T-891-76
Haida Helicopters Limited et Haida Industries
Limited (Demanderesses)
c.
Field Aviation Company Limited, C. C. Carru-
thers, R. E. Carruthers, Dominion Helicopters
Ltd., George Gregg et la Reine du chef du Canada
(Défendeurs)
Division de première instance, le juge Mahoney—
Toronto, le 29 mai; Ottawa, le 7 juin 1978.
Compétence — Pratique — Demande concluant au rejet de
la déclaration contre tous les défendeurs à l'exception de la
Reine dans une action en dommages-intérêts pour cause de
rupture de contrat et de faute professionnelle — Installation et
inspection fautives d'un dispositif de chauffage dans un héli-
coptère qui ont entraîné sa destruction par le feu — Action
parallèle devant la Cour suprême de l'Ontario, sauf pour la
défenderesse la Reine — Cette action a été rejetée «sans
préjudice de l'action pendante des demanderesses devant la
Cour fédérale du Canada» — Les défendeurs ont-ils acquiescé
à la compétence de la Cour fédérale de par la position qu'ils
ont prise devant la Cour suprême de l'Ontario? — Loi sur la
Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), c. 10, art. 23 — Règles
419 et 474 de la Cour fédérale.
La Cour a été saisie d'une demande introduite par les
défendeurs, autre que la Reine, ayant pour objet d'invoquer une
exception déclinatoire et de conclure au rejet de la déclaration.
Elle est introduite conformément aux Règles 419 et 474. Il
s'agit d'une action en dommages-intérêts pour cause de rupture
de contrat et de faute professionnelle. Un contrat passé entre
sujets concernait l'installation d'un dispositif de chauffage dans
un hélicoptère, et un deuxième contrat passé entre sujets portait
sur l'inspection après l'installation aux fins de certification de
navigabilité et de bon état de fonctionnement. Les défauts de
l'installation qui n'ont pas été découverts lors d'une inspection
faite de façon fautive ont été à l'origine d'un incendie qui a
détruit l'hélicoptère. Une action parallèle devant la Cour
suprême de l'Ontario, (sauf pour la Reine), a été rejetée .sans
préjudice de l'action pendante des demanderesses devant la
Cour fédérale du Canada». Les requérants s'appuient sur des
dispositions de la Loi sur l'aéronautique, du Règlement de
l'air, et sur l'accord bilatéral entre le Canada et les États-Unis
sur les certificats de navigabilité des aéronefs, alors que les
demanderesses invoquent une exception déclinatoire en se fon
dant sur l'arrêt Quebec North Shore Paper Co. c. Canadien
Pacifique Ltée [1977] 2 R.C.S. 1054.
Arrêt: la requête est accueillie. L'exception déclinatoire est
fondée sur l'arrêt Quebec North Shore Paper Co. c. Canadien
Pacifique Ltée de la Cour suprême du Canada qui a été
invoqué fort à propos bien que dans cet arrêt, l'article 23 de la
Loi sur la Cour fédérale ait été appliqué dans le contexte
d'ouvrages ou d'entreprises s'étendant au-delà des limites d'une
province, alors qu'il s'agit en l'espèce du domaine de l'aéronau-
tique. Bien qu'elle n'en revête pas la forme, l'objection faite par
les demanderesses est essentiellement une fin de non-recevoir.
Une fin de non-recevoir ne saurait faire échec à la loi. Elle ne
saurait conférer à un tribunal une compétence qui n'est pas la
sienne. Même s'il y a eu, devant la Cour suprême de l'Ontario,
acquiescement exprès à la compétence de la Cour fédérale, cet
acquiescement ne suffit nullement à assurer le résultat voulu.
La Cour ne connaît aucun précédent où un tel résultat ait été -
atteint sans l'acquiescement concomitant du tribunal en cause
et des parties.
Arrêts appliqués: Quebec North Shore Paper Co. c. Cana-
dien Pacifique Ltée [1977] 2 R.C.S. 1054; Maritime
Electric Co., Ltd. c. General Dairies, Ltd. [1937] A.C.
610.
REQUÊTE.
AVOCATS:
W. B. Williston, c.r., et J. A. Campion pour
les demanderesses.
K. C. Vaughan et M. J. Melko pour les
défendeurs.
G. R. Garton pour la défenderesse la Reine.
PROCUREURS:
Fasken & Calvin, Toronto, pour les demande-
resses.
Lane, Breck & Associates, Toronto, pour les
défendeurs.
Le sous-procureur général du Canada pour la
défenderesse la Reine.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE MAHONEY: La Cour a été saisie d'une
demande introduite par les défendeurs (ci-après
dénommés les «requérants») autres que Sa Majesté
la Reine, qui ne prend pas position en l'espèce.
Cette demande, introduite conformément aux
Règles 419 et 474, a pour objet d'invoquer une
exception déclinatoire et de conclure au rejet de la
déclaration et de l'action intentée contre eux.
La présente espèce a commencé par une action
en dommages-intérêts pour cause de rupture de
contrat et de faute professionnelle et fondée sur les
faits visés à la déclaration. La première demande-
resse nommée (ci-après dénommée «Helicopters»)
était la locataire et la seconde demanderesse
nommée, la propriétaire d'un hélicoptère immatri-
culé au Canada sous l'indicatif CF-BMK. Helicop
ters a conclu avec la défenderesse Field un contrat
portant vente et installation d'un dispositif de
chauffage à bord du CF-BMK. Ce dispositif a été
installé de façon fautive et contraire aux stipula-
tions du contrat par les deux nommés Carruthers,
employés de Field. Helicopters a également conclu
avec la défenderesse Dominion un contrat confiant
à celle-ci le soin d'inspecter le CF-BMK, après
l'installation du dispositif de chauffage, aux fins de
certification de navigabilité et de bon état de
fonctionnement. Le défendeur Gregg, qui est un
préposé de Dominion, a procédé à l'inspection de
façon fautive et contraire aux stipulations du con-
trat. Il n'a pas découvert les défauts de l'installa-
tion faite par les employés de Field, lesquels ont
été à l'origine d'un incendie qui a éclaté à bord du
CF-BMK en plein vol et l'a détruit à l'atterrissage.
L'exception déclinatoire est fondée sur l'arrêt
Quebec North Shore Paper Company c. Canadien
Pacifique Limitée' de la Cour suprême du Canada
qui, à mon avis, a été invoqué fort à propos bien
que dans cet arrêt, l'article 23 de la Loi sur la
Cour fédérale ait été appliqué dans le contexte
d'ouvrages ou d'entreprises s'étendant au-delà des
limites d'une province, alors qu'il s'agit en l'espèce
du domaine de l'aéronautique.
23. La Division de première instance a compétence concur-
rente en première instance, tant entre sujets qu'autrement, dans
tous les cas où une demande de redressement est faite en vertu
d'une loi du Parlement du Canada ou autrement, en matière de
lettres de change et billets à ordre lorsque la Couronne est
partie aux procédures, d'aéronautique ou d'ouvrages et entre-
prises reliant une province à une autre ou s'étendant au-delà
des limites d'une province, sauf dans la mesure où cette compé-
tence a par ailleurs fait l'objet d'une attribution spéciale.
La Cour suprême s'est prononcée en ces termes,
aux pages 1057 et 1058:
Lorsque l'art. 23 de la Loi sur la Cour fédérale parle d'une
demande de redressement faite «en vertu d'une loi du Parle-
ment du Canada ou autrement», on ne peut donner à ces termes
une interprétation qui leur ferait dépasser la portée de l'expres-
sion «exécution des lois du Canada» à l'art. 101.
Il va sans dire que l'article 101 en question est
celui de l'Acte de l'Amérique du Nord britanni-
que, 1867. 3
101. Le parlement du Canada pourra, nonobstant toute dis
position contraire énoncée dans le présent acte, lorsque l'occa-
sion le requerra, adopter des mesures à l'effet de créer, mainte-
nir et organiser une cour générale d'appel pour le Canada, et
établir des tribunaux additionnels pour la meilleure administra
tion des lois du Canada.
' [1977] 2 R.C.S. 1054.
2 S.R.C. 1970 (2' Supp.), c. 10.
3 30 & 31 Vict., c. 3 (R.-U.).
S'étant penchée sur ce point, la Cour suprême a
conclu, vers la fin de la page 1065, que l'article
101 supposait
l'existence d'une législation fédérale applicable, que ce soit une
loi, un règlement ou la common law, comme dans le cas de la
Couronne, sur lesquels la Cour fédérale peut fonder sa compé-
tence. L'article 23 exige que la demande de redressement soit
faite en vertu de pareille loi.
Dans le cas des requérants, il est hors de doute
que ce sont les règles de droit régissant la Cou-
ronne qui s'appliquent. La compétence de la Cour
s'explique par le fait que la demande de redresse-
ment est fondée sur la législation fédérale.
Il ressort de la plainte que Field et les nommés
Carruthers
[TRADUCTION] ... n'ont pas observé les règles applicables à
l'installation des réchauffeurs à combustion, telles qu'elles sont
prévues notamment à la Partie II, chapitre III, alinéa 3.7.1 et
3.7.2, du Manuel du mécanicien et de l'inspecteur d'aviation, ce
qui constitue une violation de l'article 211(9) du Règlement de
l'air.
Quant à Dominion et Gregg, toujours selon la
plainte,
[TRADUCTION] ... ils ont certifié que le CF-BMK, équipé du
dispositif de chauffage Janitrol, était en état de vol et de bon
fonctionnement, alors qu'ils savaient ou devaient savoir, en cas
d'inspection convenable du CF-BMK, de l'installation du dispo-
sitif de chauffage Janitrol, ainsi que des plans et rapports
susmentionnés, que ledit aéronef n'était ni en état de vol ni en
état de bon fonctionnement et ce, par suite de l'installation du
dispositif de chauffage Janitrol, effectuée de la manière décrite
aux présentes et en violation de l'article 219A du Règlement de
l'air.
Les demanderesses fondent leur action sur la Loi
sur l'aéronautique'', sur le Règlement de l'airs
dont les articles 219A, 211(1),(8) et (9), et sur
l'accord bilatéral entre le Canada et les États-Unis
sur les certificats de navigabilité des aéronefs.
Les demanderesses n'ont pas fait valoir que le
Manuel du mécanicien et de l'inspecteur ou l'ac-
cord bilatéral entre le Canada et les États-Unis sur
les certificats de navigabilité des aéronefs aient
force de loi fédérale. Nulle disposition de fond de
la Loi sur l'aéronautique n'a été citée qui eût pu
servir de fondement au recours contre les requé-
rants. Je n'en ai trouvé moi-même aucune. Il en est
de même des dispositions invoquées du Règlement.
La Cour n'a donc pas compétence pour connaître
de l'action intentée contre les requérants.
4 S.R.C. 1970, c. A-3.
5 DORS/61-10, modifié.
Il ressort de l'affidavit déposé en réplique à la
requête dont la Cour est saisie que la demande-
resse Haida Industries Limited avait intenté le 18
mai 1971 et pour les mêmes motifs, une action
contre les requérants devant la Cour suprême de
l'Ontario. La contestation fut liée le 23 février
1972 et un avis d'audition signifié par les requé-
rants à ladite demanderesse, le 27 janvier 1976. La
présente espèce a été intentée le 2 mars 1976 et, le
24 mars 1976, la Cour suprême de l'Ontario a
rendu une ordonnance portant jonction de parties,
aux termes de laquelle Helicopters est devenue
codemanderesse, la déclaration étant modifiée en
conséquence. Il s'ensuit qu'à compter du 24 mars
1976, il y avait deux actions parallèles, l'une
devant la Cour fédérale et l'autre devant la Cour
suprême de l'Ontario. En ce qui concerne la con-
testation qui opposait les demanderesses aux
requérants, les motifs de plainte et les faits allé-
gués étaient les mêmes dans les deux actions. La
seule différence tient à ce que Sa Majesté était
l'un des défendeurs en l'espèce. Le 26 novembre
1976, la Cour suprême de l'Ontario a fait droit à
une requête des requérants pour débouter les
demanderesses avec dépens, mais «sans préjudice
de l'action pendante des demanderesses devant la
Cour fédérale du Canada».
L'affidavit des demanderesses porte ce qui suit:
[TRADUCTION] Je suis informé par John Campion, avocat
représentant les demanderesses pour contester la fin de non-
recevoir opposée à l'action devant la Cour suprême, et j'ai tout
lieu de croire que, agissant pour le compte des demanderesses
dans l'action devant la Cour suprême, il s'est opposé à la fin de
non-recevoir en faisant valoir qu'en l'espèce, la compétence de
la Cour fédérale pourrait être remise en question. Les avocats
des premiers défendeurs nommés ont estimé que la question de
compétence ne se posait pas à l'égard de l'action devant la Cour
fédérale.
Les demanderesses font valoir que, de par la
position qu'ils ont prise devant la Cour suprême de
l'Ontario, les requérants ont acquiescé à la compé-
tence de la Cour fédérale. Cet argument n'est pas
fondé.
Bien qu'elle n'en revête pas la forme, l'objection
faite par les demanderesses est essentiellement une
fin de non-recevoir. C'est cependant un principe
élémentaire de droit qu'une fin de non-recevoir ne
saurait faire échec à la loi. 6 Elle ne saurait confé-
rer à un tribunal une compétence qui n'est pas la
sienne.
Même s'il y a eu, devant la Cour suprême de
l'Ontario, acquiescement exprès à la compétence
de la Cour fédérale, cet acquiescement ne suffit
nullement à assurer le résultat voulu. Je n'ai trouvé
aucun précédent où un tel résultat ait été atteint
sans l'acquiescement concomitant du tribunal en
cause.' Dans la plupart des cas, cet acquiescement
découle implicitement du fait que le tribunal
entend et juge la cause, avec le consentement des
parties et nonobstant un doute quant à sa compé-
tence. En cas d'acquiescement du tribunal et de
doute bien fondé quant à sa compétence, la juris
prudence considère que le tribunal a fait fonction
d'arbitre plutôt que de tribunal, avec toutes les
conséquences de droit qui découlent d'une telle
situation. En d'autres termes, il statue en qualité
de tribunal privé et non de tribunal public. Il s'agit
là d'une méthode qu'il ne faut pas appliquer à la
légère même dans les conditions les meilleures et
les plus pressantes, et qu'il faut absolument
exclure sans l'accord exprès et total des parties.
Les requérants n'ont pas conclu aux dépens.
La requête sera accueillie et l'action intentée
contre les défendeurs autres que Sa Majesté, reje-
tée sans dépens. Il s'ensuit que la déclaration devra
subir des modifications importantes si les deman-
deresses tiennent à donner suite à leur action
contre Sa Majesté. Au lieu de fixer un délai et de
statuer en détail sur les suppressions et les modifi
cations à opérer sur la déclaration, je me propose
d'autoriser les demanderesses à déposer et à signi-
fier à Sa Majesté une déclaration modifiée et, en
attendant, de suspendre la cause en l'état.
6 Maritime Electric Company, Limited c. General Dairies,
Limited [1937] A.C. 610.
'Les décisions suivantes ont été prises en considération:
Martin c. Cornhill Insurance Co. [1935] 2 D.L.R. 682. Le
procureur général de la Nouvelle-Écosse c. Gregory
(1886) 11 App. Cas. 229. Conant Paints Ltd. c. Clark
[1955] 2 D.L.R. 151. Burgess c. Morton [1896] A.C. 136.
Canadian Pacific Railway Company c. Fleming (1893) 22
R.C.S. 33.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.