T-2550-78
Paul D. Copeland en son nom personnel et au nom
de tous les membres de la Law Union de l'Ontario
(Requérant)
c.
Monsieur le juge David C. McDonald, Donald S.
Rickerd et Guy Gilbert, membres de la Commis
sion d'enquête sur certaines activités de la Gen-
darmerie royale du Canada (Intimés)
Division de première instance, le juge Cattanach—
Toronto, les 26 et 29 juin; Ottawa, le 4 août 1978.
Brefs de prérogative — Prohibition — Enquête sur certaines
activités, peut-être illégales, de la G.R.C. — Le requérant
allègue être victime d'activités illégales susceptibles de faire
l'objet d'une enquête par la Commission — Allégation que les
Commissaires, à cause de leurs activités politiques antérieures
à leur nomination, font preuve de partialité au sens juridique
du terme et peuvent ainsi être récusés — Le bref de prohibition
peut-il être accordé? — Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970
(2e Supp.), c. 10, art. 18a) — Règle 319(4) de la Cour fédérale.
Recours collectif — Les allégations sont-elles communes au
requérant et à tous les membres de l'association en cause au
nom desquels la requête a été présentée?
Il s'agit d'une demande introduite par voie d'avis de requête
visant l'obtention d'un bref de prohibition qui interdirait aux
intimés, en leur qualité de membres de la Commission d'en-
quête sur certaines activités de la Gendarmerie royale du
Canada, de poursuivre leur enquête en raison de leur partialité,
au sens juridique du terme. Il est allégué que le requérant
Copeland a été victime d'activités illégales menées par la
G.R.C.; susceptibles de faire l'objet d'une enquête par la Com
mission; qu'il a le droit de voir ses allégations faire l'objet d'une
enquête par uri jury tout à fait impartial et qu'il peut raisonna-
blement craindre que la Commission puisse ne pas agir d'une
manière complètement impartiale, compte tenu des activités
politiques des Commissaires avant leur nomination, activités
qui donneraient lieu à leur récusation. La demande est égale-
ment présentée au nom de tous les membres de la Law Union
de l'Ontario.
Arrêt: la demande introduite par le requérant Copeland en
son nom personnel et au nom de tous les membres de la Law
Union de l'Ontario est rejetée. Les allégations sont de nature
personnelle; elles ne sont communes ni au requérant ni aux
membres de la Law Union de l'Ontario. Elles ne peuvent être
invoquées en ce qui concerne l'un quelconque ou tous les
membres de cette association. La Commission n'est, au dernier
degré, qu'un organisme chargé de faire enquête, de faire rap
port et de faire les recommandations nécessaires; ce n'est même
pas un organisme quasi judiciaire, car il ne décide rien, ne
détermine rien. Les normes de partialité que l'on retrouve en
common law ne peuvent s'appliquer; par conséquent, le fait que
la Commission puisse être partiale est non pertinent et ce,
malgré une décision qui reconnaîtrait cette partialité. Le
recours d'une personne lésée par suite d'une décision qui doit
être rendue par des arbitres qui doivent faire preuve, de leur
mieux, d'impartialité est de nature politique et non judiciaire;
cela dit, cette théorie s'applique avec beaucoup plus de vigueur
à un tribunal qui ne rend pas de décision. Les droits personnels
ou les intérêts du requérant ne pourraient être lésés à la suite de
l'enquête ou de toute action instituée par le Gouverneur en
conseil à la suite du rapport qui sera éventuellement déposé par
la Commission.
Arrêt approuvé: Naken c. General Motors of Canada Ltd.
(1978) 17 O.R. (2e) 193. Arrêts appliqués: Committee for
Justice and Liberty c. L'Office national de l'énergie
[1978] 1 R.C.S. 369; Guay c. Lafleur [1965] R.C.S. 12.
Distinction faite avec l'arrêt: Saulnier c. Commission de
police du Québec [1976] 1 R.C.S. 572. Arrêts examinés:
In re Pergamon Press Ltd. [1970] 3 W.L.R. 792; Maxwell
c. Department of Trade and Commerce, Times newspaper
L.R., le 25 juin 1974.
DEMANDE.
AVOCATS:
Michael Mandel et J. House pour le
requérant.
J. J. Robinette, c.r., pour les intimés.
PROCUREURS:
Michael Mandel, Osgoode Hall Law School,
Université York, Downsview, pour le requé-
rant.
McCarthy & McCarthy, Toronto, pour les
intimés.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE CATTANACH: Comme l'indique l'inti-
tulé, il s'agit d'une demande introduite par voie
d'un avis de requête visant l'obtention, conformé-
ment à l'article 18a) de la Loi sur la Cour fédé-
rale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), c. 10, d'un bref de
prohibition interdisant aux intimés, en leur qualité
de membres de la Commission d'enquête sur cer-
taines activités de la Gendarmerie royale du
Canada, de poursuivre leur enquête en raison de
leur partialité, au sens juridique de ce terme.
Antérieurement à l'audition de la présente
requête, le requérant a cherché à obtenir de la
Cour, conformément à la Règle 319(4), la permis
sion d'appeler, à titre de témoins, les intimés et
deux journalistes pour qu'ils témoignent de vive
voix, en séance publique, relativement à des ques
tions de fait soulevées dans la présente requête.
J'ai refusé d'accorder la permission demandée
parce que, à mon avis, le requérant n'a fait la
preuve d'aucune raison spéciale.
Aux termes de la Règle 319, les allégations de
faits sur lesquelles se fonde une requête doivent
être prouvées par affidavit. La seule exception à
cette règle prévoit qu'un témoin peut être appelé à
témoigner en séance publique relativement à une
question de fait soulevée dans une demande. Or,
cette procédure n'est autorisée qu'avec la permis
sion de la Cour, pour une raison spéciale.
La partie adverse peut déposer un affidavit en
réponse; cet affidavit doit également porter sur les
faits. Les obligations incombant à la partie adverse
s'arrêtent là; le dépôt d'un affidavit en réponse à
celui de la partie demanderesse ne devient néces-
saire que si la partie adverse le juge utile. En
l'espèce, les intimés n'ont pas considéré cette
mesure utile.
La procédure visant à faire appeler les trois
intimés et les deux journalistes pour qu'ils témoi-
gnent de vive voix avait pour but, si j'ai bien
compris, de faire admettre ou nier, aux Commis-
saires, les allégations de faits invoquées dans l'affi-
davit présenté à l'appui de la requête principale,
faits à partir desquels on aurait pu conclure à leur
partialité et qui ont été à l'origine des articles des
deux journalistes.
Je ne vois pas la nécessité de faire droit à cette
procédure. J'ai indiqué que l'affidavit présenté à
l'appui de la requête principale renfermait des
allégations de faits suffisantes pour conclure à la
partialité, au sens juridique du terme; mais en
exprimant cette opinion, je n'ai pas conclu à la
partialité et j'ai clairement indiqué que je n'avais
pas l'intention qu'il en découle une telle conclu
sion.
Une demande faite par voie de requête ne res-
semble nullement à l'audition sur le fond d'une
cause d'action fondée sur des plaidoiries antérieu-
res.
Je n'ai pas conclu que le requérant avait erré en
suivant la procédure susdite; il en avait le droit.
Mais je n'ai pu m'empêcher d'exprimer l'opinion
que si le requérant avait souhaité interroger les
intimés (il ne pouvait les contre-interroger relative-
ment à leurs affidavits car ils n'ont pas jugé néces-
saire de déposer de tels affidavits et, quoi qu'il en
soit, ils n'avaient pas à le faire), il aurait pu le
faire en adoptant la solution subsidiaire savoir, en
déposant une déclaration, ce qui lui aurait alors
permis de procéder à leur interrogatoire préalable.
Bien qu'ayant rejeté oralement la demande, j'es-
time avantageux, à ce stade-ci, de consigner par
écrit les motifs du rejet prononcés oralement.
Il est une autre question, également de nature
préliminaire, qui doit être étudiée à ce stade-ci.
Le requérant introduit la présente requête en
son nom personnel et au nom de tous les membres
de la Law Union de l'Ontario.
Il s'agit, par conséquent, d'un recours collectif.
Pour qu'un litige fasse l'objet d'un recours collectif
ou d'une action intéressant une catégorie de per-
sonnes (pour les besoins du présent litige unique-
ment, je considère une requête intéressant une
catégorie de personnes comme synonyme d'une
cause d'action intéressant une catégorie de person-
nes), les personnes en cause doivent avoir le même
intérêt. Il doit exister un intérêt commun, un grief
commun et le redressement sollicité doit être, en
soi, profitable à tous.
Dans Naken c. General Motors of Canada
Limited (1978) 17 O.R. (2e) 193, le juge Griffiths,
parlant au nom de la Cour divisionnaire, déclare à
la page 195:
[TRADUCTION] Le premier principe important à tirer de ces
décisions est celui-ci: un demandeur n'a le droit d'intenter des
poursuites en sa qualité de représentant au nom d'une catégorie
de personnes que lorsque tous les membres de la catégorie
partagent la même cause d'action: une cause d'action non pas
semblable, mais identique.
L'affidavit de Paul D. Copeland présenté à l'ap-
pui de la requête allègue que les membres de la
Law Union de l'Ontario sont regroupés en une
association non constituée en corporation, comp-
tant cent quatre-vingt avocats à tendance progres-
siste et socialiste, étudiants en droit et auxiliaires
juridiques. Par conséquent, la Law Union de l'On-
tario n'est qu'un groupement de personnes.
Au paragraphe 10 de son affidavit, Me Copeland
allègue qu'il croit véritablement avoir été victime
d'activités criminelles et autres activités illégales
de la part de membres de la Gendarmerie royale
du Canada aux motifs que ses clients ont été
victimes de telles activités, que des conversations
téléphoniques à caractère confidentiel avec un
témoin éventuel ont été illégalement interceptées,
que son bureau a fait l'objet de surveillance, qu'il
était considéré comme pouvant porter atteinte à la
sécurité du Service canadien des pénitenciers; il
allègue avoir été victime d'actes illégaux de la part
de la Gendarmerie royale du Canada au motif que
son associé a été victime de tels actes.
Ces allégations sont de nature personnelle. Elles
ne s'appliquent pas, d'une façon générale, aux
membres de la Law Union de l'Ontario et ne
peuvent être invoquées en ce qui concerne l'un
quelconque ou tous les membres de cette
association.
Par conséquent, la requête de Me Copeland agis-
sant à titre de représentant au nom de tous les
membres de la Law Union de l'Ontario, n'a pas été
présentée à bon droit et je l'ai entendue comme si
elle avait été présentée en son nom personnel
exclusivement.
Par conséquent, en ce qui concerne les membres
de la Law Union de l'Ontario, la requête est
rejetée.
L'avocat de Me Copeland, conformément aux
allégations de ce dernier dans son affidavit sus-
mentionné, a prétendu que Me Copeland avait été
victime d'activités illégales de la Gendarmerie
royale du Canada, activités susceptibles d'intéres-
ser la Commission; de fait, Me Copeland a réclamé
une telle enquête et l'on a indiqué, à titre provi-
soire, que ces questions seraient examinées en
temps opportun, s'il y avait lieu.
Par conséquent, l'avocat de Me Copeland a fait
valoir que ce dernier avait le droit de voir ses
allégations portant sur les activités illégales de la
Gendarmerie royale du Canada à son égard faire
l'objet d'une enquête par un jury tout à fait
impartial.
L'avocat de Me Copeland a ensuite allégué que
ce dernier pouvait raisonnablement craindre que la
Commission puisse ne pas agir d'une manière com-
plètement impartiale, ce qui constituerait un motif
de récusation.
L'affidavit présenté à l'appui de la requête ren-
ferme de nombreuses allégations; y sont annexées
des pièces si nombreuses que, pour les identifier,
les vingt-six lettres seules de l'alphabet n'ont pas
suffi, il a fallu les combiner. La teneur de ces
allégations se résume comme suit.
Avant sa nomination, monsieur le juge McDon-
ald avait été, en Alberta, un partisan et un militant
du parti politique qui constitue l'actuel gouverne-
ment du Canada, responsable de la nomination des
trois Commissaires. L'esprit de parti de MM.
Rickerd et Gilbert ont fait l'objet d'allégations
semblables. Il est en outre allégué qu'après sa
nomination, monsieur le juge McDonald a accom-
pagné, à titre de journaliste, le premier ministre
actuel dans un avion privé de type DOT, au cours
d'un voyage officiel en Orient. On a également
allégué que MM. Rickerd et Gilbert entretenaient
des relations personnelles et d'affaires très étroites
avec des membres du Cabinet, particulièrement
avec le Solliciteur général de l'époque de qui rele-
vait la Gendarmerie royale du Canada. On prétend
que la Commission a avancé l'opinion selon
laquelle les prétendues activités illégales de la
Gendarmerie royale du Canada pouvaient se justi-
fier au nom de la sécurité nationale. Entre autres
fonctions, la Commission doit déterminer dans
quelle mesure les membres du gouvernement, du
Cabinet et du parti libéral étaient au courant,
avaient autorisé ou avaient pris part, de toute
autre manière, aux activités illégales de la Gendar-
merie royale du Canada.
Ces allégations ont fait l'objet de nombreux
articles de journaux; elles ont été largement diffu
sées à cause de l'intérêt qu'elles suscitaient. Les
articles de journaux pertinents font partie des
pièces annexées à l'affidavit.
De plus, il est allégué que ces circonstances
peuvent faire naître la crainte raisonnable que la
Commission ne servira qu'à disculper la Gendar-
merie royale du Canada et les membres du gouver-
nement et que Me Copeland, à titre de victime de
ces activités, ne peut s'attendre à ce qu'une com
mission formée de membres ainsi nommés, agisse
de façon juste à son égard.
Le plus récent critère de partialité applicable a
été étudié par le juge en chef Laskin dans les
motifs de l'arrêt Committee for Justice and
Liberty c. L'Office national de l'énergie [1978] 1
R.C.S. 369. Le juge Laskin, parlant au nom de la
majorité de la Cour suprême du Canada, déclare à
la page 391:
[La participation antérieure du Président de l'Office] ne peut, à
mon avis, que donner naissance, chez des personnes assez bien
renseignées, à une crainte raisonnable de partialité dans l'ap-
préciation des questions à trancher sur une demande en vertu
de l'art. 44.
Cette Cour en définissant ainsi le critère de la crainte
raisonnable de partialité, comme dans l'arrêt Ghirardosi c. Le
Ministre de la Voirie de la Colombie-Britannique ([1966]
R.C.S. 367), et aussi dans l'arrêt Blanchette c. C.I.S. Ltd.
([1973] R.C.S. 833), (où le juge Pigeon dit ... qu'aune crainte
raisonnable que le juge pourrait ne pas agir d'une façon com-
plètement impartiale est un motif de récusation») reprenait
simplement ce que le juge Rand disait dans l'arrêt Szilard c.
Szasz ([1955] R.C.S. 3), aux pp. 6-7, en parlant de [TRADUC-
TION] «la probabilité ou la crainte raisonnable de partialité
dans l'appréciation ou le jugement, quelque involontaire qu'elle
soit». Ce critère se fonde sur la préoccupation constante qu'il ne
faut pas que le public puisse douter de l'impartialité des
organismes ayant un pouvoir décisionnel, et je considère que
cette préoccupation doit se retrouver en l'espèce puisque l'Of-
fice national de l'énergie est tenu de prendre en considération
l'intérêt du public.
La majorité a conclu que M. Crowe, le Prési-
dent de l'Office national de l'énergie, faisait l'objet
d'une crainte raisonnable de partialité à cause de
son association antérieure avec une partie compa-
raissant devant l'Office. Des circonstances sembla-
bles s'appliquaient dans la décision Szilard c.
Szasz.
La jurisprudence abondante sur ce sujet utilise
alternativement, sans faire de distinction, les
expressions «crainte raisonnable de partialité»,
«soupçon raisonnable de partialité» et «réelle pro-
babilité de partialité».
Dans ses motifs de dissidence auxquels ont sous-
crit les juges Martland et Judson dans la décision
concernant l'Office national de l'énergie, le juge
de Grandpré a appliqué le même critère que le
juge en chef Laskin mais a conclu en sens con-
traire quant à l'issue du pourvoi.
Le juge de Grandpré déclare aux pages 394 et
395:
... la crainte de partialité doit être raisonnable et le fait d'une
personne sensée et raisonnable qui se poserait elle-même la
question et prendrait les renseignements nécessaires à ce sujet.
Il ne peut voir:
... de différence véritable entre les expressions que l'on
retrouve dans la jurisprudence, qu'il s'agisse de «crainte raison-
nable de partialité», «de soupçon raisonnable de partialité», ou
«de réelle probabilité de partialité». Toutefois, les motifs de
crainte doivent être sérieux et je suis complètement d'accord
avec la Cour d'appel fédérale qui refuse d'admettre que le
critère doit être celui d'aune personne de nature scrupuleuse ou
tatillonne».
Je ne vois aucune différence de principe dans les
motifs de jugement du juge en chef Laskin et ceux
du juge de Grandpré; mais le fait que le juge de
Grandpré parle d'une «réelle probabilité de partia-
lité», alors que la majorité a exclu cette formule,
est révélateur.
Il se peut qu'un cas de «réelle probabilité de
partialité» impose, à une personne qui demande un
bref de prérogative, des critères plus élevés qu'un
cas de «crainte raisonnable de partialité»; mais,
compte tenu du silence de la majorité sur les
critères à appliquer dans un cas de «réelle probabi-
lité de partialité», une formule comme celle qui
consiste à se demander si «un homme raisonnable
pourrait conclure à une probabilité de partialité»,
qui a été très souvent émise, peut ne pas constituer
un exposé juste du droit.
Par conséquent, une question se pose immédiate-
ment, savoir quels sont les points litigieux à être
tranchés par la Commission.
Pour qu'il existe un point litigieux à trancher, il
doit y avoir lis inter partes, c'est-à-dire un litige
entre les parties à être tranché par la Commission.
Lord Simonds dans Labour Relations Board of
Saskatchewan c. John East Iron Works Ltd.
[1948] 4 D.L.R. 673, déclarait à la page 680:
[TRADUCTION] C'est une vérité d'évidence que de dire que la
fonction judiciaire est intrinsèquement liée à l'idée de poursui-
tes entre des parties ... .
Ainsi, en cas de lis inter partes, on parle d'une
fonction judiciaire en ce qui concerne les tribunaux
judiciaires et, de même, en ce qui concerne un
tribunal dont la fonction est plus justement décrite
comme étant une fonction quasi judiciaire.
Inversement, s'il n'y a aucun point litigieux ou
lis à trancher, alors la fonction du tribunal est une
fonction administrative et les principes de justice
naturelle, particulièrement le concept de partialité
que l'on retrouve en common law, ne s'appliquent
pas à ce tribunal avec la même force et vigueur
qu'à un tribunal quasi judiciaire dont le devoir est
de trancher un quasi-lis.
Incidemment, il existait un tel quasi-lis dans
l'arrêt Committee for Justice and Liberty c. L'Of-
fice national de l'énergie (précité). La question qui
se posait alors à l'Office était de savoir s'il devait
délivrer, à un requérant, un certificat au sujet d'un
projet de pipe-line dans la vallée du Mackenzie
bien que d'autres parties intéressées, reconnues
comme telles par l'Office, y aient été opposées.
Dans Guay c. Lafleur [1965] R.C.S. 12, le juge
Cartwright (alors juge puîné) a déclaré que la
maxime audi alteram partem (l'un des principes
les plus importants de justice naturelle) ne s'appli-
que pas à un agent d'administration dont la fonc-
tion consiste simplement à recueillir des renseigne-
ments et à faire un rapport et qui n'a aucunement
le pouvoir d'imputer une responsabilité ni de
rendre une décision portant atteinte aux droits des
parties.
Dans In re Pergamon Press Ltd. [1970] 3
W.L.R. 792, la Cour d'appel de l'Angleterre a
conclu que des inspecteurs chargés d'enquêter sur
les affaires d'une compagnie en vertu d'une législa-
tion sur les compagnies avaient carte blanche pour
procéder comme ils l'entendaient dans la mesure
où ils le faisaient de façon juste; par conséquent, ils
devaient donner à toute personne qui pouvait éven-
tuellement être condamnée ou critiquée dans leur
rapport, l'occasion de répondre à ce qui était allé-
gué contre elle.
Dans l'ancienne Loi sur les compagnies fédérale,
ce droit faisait l'objet d'une disposition législative
précise.
Mais lord Denning M.R., dans un style très
personnel, à la fois précis et incisif, a déclaré [à la
page 797]:
[TRADUCTION] Ils [les inspecteurs] ne sont même pas un
organisme quasi judiciaire car ils ne décident rien, ne détermi-
nent rien.
Par conséquent, un tribunal est soit quasi judi-
ciaire soit administratif de par ses fonctions et ses
pouvoirs. La catégorie à laquelle il appartient revêt
une importance essentielle lorsqu'il s'agit de déter-
miner les principes de justice naturelle, en common
law, applicables; on doit également tenir compte
de la loi constitutive du tribunal.
La Commission d'enquête en cause, dont les
intimés sont membres, a été constituée en vertu de
la Loi sur les enquêtes, S.R.C. 1970, c. I-13,
comme l'indique l'intitulé de la cause. Le décret
C.P. 1977-1911 nommait les intimés Commissaires
en vertu de la Partie I de la Loi sur les enquêtes.
Aux termes du décret, les fonctions des Com-
missaires sont les suivantes:
(a) conduire telles enquêtes que les Commissaires peuvent
juger nécessaires dans le but de déterminer l'étendue et la
fréquence de pratiques d'enquête et autres gestes non autori-
sés ou prévus par la loi, impliquant des membres de la
Gendarmerie royale du Canada, et, à cet égard, d'examiner
les politiques et procédures pertinentes qui régissent les
activités de la Gendarmerie royale du Canada dans l'accom-
plissement de la tâche qui est sienne de protéger la sécurité
du Canada;
(b) faire rapport des faits qui ont entouré toute pratique
d'enquête ou autre geste qui n'était pas autorisé ou prévu par
la loi, impliquant des personnes qui étaient alors membres de
la Gendarmerie royale du Canada tel qu'il pourra être établi
devant la Commission, et de faire les recommandations quant
à toute action subséquente que de l'avis des Commissaires
l'intérêt public rend nécessaire et opportune; et
(c) faire des recommandations et présenter à cet effet les
rapports qu'ils jugent nécessaires et opportuns dans l'intérêt
du Canada, quant aux politiques et procédures qui régissent
les activités de la Gendarmerie royale du Canada dans
l'accomplissement de la tâche qui est sienne de protéger la
sécurité du Canada, quant aux mécanismes requis pour la
mise en oeuvre de ces politiques et procédures, et finalement
quant à l'à-propos des lois du Canada dans la mesure où elles
s'appliquent à ces politiques et procédures, eu égard aux
impératifs de sécurité du Canada.
Je n'ai pas repris la partie introductive et les
dispositions en matière de procédure.
Aux termes du paragraphe (a), la Commission
doit «conduire telles enquêtes» et «déterminer»
l'étendue et la fréquence «de [certaines] pratiques
d'enquête» et «examiner» certaines politiques de la
Gendarmerie royale du Canada.
Aux termes du paragraphe (b), la Commission
doit «faire rapport des faits», et «faire les recom-
mandations quant à toute action subséquente que
de l'avis des Commissaires l'intérêt public rend
nécessaire et opportune».
Aux termes du paragraphe (c), la Commission
doit «faire des recommandations et présenter à cet
effet les rapports qu'[elle] juge nécessaires et
opportuns».
Les dispositions du décret en matière de procé-
dure, dispositions qui n'ont pas été reproduites,
prévoient que les Commissaires doivent faire «rap-
port au Gouverneur en conseil».
Les expressions clefs qui caractérisent les fonc-
tions de la Commission sont les suivantes: «con-
duire telles enquêtes», «examiner», «faire rapport
des faits» et «faire les recommandations» qui
s'imposent.
Ainsi, la Commission n'est, au dernier degré,
qu'un organisme chargé de faire enquête, de faire
rapport et de faire les recommandations nécessai-
res.
Reprenant la citation de lord Denning M.R.,
pour l'appliquer aux Commissaires en cause, je
dirai qu'ils ne sont même pas un organisme quasi
judiciaire, car ils ne décident rien, ne déterminent
rien.
La Commission fait rapport au Gouverneur en
conseil et c'est à lui que revient la tâche de décider
ce qui doit être fait. Il peut mettre à exécution les
recommandations formulées dans le rapport, en
tout ou en partie, ou il peut le mettre au rancart.
Les mesures à prendre dépendent exclusivement de
lui.
Il existe des différences telles entre un juge
siégeant en matière de procédures judiciaires et un
organisme qui est chargé de faire enquête et de
faire des recommandations et qui, à ce titre, ne
peut être autre qu'un organisme administratif,
indépendamment du fait que les deux tiennent des
auditions, que les normes de partialité que l'on
retrouve en common law ne peuvent s'appliquer à
l'organisme administratif.
A mon avis, le fait que la Commission puisse
être partiale est non pertinent et ce, malgré une
décision qui reconnaîtrait cette partialité (mais je
n'émets aucune conclusion en ce sens).
En avançant cette théorie, j'ai tenu compte du
commentaire émis dans In re Pergamon Press
(précitée) selon lequel les inspecteurs nommés en
vertu d'une législation sur les compagnies doivent
donner à toute personne qu'ils s'apprêtent à con-
damner ou à critiquer «l'occasion de répondre à ce
qui a été allégué contre elle».
Dans Maxwell c. Department of Trade and
Commerce (Times newspaper L.R., le 25 juin
1974) la Cour d'appel s'est prononcée sur la même
enquête que celle dont a traité l'affaire Pergamon
Press et a refusé d'appliquer tout autre critère que
celui voulant que les inspecteurs fassent preuve
[TRADUCTION] «de leur mieux, d'impartialité».
Si une personne se trouve lésée à la suite d'une
décision qui aurait dû être rendue sur une base
quasi judiciaire, alors cette personne, à mon avis,
peut avoir recours à des procédures comme un bref
de certiorari ou à un examen judiciaire de cette
décision conformément à l'article 28 de la Loi sur
la Cour fédérale.
Mais si une personne est lésée par suite d'une
décision qui doit être rendue par des arbitres qui
doivent faire preuve, de leur mieux, d'impartialité,
alors le recours est de nature politique et non
judiciaire.
Cela étant, cette théorie s'applique avec beau-
coup plus de vigueur à un tribunal qui ne rend pas
de décision.
L'avocat de Me Copeland s'est fortement appuyé
sur la décision de la Cour suprême Saulnier c.
Commission de police du Québec [1976] 1 R.C.S.
572, pour étayer sa théorie selon laquelle bien que
les Commissaires intimés n'auraient aucune déci-
sion à prendre, leurs recommandations formeraient
ou pourraient former la base d'une action judi-
ciaire par le Gouverneur en conseil, action qui
pourrait être préjudiciable aux droits de Me Cope-
land. Le juge Pigeon, parlant au nom de la Cour, a
fait une distinction entre cette dernière décision et
la décision Guay c. Lafleur (aux pages 578 et
579):
Avec respect, je dois dire que la fonction de la Commission
n'est pas du tout celle de l'enquêteur en cause dans Guay c.
Lafleur. Cet enquêteur était uniquement chargé de recueillir
des renseignements et des éléments de preuve. Le ministre du
Revenu national pouvait bien ensuite se servir des preuves
documentaires recueillies, mais non des conclusions de l'enquê-
teur. C'est pourquoi l'on a décidé que l'enquêteur pouvait
refuser de permettre au contribuable visé d'être présent ou
représenté au genre d'enquête prévu par la Loi de l'impôt sur le
revenu. Toute autre est la situation sous la Loi de police dont
l'art. 24 se lit comme suit:
24. La Commission ne peut, dans ses rapports, blâmer la
conduite d'une personne ou recommander que des sanctions
soient prises contre elle à moins de l'avoir entendue sur les
faits qui donnent lieu à un tel blâme ou à une telle recom-
mandation. Toutefois cette obligation cesse si cette personne
a été invitée à se présenter devant la Commission dans un
délai raisonnable et si elle a refusé ou négligé de le faire.
Cette invitation est signifiée de la même façon qu'une assi
gnation en vertu du Code de procédure civile.
Ce texte démontre que sous ce rapport essentiel, la Loi de
police diffère radicalement de la Loi de l'impôt sur le revenu.
Si l'on a statué que celle-ci ne donne pas lieu à l'application de
la règle audi alteram partem, c'est qu'on en est d'abord venu à
la conclusion que le genre d'enquête qui y est prévu n'implique
aucune conclusion ou adjudication sur les droits du contribua-
ble visé. Au contraire, la Loi de police, en outre de reconnaître
expressément l'application de la règle audi alteram partem, fait
voir clairement que le rapport d'enquête peut avoir des consé-
quences importantes sur les droits des personnes qui en font
l'objet. Il ne me paraît pas nécessaire de m'étendre sur ce
point-là car je n'arrive pas à comprendre comment on peut
soutenir qu'il ne s'agit pas d'une décision qui porte atteinte aux
droits de l'appelant, alors qu'elle veut qu'il soit dégradé de son
poste de directeur du service de police de la ville de Montréal et
que les procédures ultérieures ont pour seul but de fixer le
grade inférieur auquel il doit être assigné, c'est-à-dire l'ampleur
de la dégradation.
A mon avis, c'est à bon droit que M. le juge Casey, dissident,
a écrit avec l'agrément de M. le juge Rinfret:
[TRADUCTION] Je crois que le cas de Lafleur se distingue
clairement de celui que l'on examine actuellement. Dans
Lafleur, la Cour suprême avait à considérer la Loi de l'impôt
sur le revenu fédérale—ici il s'agit d'une loi du Québec. Dans
cette affaire-là, on devait décider de l'application de la
doctrine audi alteram partem: en l'espèce, l'art. 24 de la Loi
l'énonce expressément. Enfin on y mentionnait que [TRA-
DUCTION] »... l'appelant n'a aucun pouvoir de définir les
droits et obligations de cette personne (l'intimé)». A mon
avis, l'appelante (c.-à-d. la commission) a précisément agi en
ce sens.
L'appelante a rendu une décision qui peut nuire beaucoup
à la réputation et l'avenir de l'intimé sinon les détruire.
Quand je lis les premier et quatrième considérants et les
conclusions de la sixième recommandation et quand je me
rappelle que le seul but de ces rapports est de présenter des
faits et des recommandations d'après lesquels normalement
le Ministre agira, l'argument qu'aucun droit n'a été défini et
que rien n'a été décidé est pur sophisme.
Dans l'affaire Saulnier, l'enquête portait sur la
conduite de Saulnier en sa qualité de policier en
vertu de la disposition statutaire pertinente. La
Cour a conclu que le rapport, contre lequel il
n'existait pas de droit d'appel, avait porté atteinte
à ses droits alors que dans l'affaire Lafleur, les
droits de la personne qui faisait l'objet de l'enquête
aux termes de la Loi de l'impôt sur le revenu sont
demeurés intacts, puisque le droit de comparaître
devant un tribunal lui était accordé par voie d'ap-
pel de toute cotisation éventuelle par suite de
renseignements accumulés par l'enquêteur.
En l'espèce, ce n'est pas la conduite de M»
Copeland, mais celle de la Gendarmerie royale du
Canada, qui fait l'objet de l'enquête, et bien qu'il
n'existe pas de droit d'appel, aucun rapport ne sera
fait sur la conduite de Me Copeland. Je ne vois pas
comment les droits personnels ou les intérêts de Me
Copeland pourraient être lésés à la suite de l'en-
quête ou de toute action instituée par le Gouver-
neur en conseil à la suite du rapport que la Com
mission présentera éventuellement. Tout au plus
Me Copeland sera-t-il appelé à témoigner à quel-
que stade de l'enquête, en quel cas il pourra, sans
aucun doute, bénéficier des mêmes droits et des
mêmes garanties que tout autre témoin.
Au cas où un rapport défavorable serait fait
contre Me Copeland en qualité de témoin, il aura
également droit à la protection de l'article 13 de la
Loi sur les enquêtes, c'est-à-dire qu'il aura le droit
d'être informé de l'accusation de mauvaise con-
duite portée contre lui et qu'il aura le droit de se
faire entendre en personne ou par un avocat plai-
dant en son nom. Mais c'est là la limite de ses
droits en ce qui concerne la présentation d'un
rapport défavorable. Bien que ces droits soient
prévus dans un texte législatif, ils sont, à mon avis,
identiques à ceux retenus par la Cour d'appel en
l'absence d'une disposition statutaire semblable
dans Pergamon Press.
Par conséquent, le requérant n'a pas gain de
cause et la requête est rejetée avec dépens.
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