A-253-78
Barbara Ann Murray (Requérante)
c.
Le ministre de l'Emploi et de l'Immigration
(Intimé)
Cour d'appel, le juge en chef Jackett, le juge
Heald et le juge suppléant MacKay—Toronto, le
15 septembre 1978.
Examen judiciaire — Immigration — Ordonnance d'expul-
sion — Compétence — Arbitre n'a pas accordé d'ajournement
après avoir rappelé à la requérante que le Ministre pouvait
délivrer un permis — L'arbitre avait-il compétence pour
rendre une ordonnance d'expulsion? — L'arbitre a-t-il
commis une erreur de droit en décidant de rendre une ordon-
nance d'expulsion plutôt que d'émettre un avis d'interdiction
de séjour? — Loi sur l'immigration de 1976, S.C. 1976-77, c.
52, art. 32(6), 37(1) — Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970
(2e Supp.), c. 10, art. 28.
Pourvoi est formé, en vertu de l'article 28, contre une ordon-
nance d'expulsion. La requérante, qui n'était ni citoyenne cana-
dienne ni résidente permanente, était entrée au Canada comme
visiteuse et y était restée après avoir été déchue de cette qualité.
L'unique moyen pour soutenir que l'arbitre n'avait compétence
ni pour rendre une ordonnance ni pour émettre un avis d'inter-
diction de séjour est le suivant: l'arbitre, après avoir rappelé à
la requérante l'article 37(1) de la Loi sur l'immigration de
1976, en vertu duquel le Ministre peut délivrer un permis,
aurait dû prononcer l'ajournement de l'enquête pour permettre
à la requérante de demander un tel permis. Il reste à savoir si
l'arbitre, en décidant de rendre une ordonnance d'expulsion
plutôt que d'émettre un avis d'interdiction de séjour, a commis
une erreur de droit dans l'application de l'article 32(6) de la
Loi de 1976.
Arrêt: la demande est rejetée. Il ressort de l'arrêt Louhisdon
que le précédent Ramawad ne s'applique pas à un cas comme
celui-ci. Bien que cette décision ait été rendue en vertu de
l'ancienne Loi, il n'existe aucune différence entre cette loi et la
Loi de 1976 en ce qui concerne la disposition applicable au
jugement de la demande en instance. Pour une bonne adminis
tration de la justice et de préférence à l'application du principe
de stare decisis, devant un arrêt aussi récent et aussi pertinent
rendu par cette cour, il faut s'y conformer. Le refus d'émettre
un avis d'interdiction de séjour était largement, sinon entière-
ment, fondé sur le fait que l'arbitre n'était pas convaincu que la
requérante allait quitter le Canada. Il s'agit là d'une condition
préalable de l'émission d'un avis d'interdiction de séjour prévu
à l'article 32(6)b) et il n'y a pas lieu d'appliquer la condition
visée à l'article 32(6), savoir: eu égard aux circonstances de
l'espèce.
Arrêt suivi: Louhisdon c. Emploi et Immigration Canada
[1978] 2 C.F. 589. Distinction faite avec l'arrêt: Ramawad
c. Le ministre de la Main-d'oeuvre et de l'Immigration
[1978] 2 R.C.S. 375.
DEMANDE d'examen judiciaire.
AVOCATS:
C. Roach pour la requérante.
B. Segal pour l'intimé.
PROCUREURS:
Charles Roach, Toronto, pour la requérante.
Le sous-procureur général du Canada pour
l'intimé.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement prononcés à l'audience par
LE JUGE EN CHEF JACKETT: Pourvoi est formé,
en vertu de l'article 28, contre une ordonnance
d'expulsion. La requérante, qui n'était ni citoyenne
canadienne ni résidente permanente, était entrée
au Canada comme visiteuse et y était restée après
avoir été déchue de cette qualité.
L'unique moyen invoqué en l'espèce pour soute-
nir que l'arbitre n'avait compétence ni pour rendre
une ordonnance ni pour émettre un avis d'interdic-
tion de séjour est le suivant: l'arbitre, après avoir
rappelé à la requérante l'article 37(1) de la Loi sur
l'immigration de 1976, S.C. 1976-77, c. 52, en
vertu duquel le Ministre peut délivrer un permis,
aurait dû prononcer l'ajournement de l'enquête
pour permettre à la requérante de demander un tel
permis.' Cette thèse s'appuie sur l'arrêt Ramawad
c. Le ministre de la Main-d'oeuvre et de l'Immi-
gration [1978] 2 R.C.S. 375 de la Cour suprême
du Canada.
A mon avis, il ressort de l'arrêt Louhisdon
[1978] 2 C.F. 589 de la Cour fédérale que le
précédent Ramawad ne s'applique pas à un cas
comme celui-ci. Dans cette dernière affaire, il y
avait effectivement une requête d'ajournement de
l'enquête pour permettre à l'intéressé de demander
un permis du Ministre. Cette cause était régie par
l'ancienne Loi certes, mais je ne vois aucune diffé-
rence entre cette loi et la Loi de 1976 en ce qui
concerne la disposition applicable au jugement de
la demande en instance. Il se peut que les juges de
notre Division eussent conclu différemment s'ils
avaient à juger l'affaire citée, mais devant un arrêt
Le mémoire présenté par la requérante mentionne un
moyen subsidiaire selon lequel l'arbitre aurait exercé le pouvoir
discrétionnaire du Ministre concernant un tel permis. Toute-
fois, ce moyen n'a pas été invoqué à l'audience et rien dans le
dossier ne semble justifier un tel argument.
aussi récent et aussi précis de la Cour, j'estime
qu'il faut s'y conformer, non pas en raison du
principe de stare decisis que la Cour, à mon avis,
n'est pas tenue d'appliquer d'une manière rigide,
mais bien par souci d'une bonne administration de
la justice. Bien entendu, la Cour pourrait écarter
les conclusions d'une de ses récentes décisions si la
décision ne portait pas sur le même point litigieux
ou encore si la Cour était convaincue que cette
décision était fondée sur une erreur patente de
raisonnement.
Je tiens à ajouter toutefois que, même en l'ab-
sence de l'arrêt Louhisdon, je ne pense pas que le
précédent Ramawad puisse s'appliquer en l'espèce
car il y avait, dans cette affaire, une demande
pendante au moment de l'enquête, et la Cour
suprême a conclu que cette demande ne pouvait
faire l'objet d'une décision sans être instruite au
préalable par le Ministre; et l'enquêteur spécial, au
lieu de transmettre la demande au Ministre, s'était
arrogé les pouvoirs de décision de celui-ci en la
matière. Par contre, il n'y a eu, en l'espèce, ni
demande de permis adressée au Ministre ni, à ma
connaissance, usurpation de la part de l'arbitre des
pouvoirs de décision de celui-ci en la matière. Je ne
trouve rien dans la décision de la Cour suprême du
Canada qui pose pour règle que le fonctionnaire
présidant une enquête sur l'admission d'une per-
sonne au Canada ou sur l'expulsion d'une personne
hors du Canada est tenu de suspendre cette
enquête pour permettre à cette personne de
demander un permis du Ministre au cas où elle ne
l'aurait pas encore demandé. A mon avis, l'établis-
sement d'une telle règle bouleverserait et modifie-
rait si fondamentalement la procédure en la
matière que je ne tiens pas du tout à y conclure par
déduction en l'absence d'une disposition légale
expresse ou d'une jurisprudence précise que je suis
tenu de respecter.
Il reste à savoir si l'arbitre, en décidant de
rendre une ordonnance d'expulsion plutôt que
d'émettre un avis d'interdiction de séjour, a
commis une erreur de droit dans l'application de
l'article 32(6) de la Loi de 1976, erreur qui, selon
le mémoire de la requérante, ressort de la déclara-
tion suivante de l'arbitre:
[TRADUCTION] Mademoiselle Murray, j'ai très soigneusement
considéré les témoignages et les plaidoiries sur le genre d'ordon-
nance ou d'avis qui s'impose. J'ai également considéré le fait
que vous avez un enfant né au Canada. Toutefois, un arbitre ne
peut pas tenir compte, en prenant ce genre de décision, des
considérations d'ordre humanitaire ou inspirées par la
compassion.
L'article 32(6) prévoit ce qui suit: -
32. ...
(6) L'arbitre, après avoir conclu que la personne faisant
l'objet d'une enquête est visée par le paragraphe 27(2), doit,
sous réserve des paragraphes 45(1) et 47(3), en prononcer
l'expulsion; cependant, dans le cas d'une personne non visée aux
alinéas 19(1)c), d), e), f) ou g) ou 27(2)c), h) ou i), l'arbitre
doit émettre un avis d'interdiction de séjour fixant à ladite
personne un délai pour quitter le Canada, s'il est convaincu
a) qu'une ordonnance d'expulsion ne devrait pas être rendue
eu égard aux circonstances de l'espèce; et
b) que ladite personne quittera le Canada dans le délai
imparti.
A cet égard, le passage invoqué, pris dans son
contexte, se rapporte à la question de savoir si
l'arbitre avait ou non le pouvoir de tempérer les
mesures visant à garantir le départ de la requé-
rante hors de ce pays. C'est ce qui ressort du
passage un peu plus long d'où a été tiré l'extrait
invoqué:
[TRADUCTION] Mademoiselle Murray, j'ai très soigneusement
considéré les témoignages et les plaidoiries sur le genre d'ordon-
nance ou d'avis qui s'impose. J'ai également considéré le fait
que vous avez un enfant né au Canada. Toutefois, un arbitre ne
peut pas tenir compte, en prenant ce genre de décision, des
considérations d'ordre humanitaire ou inspirées par la compas
sion. La délivrance d'un permis relève des prérogatives du
Ministre. Il est manifeste qu'il ne vous a pas accordé un permis.
En conséquence, je conclus que vous avez enfreint la Loi sur
l'immigration et je n'ai pas le pouvoir de vous autoriser à
demeurer au Canada.
Voici ce qui fait suite à ce passage:
[TRADUCTION] En prenant cette décision, il me faut tenir
compte de deux facteurs importants. D'abord, je dois considérer
les circonstances de l'espèce. Ensuite, je dois être convaincu que
vous êtes en mesure de quitter volontairement le Canada dans
le délai imparti. Il appert des circonstances de l'espèce qu'au
moment où vous décidiez de prendre un emploi au Canada,
vous saviez que votre acte constituait une violation de la loi.
Vous dites que vous n'aviez pas le choix dans la situation qui
était la vôtre à l'époque. Et cela m'amène à croire que vous
étiez consciente de l'irrégularité de votre acte. D'ailleurs, étant
donné que vous aviez demandé un visa d'immigrant il y a huit
ans et que de ce fait, vous n'étiez pas dans l'ignorance complète
de la loi, vous deviez connaître les formalités et vous étiez en
mesure de vous renseigner à ce sujet, surtout auprès de proches
parents au Canada. A part cela, vous me paraissez un témoin
digne de foi. Cependant, en ce qui concerne la partie de votre
déclaration affirmant que vous êtes disposée à quitter volontai-
rement le Canada, vous avez antérieurement déclaré que vous
n'aviez aucun parent chez qui aller ni aucun emploi qui vous
attendait; étant donné ces circonstances, je ne crois pas que
vous soyez disposée à retourner volontairement à la Jamaïque.
Par ailleurs, vous avez déposé que vous n'aviez pas d'argent et
rien n'indique qu'il y ait quelqu'un pour vous en donner afin de
vous permettre de quitter volontairement le Canada. Je dois
vous signaler également que je suis au courant des circons-
tances dont vous avez fait état et que je comprends qu'elles sont
dues aux conditions économiques en Jamaïque. Mais les condi
tions régnant dans votre pays d'origine ne sauraient inspirer la
politique d'immigration du Canada. D'où que vous veniez, vous
devez vous conformer à la loi canadienne sur l'immigration.
Vous avez enfreint cette loi, par conséquent, vous devez être
expulsée du Canada. Je n'émettrai pas un avis d'interdiction de
séjour.
A la lecture de ce dernier passage, il m'appert
que le refus d'émettre un avis d'interdiction de
séjour était largement, sinon entièrement, fondé
sur le fait que l'arbitre n'était pas convaincu que la
requérante allait quitter le Canada. Il s'agit là
d'une condition préalable de l'émission d'un avis
d'interdiction de séjour prévu à l'article 32(6)b) et
il n'y a pas lieu d'appliquer la condition visée à
l'article 32(6)a), à savoir: «eu égard aux circons-
tances de l'espèce».
A mon avis, ce pourvoi fondé sur l'article 28 doit
être rejeté.
* * *
LE JUGE HEALD y a souscrit.
* * *
LE JUGE SUPPLÉANT MACKAY y a souscrit.
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