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A-17-76
Charles Perrault (Appelant)
c.
La Reine (Intimée)
Cour d'appel, les juges Pratte et Le Dain et le juge suppléant Hyde—Montréal, le 15 mars; Ottawa, le 24 avril 1978.
Impôt sur le revenu Calcul du revenu Dividendes L'intimée ajoute la somme de $350,005.50 au revenu de l'ap- pelant à titre de bénéfices qui lui auraient été versés par une compagnie dont il était l'actionnaire majoritaire Le verse- ment devrait-il être imposé à titre de dividende et d'avantage?
Les dispositions sur les liquidations sont-elles applicables?
Le crédit d'impôt pour dividendes devrait-il s'appliquer? Y a-t-il eu transport de biens au sens de l'art. 16(1)? Loi de l'impôt sur le revenu, S.R.C. 1952, c. 148, art. 8(1)b) et c), 16(1) et 137(2).
Il est fait appel d'un jugement de la Division de première instance qui a rejeté l'appel interjeté contre une décision de la Commission de révision de l'impôt, qui avait elle-même rejeté l'appel interjeté par l'appelant contre une cotisation d'impôt sur le revenu. Le point en litige ici est celui de savoir si la somme de $350,005.50, versée à titre de dividende en novembre 1965 par Montreal Terra Cotta Limited, compagnie dont l'appelant était actionnaire majoritaire, à Central Motor Sales Ltd., devrait figurer dans le revenu de l'appelant à l'égard de l'année d'imposition 1965 titre d'avantage dont il aurait bénéficié au sens des articles 8(1)b),c), 16(1) ou 137(2) de la Loi de l'impôt sur le revenu. La susdite somme avait été versée à son tour par la compagnie dernière nommée en paiement d'une créance à son actionnaire majoritaire, la succession Rocheleau, en contre- partie de la susdite somme, Central Motor Sales Ltd. avait transféré les actions qu'elle détenait dans Montreal Terra Cotta Limited à l'appelant.
Arrêt: l'appel est rejeté. On ne peut retenir la prétention de l'appelant selon laquelle les parties à l'accord n'ont jamais entendu obliger juridiquement l'appelant à faire effectuer ledit versement. Cette prétention que le même paiement ne pouvait être doublement imposé, d'une part comme dividende et de l'autre comme avantage est inacceptable. Si pour vendre ses actions à un autre actionnaire, un actionnaire décide de le faire sans forme de paiement d'un dividende en vertu d'un accord comme celui-ci, le résultat sera nécessairement cette double imposition, quelque excessive qu'elle puisse paraître du point de vue fiscal. Rien ne permet de dire que l'actionnaire vendeur n'ait pas reçu un dividende au sens de l'article 6, et rien ne permet de dire que l'actionnaire acheteur n'ait pas reçu un avantage. Un paiement effectué par une compagnie et dont l'effet est d'éteindre une dette d'un actionnaire doit être consi- déré comme un avantage à lui conféré. Ce n'est pas le paiement du dividende qui constitue un avantage, c'est l'effet qui en résulte, et la valeur de ce que l'appelant a réellement reçu en contrepartie de la dette est tout à fait sans importance. Le paiement du dividende n'était pas partie de la liquidation de la compagnie de façon à écarter l'application de l'article 8(1) ou de rendre applicable l'article 81(1). Étant donné que le paie-
ment n'était pas un dividende en ce qui concerne l'appelant, l'impôt qui en résultait ne devrait pas être considéré comme un dividende pouvant bénéficier du crédit d'impôt pour dividendes. Le paiement fait par la compagnie à Central Motor ne doit pas être considéré comme un «paiement ou transport de biens» au sens de l'article 16(1), même si l'on peut dire que ledit paie- ment a été fait selon les instructions ou avec le consentement de l'appelant.
Distinction faite avec les arrêts: Smythe c. Le Ministre du Revenu National [1970] R.C.S. 64; Merritt c. Le ministre du Revenu national [1941] R.C.É. 175; Le ministre du Revenu national c. Pillsbury Holdings Ltd. [1965] 1 R.C.É. 676. Arrêt mentionné: Le ministre du Revenu national c. Bisson [1972] C.F. 719.
APPEL en matière d'impôt sur le revenu. AVOCATS:
Philip Vineberg, c.r., pour l'appelant.
Alban Garon, c.r., et Roger Roy pour
l'intimée.
PROCUREURS:
Phillips & Vineberg, Montréal, pour l'appe- lant.
Le sous-procureur général du Canada pour l'intimée.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE LE DAIN: Il est fait appel d'un juge- ment de la Division de première instance [[1976] 1 C.F. 339] qui a rejeté l'appel interjeté contre une décision de la Commission de révision de l'impôt, qui avait elle-même rejeté l'appel interjeté par l'appelant contre une cotisation d'impôt sur le revenu relative à l'année d'imposition 1965.
Le point en litige ici est celui de savoir si la somme de $350,005.50 versée à titre de dividende en novembre 1965 par Montreal Terra Cotta Limited, compagnie dont l'appelant Charles Per- rault était actionnaire majoritaire, à Central Motor Sales Ltd., devrait figurer dans le revenu de l'appelant à l'égard de l'année d'imposition 1965 à titre d'avantage dont il aurait bénéficié au sens des articles 8(1)b), 8(1)c), 16(1) ou 137(2) de la Loi de l'impôt sur le revenu, S.R.C. 1952, c. 148, modifiée. La susdite somme avait été versée à son tour par la compagnie dernière nommée en paie- ment d'une créance à son actionnaire majoritaire, la succession de A. H. Rocheleau; en contrepartie de la susdite somme, Central Motor Sales Ltd.
avait transféré les actions qu'elle détenait dans Montreal Terra Cotta Limited à l'appelant. Les dispositions susmentionnées de la Loi, applicables à l'année d'imposition 1965, se lisent comme suit:
8. (1) Lorsque, dans une année d'imposition,
a) un paiement a été fait par une corporation à un action- naire autrement qu'en vertu d'une opération commerciale authentique,
b) des fonds ou biens d'une corporation ont été affectés de quelque manière que ce soit à un actionnaire ou à son avantage, ou
c) un bénéfice ou un avantage a été attribué à un actionnaire par une corporation,
autrement
(i) qu'à l'occasion de la réduction de capital, du rachat d'actions, ou de la liquidation, cessation ou réorganisation de son entreprise,
(ii) qu'en payant un dividende sous forme d'actions, ou
(iii) qu'en conférant à tous les détenteurs d'actions ordinai- res du capital de la corporation un droit d'y acheter des actions ordinaires additionnelles,
le montant ou la valeur en l'espèce est inclus dans le calcul du revenu de l'actionnaire pour l'année.
16. (1) Un paiement ou transport de biens effectué selon les instructions du contribuable, ou avec son consentement, à quelque autre personne à l'avantage du contribuable ou consti- tuant un avantage que le contribuable a voulu faire conférer à l'autre personne, doit être inclus dans le calcul du revenu du contribuable, dans la mesure il le serait si le paiement ou le transport lui avait été fait.
137. ...
(2) Lorsqu'une ou plusieurs ventes, échanges, déclarations de fiducie ou autres opérations de quelque nature que ce soit ont pour résultat qu'une personne confère un avantage à un contribuable, cette personne est censée avoir fait au contribua- ble, un paiement égal au montant de l'avantage conféré, nonob- stant la forme ou l'effet juridique des opérations ou le fait qu'une ou plusieurs autres personnes y aient été également parties; et, qu'il y ait eu ou non une intention d'éviter ou d'éluder des impôts prévus par la présente loi, le paiement doit, selon les circonstances, être
a) inclus dans le calcul du revenu du contribuable pour l'application de la Partie I,
b) censé constituer un paiement à une personne non rési- dante à qui s'applique la Partie III, ou
c) censé constituer une disposition à titre de don à laquelle s'applique la Partie IV.
Montreal Terra Cotta Limited (ci-après appelée la «compagnie») était une firme bien établie fabri- quant des produits ut Aisés dans l'industrie du bâti- ment. Elle avait des usines à Pointe-Claire et à Deschaillons, dans la province de Québec. Au cours des années immédiatement postérieures à la
Seconde Guerre mondiale, elle était en pleine pros- périté, mais durant les années 1950 les change- ments technologiques survenus dans le bâtiment lui ont fait perdre la clientèle acheteuse de son principal produit. Les propriétaires de la compa- gnie se sont efforcés sans succès de la vendre au cours des années 1950 et au début des années 1960. En 1962, A. H. Rocheleau, qui en détenait des actions par le truchement de Central Motor Sales Ltd. (ci-après appelée «Central Motor») est décédé; sa succession s'est trouvée à court d'argent pour régler les dettes et les droits successoraux. Vers 1964, pour des raisons de santé, l'appelant a commencé à s'occuper moins activement de la compagnie. Celle-ci avait de lourdes dettes et dans l'année civile expirant le 28 février 1965, elle a subi une perte après dépréciation. En 1964, l'usine de Pointe-Claire a été fermée. On a négocié la vente de la propriété se trouvant dans cette ville. L'usine de Deschaillons a poursuivi ses activités, mais sur une plus petite échelle. On se proposait de vendre le stock sur inventaire, de rembourser les dettes et de liquider l'affaire aussitôt que possible.
M. L. P. Bélair, l'un des experts-comptables de la firme assurant la vérification des comptes de la compagnie et exécuteur testamentaire de la succes sion Rocheleau, a cherché activement durant cette période à vendre l'affaire, tout en veillant aux intérêts de la succession. La liquidation de celle-ci se heurtait à des difficultés financières. Quand la compagnie a réussi à négocier le projet de vente de sa propriété de Pointe-Claire, pour laquelle elle devait recevoir $465,000 comptant, Bélair a conçu l'idée de transférer une partie de ces fonds à l'actif de la succession Rocheleau. A cette époque, les actions de la compagnie se répartissaient comme suit: 273 l'appelant; 193 Central Motor; 24 à Oskar Nômm. Selon les plans, la compagnie rem- bourserait à Central Motor la valeur de ses actions sous forme de dividende, en contrepartie de quoi Central Motor céderait à l'appelant les actions de la compagnie qu'elle détenait. Bélair a rédigé une offre d'achat soumise à la signature de l'appelant et dont voici le texte:
Je, soussigné, offre de me porter acquéreur des actions de Montreal Terra Cotta Limited détenues par Central Motor Sales Co. Ltd. pour un dollar et autres valables considérations.
Comme autre considération, si mon offre est acceptée, je m'engage à faire verser à Central Motor Sales Co. Ltd. la
somme de $350,000 après quoi, les 193 actions de Montreal Terra Cotta Limited devront m'être livrées dûment endossées.
Cette offre est valable jusqu'au 15 août 1965 à midi, date limite la succession devra l'accepter en contresignant la présente lettre. A compter de cette date, la somme de $350,000 devra être versée dans un délai de 90 jours.
Comme gage de ma bonne foi, j'inclus un chèque de $10,000 à l'ordre de la succession. Ce chèque devra m'être remis lors de la finalisation de la transaction.
L'appelant a accepté cette offre le 28 juillet 1965 et, le 12 août 1965, Bélair et l'autre exécu- teur l'ont acceptée au nom de la succession de A. H. Rocheleau. Bélair a également obtenu la signa ture de tous les héritiers. Elle n'a pas été signée au nom de Central Motor. Bélair a conservé le seul exemplaire de l'offre.
En septembre 1965, la compagnie a vendu une partie de la propriété de Pointe-Claire à Elysee Realties Ltd. Le prix était de $465,000, dont $15,000 comptant à la vente. Elle a vendu au prix de $435,000 comptant une autre partie de la pro- priété à la ville de Pointe-Claire. Le produit de cette dernière vente devait permettre de verser le dividende à Central Motor.
En novembre et décembre 1965, les transactions suivantes ont été conclues:
1. le 1 er novembre, l'appelant a versé $1 par chèque à la succession A. H. Rocheleau;
2. le 11 novembre, l'appelant a acheté pour $50,000 les actions de la compagnie détenues par Oskar Nômm;
3. le 15 novembre, le conseil d'administration de la compagnie a tenu une réunion il a décidé de déclarer un dividende de $1,813.50 par action, et l'appelant et Nômm ont renoncé à ce dividende;
4. le même jour, la compagnie a versé à Central Motor une somme de $350,005.50 par chèque endossé au nom de cette dernière compagnie par Bélair et versé au compte de la succession Rocheleau;
5. aux environs du même jour, Central Motor a transféré à l'appelant les actions de la compa- gnie qu'elle détenait;
6. le 30 décembre, la compagnie a versé par chèque $50,000 à Nômm en paiement des actions vendues à l'appelant. Cette somme a été débitée du compte de l'appelant; ce débit a été
annulé et la somme portée aux profits et pertes à la liquidation de la compagnie.
Le 1" décembre 1966, la compagnie a vendu l'usine de Deschaillons à une compagnie nouvelle- ment constituée, Montreal Terra Cotta (1966) Ltd. et a procédé à sa propre liquidation vers la fin de 1966 ou le début de 1967. Lors de la liquida tion, l'appelant, comme seul propriétaire réel, a reçu: a) $60,000 comptant ou à terme (dont $50,000 ont servi à payer les actions de Nômm); b) des actions de la nouvelle compagnie émises à concurrence de $7,000; c) une hypothèque de $400,000 sur la propriété de Deschaillons et; d) le reste de la propriété de Pointe-Claire dont la com- pagnie était rentrée en possession pour cause de défaut de la part d'Elysee Realties Ltd.
En calculant la cotisation de l'appelant à l'égard de l'année d'imposition 1965, on avait inclus dans le revenu la somme de $350,005.50 à titre d'avan- tage conféré audit appelant par la compagnie. Cette cotisation avait été confirmée par le Ministre en vertu de l'article 8(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu. L'appel interjeté devant la Commission de révision de l'impôt a été rejeté, et ce également au motif que le versement de ladite somme par la compagnie à Central Motor conférait à l'appelant un bénéfice ou un avantage au sens de l'article 8(1). La Division de première instance a rejeté l'appel de cette décision pour le motif que l'avan- tage relevait de l'article 16(1) de la Loi.
Selon le savant juge de première instance, la somme de $350,005.50 était «un prix juste et réa- liste» pour les actions. Il a observé en outre que ce montant avait nécessairement été retranché de la valeur totale des actions de la compagnie détenues par l'appelant, y compris celles achetées à Central Motor. Mais après avoir déclaré que les actions acquises par l'appelant devaient être évaluées à la date de leur acquisition et que ce qui était subsé- quemment arrivé à la compagnie n'avait rien à voir dans l'affaire, le savant juge de première instance a déduit d'une comparaison entre les états finan ciers de la compagnie pour les années civiles expi- rant respectivement les 28 février 1965 et 1966, que l'actif propre des actionnaires avait augmenté et qu'en conséquence l'appelant n'avait pas établi n'avoir pas reçu un avantage du fait de l'acquisi- tion des actions. Les passages suivants des motifs du juge font état de cette conclusion [aux pages 353 et 354]:
Le bilan de la Montreal Terra Cotta Limited au 28 février 1965 indiquait un actif propre s'élevant à $967,779.43 incluant le capital versé de $49,000 et l'excédent de capital de $100,- 182.07. Par conséquent, les 490 actions avaient une valeur comptable légèrement inférieure à $2,000 l'unité. Oskar Nômm a reçu $50,000 pour les 24 actions que lui a achetées le demandeur—un généreux paiement à un employé de longue date. La somme de $1,813.50 payée au moyen d'une déclara- tion de dividende pour l'achat par le demandeur des actions de la Central Motor Sales Ltd. semble être un prix juste et réaliste.
Après la déclaration et le versement du dividende, le bilan suivant de la compagnie indique qu'au 28 février 1966, l'actif propre s'élevait à $1,122,912.14. On ne retrouve plus d'excé- dent de capital mais les gains accumulés sont passés de $818,- 597.36 à $1,073,912.14. Il est évident que le demandeur étant alors l'unique actionnaire, l'actif propre, loin d'être diminué, a augmenté.
Par conséquent, rien n'indique que le demandeur n'ait pas réellement joui d'un avantage en acquérant les actions addition- nelles sans les payer personnellement.
L'appelant a attaqué cette conclusion au motif que le juge de première instance avait mal compris le sens de l'évaluation apparente figurant dans les états financiers. Il a fait valoir que l'augmentation de l'actif propre des actionnaires consistait en une augmentation de la valeur comptable des biens corporels, laquelle résultait de transactions intéres- sant la propriété immobilière, intervenues en 1965 et dont l'effet avait été pris en compte dans la détermination du prix à verser pour les actions.
A mon avis, l'appelant est bien fondé à dire qu'en l'espèce il a gagné bien peu en valeur, si tant est qu'il ait gagné quelque chose, par l'acquisition des actions de Central Motor, lorsque par suite du versement du dividende l'actif propre des action- naires a été réduit de $350,000. Mais ceci ne vide pas la question de savoir si l'appelant a bénéficié d'un avantage du fait du versement effectué par la compagnie à Central Motor. En vertu de l'offre d'achat acceptée par la succession Rocheleau, l'ap- pelant était tenu en droit de verser la somme de $350,000 Central Motor. Le paiement de cette somme par la compagnie à Central Motor sous la forme d'un dividende étéignait l'obligation de l'ap- pelant et dans cette même mesure lui conférait un avantage, qu'on peut donc chiffrer à $350,000.
L'avocat de l'appelant s'est efforcé d'affaiblir le sens et l'effet juridiques de l'accord conclu entre son client et la succession Rocheleau en laissant à entendre que cet accord n'aurait pas reflété la
véritable intention de l'appelant. Il a soutenu, se fondant sur la déposition de ce dernier et celle de Bélair, que le premier nommé ne désirait pas acquérir les actions des autres actionnaires, mais qu'il cherchait bien plutôt à vendre ou liquider la compagnie, que le seul but de la formule adoptée était d'aider la succession Rocheleau à surmonter ses difficultés financières et non pas de conférer un avantage à l'appelant. L'avocat a prétendu enfin que ce qui avait été fait pouvait être assimilé à une réduction de capital, au rachat des actions par la compagnie ou à une attribution à la succession Rocheleau de sa part de l'actif de la compagnie comme première étape de la liquidation de l'af- faire. Les témoignages tendent à appuyer certains aspects de cette conception de ce que les parties, dans l'ensemble, se proposaient de faire. Mais cela n'affaiblit pas les termes écrits de l'accord souscrit. Cet accord met à la charge de l'appelant l'obliga- tion de faire verser à Central Motor la somme de $350,000, comme l'indique clairement le membre de phrase «je m'engage à faire verser à Central Motor Sales Co. Ltd. la somme de $350,000». Je ne vois pas comment on pourrait ignorer ce lan- gage, quelque regrettable qu'il puisse être pour l'appelant, et comment on pourrait prétendre que les parties à l'accord n'ont jamais réellement entendu obliger juridiquement l'appelant à faire effectuer ledit versement. L'accord est dépourvu d'ambiguïté, mais même si, pour l'interpréter, on se fie pleinement aux témoignages, ceux-ci n'éta- blissent pas que l'appelant n'entendait pas s'enga- ger lui-même par l'offre souscrite par lui. Quelle qu'ait pu être sa compréhension de la nature et de la finalité de la formule proposée par Bélair, l'ap- pelant a consenti librement à l'offre d'achat dont les termes le lient.
L'appelant a soutenu que la transaction était essentiellement le versement d'un dividende, qu'on devrait imposer en tant que tel ou ne pas imposer du tout. Après son attribution à Central Motor, le dividende n'était pas imposable puisque l'article 28 de la Loi en permettait la déduction en tant que dividende d'une corporation à une autre. En effet, l'appelant soutenait que le même paiement ne pouvait être doublement imposé, d'une part comme dividende et de l'autre comme avantage. A mes yeux, si, pour vendre ses actions à un autre actionnaire, un actionnaire décide de le faire sous forme de paiement d'un dividende en vertu d'un
accord comme celui en cause ici, le résultat sera nécessairement cette double imposition, quelque excessive qu'elle puisse paraître du point de vue fiscal. Rien ne permet de dire que l'actionnaire vendeur n'ait pas reçu un dividende au sens de l'article 6, et rien ne permet de dire que l'action- naire acheteur n'ait pas reçu un avantage. Le premier a reçu un dividende; le second a reçu un avantage puisque le paiement du dividende l'a acquitté de son obligation de verser le prix des actions. Ce n'est pas le paiement du dividende lui-même, mais son effet, qui constitue l'avantage. Il est indéniable qu'un paiement, quelle que soit sa forme, effectué par une compagnie et dont l'effet est d'éteindre une dette ou une obligation d'un actionnaire doit être considéré comme un avantage à lui conféré (voir, par exemple, M.R.N. c. Bisson [1972] C.F. 719, aux pages 726 et 727, 728 et 729). La valeur de ce que l'actionnaire a acquis en contrepartie de la dette ou de l'obligation ne fait rien à l'affaire.
L'appelant fait valoir en outre que l'opération ou la transaction aurait pu être réalisée de diverses manières pour lui éviter l'assujettissement à l'im- pôt, mais nous devons déterminer ce point de l'obligation fiscale dans le contexte de ce qui a réellement été fait. L'opération n'était ni une réduction de capital, ni un rachat d'actions par une compagnie, ni une attribution effectuée à la liqui dation de la compagnie ou quand il a été mis fin à ses affaires. Quant à cette dernière interprétation, l'appelant a soutenu que le paiement fait à Central Motor au bénéfice de la succession Rocheleau était simplement une étape de la liquidation de la com- pagnie, et il a cité à l'appui de cette affirmation la décision de la Cour suprême du Canada dans Smythe c. M.R.N. [1970] R.C.S. 64, à la page 71, le juge Judson, prononçant le jugement de la Cour, a suivi le raisonnement du juge Maclean, de la Cour de l'Échiquier du Canada, dans Merritt c. M.R.N. [1941] R.C.É. 175, aux pages 181 et 182 et a conclu «qu'il y a eu liquidation et cessation de l'entreprise de l'ancienne société, bien qu'il soit apparent qu'il n'y a pas eu de liquidation en bonne et due forme aux termes de la Loi sur les liquida tions ou des dispositions de liquidation de l'Ontario Companies Act». Dans ces deux affaires, les tran sactions considérées avaient eu pour résultat que les compagnies n'avaient plus aucun actif qui leur aurait permis de poursuivre leurs activités. On ne
peut en dire autant ici de la compagnie après le paiement du dividende à Central Motor. Bien qu'on ait parfaitement pu avoir l'intention de la liquider ou de mettre fin à ses activités à bref délai, elle a continué à mener ses affaires, bien qu'à une échelle réduite, tout au long de l'année 1966. Après le paiement du dividende, la compa- gnie avait encore un actif pour poursuivre ses activités, ce qu'elle a fait. Je conclus par consé- quent que le paiement du dividende n'était pas partie de la liquidation de la compagnie ou de la cessation de ses activités de façon à écarter l'appli- cation de l'article 8(1) de la Loi ou à en rendre applicable l'article 81(1), comme c'était le cas dans l'affaire Smythe.
L'appelant a soutenu que le paiement aurait pu être imposable en vertu d'autres dispositions, et en particulier, l'article 138A concernant le dépouille- ment des dividendes. Ces dispositions auraient pu être appliquées au paiement reçu par la succession Rocheleau, en présumant qu'il y ait eu attribution de revenu. Bien que la succession ait été la bénéfi- ciaire de l'avantage, elle n'a pas été imposée à cet égard. C'est cet aspect de l'affaire qui trouble l'appelant, ce qui est compréhensible: le fait que la succession Rocheleau échappe à l'impôt sur un paiement qui manifestement a été effectué à son bénéfice, et que l'appelant soit imposable pour ce paiement en raison de la forme qu'il a revêtue. J'ai beaucoup de sympathie pour ce point de vue, mais je ne vois pas comment éviter une telle consé- quence sans ignorer les termes exprès de l'accord et sans faire violence à la rédaction des dispositions applicables de la Loi de l'impôt sur le revenu. Si la succession Rocheleau était imposable en vertu de l'article 138A ou de quelque autre disposition de la Loi que je ne connais pas, mais dont je vais présumer l'existence, resterait toujours cet argu ment de la double imposition que l'appelant a fait valoir, évoquant l'assujettissement à l'impôt du paiement d'un dividende en vertu de l'article 6. Encore une fois se pose la même question de principe, celle de savoir si un même paiement peut, en vertu des dispositions différentes de la Loi, être deux fois traité comme un revenu à l'égard de deux contribuables. Si le paiement est reçu par l'un, mais a pour effet de conférer un avantage à l'au- tre, alors il donne lieu à deux transferts et encais- sements distincts, et chacun des deux est imposa- ble sur un fondement différent. La somme n'est
pas imposée deux fois dans les mains de la même personne. L'argument de l'appelant revient à pré- tendre que l'économie et l'esprit de la Loi exigent que le paiement ne soit imposé qu'une fois. Je ne vois rien dans la Loi qui dicte ce résultat. L'inci- dence fiscale dépend de la façon dont le contribua- ble arrange ses affaires. Il peut les arranger de façon à devoir le moins d'impôt possible; il peut aussi les arranger malheureusement de façon à en devoir plus qu'il n'est nécessaire.
Enfin, l'appelant soutient que s'il devait être imposé pour le susdit paiement, ce devrait être pour la réception d'un dividende et qu'il devrait bénéficier du crédit d'impôt pour dividendes. Le dividende n'a pas été payé à l'appelant, mais à Central Motor. Le paiement a eu pour effet, en vertu de l'accord d'achat, de conférer un avantage à l'appelant. On ne peut en aucune façon considé- rer l'avantage reçu comme un dividende.
La Couronne s'est appuyée sur les articles 8(1) et 16(1) pour inclure l'avantage en question dans le revenu de l'appelant. Ce dernier a prétendu, invoquant la décision M.R.N. c. Pillsbury Hold ings Limited [1965] 1 R.C.É. 676, aux pages 682 et 683, que l'article 8(1) ne s'appliquait pas aux paiements effectués sous forme de dividende. La réponse à cette allégation, c'est, pour les raisons indiquées plus haut, que l'avantage conféré à l'ap- pelant ne l'avait pas été sous forme de dividende. Il consistait à le libérer d'une dette ou d'une obliga tion, par l'effet du paiement d'un dividende à un tiers. En tant que tel, c'est un avantage conféré à un actionnaire par une corporation au sens de l'article 8(1)c) de la Loi. En ce qui a trait aux dispositions de l'article 16(1), je doute que le paiement fait par la compagnie à Central Motor doive être considéré comme un «paiement ou trans port de biens» au sens dudit article, même si l'on peut dire que ledit paiement a été fait «selon les instructions .. . ou avec [le] consentement» de l'appelant, lequel a seul approuvé le versement du dividende, qui aurait être approuvé par trois administrateurs; mais l'appelant était actionnaire majoritaire de la compagnie, la contrôlait et en conséquence pouvait finalement imposer sa volonté. Le «paiement ou transport de biens» a été effectué en l'espèce sous forme de dividende, et le raisonnement que l'appelant appliquait à l'article
8(1) semble convenir ici. Je ne crois pas que le législateur ait entendu appliquer l'expression préci- tée au paiement d'un dividende, lequel est régi par l'article 6 de la Loi.
Pour les motifs susmentionnés je suis d'avis de rejeter l'appel avec dépens.
LE JUGE PRATTE: J'y souscris.
*
LE JUGE SUPPLÉANT HYDE: Pour les motifs donnés par le juge Le Dain je suis d'avis de rejeter l'appel avec dépens.
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