D'autres arrêts cités par le deman- deur traitent de réclamations contre les navires mêmes pour les dommages causés par leur pas sage, ce qui n'est pas le cas ici.
Ayant conclu que le demandeur n'a aucun droit d'action délictuelle contre la Couronne pour les dommages résultant de l'érosion causée par les navires de passage, ni aucune servitude obligeant la Couronne à protéger sa propriété contre des pareils dommages semblables en interdisant le pas sage des navires durant certaines saisons de l'an- née, il s'ensuit qu'il ne peut déposer de réclamation pour les parties de son terrain emportées par l'éro- sion ou pour la perte de jouissance de celles-ci, ni pour le coût du mur protecteur qu'il a construit à ses propres frais après avoir été dûment averti qu'il ne serait aucunement remboursé pour ces travaux. Bien que ce fut une décision logique et même nécessaire, et que s'il n'avait pas agi ainsi sa propriété aurait sans doute subi de sérieux dom- mages au printemps de 1976, cela ne lui confère pas, contre la Couronne, un droit d'action qui, autrement, n'existerait pas. Soulignons en passant que la preuve démontre l'existence de murs sem- blables, certains étant même assez âgés, construits au cours des années précédentes par des voisins du demandeur et il n'est nullement allégué que la défenderesse ait indemnisé ces derniers du coût de ces ouvrages protecteurs. Le fait que le demandeur ait construit son mur juste au moment la défenderesse avait indiqué son intention de cons- truire, dès que possible, les ouvrages protecteurs nécessaires, ne lui confère pas plus de droits que n'en possèdent ces autres propriétaires qui avaient construit leurs murs plus tôt. Enfin, aucune action délictuelle ne peut être intentée contre la Cou-
ronne pour le délai dans la construction des ouvra- ges protecteurs, une fois qu'elle eut indiqué son intention d'y procéder. Par analogie, si une munici- palité décide, à la suite d'une série d'accidents dans les environs d'un passage scolaire ou à une intersection dangereuse, d'installer des feux de circulation, et qu'un autre accident causant des blessures ou la mort se produit entre le moment la décision d'installer des feux de circulation a été prise et celui ils ont en fait été installés, après l'affectation des fonds nécessaires et l'adjudication du contrat pour l'installation, la victime n'aurait pas, de ce fait, un droit d'action contre la munici- palité. Quoi qu'il en soit, la Cour n'a pas à décider si le demandeur aurait pu réclamer de la Couronne une indemnité au regard des dommages qui auraient pu être causés à sa propriété par la crue de 1976 s'il n'avait pas construit son mur de soutènement, avant celle-ci, en raison du retard mis par la Couronne dans l'exécution de sa déci- sion de construire des ouvrages protecteurs.
Quant à la deuxième partie de la réclamation du demandeur, la situation est, à mon avis, substan- tiellement différente. Quand le ministère des Tra- vaux publics a décidé de construire la barrière protectrice de grosses pierres, il a volontairement assumé une obligation mais aussi la responsabilité de voir à ce qu'elle soit construite correctement de façon à ne pas causer des dommages additionnels au demandeur et aux autres propriétaires voisins. Bien que le représentant de la défenderesse chargé de surveiller l'exécution des travaux ait agi de bonne foi et avec les meilleures intentions en per- mettant ou ordonnant à l'entrepreneur de combler les interstices entre les grosses pierres avec des pierres plus petites et du gravier, afin d'obtenir une surface un peu plus égale et peut-être plus agréa- ble esthétiquement et qui, à son avis, présentait moins de danger pour quiconque sauterait sur la barrière ou la traverserait, j'estime, comme l'ont démontré les événements subséquents, que c'était une erreur de jugement puisque l'on pouvait facilement prévoir, et qu'il aurait être prévu, que l'action de l'eau et de la glace délogerait les plus petites pierres et les disperserait sur la grève, causant ainsi un dommage considérable à ce qui était auparavant une plage sablonneuse servant à des fins récréatives. Il est vrai que, par la suite, des représentants du gouvernement ont fait ce qu'ils ont pu pour remédier à la situation, rappelant
l'entrepreneur pour qu'il enlève certaines des plus grosses pierres dont la présence sur la grève ne pouvait s'expliquer que par le fait que l'entrepre- neur n'ait pas récupéré certaines des pierres, desti nées à être intégrées au brise-lames, qui avaient roulé vers le bord de l'eau. En effet, la preuve démontre que ces pierres étaient trop grosses pour que l'action de la glace les ait attirées vers l'eau, mais il est indéniable qu'elles s'y trouvaient. Cela n'a aucunement remédié au problème causé par les milliers de petites pierres et le gravier, aisément discernables sur les photographies, répandus sur la grève. Un témoin de la défenderesse, l'ingénieur Jean Louis Raby, a soumis un devis estimatif très sommaire selon lequel, considérant qu'il y a une pierre à tous les pieds linéaires, sur une façade de 800 pieds au total (comprenant les terrains de M. Rivard et de cinq de ses voisins), et qu'il faut 15 minutes pour enlever une seule de ces pierres, il en coûterait $2,000 au total, soit 200 heures à $10 l'heure, pour nettoyer les six terrains. En fait, selon les explications données, l'on procéderait ainsi: un trou serait creusé par une pelle mécani- que dans lequel les pierres seraient entassées; ce trou serait ensuite recouvert de sable de sorte qu'il serait tout aussi facile d'y entasser plusieurs pier- res qu'une seule. Les photographies révèlent cepen- dant qu'il y a non pas une pierre mais des milliers de pierres à chaque pied linéaire, devant la pro- priété du demandeur. Elles pourraient possible- ment être raclées de quelque façon, car les ramas- ser à la main serait long et fastidieux. De plus, rien n'indique que la grève ne serait pas recouverte d'une nouvelle accumulation de pierres à chaque année par suite du retrait annuel des eaux et de la glace, celles-ci emportant de plus en plus de petites pierres utilisées pour combler les interstices entre les grosses pierres d'une et deux tonnes du mur protecteur. Le demandeur réclame la somme de $10,000 au chapitre de la dépréciation de sa pro- priété résultant de la mauvaise exécution des tra- vaux, mais il n'a, pour étayer cette réclamation, que sa propre déclaration et les photographies. Il est difficile de déterminer la valeur d'une belle plage pour son propriétaire ou un acheteur éven- tuel. La maison demeure intacte, et il est à espérer que le terrain soit maintenant à l'abri d'une éro- sion additionnelle. La vue sur le fleuve demeure la même et l'accès à celui-ci reste possible à partir du quai mobile qui a toujours été sur la propriété, auquel le demandeur amarre son bateau et duquel
les baigneurs peuvent entrer dans l'eau. Une plage sablonneuse présente néanmoins certains avanta- ges et certains charmes que n'offre pas une grève couverte de pierres. Par conséquent, j'estime la dépréciation de la propriété du demandeur à $1,500 et accorde jugement pour ce montant. Puis- qu'il a plaidé sa propre cause, les frais ne sont alloués que jusqu'à l'audition exclusivement, le demandeur ayant été représenté par avocat jusqu'à ce stade.
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