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A-492-77
Marleny de Fatima Cardona Alvarez (Requé- rante)
c.
Le ministre de la Main-d'oeuvre et de l'Immigra- tion (Intimé)
Cour d'appel, les juges Heald et Le Dain et le juge suppléant MacKay—Toronto, le 18 mai; Ottawa, le 8 juin 1978.
Immigration Expulsion La demande écrite à la Com mission d'appel de l'immigration de motiver sa décision a été rejetée, n'ayant pas été présentée dans les 30 jours comme le prévoit la Règle 19 de la Commission d'appel de l'immigration La Règle 19 est-elle ultra vires eu égard à la Loi sur la Commission d'appel de l'immigration? Le refus de motiver la décision a-t-il pour effet de l'invalider? La Commission a-t-elle omis d'exercer le pouvoir que lui confère l'art. 15 de la Loi pour rendre une décision conforme aux notions de justice? Loi sur la Commission d'appel de l'immigration, S.R.C. 1970, c. I-3, art. 7(3), 8(1), et 15(1) Règles de la Commission d'appel de l'immigration, DORS/67-559, Règle 19.
Il s'agit en l'espèce d'un recours en appel contre une décision de la Commission d'appel de l'immigration qui a débouté l'appelante de son appel d'une ordonnance d'expulsion. L'appe- lante a demandé par écrit à la Commission de motiver sa décision. Sa demande a été rejetée parce qu'elle a été faite après l'expiration du délai de 30 jours à compter de la date de la décision, ainsi que le prévoit la Règle 19 de la Commission d'appel de l'immigration. L'appelante invoque comme moyens d'appel que la Règle 19 des règles est ultra vires eu égard à la Loi sur la Commission d'appel de l'immigration; que le refus de motiver la décision invalide celle-ci; et que la Commission n'a pas exercé le pouvoir que lui confère l'article 15 de la Loi pour rendre une décision conforme aux notions de justice.
Arrêt: l'appel est rejeté. La Règle 19 est incompatible avec l'article 7(3) de la Loi dans la mesure elle fixe un délai pour le dépôt d'une demande de communication des motifs et, à ce titre, elle est ultra vires. Elle limite un droit qui a été accordé sans restriction par l'article 7(3). Si le législateur avait voulu fixer un délai pour le dépôt des demandes de communication des motifs, il aurait expressément habilité la Commission à fixer un tel délai. L'obligation de motiver la décision n'est ni une condition préalable de l'exercice de la juridiction ni un élément de cette décision. C'est une obligation qui découle de la demande faite à l'issue de l'appel. Le refus de motiver la décision ne saurait en l'espèce, ni affecter la compétence de la Commission ni constituer une erreur de droit entachant la décision. Le recours dans ce cas doit être un bref de mandamus visé à l'article 18 de la Loi sur la Cour fédérale. On ne saurait conclure à la suite du refus de motiver pour cause d'expiration du délai fixé par les Règles, que la Commission n'a pas tenu compte du redressement fondé sur des considérations de justice. En l'espèce, rien ne permet de conclure que la Commission, en refusant de motiver sa décision, n'a pas considéré le redresse- ment fondé sur des considérations de justice que prévoit l'article 15.
APPEL. AVOCATS:
Gale Rubenstein pour la requérante. Brian Segal pour l'intimé.
PROCUREURS:
Atlin, Goldenberg, Cohen & Armel, Toronto, pour la requérante.
Le sous-procureur général du Canada pour l'intimé.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE LE DAIN: Il s'agit en l'espèce d'un recours en appel contre une décision du 3 mars 1977 de la Commission d'appel de l'immigration qui a débouté l'appelante de son appel d'une ordonnance d'expulsion prise le 30 avril 1976. Par lettre en date du 13 avril 1977, l'appelante a demandé à la Commission de motiver sa décision. Sa demande a été rejetée parce qu'elle a été faite après l'expiration du délai de trente jours à comp- ter de la date de la décision, ainsi que le prévoit la Règle 19 de la Commission d'appel de l'immigra- tion, DORS/67-559. Voici ce que dit cette règle:
19. Lorsque l'une ou l'autre des parties à un appel demande à la Commission de motiver sa décision, conformément au paragraphe (3) de l'article 7 de la Loi, cette demande doit être faite par écrit et être signée par la personne faisant ladite demande ou par son conseiller et être déposée auprès du registraire dans les trente jours de la date de la décision.
Les moyens invoqués en l'espèce par l'appelante sont les'suivants:
1. La Règle 19 est ultra vires eu égard à la Loi sur la Commission d'appel de l'immigration, S.R.C. 1970, c. I-3, et le refus de motiver la décision invalide celle-ci; et
2. La Commission n'a pas exercé le pouvoir que lui confère l'article 15 de la Loi pour rendre une décision conforme aux notions de justice.
L'article 7(3) de la Loi qui impose à la Commis sion l'obligation de motiver ses décisions, porte:
7. ...
(3) La Commission peut, et doit à la demande de l'une ou de
l'autre des parties à l'appel, motiver sa décision quant à l'appel.
L'article 8(1) de la Loi qui habilite la Commis sion à établir ses propres règles, porte:
8. (1) La Commission peut, sous réserve de l'approbation du gouverneur en conseil, établir des règles non incompatibles avec la présente loi en ce qui concerne son activité et la pratique et la procédure relatives aux appels à la Commission prévus par la présente loi.
La Règle 19 précitée a été établie en vertu de cette autorisation. Il faut admettre que, générale- ment parlant, il s'agit d'une règle concernant l'«activité [de la Commission] et la pratique et la procédure relatives aux appels». J'estime cepen- dant qu'elle est incompatible avec l'article 7(3) de la Loi dans la mesure elle fixe un délai pour le dépôt d'une demande de communication des motifs et qu'à ce titre, elle est ultra vires. Elle limite un droit qui a été accordé sans restriction par l'article 7(3). Elle implique qu'une demande de communi cation des motifs ne peut être faite qu'à l'issue de l'appel. Dans cet ordre d'idées, elle est manifeste- ment incompatible avec l'article 7(3) qui n'impose pas une telle restriction. Si le législateur avait voulu fixer un délai pour le dépôt des demandes de communication des motifs, il aurait expressément habilité la Commission à fixer un tel délai, comme il l'a fait à l'article 19 de la Loi en ce qui concerne le délai d'appel. Sur le plan pratique, un tel délai eût été souhaitable mais le pouvoir d'en fixer un ne peut, à mon avis, se fonder sur l'article 8(1).
La question suivante est celle de savoir si la décision de la Commission est viciée ou invalidée par son refus de la motiver malgré une demande faite après la date de cette décision. Il faut y répondre par la négative. L'obligation de motiver la décision n'est ni une condition préalable de l'exercice de la juridiction ni un élément de cette décision. C'est une obligation qui découle de la demande faite à l'issue de l'appel. Dans ce con- texte, le refus de motiver la décision ne saurait, à mon avis, ni affecter la compétence de la Commis sion ni constituer une erreur de droit entachant la décision. Le recours dans ce cas doit être un bref de mandamus visé à l'article 18 de la Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2 e Supp.), c. 10. Si l'obligation de motiver était antérieure à la déci- sion, on aurait pu invoquer la jurisprudence pour demander l'annulation de cette décision pour défaut de motifs ou pour motifs insuffisants. Mais, en l'espèce, la Commission n'était pas tenue, au
moment de rendre sa décision, de la motiver, cette obligation ayant fait suite à la demande de com munication des motifs.
L'appelante soutient par ailleurs que la Com mission n'a pas, comme l'exige l'article 15(1) de la Loi sur la Commission d'appel de l'immigration, exercé son pouvoir de redressement fondé sur des conditions de justice ou d'ordre humanitaire. Cet argument se dégage non seulement du procès-ver bal d'audience, mais également du refus de la Commission de motiver sa décision. L'appelante n'était pas représentée par avocat lors de l'audition de la Commission. Informée de son droit de se faire assister par un avocat, elle a exprimé le désir de participer à l'audition sans avocat. En l'espèce, elle n'invoque nullement l'absence d'avocat, mais elle semble laisser entendre qu'eu égard aux cir- constances, la Commission était tout particulière- ment tenue à l'obligation de faire ressortir de son témoignage tout ce qui pouvait contribuer à un redressement fondé sur des considérations de jus tice. L'expression «compte tenu de toutes les cir- constances» qui figure à l'article 15(1) signifie peut-être que la Commission doit non seulement considérer toutes les preuves qu'une partie lui soumet de son propre chef, mais aussi s'assurer que toutes les circonstances pertinentes de l'affaire ont été établies et prises en considération. A mon avis, il ressort du procès-verbal d'audience que la Commission s'est efforcée de s'enquérir de toutes ces circonstances et qu'en fait tous les arguments en faveur d'un redressement fondé sur des considé- rations de justice lui ont été exposés. L'avocat qui représente l'appelante devant la Cour reconnaît que tous les faits essentiels ont été soumis à la Commission.
Lors de l'audition, la Commission a posé à l'appelante la question suivante:
[TRADUCTION] Vous nous avez dit pourquoi vous désirez rester au Canada et vous avez répondu aux questions qui vous ont été posées. Y a-t-il autre chose que vous voudriez nous dire en particulier avant que M. Bhabba ne nous présente le point de vue du Ministre?
A la conclusion de l'audition, l'avocat du Ministre a déclaré:
[TRADUCTION] Je tiens par ailleurs à souligner respectueuse- ment que les circonstances qui ont été mises en lumière en l'espèce ne justifient nullement l'octroi d'un redressement. En conséquence, nous prions la Commission d'ordonner l'expulsion de W' Cardona.
A mon avis, il est évident que ces déclarations se rapportent toutes deux au redressement fondé sur des considérations de justice que prévoit l'article 15 de la Loi et qu'elles interdisent de conclure du dossier que la Commission n'a pas considéré un tel redressement. On ne saurait non plus tirer une telle conclusion du refus de motiver pour cause d'expiration du délai fixé par les Règles. Il existe des précédents qui permettent, dans certains cas, de conclure à partir de l'insuffisance des motifs, que le tribunal a commis une erreur de droit, mais il s'agit d'une tout autre question. En l'espèce, rien ne permet de conclure que la Commission, en refusant de motiver sa décision, n'a pas considéré le redressement fondé sur des considérations de justice que prévoit l'article 15.
Par ces motifs, l'appel est rejeté.
* * *
LE JUGE HEALD: Je souscris.
* * *
LE JUGE SUPPLÉANT MACKAY: Je souscris.
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