T-4135-77
Bell Canada (Demanderesse)
c.
Le procureur général du Canada, Luc-André Cou-
ture, Robert Simpson MacLellan et Frank Rose-
man (Défendeurs)
Division de première instance, le juge Addy—
Ottawa, les 9 et 15 février 1978.
Pratique — Demande visant la radiation de la déclaration et
subsidiairement de radier une demande de redressement —
Action réclamant un jugement déclaratoire portant que la
Commission sur les pratiques restrictives du commerce a
excédé les limites de sa compétence, ainsi qu'une ordonnance
enjoignant au procureur général d'interdir à la Commission
d'entendre des témoignages — Le procureur général soutient
qu'il n'existe aucune cause raisonnable d'action et que la Cour
fédérale n'a pas compétence en vertu de l'art. 28 de la Loi sur
la Cour fédérale — Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2 e
Supp.), c. 10, art. 18 et 28 — Loi relative aux enquêtes sur les
coalitions, S.R.C. 1970, c. C-23, art. 47.
La demanderesse (intimée dans la présente demande) a
entamé une action devant la Division de première instance
contre le procureur général et les autres défendeurs, en qualité
de membres de la Commission sur les pratiques restrictives du
commerce. La déclaration vise à obtenir un jugement déclara-
toire portant que la Commission a excédé les limites de sa
compétence en enquêtant sur les pratiques et politiques de
l'intimée, et aussi, à obtenir une ordonnance enjoignant au
procureur général d'interdire à la Commission d'entendre des
témoignages et de recevoir des observations concernant les
politiques et les pratiques susmentionnées. Le procureur géné-
ral, défendeur, réclame la radiation de la déclaration aux motifs
qu'elle ne révèle aucune cause raisonnable d'action et que la
Division de première instance n'a pas compétence en vertu de
l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale. Le défendeur
demande subsidiairement que le second redressement sollicité
par la demanderesse soit radié pour les mêmes motifs.
Arrêt: la première demande du défendeur est rejetée, cepen-
dant sa demande subsidiaire est accueillie. Bien que la décision
en l'espèce d'accueillir des éléments de preuve portant sur
certains aspects des opérations de la demanderesse puisse peut-
être révéler un excès de compétence de la part de la Commis
sion, une telle décision n'est pas de celles qui sont susceptibles
d'examen en vertu de l'article 28. Cependant, l'article 18b), de
la Loi sur la Cour fédérale lorsqu'on le rapproche de l'article
18a), accorde à la Cour compétence pour entendre une
demande de jugement déclaratoire contre le procureur général.
En ce qui concerne la compétence de la Cour, rien ne s'oppose à
ce que la demanderesse réclame un jugement déclaratoire
contre la Commission ou le procureur général par voie d'action
ordinaire. Il se peut fort bien qu'un organisme chargé par la loi
d'enquêter sur un certain sujet excède sa compétence et s'ex-
pose à l'intervention de la Cour en entendant des témoignages
portant sur des points totalement étrangers aux objets en vue
desquels il est constitué et qui n'apportent pas de preuve sur les
questions qu'il a pour fonction de trancher. Il est possible que la
demanderesse puisse obtenir, une fois les témoignages rendus,
un jugement déclaratoire portant que la Commission a d'une
manière ou d'une autre excédé sa compétence en enquêtant sur
certaines pratiques ou politiques générales de la demanderesse.
Pour ce motif ni la déclaration ni le premier redressement
demandé ne seront radiés. Le procureur général n'a pas l'auto-
rité nécessaire pour prendre des mesures visant à empêcher la
Commission d'entendre des témoignages ou d'accueillir des
observations d'aucune sorte. La loi ne lui accorde aucun con-
trôle sur la façon dont la Commission remplit ses fonctions
d'enquête, et il serait tout à fait illégal et irrégulier de sa part
de prendre les mesures susmentionnées.
DEMANDE.
AVOCATS:
J. W. Brown, c.r., et C. S. Goldman pour la
demanderesse.
L. Henderson, c.r., et B. Kaiser pour les
défendeurs.
Paul Martineau, c.r., pour la tierce partie.
PROCUREURS:
Blake, Cassels & Graydon, Toronto, pour la
demanderesse.
Gowling & Henderson, Ottawa, pour les
défendeurs.
Martineau, Leclerc, St-Amand & Gravel,
Hull, pour la tierce partie.
Voici les motifs de l'ordonnance rendus en
français par
LE JUGE ADDY: La demanderesse, qui est inti-
mée dans la présente demande, a entamé une
action devant la Division de première instance de
la présente cour contre le procureur général et
aussi contre les autres défendeurs, ces derniers en
leur qualité de membres de la Commission sur les
pratiques restrictives du commerce (ci-après appe-
lée la «Commission»). La déclaration soutient que
la Commission est chargée uniquement d'enquêter
sur toute situation de monopole qui pourrait exis-
ter concernant l'intégration verticale du marché du
matériel de télécommunication au Canada.
Au paragraphe 13a) de sa déclaration, l'intimée
demande un jugement déclaratoire portant que la
Commission excède les limites de sa compétence
en enquêtant sur les pratiques et politiques de
ladite intimée et d'autres compagnies de téléphone
réglementées en ce qui concerne les réseaux de
communications intérieures, ainsi que sur les
motifs ou le caractère désirable de telles pratiques
et politiques. Au paragraphe 13b), elle réclame
une ordonnance enjoignant au procureur général
d'interdire à la Commission d'entendre des témoi-
gnages et de recevoir des observations concernant
les politiques et les pratiques susmentionnées.
Le procureur général, défendeur, et auteur de la
présente demande, réclame la radiation de la
déclaration aux motifs qu'elle ne révèle aucune
cause raisonnable d'action et que la Division de
première instance de la présente cour n'a pas
compétence en vertu de l'article 28 de la Loi sur la
Cour fédérale. Le défendeur demande subsidiaire-
ment que le paragraphe 13b) de la déclaration soit
radié pour les mêmes motifs.
Les avocats des parties ont reconnu que la Com
mission, dans l'exercice des fonctions que lui attri-
bue l'article 47 de la Loi relative aux enquêtes sur
les coalitions', agit en qualité de commission ou
d'office purement administratif, n'a pour mandat
que de faire rapport et n'exerce pas des fonctions
judiciaires ou quasi judiciaires. Je suis aussi de cet
avis. (Voir O'Connor c. Waldron 2 .)
Lorsque les fonctions essentielles d'un office ou
d'une commission sont purement administratives
et que sa décision finale n'a pas à être soumise à
un processus judiciaire ou quasi judiciaire, il n'est
habituellement pas nécessaire que ses décisions
provisoires d'ordre procédural ou ses décisions por-
tant sur les questions qui doivent faire l'objet d'une
enquête, soient soumises à un processus judiciaire
ou quasi judiciaire. Lorsque l'on soutient qu'un
préjudice peut résulter de telles décisions, y com-
pris une décision portant sur la compétence, il faut
demander une injonction ou un autre redressement
et non interjeter appel contre la décision en vertu
de l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale
comme l'a avancé l'avocat du procureur général.
Bien que la décision en l'espèce d'accueillir des
éléments de preuve portant sur certains aspects des
opérations de la demanderesse puisse peut-être
révéler un excès de compétence de la part de la
Commission, une telle décision n'est pas de celles
qui sont susceptibles d'examen en vertu de l'article
28. Je ne suis pas d'avis que l'on puisse appliquer à
' S.R.C. 1970, c. C-23.
2 [1935] A.C. 76.
la décision d'entendre des témoignages les paroles
du juge en chef de la présente cour lorsqu'il s'est
prononcé sur le genre de décisions susceptibles
d'examen en vertu de l'article 28 dans Le procu-
reur général du Canada c. Cylien 3 et dans Danmor
Shoe Company Ltd. c. Crosley Shoe Corp. Ltd. °,
savoir «Il va de soi qu'une décision du tribunal,
prise en vertu d"une compétence ou des pouvoirs'
expressément conférés par la loi, est une `décision'
relevant de cette catégorie» (c.-à-d. une décision
susceptible d'examen en vertu de l'article 28).
Cette affirmation ne signifie pas que, parce qu'un
texte législatif permet à une Commission de déci-
der quels témoignages elle entendra afin de rem-
plir ses fonctions d'investigation, un tel pouvoir
rend de ce fait la décision susceptible d'examen en
vertu de l'article 28. La plupart des textes législa-
tifs qui établissent des offices et des commissions
ayant pour fonction d'enquêter accordent le pou-
voir d'entendre et d'étudier des témoignages. Par
conséquent, il convient en l'espèce de procéder
contre la Commission par voie d'action.
Je conclus également que l'article 18b) de la Loi
sur la Cour fédérale, lorsqu'on le rapproche de
l'article 18a), accorde à la Cour fédérale du
Canada compétence pour entendre une demande
de jugement déclaratoire contre le procureur géné-
ral. Je ne crois pas, comme l'a soutenu l'avocat du
requérant, que les mots «notamment toute procé-
dure engagée contre le procureur général du
Canada à l'alinéa b)» désignent un redressement
d'une autre nature puisque, en l'absence de texte
législatif précis, il ne peut être rendu aucune
ordonnance obligatoire ou exécutoire contre la
Couronne ou l'un de ses ministres agissant à ce
titre et que, de ce fait, tous les jugements pronon-
cés contre le procureur général, en sa qualité de
ministre de la Couronne ou de représentant de la
Couronne, doivent être nécessairement déclaratoi-
res ou non exécutoires.
Dans l'affaire The Canadian Fishing Company
Limited c. Smith', les membres de la Commission
sur les pratiques restrictives du commerce étaient
défendeurs dans une action ordinaire et le juge-
ment majoritaire de la Cour suprême du Canada a
déclaré que le demandeur dans ladite action était
3 [1973] C.F. 1166.
^ [1974] 1 C.F. 22.
5 [1962] R.C.S. 294.
fondé à obtenir un jugement déclaratoire contre la
Commission. (Voir le jugement du juge Locke, aux
pages 308 et 309 du recueil susmentionné, auquel
a souscrit la majorité de la Cour.)
Quant à savoir si l'on peut s'opposer, par voie
d'action entamée devant la Division de première
instance en vertu de l'article 18, une décision
d'une commission dont la fonction est d'enquêter,
voir Lingley c. Hickman 6 . Dans Landreville c. La
Reine', bien que sa compétence pour accorder un
jugement déclaratoire n'était pas contestée, la
Cour a déclaré que les parties reconnaissaient cette
compétence, ce sur quoi la Cour n'avait évidem-
ment aucun doute puisqu'elle a accordé un tel
jugement, alors que le consentement ne crée pas la
compétence. De plus, dans Le Conseil de la
Radio-Télévision canadienne c. Teleprompter
Cable Communications Corp.' la Cour d'appel a
déclaré à la page 1269 que la Division de première
instance de la présente cour avait compétence pour
rendre une ordonnance déclaratoire.
Par conséquent, en ce qui concerne la compé-
tence de la Cour, rien ne s'oppose à ce que la
demanderesse réclame un jugement déclaratoire
contre la Commission ou le procureur général par
voie d'action ordinaire.
Quant au redressement recherché, la déclaration
peut laisser croire à première vue que la question
soulevée ne porte que sur l'admissibilité de la
preuve. Si c'était le cas, il est évident qu'un tribu
nal n'interviendrait pas. Cependant, comme l'a
avancé l'avocat de l'intimée, il se peut fort bien
qu'un organisme chargé par la loi d'enquêter sur
un certain sujet excède sa compétence et s'expose à
l'intervention de la Cour en entendant des témoi-
gnages portant sur des points totalement étrangers
aux objets en vue desquels il est constitué, et qui
n'apportent pas de preuve sur les questions qu'il a
pour fonction de trancher. Une telle action ou
intervention de la Cour peut revêtir la forme d'un
jugement déclaratoire aussi bien que d'une
injonction.
Je doute fort que la demanderesse obtiendrait le
redressement réclamé au paragraphe 13a) de la
déclaration. Cependant, étant donné les faits allé-
6 [1972] C.F. 171.
' [1973] C.F. 1223.
8 [1972] C.F. 1265.
gués et compte tenu du libellé de l'article 47 de la
Loi relative aux enquêtes sur les coalitions, je ne
suis pas convaincu qu'il serait impossible à la
demanderesse d'obtenir, une fois les témoignages
rendus, un jugement déclaratoire portant que la
Commission a d'une manière ou d'une autre
excédé sa compétence en enquêtant sur certaines
pratiques ou politiques générales de la demande-
resse et d'autres compagnies ou sur le caractère
désirable de ces pratiques. Pour ce seul motif, ni la
déclaration ni le paragraphe 13a) de ladite décla-
ration ne seront radiés à ce stade préliminaire. Le
principe selon lequel en présence d'un motif liti-
gieux recevable, une demande de cette nature doit
être rejetée, est trop bien établi pour qu'il soit
nécessaire de citer des arrêts et ouvrages à l'appui.
Je ne vois pas le bien-fondé de l'argument vou-
lant que l'existence d'une action non tranchée
puisse empêcher la Commission de remplir ses
fonctions. La simple allégation portant qu'une
commission agit illégalement, même si elle est
faite au cours d'une action, n'est pas un motif
suffisant pour empêcher la Commission de remplir
ses fonctions. Quoi qu'il en soit, cette possibilité ne
constitue certes pas un motif valable justifiant la
radiation de la déclaration.
Quant au paragraphe 13b) de la déclaration, la
Commission sur les pratiques restrictives du com
merce, en exerçant la compétence que lui accorde
l'article 47 de la Loi relative aux enquêtes sur les
coalitions, remplit une fonction que lui impose le
Parlement. Elle a apparemment été saisie réguliè-
rement de l'enquête et, à mon avis, le procureur
général du Canada n'a pas l'autorité nécessaire
pour prendre des mesures visant à empêcher la
Commission sur les pratiques restrictives du com
merce d'entendre des témoignages ou d'accueillir
des observations d'aucune sorte. La loi ne lui
accorde aucun contrôle sur la façon dont la Com
mission remplit ses fonctions d'enquête, et il serait
tout à fait illégal et irrégulier de sa part de prendre
les mesures susmentionnées. Par conséquent, le
paragraphe 13b) sera radié.
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