A-823-77
AGIP S.p.A. (Requérante)
c.
La Commission de contrôle de l'énergie atomique,
le ministre de l'Énergie, des Mines et Ressources,
le ministre de l'Industrie et du Commerce, le
Secrétaire d'État aux Affaires extérieures et
Madawaska Mines Limited (Intimés)
Cour d'appel, le juge en chef Jackett, le juge Le
Dain et le juge suppléant MacKay—Toronto, le 20
avril; Ottawa, le 25 avril 1978.
Pratique — Requête présentée à l'occasion d'une demande
visant l'annulation de la présente demande et d'une autre
demande en vue de la récusation du juge — La requérante
invoque qu'un paragraphe, des motifs de jugement rendus par
le juge sur la requête introduite par la requérante dans la
demande présentée en vertu de l'art. 28, indiquait que le juge
avait déjà décidé que l'affaire ne relevait pas de l'art. 28 —
Existe-t-il un motif d'exclusion ou d'opposition juridique
empêchant le juge de siéger? — Règles 324 et 1100 de la Cour
fédérale — Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), c.
10, art. 28.
Avant les débats sur les requêtes visant l'annulation de la
présente demande et de celle présentée en vertu de l'article 28,
l'avocat de la requérante, avec la permission de la Cour, s'est
opposé à la présence du juge en chef par voie de requête. On a
invoqué que ceux qui liraient les motifs du jugement rendus par
le juge en chef sur une requête introduite pour le compte de la
requérante dans la demande présentée en vertu de l'article 28,
pourraient en interpréter un paragraphe en particulier comme
indiquant que le juge en chef s'était déjà formé une opinion que
la demande ne tombait pas dans le champ d'application de
l'article 28. La question est de savoir s'il existe un motif
d'exclusion ou une opposition juridique relevant le juge en chef
de son devoir de siéger et d'agir comme membre de la Division
de la Cour désignée pour traiter de ces requêtes en annulation.
Arrêt: la requête contenant l'opposition est rejetée. Lorsque
la Cour constate l'existence d'un problème grave relatif à sa
compétence et qui devrait être soulevé au début des procédures,
l'action pertinente consisterait à donner à toute partie intéres-
sée la possibilité de se faire entendre en vertu de la Règle
1100(2). Cependant, lorsque à l'examen des documents pro-
duits devant elle à un stade préliminaire, la Cour constate la
plausibilité d'un problème semblable, mais constate aussi que
celui-ci pourrait disparaître à la lumière d'autres documents se
trouvant entre les mains des parties mais non produits devant la
Cour, il est plus pertinent de suggérer aux parties de résoudre
l'affaire par une demande présentée en vertu de la Règle
1100(1). On pourrait faire de vive voix sans douter de la
justesse de cette action, une suggestion semblable lors de
l'audition d'une demande interlocutoire. Dans le cas où la
demande interlocutoire est faite par écrit en vertu de la Règle
324, l'insertion d'une suggestion semblable dans les motifs du
jugement donnerait le même résultat.
Arrêt mentionné: Nord-Deutsche Versicherungs Gessell-
schaft c. La Reine [1968] 1 R.C.É. 443.
DEMANDE.
AVOCATS:
W. L. N. Somerville, c.r., et B. Keith pour la
requérante.
W P. Elcock, P. Evraire et G. W. Ainslie,
c.r., pour les intimés autres que Madawaska
Mines Ltd.
R. L. Falby pour Madawaska Mines Ltd.
PROCUREURS:
Borden & Elliot, Toronto, pour la requérante.
Le sous-procureur général du Canada pour
les intimés autres que Madawaska Mines Ltd.
Day, Wilson, Campbell, Toronto, pour Mada-
waska Mines Ltd.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus sur requête par
LE JUGE EN CHEF JACKETT: Le 18 avril 1978,
une lettre à moi adressée en ma qualité de juge en
chef de cette cour a été remise à mon cabinet à
Toronto. Elle se rapporte à la présente demande et
à une autre présentée en vertu de l'article 28; elle
est signée par W. L. N. Somerville, c.r., et en voici
le libellé:
[TRADUCTION] Nous venons de recevoir nos copies des
requêtes introduites par le sous-procureur général du Canada
aux fins de faire annuler les deux demandes initiales présentées
en vertu de l'article 28 dans les procédures susmentionnées.
Des recherches m'ont appris que vous alliez siéger à Toronto
comme membre de la Cour d'appel.
Je comprends très bien que vous pouvez avoir l'intention de
renoncer à siéger comme membre de la Cour entendant les
requêtes en annulation.
Dans le cas éventuel où vous auriez néanmoins l'intention de
siéger, je considère comme de mon devoir d'avocat de vous
aviser d'avance qu'avec déférence je m'opposerai à votre pré-
sence au sein du tribunal appelé à juger lesdites requêtes.
Veuillez croire qu'il m'est pénible de vous faire connaître
mon point de vue. Cependant, dans les motifs du jugement en
date du 15 février 1978 que vous avez rendu sur requête
introduite pour le compte de la requérante dans la demande
présentée en vertu de l'article 28 sous le numéro du greffe
A-823-77, vous vous êtes prononcé, à la page 7, en partie
comme suit:
Sans prétendre comprendre quels sont les points litigieux
par rapport auxquels la requérante cherche à produire des
preuves, je dois dire que les arguments invoqués me portent à
me demander s'il y a ici une décision ou ordonnance au sens
de l'article 28, et je propose aux parties de considérer s'il ne
faudrait pas plutôt déposer une requête en annulation afin de
résoudre la question avant que la matière ne procède plus
avant dans des démarches qui peut-être ne conviennent pas à
des matières régies par l'article 28. Il peut y avoir là matière
à action en déclaration où le demandeur est requis d'énoncer
les faits étayant sa demande, et où il a alors droit à la
communication des pièces.
En l'espèce, il est de mon devoir envers mon client d'enregis-
trer mon opposition avant que les requêtes en annulation ne
soient examinées, au cas où vous feriez partie de la Cour
appelée à entendre lesdites requêtes.'
Lorsque les requêtes précitées sont venues au
rôle du 20 avril 1978, j'étais membre de la Division
de la Cour devant connaître de ces requêtes et M.
Somerville était l'avocat principal de la requé-
rante, qui était la même dans les deux demandes
présentées en vertu de l'article 28. Avant que les
plaidoiries ne commencent sur les requêtes en
annulation, M. Somerville, ayant obtenu la per
mission de la Cour, s'est opposé à ma présence par
voie de requête. Celle-ci a été rejetée à l'unani-
mité, et j'ai dit alors que je déposerais par écrit les
motifs de ma conclusion voulant que la requête soit
rejetée. Je les énumère ainsi qu'il suit:
Les motifs du jugement* rendu le 15 février et
évoqué dans la lettre susmentionnée sont ceux pour
lesquels je statue sur les demandes interlocutoires
dans la présente demande. Ces demandes interlo-
cutoires étaient faites par écrit en vertu de la
Règle 324. Cela est à remarquer, parce que la
pratique de faire faire les demandes interlocutoires
par écrit (plutôt que verbalement en cabinet ou
devant la Cour) est, je crois, inhabituelle, et oblige
parfois à rendre des motifs écrits contenant les
explications de la Cour concernant la détermina-
tion de la requête, ainsi que d'autres observations
judiciaires faites à l'occasion, lesquelles, en cas de
demandes verbales, auraient été habituellement
rendues oralement de manière non formelle pen
dant l'audience. Je joins ci-après tous les motifs du
jugement en question pour éclairer mon raisonne-
ment.
Comme arrière-plan supplémentaire à la
matière, je peux dire qu'à mon avis:
1 11 est indiqué dans la lettre que des copies en ont été
envoyées à l'avocat des autres parties.
* [1979] 1 C.F. 112.
a) la Cour, ayant été créée par une loi, a une
compétence d'attribution, et
b) la Cour a le devoir, lorsqu'elle constate un
réel problème concernant sa compétence, de
s'assurer qu'elle n'est pas manifestement incom-
pétente avant de rendre toute ordonnance ou
tout jugement ayant des effets défavorables pour
toute personne, même si aucune des parties n'a
soulevé la question. 2
Il faut remarquer à cet égard que la Cour a
compétence en vertu de l'article 52a) de la Loi sur
la Cour fédérale, pour mettre fin aux procédures
dans les causes intentées devant elle, lorsqu'elle n'a
pas compétence; et elle peut exercer ce pouvoir «à
tout moment» en vertu de la Règle 1100
(i) sur demande d'une partie, ou
(ii) de sa propre initiative, après avoir donné
aux parties intéressées la possibilité de se faire
entendre.
A mon avis, en ce qui concerne de tels pouvoirs,
lorsque la Cour constate l'existence d'un problème
grave relatif à sa compétence, au stade initial de
l'affaire quand des procédures préliminaires pro-
longées et coûteuses sont à prévoir, elle devrait
prendre toutes mesures nécessaires pour résoudre
le problème dès le début, afin d'éviter, au cas où
elle s'apercevrait subséquemment qu'elle n'avait
pas compétence,
a) des dépenses importantes et inutiles pour les
parties et pour le public,
b) des retards pour les plaideurs dans les
recours réellement ouverts pour faire valoir leurs
droits, et
c) des pertes de temps dans la solution par la
Cour des matières qu'elle est tenue de traiter.
En effet, lorsque la Cour constate l'existence d'un
problème semblable, alors qu'autrement elle ren-
2 Comparer Westminster Bank Limited c. Edwards [1942]
A.C. 529, la page 533. Suivant ma compréhension de la
pratique suivie par la Cour suprême du Canada, elle refuse
d'entendre des appels échappant à sa compétence statutaire et
elle soulève elle-même la question par voie de requête, le cas
échéant. Voir par exemple Griffith c. Harwood (1900) 30
R.C.S. 315, Price Brothers & Co. c. Tanguay (1909) 42 R.C.S.
133, et Canadian Cablesystems (Ontario) Limited c. L'Asso-
ciation des consommateurs du Canada [1977] 2 R.C.S. 740, où
des questions semblables ont été soulevées par la Cour. Compa-
rer Coca-Cola Company of Canada Limited c. Mathews
[1944] R.C.S. 385.
drait une ordonnance interlocutoire ayant des con-
séquences défavorables pour la personne contre
laquelle l'ordonnance est rendue, elle a, à mon
avis, le devoir de s'assurer que la matière relève
bien de sa compétence avant de rendre l'ordonnan-
ce'. Lorsque la Cour constate l'existence d'un
problème grave relatif à sa compétence et qui
devrait être soulevé au début de la procédure,
l'action pertinente consisterait à donner à toute
partie intéressée la possibilité de se faire entendre
en vertu de la Règle 1100(2). Cependant, lorsque à
l'examen des documents produits devant elle à un
stade préliminaire, la Cour constate la plausibilité
d'un problème semblable, mais constate aussi que
celui-ci peut disparaître à la lumière d'autres docu
ments se trouvant entre les mains des parties mais
non produits devant la Cour, il me semble plus
pertinent de suggérer aux parties de résoudre l'af-
faire par une demande présentée en vertu de la
Règle 1100(1). Si les parties étaient devant moi
par suite d'une demande interlocutoire, je ferais
une suggestion semblable de vive voix, sans douter
de la justesse de cette action. A mon avis, dans le
cas où la demande interlocutoire est faite par écrit
en vertu de la Règle 324, l'insertion d'une sugges
tion semblable dans les motifs du jugement donne-
rait le même résultat.
Tout en traitant cette matière d'une façon géné-
rale, je devrais aussi ajouter que la détermination
de la compétence de la Cour au stade de début du
procès dans une demande présentée en vertu de
l'article 28 est spécialement importante lorsqu'on
tient compte:
a) du caractère relativement nouveau de ce
recours statutaire et de l'importance de détermi-
ner son champ d'application de manière décisive
aussitôt que possible afin qu'il n'opère pas
comme un piège pour les plaideurs non avertis,
et
b) de la très importante obligation, imposée à la
Cour par l'article 28(5), d'entendre et juger les
matières relevant de l'article 28(1) «sans délai et
d'une manière sommaire».
3 Comme exemple possible, on peut citer l'ordonnance
demandée par la requérante par avis de requête simultané,
alors qu'il s'agit en fait de communication de documents en la
possession de la Commission de contrôle de l'énergie atomique
et de certains ministres de la Couronne.
En ce qui concerne spécialement le paragraphe
extrait de mes motifs de jugement et reproduit
dans la lettre précitée, lorsque j'interprète lesdits
motifs dans leur ensemble (je n'ai qu'un vague
souvenir des circonstances), il s'agissait d'une
matière qui m'était soumise par voie de demande
d'ordonnances interlocutoires dans des matières
relatées dans l'article 28 et de nature nouvelle,
selon moi. En outre, alors que je me sentais obligé
de rejeter la demande, il était probable qu'il y
aurait d'autres demandes d'ordonnances interlocu-
toires d'autre nature qui n'avaient pas été nécessai-
res antérieurement. Si la Cour, supposée compé-
tente, avait le pouvoir de rendre des ordonnances
semblables, ce serait son devoir de le faire dans les
cas appropriés. Cependant, lorsqu'une question se
pose réellement concernant la compétence de la
Cour, celle-ci devrait la résoudre avant de rendre
lesdites ordonnances. Que la question de compé-
tence se pose véritablement ou non dépendait de
documents non produits devant la Cour, mais pro-
bablement à la disposition des parties. C'est pour-
quoi j'ai proposé à l'avocat d'étudier la possibilité
de présenter une demande en vertu de la Règle
1100(1).
Si je comprends bien la plaidoirie de M. Somer-
ville, il a laissé entendre que certains pourraient
interpréter le paragraphe en question de mes
motifs comme indiquant mon opinion déjà faite
que la demande ne tombait pas dans le champ
d'application de l'article 28. A mon avis, ce que
j'ai dit ne peut pas être interprété de cette façon. 4
Je ne me rappelle pas avoir exprimé mon point de
vue sur la matière et, à lire les motifs que j'ai
rendus, je ne l'ai pas fait.
Dans ces circonstances, je ne vois aucune exclu
sion, opposition juridique ou excuse me relevant de
mon devoir de siéger et d'agir comme membre de
la Division de la Cour désignée pour traiter des
matières inscrites au rôle à Toronto le 20 avril.
Alors que, comme tout autre juge, je ne suis pas
4 En tout cas, à mon avis, des déclarations antérieures relati
ves à une question de droit et rappelées au cours du travail d'un
juge ne dispensent pas celui-ci de siéger lorsque la même
question se pose de nouveau. Comparer Nord-Deutsche Versi-
cherungs Gessellschaft c. La Reine [1968] 1 R.C.É. 443, et les
arrêts y mentionnés. Voir aussi la même référence à la page
(viii). Je me rappelle que dans le cas précité, la Cour suprême
du Canada a rejeté la demande de permission, et non l'appel.
heureux de siéger malgré l'opposition faite à ma
présence, j'ai été d'avis qu'une opposition non
fondée ne me dispensait pas de faire mon devoir.
Je conclus donc que la requête contenant ladite
opposition doit être rejetée.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.