T-4770-76
Deanna J. Greyeyes (Demanderesse)
c.
La Reine (Défenderesse)
Division de première instance, le juge Mahoney—
Calgary, le 11 janvier; Ottawa, le 19 janvier 1978.
Impôt sur le revenu — Calcul du revenu — Bourses —
Indienne titulaire d'une bourse du gouvernement — Montant
de la bourse excédant $500 inclus à son revenu imposable —
L'inclusion est-elle fondée en vertu des articles 87 et 90(1) de
la Loi sur les Indiens et l'alinéa 81(1)a) de la Loi de l'impôt
sur le revenu? — Loi de l'impôt sur le revenu, S.C. 1970-
71-72, c. 63, art. 2, 56(1)n), 81(1)a) — Loi sur les Indiens,
S.R.C. 1970, c. I-6, art. 87, 90(1).
La demanderesse, une Indienne inscrite comme étudiante à
temps plein dans une université, a reçu du ministère des
Affaires indiennes et du Nord canadien une bourse conformé-
ment à une entente et un traité entre la bande, dont elle fait
partie, et Ottawa, visant à aider les membres d'une bande dans
leur éducation. L'appel de la demanderesse, interjeté de l'inclu-
sion, par la défenderesse, du montant de la bourse qui est en sus
des $500 autorisés par le sous-alinéa 56(1)n)(ii) de la Loi de
l'impôt sur le revenu, au revenu imposable de la demanderesse,
est fondé sur les articles 87 et 90(1) de la Loi sur les Indiens, et
sur l'alinéa 81(1)a) de la Loi de l'impôt sur le revenu.
Arrêt: l'appel est accueilli. L'inclusion du montant de la -
bourse (moins $500) au revenu imposable de la demanderesse
soumet cette dernière à la taxation à l'égard de la bourse.
L'article 87 de la Loi sur les Indiens, par son propre langage,
l'emporte sur toute intention contraire exprimée dans la Loi de
l'impôt sur le revenu; il n'est pas nécessaire de s'appuyer sur
l'alinéa 81(1)a) de la Loi de l'impôt sur le revenu.
Distinction faite avec l'arrêt: Le ministre du Revenu natio
nal c. Les Iroquois de Caughnawaga [1977] 2 C.F. 269.
Arrêt examiné: Sura c. Le ministre du Revenu national
[1962] R.C.S. 65, 62 DTC 1005.
APPEL en matière d'impôt sur le revenu.
AVOCATS:
Gerald F. Scott pour la demanderesse.
W. A. Ruskin et J. A. Williamson pour la
défenderesse.
PROCUREURS:
Fenerty, Robertson, Prowse, Fraser, Bell &
Hatch, Calgary, pour la demanderesse.
Le sous-procureur général du Canada pour la
défenderesse.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE MAHONEY: La demanderesse inter-
jette appel de l'inclusion du montant de $1,839.50
à son revenu imposable pour 1974, alléguant qu'il
est exonéré de l'impôt en vertu de certaines dispo
sitions de la Loi sur les Indiens'. Les principaux
faits sont admis:
[TRADUCTION] EXPOSE CONJOINT DES FAITS
1. La demanderesse est une Indienne aux termes de la Loi sur
les Indiens, S.R.C. 1970, c. I-6, et, aux époques qui nous
intéressent, était une résidente du Canada.
2. Pendant l'année académique de 1974, la demanderesse fré-
quentait l'université de Calgary (Alberta), étant inscrite
comme étudiante à temps plein à un cours d'éducation
collégiale.
3. Alors qu'elle fréquentait l'université de Calgary, la deman-
deresse a reçu du ministère des Affaires indiennes et du Nord
canadien à Ottawa, le montant de $2,339.50, pour l'aider dans
ses études collégiales conformément à un programme du minis-
tère des Affaires indiennes et du Nord canadien.
4. Aux époques qui nous intéressent, la demanderesse n'était ni
étudiante ni résidente sur une réserve au sens donné à ce mot
par ladite Loi sur les Indiens.
5. Lesdits montants reçus par la demanderesse lui ont été
donnés conformément à une entente et un traité entre la bande,
dont fait partie la demanderesse, et Ottawa et plus particulière-
ment aux termes d'une entente pour aider les membres de la
bande dans leur éducation conformément aux obligations du
gouvernement fédéral aux termes du Traité n° 6.
La défenderesse prétend que le montant de
$1,839.50 a été correctement inclus dans le revenu
imposable de la demanderesse pour 1974 aux
termes des dispositions suivantes de la Loi de
l'impôt sur le revenu, S.C. 1970-71-72, c. 63:
2. (1) Un impôt sur le revenu doit être payé, ainsi qu'il est
prévu ci-après, pour chaque année d'imposition, sur le revenu
imposable de toute personne résidant au Canada à une date
quelconque dans l'année.
(2) Le revenu imposable d'un contribuable pour une année
d'imposition est son revenu pour l'année moins les déductions
permises par la section C.
56. (1) ... sont à inclure dans le calcul du revenu d'un
contribuable pour une année d'imposition,
n) la fraction, si fraction il y a,
(i) du total de toutes les sommes reçues dans l'année par
le contribuable et dont chacune est une somme qu'il a
reçue à titre ou au titre de bourse d'études, de bourse de
perfectionnement (fellowship) ou de récompense couron-
nant une œuvre remarquable réalisée dans son domaine
d'activité habituel,
' S.R.C. 1970, c. I-6.
qui est en sus de
(ii) $500; ...
La demanderesse prétend qu'aux termes de l'ali-
néa 81(1)a) de la Loi de l'impôt sur le revenu, de
l'article 87 et du paragraphe 90(1) de la Loi sur
les Indiens le montant de $1,839.50 n'aurait pas
dû être inclus.
81. (1) Ne sont pas inclus dans le calcul du revenu d'un
contribuable pour une année d'imposition:
a) une somme exonérée de l'impôt sur le revenu par toute
autre loi du Parlement du Canada;
87. Nonobstant toute autre loi du Parlement du Canada ou
toute loi de la législature d'une province, mais sous réserve du
paragraphe (2) et de l'article 83, les biens suivants sont exemp
tés de taxation, savoir:
a) l'intérêt d'un Indien ou d'une bande dans une réserve ou
des terres cédées; et
b) les biens personnels d'un Indien ou d'une bande situés sur
une réserve;
et nul Indien ou bande n'est assujetti à une taxation concernant
la propriété, l'occupation, la possession ou l'usage d'un bien
mentionné aux alinéas a) ou b) ni autrement soumis à une
taxation quant à l'un de ces biens. Aucun droit de mutation par
décès, taxe d'héritage ou droit de succession n'est exigible à la
mort d'un Indien en ce qui concerne un bien de cette nature ou
la succession audit bien, si ce dernier est transmis à un Indien,
et il ne sera tenu compte d'aucun bien de cette nature en
déterminant le droit payable, en vertu de la Loi fédérale sur les
droits successoraux, chapitre 89 des Statuts revisés du Canada
de 1952, ou l'impôt payable en vertu de la Loi de l'impôt sur
les biens transmis par décès, sur d'autres biens transmis à un
Indien ou à l'égard de ces autres biens.
90. (1) Pour l'application des articles 87 et 89, les biens
personnels qui ont été
a) achetés par Sa Majesté avec des deniers des Indiens ou
des fonds votés par le Parlement à l'usage et au profit
d'Indiens ou de bandes, ou
b) donnés aux Indiens ou à une bande en vertu d'un traité ou
accord entre une bande et Sa Majesté,
sont toujours tenus pour situés sur une réserve.
Ce sont bien sûr le paragraphe 87b), et l'alinéa
90(1)b) qui sont pertinents et la demanderesse
allègue en outre que ces dispositions suffisent à
exclure le montant de $1,839.50 de son revenu
imposable indépendamment du paragraphe 81(1)
de la Loi de l'impôt sur le revenu qui n'est plaidé
qu'à titre complémentaire et subsidiaire.
Pour des raisons de commodité, je désignerai
ci-après le paiement de $2,339.50 par «la bourse».
Selon les faits admis, la bourse est le bien person
nel d'un Indien situé sur une réserve au sens de
l'article 87 de la Loi sur les Indiens; on la consi-
dère ainsi en vertu du paragraphe 90(1). Rien ne
se rattache au fait que la demanderesse n'habitait
pas sur la réserve ou n'appliquait pas la bourse aux
cours y offerts. C'est le bien, non l'Indien qui doit
être situé sur la réserve.
A part les mentions particulières des droits de
mutation par décès et des droits de succession,
lesquels n'ont aucune portée en l'espèce, l'article
87 semble prévoir, selon une interprétation évi-
dente, trois dispositions indépendantes concernant
les biens personnels d'un Indien situés sur une
réserve, c'est-à-dire, en l'espèce, la bourse.
D'abord, «les biens suivants sont exemptés de taxa
tion, savoir»: la bourse. Deuxièmement, «nul Indien
... n'est assujetti à une taxation concernant la
propriété, l'occupation, la possession ou l'usage» de
la bourse. Troisièmement, «nul Indien ... [n'est]
autrement soumis à une taxation quant à» la
bourse.
Dans leurs plaidoyers, les avocats semblent ne
pas avoir considéré que la deuxième disposition
avait une application en l'espèce. Je suis d'accord.
Dans la mesure où les mots «propriété, occupation,
possession ou usage» peuvent s'appliquer à une
bourse, l'inclusion du montant de la bourse, ou
d'une partie de ce montant, dans le revenu imposa-
ble d'un Indien aux termes de la Loi de l'impôt sur
le revenu n'entraîne pas un impôt relativement à la
propriété, l'occupation, la possession ou l'usage.
La première disposition a fait l'objet de longs
débats, la défenderesse invoquant qu'il est bien
établi que la Loi de l'impôt sur le revenu impose
un impôt sur les personnes et non sur les biens et la
demanderesse alléguant que les décisions rendues
dans ce sens dans des affaires impliquant des
situations de fait très différentes ne devraient pas
lier la Cour dans une situation de faits tout à fait
nouvelle. Les plus hautes autorités ont maintes fois
envisagé la question générale de la nature de l'inci-
dence de l'impôt sur le revenu. Il n'est pas néces-
saire pour moi d'aller plus loin que l'arrêt de la
Cour suprême du Canada dans Sura c. M.R.N. 2
2 62 DTC 1005, la page 1006. [1962] R.C.S. 65, à la
page 68.
où le juge Taschereau examine la disposition habi-
litante édictée en 1948 3 qui était analogue à l'ac-
tuel paragraphe 2(1).
Rien dans les amendements subséquents apportés à la loi, ne
change le principe que ce n'est pas la propriété d'un bien qui est
taxable, mais que la taxe est imposée sur un contribuable, et est
déterminée par le revenu que l'emploi, les entreprises, les biens,
ou la propriété procurent à celui qui en est le bénéficiaire légal.
Comme l'a dit M. le Juge Mignault dans la cause de McLeod v.
Minister of Customs and Excise ([1926] S.C.R. 457 at 464, 1
D.T.C. 85, (1917-27) C.T.C. 290):
[TRADUCTION] Tout ceci est conforme à la politique géné-
rale de la Loi qui impose le revenu de la personne et non son
bien.
A cet égard, la position de la défenderesse est bien
fondée. La Loi de l'impôt sur le revenu impose un
impôt sur la personne et non sur son bien et ce
principe est trop bien établi pour être maintenant
contesté devant cette cour bien que la question
n'ait peut-être pas été tranchée dans l'optique des
dispositions de l'article 87 de la Loi sur les
Indiens.
Avant de laisser ce sujet je mentionnerai la
décision de la Cour d'appel fédérale dans M.R.N.
c. Les Iroquois de Caughnawaga°. Avec égards, je
ne crois pas qu'elle s'applique en l'espèce. Elle ne
traite pas d'impôt sur le revenu. Bien que la Cour
n'ait pas été unanime sur la question de compé-
tence, elle semble l'avoir été pour décider que les
cotisations patronales imposées en vertu de la Loi
de 1971 sur l'assurance-chômages n'étaient pas
un impôt sur les biens au sens de l'article 87 de la
Loi sur les Indiens. Cette conclusion n'implique
pas une décision que lesdites cotisations étaient
nécessairement une autre forme de taxation non
exclue par l'article 87. Au contraire, on semble
pouvoir interpréter la décision majoritaire comme
concluant que lesdites cotisations ne sont pas une
forme d'imposition du tout, une question à laquelle
n'a pas répondu le juge en chef dans son opinion
dissidente.
La dernière disposition de l'article 87 est que la
demanderesse n'est pas «autrement soumise à une
taxation quant à» la bourse. L'inclusion du mon-
tant de la bourse (moins $500) à son revenu
imposable la soumet-elle à la taxation à l'égard de
la bourse? Je le crois.
3 S.C. 1948, c. 52.
° [1977] 2 C.F. 269.
5 S.C. 1970-71-72, c. 48.
L'impôt payable par la demanderesse aux
termes de la Loi de l'impôt sur le revenu est
déterminé par l'application d'un taux prévu à son
revenu imposable. Plus son revenu est grand, plus
son impôt sur le revenu est élevé. Le montant par
lequel la bourse de la demanderesse excédait $500
a été ajouté à son revenu imposable. Ainsi, son
revenu imposable dépassait d'un montant de
$1,839.50 ce qu'il aurait autrement été d'où, l'im-
pôt qu'on lui a établi était plus élevé qu'il ne
l'aurait été sans cette inclusion. Compte tenu de la
coutume anglaise, il me semble impossible de ne
pas conclure qu'elle a par le fait même été assujet-
tie à la taxation relativement à la bourse.
Dans les circonstances, il ne m'apparaît pas
nécessaire de m'appuyer sur l'alinéa 81(1)a) de la
Loi de l'impôt sur le revenu. L'article 87 de la Loi
sur les Indiens, par son propre langage, l'emporte
sur toute intention contraire exprimée dans la Loi
de l'impôt sur le revenu.
La demanderesse a gain de cause. Sa déclara-
tion d'impôt pour 1974 sera renvoyée au ministre
du Revenu national pour qu'il établisse une nou-
velle cotisation en tenant compte du fait que la
bourse n'était pas un revenu imposable. La deman-
deresse a droit à ses frais.
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