A-584-76
Les propriétaires et les affréteurs du navire City
of Colombo et Ellerman Lines Ltd. et The Cana-
dian City Line (Appelants)
C.
Variety Textile Manufacturers Ltd. (Intimée)
Cour d'appel, le juge en chef Jackett, le juge Le
Dain et le juge suppléant Hyde—Montréal, le 11
janvier; Ottawa, le 17 janvier 1978.
Droit maritime — Douanes et accise — Les affréteurs
exigent que, pour la bonne marche de l'affaire, les formalités
de douane soient accomplies — Droits de douane versés relati-
vement à des marchandises figurant sur le manifeste mais qui,
par la suite, n'ont pas été livrées — Aucun avis du transpor-
teur relativement aux marchandises non livrées — Aucune
mesure prise par l'importatrice-intimée en remboursement des
droits versés — Responsabilité du transporteur en ce qui
concerne les droits versés — Loi sur les douanes, S.R.C. 1970,
c. C-40, art. 11, 19(1), 20, 24(1),(3), 25, 112(1), 114.
Les appelants, transporteurs maritimes sous connaissement,
ont omis de livrer à l'intimée une partie considérable de mar-
chandises mais lui ont versé la valeur de ces marchandises.
Toutefois, à la suite d'un avis du transporteur lui indiquant que
les marchandises étaient prêtes à être débarquées et lui deman-
dant d'en prendre livraison après les formalités de douane,
l'intimée a versé les droits de douane sur toutes les marchandi-
ses figurant sur le manifeste. L'intimée n'a pas réclamé le
remboursement de ces droits mais a plutôt intenté une action en
Division de première instance à l'issue de laquelle elle a recou-
vré un montant égal aux droits de douane qu'elle avait versés
relativement aux marchandises non livrées. Appel est formé
contre cette décision.
Arrêt: l'appel est rejeté. On ne peut affirmer, en ce qui
concerne les appelants et l'intimée, que cette dernière aurait dû
réclamer le remboursement des droits de douane en question. Il
a été établi que le consignataire a droit à un dédommagement
pour la perte directement afférente au défaut de livraison et,
dans des cas appropriés, le dédommagement peut comprendre
une perte directement afférente au défaut de livraison. A partir
du moment où l'action a été instituée en Division de première
instance, l'intimée avait le droit d'être indemnisée par les
appelants de la perte découlant du versement des droits sur les
marchandises non livrées; la thèse de l'intimée selon laquelle il
incombait au transporteur d'obtenir un remboursement n'a pas
nui au résultat final. La perte subie par l'intimée du fait du
versement des droits est directement attribuable à l'inscription,
par les appelants, dans leur manifeste, des marchandises non
livrées et au fait qu'ils ont signifié à l'intimée l'avis habituel,
sans savoir si les marchandises avaient réellement été importées
au Canada. Il n'a jamais été donné à l'intimée la possibilité de
minimiser sa perte en obtenant le remboursement des droits
ainsi versés.
APPEL.
AVOCATS:
Michael Davis pour les appelants.
Marc de Man pour l'intimée.
PROCUREURS:
Brisset, Bishop, Davidson & Davis, Montréal,
pour les appelants.
Stikeman, Elliott, Tamaki, Mercier & Robb,
Montréal, pour l'intimée.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE EN CHEF JACKETT: Appel est interjeté
d'une décision de la Division de première instance
[[1977] 2 C.F. 127] accordant à l'intimée la
somme de $1,426.59 avec intérêt et dépens.
Selon le dossier de première instance, les appe-
lants, en leur qualité de transporteurs maritimes
sous connaissement de marchandises en prove
nance du Pakistan et à destination de Montréal,
avaient omis de livrer à l'intimée, en sa qualité
d'importatrice, trente-quatre balles de marchandi-
ses d'un chargement total de cinquante balles de
300 livres chacune et d'autre part, les appelants
avaient versé à l'intimée, avant le début des procé-
dures en Division de première instance, la valeur
de facture c.a.f. des marchandises non livrées.
Toutefois, à la suite d'un avis du transporteur lui
indiquant que les marchandises étaient prêtes à
être débarquées et lui demandant d'en prendre
livraison au plus vite après les formalités de décla-
ration en douane, l'intimée a versé les droits de
douane afférents aux marchandises en question.
L'action visait à recouvrer du transporteur une
somme égale aux droits de douane ainsi versés sur
les marchandises non livrées.
Selon le même dossier, l'intimée était partie au
contrat de transport de marchandises constaté par
le connaissement et les appelants, en leur qualité
de transporteurs, constituaient l'autre partie à ce
contrat.
Afin que les marchandises soient débarquées,
l'intimée, à titre d'importatrice, a produit une
déclaration d'entrée «provisoire» et versé la somme
d'argent nécessaire en vertu d'une telle déclaration
(voir l'article 24(1) de la Loi sur les douanes',
' L'article 24(1) et (3) et l'article 25 se lisent comme suit:
24. (1) Si l'importateur de quelques effets ou la personne
autorisée à établir la déclaration requise à leur égard se
S.R.C. 1970, c. C-40). Par la suite, avant qu'il
devienne évident que les marchandises ne seraient
pas livrées mais après avoir reçu la documentation
nécessaire, l'intimée a complété conformément aux
articles 19 et suivants de la Loi sur les douanes 2
une déclaration d'entrée en bonne et due forme
pour ce qui est des seize balles livrées (qui repré-
sentaient seulement une partie du chargement
total). La décision dont appel est interjeté portait
sur une somme égale aux droits de douane versés
relativement aux marchandises non livrées.
déclare, devant le receveur ou autre préposé compétent, par
écrit et sous sa signature, incapable, faute de renseignements
suffisants, d'établir une déclaration définitive concernant ces
effets et prête le serment prescrit en pareil cas, ce receveur
ou préposé peut, aux termes d'une déclaration provisoire
visant les colis ou caisses en cause d'après la meilleure
description qui peut être donnée, faire débarquer ces effets et
les faire voir et examiner par cette personne et à ses dépens,
en présence du receveur ou préposé compétent ou d'un autre
fonctionnaire que l'un d'eux désigne, et les faire délivrer à
cette personne moyennant le dépôt, qu'elle verse entre les
mains du receveur ou préposé, d'une somme d'argent qui, de
l'avis de l'un de ceux-ci, suffit pour payer les droits dus à cet
égard.
(3) Lorsque ces effets ont été achetés ou consignés, une
facture suffisante prescrite à l'article 26 doit en être produite
dans ledit délai fixé par le receveur, sinon l'importateur est
passible d'une amende égale à la somme ainsi déposée chez le
receveur et recouvrable devant tout tribunal compétent.
25. Cette déclaration provisoire peut être faite comme il
est susdit, et les effets peuvent être délivrés, si l'importateur
ou la personne susdite jure ou affirme que la facture n'a pas
été et ne peut pas être produite, et s'il paie au receveur ou
préposé compétent susmentionné une somme d'argent suffi-
sante, de l'avis de l'un de ceux-ci, pour acquitter les droits sur
ces effets; et cette somme est alors retenue à titre de droits.
2 Les dispositions pertinentes se lisent comme suit:
19. (1) Tout importateur d'effets expédiés par mer de tout
endroit hors du Canada doit faire, dans les trois jours de
l'arrivée du navire importateur, une déclaration d'entrée en
bonne et due forme des effets et les débarquer.
20. La personne qui déclare des effets à l'entrée doit
délivrer au receveur ou autre préposé compétent,
a) une facture de ces effets, indiquant l'endroit et la date
de leur achat, le nom ou la raison sociale de la personne ou
de la maison de commerce de qui ils ont été achetés, et une
description complète et détaillée de ces effets, en donnant
la quantité et la valeur de chaque espèce d'effets ainsi
importés; et
b) une déclaration d'entrée de ces effets, en la forme
voulue par l'autorité compétente, écrite lisiblement ou
imprimée, ou partie écrite et partie imprimée, et en double,
contenant le nom de l'importateur, et, s'ils sont importés
(Suite à la page suivante)
L'intimée n'a pas réclamé le remboursement des
droits de douane versés, mais a fait valoir, tout au
long des procédures, que les appelants avaient la
responsabilité, en qualité de transporteurs, de faire
le nécessaire pour recouvrer ces droits en établis-
sant le rapport prévu à l'article 112(1):
112. (1) I1 n'est pas remboursé de droits payés pour cause
de prétendue infériorité ou de prétendu déficit dans la quantité
des effets importés et déclarés, et passés sous la garde de
l'importateur en vertu d'un permis du receveur, dont l'effet
pourrait être de diminuer la quantité ou la valeur de ces
marchandises pour les droits, à moins qu'il n'en soit fait rapport
au receveur dans les quatre-vingt-dix jours de la date de la
déclaration, de la livraison ou du débarquement, que les mar-
chandises n'aient été examinées par le receveur ou par un
appréciateur ou autre préposé compétent, et que le véritable
taux ou montant de la réduction n'ait été certifié par lui après
cet examen; et, si le receveur ou autre préposé compétent
signale que les marchandises en question ne peuvent pas être
identifiées comme étant celles que mentionnent la facture et la
déclaration en question, nul remboursement total ou partiel des
droits ne peut être accordé.
(En acceptant des appelants le versement de la
valeur de facture, l'intimée a précisé que ce n'était
pas à titre de règlement de la réclamation relative
aux droits versés.) Par ailleurs, les appelants reje-
taient toute responsabilité quant aux droits ainsi
versés.
A mon avis, l'article 112 doit être lu de concert
avec l'article 114(1):
114. (1) Sous réserve des articles 112 et 115, aucun rem-
boursement de paiement ou de plus-payé de droit ou taxes,
attribuable à une cause autre qu'une classification tarifaire
erronée ou une estimation erronée de valeur, ne doit être opéré
à moins qu'une demande à cette fin ne soit présentée dans les
deux ans de la date du paiement ou du plus-payé.
Les dispositions auxquelles j'ai fait référence se
rapportent principalement aux droits de douane à
acquitter par l'importateur. Les principales tâches
incombant au capitaine d'un navire à l'arrivée sont
précisées à l'article 11 de la Loi sur les douanes,
qui se lit en partie comme suit:
11. (1) Le capitaine d'un navire qui vient d'un port ou d'un
lieu situé en dehors du Canada, ou fait le cabotage, et entre
dans quelque port du Canada, que ce navire soit chargé ou sur
(Suite de la page précédente)
par eau, le nom du navire et du capitaine, le nom de
l'endroit de destination, l'endroit du port où les effets
doivent être débarqués, la description des effets, les mar-
ques et numéros et le contenu des colis, et les lieux d'où les
effets sont importés, ainsi que le pays ou le lieu de prove
nance, de production ou de fabrication de ces effets.
lest, doit se rendre sans délai, après que ce navire est mouillé ou
amarré, à la douane du port ou du lieu d'entrée où il arrive, et y
faire une déclaration, par écrit, au receveur ou autre préposé
compétent de l'arrivée et du voyage du navire.
(2) Cette déclaration doit indiquer, dans la mesure où le
capitaine les connaît ou peut les connaître, les détails suivants:
le nom que porte le navire, le pays auquel il appartient, son
tonnage et son port d'immatriculation; le nom du capitaine, le
pays des propriétaires du navire, le nombre et les noms de ses
passagers, s'il y en a, le nombre de membres de l'équipage, et si
le navire est chargé ou sur lest; les marques et numéros de
chaque colis et caisse de marchandises à bord, s'il en est, la
meilleure description possible de toutes les marchandises non
marquées ni emballées, qu'elles appartiennent à l'importateur,
au consommateur, aux passagers, aux officiers ou aux membres
de l'équipage, et l'endroit où en a eu lieu le chargement, ainsi
que les détails concernant les effets arrimés en vrac, et, s'ils
sont en consignation, à quel endroit et à quelles personnes ils
sont consignés, à quel endroit des effets, et quels effets, s'il y en
a, ont été chargés ou déchargés, ou à quel endroit la charge a
été rompue durant le voyage, quelle partie de la cargaison doit
être débarquée à ce port, ainsi que le nombre et les noms des
passagers qui doivent aussi y débarquer, et quelle partie de la
cargaison et quels passagers doivent être débarqués à d'autres
ports du Canada, et quelle partie de la cargaison, s'il en est,
doit être exportée dans le même navire, et quels approvisionne-
ments de surplus restent à bord. Cependant, le présent article
ne doit pas s'interpréter comme nécessitant une déclaration
concernant les vêtements ou effets personnels, réellement en
usage, des passagers, officiers et membres de l'équipage des
navires.
(4) Lorsque, conformément au présent article, le capitaine
d'un navire fait une déclaration d'entrée de marchandises au
receveur ou autre préposé compétent, il est responsable des
droits à verser relativement aux marchandises ainsi déclarées,
mais il n'est responsable des droits relativement à aucune
fraction des marchandises à l'égard desquelles des droits ont été
versés ni relativement à aucune fraction des marchandises
a) qui ont été détruites ou perdues en mer par suite de gros
temps ou d'un sinistre qui s'est produit à bord du navire,
b) qui n'ont pas été chargées à bord du navire au port
d'exportation étranger,
c) qui ont été détruites après avoir été débarquées, mais
avant d'être officiellement mises en entrepôt de douane ou
livrées à un transporteur cautionné,
d) qui ont été officiellement mises en entrepôt de douane,
e) qui ont été livrées à un transporteur cautionné en vue de
leur expédition vers leur destination,
f) qui ont été transportées dans un autre port où elles ont été
déclarées aux douanes, ou
g) qui ont été exportées du Canada
lorsqu'il prouve, conformément aux règlements que le gouver-
neur en conseil peut établir à ce sujet, que ces droits ont été
versés ou que l'un quelconque des événements énumérés aux
alinéas a) à g) s'est produit.
L'article 11(3), chapitre 39 des S.C. 1973-74 pré-
sente également un intérêt:
11... .
(3) La déclaration constitue, sauf preuve contraire, la preuve
des marchandises à bord du navire et toutes les marchandises
. qui y font l'objet d'une déclaration d'entrée sont réputées avoir
été débarquées au Canada.
A l'époque en cause, le ministère du Revenu
national a émis des instructions relatives aux «Cer-
tificats de manquant»; on y lit notamment:
1. Le contrôle de la cargaison incombe à la compagnie de
navigation et toute différence entre la déclaration d'entrée ou le
manifeste et les chiffres résultant de la vérification des mar-
chandises doit être déclarée à la douane sur la formule A 6 1 / 2 ,
dans les trente jours de la date de la première déclaration
d'entrée. Lorsqu'un manquant d'un ou plusieurs colis ou unités
est constaté, et qu'il donne lieu à un remboursement des droits
et des taxes, un certificat de manquant au déchargement visant
chaque envoi doit être produit selon la formule A 6 1 / 2 qui
modifie la déclaration d'entrée.
2. Lorsqu'un ou plusieurs colis ou unités accusent un man-
quant, mais qu'ils sont indiqués dans le manifeste du navire et
dans le connaissement, ces documents devront être considérés
comme une preuve que les colis manquants ont été mis à bord
dans le pays d'exportation. Les certificats de manquant au
déchargement seront agréés seulement pour les colis entiers qui
manquent, sur présentation de la documentation requise, attes-
tée ou signée par une personne responsable outre-mer, à l'appui
de la preuve de l'existence des manquants au point de charge-
ment, ou d'une documentation de la douane confirmant que les
marchandises ont été déchargées dans un port étranger, ou des
extraits du livre de bord confirmant la perte en mer.
3. Si les marchandises sont déchargées dans un autre port
canadien, il incombe à la compagnie de navigation de produire
au bureau où les marchandises ont été déclarées manquantes la
documentation douanière établissant ce fait.'
Les appelants, en leur qualité de transporteurs,
n'ont jamais fait pour les marchandises non livrées
en cause la déclaration visée par ce mémoire
ministériel, bien que ces marchandises aient figuré
dans la «déclaration d'entrée ou le manifeste».
Bien que l'économie de la Loi sur les douanes
repose sur l'hypothèse voulant qu'un importateur,
en temps normal, s'acquitte des droits de douane
relatifs à ses marchandises dans les trois jours de
l'arrivée du navire (article 19(1)) et qu'ensuite
Le mémoire semble avoir été rédigé avant que le délai de
dépôt du rapport prévu à l'article 112(1) passe de 30à 90 jours.
reçoive sa marchandise directement au moment du
déchargement en présence du préposé aux douanes
de service (article 8(2)) 4 , en fait, et conformément
aux usages commerciaux modernes, la partie de la
cargaison en cause ici qui devait parvenir à Mont-
réal a été déchargée sans contrôle sous la garde
des agents des transporteurs; ces agents devaient
faire un tri avant de livrer aux consignataires leurs
marchandises respectives (il n'est pas exceptionnel
que cette procédure exige plus de 30 jours). Par
conséquent, il s'est écoulé un intervalle important
entre le moment du déchargement et le moment où
l'on s'est finalement aperçu que les marchandises
en question ne pouvaient être livrées à l'intimée
aux termes du contrat de transport. Entre temps,
comme on l'a dit, l'intimée, en sa qualité d'impor-
tatrice, avait dû payer, pour la bonne marche de
l'affaire, les droits de douane exigés en prenant
pour acquis que les marchandises lui seraient
livrées conformément aux déclarations des appe-
lants.
Quant il s'est avéré, après que la déclaration
d'entrée eut été complétée en bonne et due forme
et que les droits de douane eurent été payés, que
les marchandises ne seraient pas livrées conformé-
ment au connaissement, il appert que ni l'intimée
ni les agents des transporteurs ne savaient si les
marchandises avaient, de fait, été importées au
Canada et avaient subséquemment disparu ou si
ces marchandises n'étaient pas à bord quand le
navire a quitté le Pakistan ou si elles avaient
subséquemment été déchargées du navire avant
qu'il n'arrive au Canada.
L'article 8(2) se lit comme suit:
8....
(2) Sauf pour alléger le navire et lui permettre de franchir
quelque haut-fond, roche, barre ou banc de sable, ou l'en
dégager, nul effet ne doit être déchargé, si ce n'est entre le
lever et le coucher du soleil, un jour qui n'est ni un dimanche
ni un jour de fête légale, et à une heure et à un endroit où il y
a un préposé chargé de surveiller le déchargement des effets,
ou à quelque endroit où le receveur ou autre préposé compé-
tent a, par tolérance, permis de décharger des effets. Toute-
fois, le receveur ou autre préposé compétent au port où doit
se faire l'inscription des marchandises peut accorder permis
sion par écrit pour l'allégement d'un navire et le décharge-
ment de marchandises
a) un jour de fête statutaire, autre qu'un dimanche;
b) après le coucher et avant le lever du soleil; et
c) à un autre endroit qu'un port;
mais ce déchargement ne doit être fait qu'en la présence d'un
préposé délégué pour ce service et aux conditions que le
Ministre peut autoriser ou prescrire.
Le navire est arrivé à Montréal en juillet 1974
mais, selon la preuve, ce n'est qu'après le début de
l'audience de première instance, en mai 1976, que
l'intimée a pris connaissance d'un incident survenu
au Pakistan au moment du chargement du navire.
Cet incident donnait à penser que les marchandises
en question avaient pu, après leur chargement à
bord du navire au Pakistan, en avoir été retirées
par la police pakistanaise qui soupçonnait la pré-
sence d'articles de contrebande. Le savant juge de
première instance a conclu, se fondant en grande
partie sur cette preuve, que selon la prépondérance
des probabilités, les marchandises n'avaient sans
doute jamais été importées au Canada. Il a toute-
fois indiqué que la question de savoir si les autori-
tés douanières «auraient accepté une telle conclu
sion alors que les documents indiquaient le
contraire» était «matière à conjecture». Ce qui
signifie que, si les marchandises avaient été de fait,
importées au Canada, les droits de douane versés
aux autorités canadiennes ne pouvaient être recou-
vrés, même si les marchandises n'avaient jamais
été livrées à l'intimée mais que, si ces marchandi-
ses n'avaient pas été importées, une demande de
remboursement des droits de douane aurait proba-
blement été recevable en la supposant conforme
aux prescriptions de la Loi et des règlements
applicables.
Laissant de côté pour l'instant les moyens de
défense particuliers présentés par les appelants, je
me range à l'avis du juge Thurlow (alors juge
puîné) dans Club Coffee Company Limited c.
Moore -McCormack Lines, Inc.' (précédent sur
lequel, si je comprends bien, le savant juge de
première instance a fondé son jugement). Selon
cette décision, lorsqu'un transporteur fait défaut
de livrer des marchandises comme le stipule le
contrat de transport, le consignataire a droit à un
dédommagement pour la perte directement affé-
rente au défaut de livraison et, dans un cas appro-
prié, le dédommagement peut comprendre non
seulement la valeur de la marchandise non livrée,
mais également toute autre perte directement affé-
rente au défaut de livraison.
En lisant les plaidoiries que les parties ont pré-
senté en première instance, je vois qu'elles se sont
toutes deux fondées sur la proposition voulant que,
lorsque les appelants ont versé à l'intimée la valeur
5 [1968] 2 R.C.É. 365.
de facture des marchandises, cette somme a été
versée et acceptée comme représentant la valeur
desdites marchandises 6 au moment où ces mar-
chandises auraient dû être livrées à l'exclusion des
droits de douane. La seule question examinée au
cours de l'audition était celle de savoir si le défaut
de livraison a entraîné, pour l'intimée, une perte
nette en plus de la valeur de facture, égale aux
droits de douane qu'elle avait versés sur les mar-
chandises non livrées.
A mon avis, si les marchandises avaient été
livrées conformément au contrat, l'intimée aurait
eu en sa possession au Canada des marchandises
exonérées de droits dont la valeur aurait compris à
première vue:
a) la valeur de facture plus
b) les droits de douane sur les marchandises.
Par conséquent, si l'intimée, en qualité d'importa-
trice, avait dû verser des droits sur les marchandi-
ses non livrées, à mon avis elle aurait eu le droit de
se faire rembourser pour cause d'inexécution du
contrat, non seulement la valeur de facture (qu'elle
avait reçue) mais les droits qu'elle avait versés sur
les marchandises non livrées par les appelants.
Pour conclure ainsi, je me suis fondé sur les coutu-
mes et la situation de l'entreprise maritime au
Canada, manifestement connues des appelants
autant que de l'intimée savoir que, d'une part,
dans un tel cas, les droits de douane doivent être
versés, sur la foi de la confirmation par le trans-
porteur à l'importateur que les marchandises sont
à bord du navire qui doit arriver, afin que ces
marchandises soient déchargées et livrées à l'im-
portateur; d'autre part, pour les nécessités du com
merce, ces droits doivent être versés par l'importa-
teur avant que les marchandises ne soient prêtes à
être livrées, sur la foi uniquement des renseigne-
ments fournis par le transporteur selon lesquels
lesdites marchandises sont à bord du navire qui
doit arriver.
Par ailleurs, la perte subie par l'intimée du fait
du paiement des droits de douane relatifs à des
marchandises qu'elle n'a jamais reçues ne peut
être considérée, en l'espèce, comme le résultat
6 J'estime qu'il existe une présomption réfutable selon
laquelle des marchandises ont, pour l'homme d'affaires, une
valeur égale à la somme versée pour les inclure dans son
inventaire.
direct de l'inexécution du contrat par les appelants
qui n'ont pas livré les marchandises, que si
a) les marchandises ont réellement été impor-
tées au Canada, ou
b) si elles ne l'ont pas été, que l'intimée, en ce
qui la concerne et concerne les appelants, n'est
pas habilitée à obtenir des autorités douanières
le remboursement des droits.
Pour ce qui est de la première de ces deux
questions, il ne ressort pa'.- clairement de l'ensem-
ble de la décision que le savant juge de première
instance ait effectivement conclu que les marchan-
dises n'ont pas été importées au Canada. S'il l'a
fait, je suis d'avis qu'une telle conclusion est sans
fondement. J'en suis convaincu, on a prouvé que
c'était l'une des raisons possibles expliquant que
les marchandises n'étaient pas prêtes à être livrées.
Toutefois, je n'ai trouvé aucun élément de preuve
pour me persuader qu'il s'agissait là d'une explica
tion plus probable que celle voulant que les mar-
chandises aient été détournées après avoir été
débarquées. Quoi qu'il en soit, compte tenu de ma
conclusion sur la seconde question, je n'estime pas
nécessaire de conclure sur ce point.
Il paraît clair que
a) les marchandises non livrées ont été inscrites
par les appelants dans le manifeste remis à la
douane, donc, en l'absence d'une preuve con-
traire, elles sont réputées avoir été débarquées
au Canada conformément à l'article 11(3) de la
Loi sur les douanes,
b) l'appelant, de fait, a informé l'intimée que les
marchandises étaient à bord du navire qui s'ap-
prochait du Canada et qui a subséquemment
déchargé sa cargaison à Montréal, et
c) les appelants n'ont, à aucun moment, informé
l'intimée que les marchandises n'avaient pas été
importées au Canada, ni fourni des éléments de
preuve confirmant qu'elles n'ont pas été impor-
tées au Canada.
Cela dit, selon moi, on ne peut affirmer, en ce
qui concerne les appelants et l'intimée, que cette
dernière aurait dû réclamer le remboursement des
droits de douane en question et, de plus, j'estime
qu'à partir du moment où l'action a été instituée
en Division de première instance, l'intimée avait le
droit d'être indemnisée par les appelants de la
perte découlant du versement de droits sur les
marchandises non livrées.
J'ai eu quelque hésitation à parvenir à cette
conclusion car, selon moi, les deux parties ont
adopté des thèses insoutenables. En effet
a) selon l'intimée, il revenait au transporteur
d'obtenir le remboursement de tous droits payés
sur des marchandises non livrées, et
b) les appelants rejettent toute responsabilité
quant aux droits versés sur les marchandises non
livrées.
Après mûre réflexion, j'ai conclu ce qui suit:
a) bien qu'il incombât à l'importatrice de récla-
mer le remboursement des droits versés par elle,
dans la mesure où elle était habilitée à les
recouvrer, elle ne disposait en fait d'aucune
preuve à l'appui de sa réclamation. En effet,
jamais les appelants n'ont avisé l'intimée de
l'existence d'une telle preuve et rien n'indique
que l'intimée aurait dû, en tant que commer-
çante raisonnablement prudente, connaître la
possibilité d'en obtenir une qui puisse valable-
ment étayer sa demande de remboursement;
b) les appelants ont fait naître une présomption
de responsabilité quant au versement des droits
de douane, mais n'ont jamais fourni à l'intimée
«la preuve du contraire». S'ils détenaient une
telle preuve, ils n'en ont jamais avisé l'intimée.
En l'espèce, je suis d'avis que la thèse de l'intimée
ne peut être considérée comme ayant nui au résul-
tat final. Selon moi, la perte subie par elle du fait
du versement des droits est directement attribua-
ble à l'inscription par les appelants dans leur
déclaration des marchandises non livrées et au fait
qu'ils ont signifié à l'intimée l'avis habituel sans
savoir si les marchandises avaient réellement été
importées au Canada. Il n'a donc jamais été donné
à l'intimée la possibilité de minimiser sa perte en
obtenant le remboursement des droits ainsi versés.
Mettant de côté la question de l'omission par les
appelants de faire «rapport» des marchandises
manquantes conformément à l'article 112(1) (qui
ne s'applique, si je comprends bien, qu'au «déficit
dans la quantité» des effets «importés et déclarés,
et passés sous la garde de l'importateur ...» ),
j'estime que la demande de l'intimée en recouvre-
ment des droits payés par elle sur les marchandises
que les appelants ont fait défaut de livrer aux
termes du contrat de transport 7 est, de prime
abord, fondée.
Je passe maintenant aux moyens de défense
spéciaux des appelants.
Pour ce qui est de la clause du connaissement
invoquée par les appelants et concernant la [TRA-
DUCTION] «Responsabilité ... après le décharge-
ment . ..» il s'agit, à mon avis, d'un moyen de
défense que les appelants peuvent invoquer seule-
ment s'ils établissent que leur défaut de livrer les
marchandises a été causé par la [TRADUCTION]
«perte ... des ... effets ... après leur décharge-
ment» et, en l'absence d'éléments de preuve consta-
tant [TRADUCTION] «la perte ... après le déchar-
gement», ce moyen ne peut être invoqué. Il appert
que les appelants n'ont pas prouvé une telle perte.
Il se peut que les marchandises aient été déchar-
gées au Pakistan tout aussi bien qu'à Durban.
De même, les appelants se sont fondés sur la
clause 24 du connaissement qui apporte des res
trictions à la règle ordinaire concernant le quan
tum des dommages-intérêts; les appelants ne sem-
blent pas, toutefois, avoir plaidé cette clause. Le
fardeau leur incombait d'établir que la clause joue-
rait de manière à écarter la demande de l'intimée
en remboursement des droits payés inutilement.
Non seulement les faits permettant d'invoquer
cette clause en défense n'ont-ils pas été établis
mais, à mon avis, la clause ne peut s'appliquer
dans un cas comme celui-ci où l'on n'a pas prouvé
le sort des marchandises. Cette clause n'entre en
jeu comme moyen de défense ou de défense par-
tielle que dans le cas de [TRADUCTION] «pertes,
avaries, ou retenue des marchandises». En l'espèce,
on n'a pu établir que les marchandises n'ont pas,
de fait, été livrées. Je ne me prononce pas sur la
question de savoir si les termes de la clause, savoir
«prix net de la facture et débours du chargeur»
s'appliquent au prix et aux débours assumés par
l'importatrice et, dans l'affirmative, sur la question
de savoir si le mot «débours» englobe le versement,
par l'importatrice, des droits de douane.
' Les motifs de décision du savant juge de première instance
renferment différents passages où il fait état de »l'apparente
impossibilité d'établir que les marchandises n'ont jamais été
débarquées au Canada» bien que le juge reconnaisse »que ce
soit probablement le cas».
Les appelants ont également soulevé la question
de la compétence de la Division de première ins
tance dans cette affaire mais, compte tenu de la
décision récente de la présente cour, Associated
Metals and Minerals Corporation c. L'«Evie W.»
[A-175-73], ils n'ont pas débattu ce point à l'au-
dience. La question n'a toutefois pas été abandon-
née.
Pour ces motifs, je suis d'avis de rejeter l'appel
avec dépens.
* * *
LE JUGE LE DAIN: Je souscris.
* * *
LE JUGE SUPPLÉANT HYDE: Je souscris.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.