T-3044-77
In re la Loi sur la citoyenneté et in re Habib
Khoury (Appelant)
Division de première instance, le juge Walsh—
Montréal, le 10 janvier; Ottawa, le 17 janvier
1978.
Citoyenneté et immigration — Résidence — Appel du rejet
d'une demande de citoyenneté pour durée insuffisante de rési-
dence — Bien que l'appelant ait été absent pendant une partie
de la période de trois ans, son salaire et ses impôts étaient
versés au Canada et il avait l'intention de revenir — La Cour
est appelée à interpréter le terme «résidence» employé à l'art.
5(1)b)(ii) et à déterminer si ce terme est synonyme de «domi-
cile» — Loi sur la citoyenneté, S.C. 1974-75-76, c. 108, art.
5(1)b)(ii) — Loi sur la citoyenneté canadienne, S.R.C. 1970, c.
C-19, art. 2.
La demande de citoyenneté présentée par l'appelant a été
rejetée par la Cour de la citoyenneté au motif que l'appelant
n'a pas résidé au Canada pendant une période totale de trois
ans au cours des quatre années qui ont précédé le dépôt de sa
demande, comme le prescrit l'article 5(1)b)(ii) de la Loi sur la
citoyenneté. Bien que l'appelant ait travaillé à l'étranger pour le
compte de l'ACDI, son salaire et son impôt étaient versés au
Canada et il avait pleinement l'intention de revenir au Canada.
Le litige en l'espèce porte sur l'interprétation du terme «rési-
dence» employé à l'article 5(1)b)(ii) et sur la question de savoir
si ce terme peut être synonyme de «domicile».
Arrêt: l'appel est rejeté. Quoique l'appelant se soit peut-être
considéré comme un résident permanent du Canada à la suite
de son admission, il ne peut certainement pas être considéré
comme un résident au sens de cet article pendant les périodes
où il résidait effectivement à l'étranger par suite de ses affecta
tions professionnelles. Rien ne justifie l'interprétation de «rési-
dence» comme synonyme de «domicile». Le juge de la citoyen-
neté a envisagé la possibilité de recommander l'exercice de la
discrétion ministérielle. Cependant, la dérogation aux condi
tions de résidence prévue pour «toute personne atteinte d'une
incapacité» n'est pas applicable en l'espèce. La seule possibilité
ouverte à l'appelant réside dans le fait que le gouverneur en
conseil peut ordonner au Ministre d'accorder la citoyenneté
«Pour remédier à des situations particulières et exceptionnelles
de détresse ou pour récompenser les services d'une valeur
exceptionnelle rendus au Canada».
Arrêt suivi: In re la Loi sur la citoyenneté canadienne et in
re Laprade [1974] 1 C.F. 196. Arrêt suivi: Blaha c. Le
ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration [1971]
C.F. 521.
APPEL.
AVOCATS:
Habib Khoury en son nom personnel.
Pierre Paquette, amicus curiae.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE WALSH: Il s'agit d'un appel d'une
décision de la Cour de la citoyenneté rendue le 23
juin 1977, la suite d'une audience tenue le 20
juin 1977 concernant la demande de citoyenneté
canadienne présentée par l'appelant sur la base de
l'article 5(1)b)(ii) de la Loi' qui exige trois années
de résidence au Canada dans les quatre ans qui ont
précédé la demande formée le 16 mars 1977. La
décision fait observer que le président a également
envisagé la possibilité de recommander l'exercice
de la discrétion ministérielle pour des raisons
humanitaires en vertu de l'article 5(3) et (4) de la
Loi mais qu'aucune disposition de ladite loi ne lui
donnait cette possibilité.
L'appelant était présent à l'audience ainsi que
Pierre Paquette agissant en qualité d'amicus
curiae.
Au départ cette affaire soulève une très grande
sympathie et l'amicus curiae a fait tout son possi
ble pour trouver un moyen pour que l'appel puisse
être accueilli. L'appelant est arrivé au Canada le 9
septembre 1970 en qualité d'immigrant reçu et a
travaillé pour des employeurs canadiens notable-
ment l'ACDI et en même temps a poursuivi au
Canada des études supérieures.. Sa demande ainsi
que son témoignage à l'audience de l'appel révèlent
qu'il a été envoyé par ses employeurs Cartier
Engineering pour le compte de l'ACDI à une
affectation en Afrique le 20 juillet 1974 pour
revenir sept mois plus tard le 10 février 1975. Le
17 juillet 1975 il a été affecté de nouveau à un
poste en Afrique pour revenir une année plus tard
le 17 juillet 1976. Pendant ses affectations outre-
mer, il recevait son salaire versé au moyen d'un
dépôt au Canada auprès de la Banque de Montréal
et, malgré son absence, l'impôt sur le revenu ainsi
que d'autres retenues ont été réduits au Canada et
les déclarations d'impôt sur le revenu ont été dépo-
sées également au Canada. Au total, il a été absent
pendant 19 mois au cours des quatre années qui
ont précédé le dépôt de sa demande le 16 mars
1977, et donc il a été seulement 29 mois au
Canada au cours de ladite période, au lieu des 36
mois requis par l'article 5(1)b)(ii) qui se lit comme
suit:
S.C. 1974-75-76, c. 108.
5. (1) Le Ministre doit accorder la citoyenneté à toute
personne qui, n'étant pas citoyen, en-fait la demande et qui
b) a été légalement admise au Canada à titre de résident
permanent et a, dans les quatre ans qui ont précédé la date
de sa demande, totalisé au moins trois ans de résidence au
Canada calculés de la manière suivante:
(ii) elle est censée avoir acquis un jour de résidence pour
chaque jour durant lequel elle résidait au Canada après
son admission légale au Canada à titre de résident
permanent;
La Loi ne définit pas la notion de résidence ni
celle de domicile. L'amicus curiae a fait observer
que l'article 2 de l'ancienne Loi 2 donnait la défini-
tion suivante de l'expression «lieu de domicile»:
«lieu de domicile» signifie l'endroit où une personne a-son logis,
ou dans lequel elle réside, ou auquel elle retourne comme à sa
demeure permanente, et ne signifie pas un endroit où elle
séjourne pour une fin spéciale ou temporaire seulement;
et que peut-être cette définition pourrait s'appli-
quer dans la présente affaire en l'absence d'une
telle définition dans la Loi actuelle et que l'appe-
lant pourrait être considéré comme ayant résidé au
Canada pendant toute la période de quatre ans
malgré ses absences lorsqu'il travaillait pour
l'ACDI du fait que son salaire ainsi que son impôt
sur le revenu étaient versés au Canada et qu'il était
absent seulement pour des raisons professionnelles
avec l'intention de revenir à son lieu de résidence.
Cela pourrait être très bien le cas si la question
était de déterminer son domicile; l'on aurait très
bien pu arriver à la conclusion que, bien qu'il n'ait
pas encore obtenu la citoyenneté canadienne, il a
acquis un domicile canadien et a l'intention de
faire du Canada son domicile permanent. Malheu-
reusement ce n'est pas la notion de domicile que
nous sommes appelés à déterminer mais plutôt le
sens des- mots «résidence au Canada» qui sont
employés à l'article 5(1)b)(ii) de la nouvelle Loi en
vertu de laquelle sa demande a été et doit être
formée. Avec regret, rien ne justifie l'interpréta-
tion de «résidence» comme synonyme de «domi-
cile», et quoique l'appelant se soit peut-être consi-
déré comme un-résident permanent du Canada à la
suite de son-admission, il ne peut certainement pas
être considéré comme un résident au sens de cet
article pendant les périodes où il résidait effective-
ment à l'étranger par suite de ses affectations
2 S.R.C. 1970, c. C-19.
professionnelles. Même en vertu des dispositions de
l'ancienne Loi, j'ai été obligé de tirer la même
conclusion dans In re la Loi sur la citoyenneté
canadienne et in re Laprade 3 . Dans cette affaire,
j'ai eu l'occasion de renvoyer à la décision rendue
par le juge Pratte dans Blaha c. Le ministre de la
Citoyenneté et de l'Immigration'', laquelle décision
a été ultérieurement suivie par le juge Collier dans
In re Goldston 5 . Dans Blaha le juge Pratte décla-
rait aux pages 524 et, 525:
Les mots «résider» et «résidence» n'étant pas définis par la loi il
faut, pour en préciser le sens, se référer à leur signification
ordinaire sous cette seule réserve qu'il semble évident qu'on ne
peut leur donner un sens qui soit identique à celui que le
législateur a donné à l'expression «lieu de domicile».
A mon avis, une personne ne réside au Canada, au sens de la
Loi sur la citoyenneté canadienne que si elle se trouve physi-
quement présente (d'une façon au moins habituelle) sur le
territoire canadien. Cette interprétation me semble conforme à
l'esprit de la loi qui me paraît exiger de l'étranger qui veut
acquérir la citoyenneté canadienne, non seulement qu'il possède
certaines qualités civiques et morales et désire se fixer au
Canada de façon permanente, mais aussi qu'il ait effectivement
vécu au Canada pendant assez longtemps. Ainsi, le législateur
veut-il s'assurer que la citoyenneté canadienne ne soit accordée
qu'à ceux-là qui ont démontré leur aptitude à s'intégrer dans
notre société.
Le fait que l'appelant ne soit pas un citoyen cana-
dien est un désavantage sérieux pour trouver un
emploi. Dans son témoignage il a souligné que
dans les deux domaines pour lesquels il possède les
compétences voulues. soit la biologie et l'agricul-
ture, il lui était nécessaire d'être membre d'asso-
ciations professionnelles pour obtenir un emploi et
que, pour devenir membre, il fallait être citoyen
canadien. Ce témoignage a été corroboré en partie
par une lettre qu'il a produite en date du 28 juillet
1977, envoyée par Pluritec Consultants, indiquant
qu'ils s'attendent à avoir bientôt du travail pour lui
en Afrique en qualité d'entomologiste. La lettre
conclut:
A cette fin, il serait fort apprécié que monsieur H. T. Khoury
puisse nous fournir un certificat de citoyenneté canadienne.
Le fait que son problème soit considéré avec sym-
pathie par des ministres de la Couronne ressort
également de deux lettres qui ont été produites, la
première provenant de l'honorable Jeanne Sauvé,
3 [1974] I C.F. 196.
4 [1971] C.F. 521.
5 [1972] C.F. 559.
ministre des Communications, envoyée à l'honora-
ble John Roberts, secrétaire d'État, une copie de
cette lettre a été envoyée à l'appelant. Dans cette
lettre, elle résume le problème de l'appelant en
indiquant qu'il a fait appel de la décision de la
Cour de la citoyenneté. Elle conclut:
Je vous saurais gré, mon cher collègue, de faire étudier cette
requête avec attention car je crois que pour des raisons humani-
taires, monsieur Khoury devrait obtenir sa citoyenneté. Il doit
repartir bientôt pour l'ACDI, pour quelques mois, et toutes les
procédures seront à recommencer lorsqu'il reviendra, s'il n'a
pas obtenu gain de cause en appel.
Le 28 octobre 1977 l'honorable Roberts a-répondu
à cette lettre en précisant qu'il fallait naturelle-
ment attendre la fin des procédures de l'appel
devant la Cour fédérale pour qu'il puisse prendre
une décision.
Comme je l'ai déjà mentionné, le juge de la
citoyenneté a envisagé la possibilité de recomman-
der l'exercice de la discrétion ministérielle pour
des raisons humanitaires conformément à l'article
5(3) et (4) de la Loi. En vertu de l'article 5(3)b), il
peut être dérogé aux conditions de résidence pré-
vues à l'article 5(1)b), mais il semble que cela
s'applique seulement pour «toute personne atteinte
d'une incapacité», ce qui n'est pas le cas de l'appe-
lant. L'article 5(4) prévoit que le gouverneur en
conseil peut ordonner au Ministre d'accorder la
citoyenneté «Pour remédier à des situations parti-
culières et exceptionnelles de détresse ou pour
récompenser les services d'une valeur exception-
nelle rendus au Canada». Ce semblerait être la
seule possibilité ouverte à l'appelant et il n'est
aucunement certain que cette mesure exception-
nelle soit prise dans son cas. L'article 10(6)b) de
l'ancienne Loi prévoyait que toute période durant
laquelle l'auteur d'une demande de certificat de
citoyenneté «était employé, hors du Canada, dans
la fonction publique du Canada ou d'une province,
autrement qu'à titre de personne engagée sur
place» devait être considérée comme équivalant à
une période de résidence au Canada pour remplir
les conditions de résidence. Outre qu'il resterait à
déterminer si l'emploi de l'appelant à l'ACDI
pourrait être considéré comme un emploi «dans la
fonction publique du Canada», ce qui est douteux,
on ne trouve pas de disposition semblable dans la
Loi actuelle et il semble donc que les périodes de
service à l'étranger ne puissent être prises en
compte pour satisfaire aux conditons de résidence.
En conséquence et avec grand regret que j'en
viens à la conclusion que la décision portée en
appel a interprété correctement la loi et que l'appel
doit être rejeté.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.