A-17-78
Patrick Louhisdon, alias Patrick Louhisdon
Dominique (Requérant)
c.
Emploi et Immigration Canada (Intimé)
Cour d'appel, les juges Pratte, Ryan et Le Dain—
Montréal, les 20 et 22 février et le 13 mars 1978.
Examen judiciaire — Immigration — Rejet par l'enquêteur
d'une requête pour ajourner le prononcé d'une ordonnance
d'expulsion en vue de demander un permis au Ministre confor-
mément à l'art. 8 de la Loi sur l'immigration — L'enquêteur
spécial a-t-il agi illégalement en privant le requérant de la
possibilité de demander un permis au Ministre — Loi sur
l'immigration, S.R.C. 1970, c. I-2, art. 8, 18(1)e)(ii),(iii),(vi) —
Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), c. 10, art. 28.
Le requérant demande l'annulation, en vertu de l'article 28
de la Loi sur la Cour fédérale, de l'ordonnance d'expulsion
prononcée contre lui. L'enquêteur spécial a refusé de se rendre
à la demande du requérant d'ajourner le prononcé de l'ordon-
nance d'expulsion et de déférer l'affaire au Ministre pour qu'il
décide s'il consentait à délivrer un permis en vertu de l'article 8
de la Loi sur l'immigration. On prétend que l'enquêteur
spécial a agi illégalement parce que, ce faisant, il a privé le
requérant de la possibilité d'obtenir un permis en vertu de
l'article 8.
Arrêt (le juge Le Dain dissident): la demande est rejetée.
Cette prétention n'est pas fondée. L'article 8 de la Loi sur
l'immigration n'accorde au Ministre que le pouvoir de décerner
un permis; il ne crée aucun droit en faveur de ceux qui
bénéficient de l'exercice de ce pouvoir. Même si le prononcé
d'une ordonnance d'expulsion prive le requérant de la possibi-
lité d'obtenir un permis, cela ne saurait lui donner des motifs de
se plaindre.
Le juge Le Dain dissident: Pour les motifs exposés dans
l'affaire Oloko (voir infra, page 593), la demande devrait être
accueillie. L'enquêteur spécial n'était pas fondé à prendre pour
acquis que le Ministre ou le Directeur avait étudié la possibilité
d'accorder un permis au requérant, alors que celui-là n'avait
pas reçu de demande visant à obtenir un tel permis. Le raison-
nement de la Cour suprême dans Ramawad s'applique à la
présente affaire.
Arrêt mentionné: Ramawad c. Le ministre de la Main-
d'oeuvre et de l'Immigration [1978] 2 R.C.S. 375.
DEMANDE d'examen judiciaire.
AVOCATS:
F. Philibert pour le requérant.
G. R. Léger, c.r., pour l'intimé.
PROCUREURS:
Hargreaves, Bélanger, Leduc & Philibert,
Montréal, pour le requérant.
Le sous-procureur général du Canada pour
l'intimé.
Voici les motifs du jugement rendus en français
par
LE JUGE PRATTE: Le requérant demande l'an-
nulation, en vertu de l'article 28 de la Loi sur la
Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2 e Supp.), c. 10, de
l'ordonnance d'expulsion prononcée contre lui le 5
janvier 1978.
Né à Haïti le 15 avril 1958, le requérant n'avait
que 11 ans lorsqu'il est venu au Canada pour y
passer quelques mois comme touriste en 1969.
Depuis ce temps, bien qu'il n'ait jamais obtenu
l'autorisation de prolonger son séjour, il n'a pas
quitté le pays. Le 13 octobre 1977, trouvé coupable
d'infractions visées par le Code criminel, il fut
condamné à 5 mois d'emprisonnement. Il était à
purger sa peine lorsqu'on dressa à son sujet, en
vertu de l'article 18 de la Loi sur l'immigration,
S.R.C. 1970, c. I-2, un rapport alléguant qu'il était
une personne décrite aux sous-alinéas (ii),(iii) et
(vi) de l'article 18(1)e).' Une enquête eut lieu au
terme de laquelle l'enquêteur spécial, jugeant que
les allégations . du rapport étaient fondées, pro-
nonça l'ordonnance d'expulsion qui fait l'objet de
ce pourvoi.
L'avocat du requérant n'invoque qu'un seul
moyen: l'enquêteur spécial, a-t-il dit, a commis une
erreur qui lui a fait perdre juridiction en l'affaire
lorsqu'il a refusé de se rendre à la demande du
' Ces dispositions se lisent comme suit:
18. (1) Lorsqu'il en a connaissance, le greffier ou secré-
taire d'une municipalité au Canada, dans laquelle une per-
sonne ci-après décrite réside ou peut se trouver, un fonction-
naire à l'immigration ou un constable ou autre agent de la
paix doit envoyer au directeur un rapport écrit, avec des
détails complets, concernant
e) toute personne, autre qu'un citoyen canadien ou une
personne ayant un domicile canadien, qui
(ii) a été déclarée coupable d'une infraction visée par le
Code criminel,
(iii) est devenue un détenu dans un pénitencier, une
geôle, une maison de correction ou une prison, ou pen-
sionnaire d'un asile ou hôpital d'aliénés,
(vi) est entrée au Canada comme non-immigrant et y
demeure après avoir cessé d'être un non-immigrant ou
d'appartenir à la catégorie particulière dans laquelle elle
a été admise en qualité de non-immigrant,
requérant d'ajourner le prononcé de l'ordonnance
d'expulsion et de déférer l'affaire au Ministre pour
qu'il décide s'il consentait à délivrer un permis en
vertu de l'article 8 autorisant le requérant à
demeurer au Canada. Suivant l'avocat du requé-
rant, l'enquêteur spécial a agi illégalement en pro-
nonçant l'ordonnance d'expulsion de façon précipi-
tée parce que, ce faisant, il a privé le requérant de
la possibilité que le Ministre lui délivre un permis
en vertu de l'article 8. Au soutien de cette préten-
tion, l'avocat a invoqué l'autorité de la décision
récente de la Cour suprême du Canada dans
Ramawad c. Le ministre de la Main-d'oeuvre et de
l'Immigration [1978] 2 R.C.S. 375.
Cette prétention, à mon sens, n'est pas fondée.
L'article 8 de la Loi sur l'immigration n'accorde
au Ministre que le pouvoir de décerner un permis;
il ne crée aucun droit en faveur de ceux qui
pourraient bénéficier de l'exercice de ce pouvoir. Il
est vrai que le prononcé de l'ordonnance d'expul-
sion a eu pour effet de priver le requérant de la
possibilité que le Ministre lui délivre un permis.
Mais, de cela, le requérant ne saurait se plaindre;
l'ordonnance d'expulsion produit cet effet en vertu
de la loi quelque soit le moment où elle est pronon-
cée. A mon avis, la décision de la Cour suprême
dans l'affaire Ramawad ne peut aider le requé-
rant. Tout ce qu'on a décidé dans cette affaire,
selon moi, c'est que celui qui sollicite un visa
d'emploi en vertu des articles 3B et suivants du
Règlement sur l'immigration, Partie I, et qui
demande que son cas soit soumis au Ministre pour
qu'il exerce le pouvoir que lui confère l'article
3Gd) du Règlement ne peut, aussi longtemps que
le Ministre n'a pas été saisi de l'affaire, être
expulsé en raison du fait qu'il n'a pas de visa
d'emploi.
Pour ces motifs, je rejetterais la demande.
* * *
LE JUGE RYAN: Je suis d'accord.
* * *
Voici les motifs du jugement rendus en français
par
LE JUGE LE DAIN (dissident): Pour les motifs
que j'ai exposés dans l'affaire Oloko [infra, page
593], je suis d'avis d'accueillir la demande en vertu
de l'article 28 et d'annuler l'ordonnance d'expul-
sion rendue contre le requérant le 5 janvier 1978.
A mon avis, l'enquêteur spécial n'était pas fondé à
prendre pour acquis que le Ministre ou le Direc-
teur avait étudié la possibilité d'accorder au requé-
rant un permis du Ministre alors qu'on ne lui avait
pas fourni de demande visant à obtenir un tel
permis. Le raisonnement sur lequel la Cour
suprême s'est fondée dans Ramawad s'applique
donc à la présente affaire.
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