A-936-77
Leslie Anthony Pierre (Requérant)
c.
Le ministre de la Main-d'oeuvre et de l'Immigra-
tion et l'enquêteur spécial J. R. Pickwell (Intimés)
Cour d'appel, le juge en chef Jackett, le juge
Collier et le juge suppléant Kelly—Vancouver, les
22 et 23 mars; Ottawa, le 21 avril 1978.
Examen judiciaire — Immigration — Enquête spéciale —
Le refus par l'enquêteur spécial d'ajourner une enquête impé-
rative a provoqué le retrait de l'avocat du requérant — Ordon-
nance d'expulsion rendue — Faut-il annuler l'ordonnance
d'expulsion à cause d'une allégation de dénégation de justice
naturelle par suite d'un refus d'ajournement pour permettre au
requérant de retenir les services d'un avocat? — L'enquêteur
spécial était-il incompétent par suite d'une condition préalable
(on n'avait pas encore statué sur une demande de statut
d'immigrant reçu) pas encore réalisée? — Loi sur la Cour
fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), c. 10, art. 28 — Loi sur
l'immigration, S.R.C. 1970, c. I-2, art. 18, 25, 34.
Il s'agit d'une demande, faite en vertu de l'article 28, en
annulation d'une ordonnance d'expulsion rendue contre le
requérant par suite de procédure instituée par un rapport en
vertu de l'article 18 de la Loi sur l'immigration. Le requérant
fait valoir deux motifs pour l'examen de l'ordonnance. Selon le
premier motif, l'enquêteur spécial a excédé sa compétence et
n'a pas appliqué les principes de justice naturelle en refusant au
requérant le droit de se faire assister par son avocat pendant les
procédures d'enquête spéciale. L'ordonnance d'expulsion a été
rendue par l'enquêteur spécial au cours d'une enquête impéra-
tive qu'il a refusé d'ajourner, ce qui a provoqué le retrait de
l'avocat du requérant. Selon le second motif, l'enquêteur spécial
n'était pas compétent pour rendre une ordonnance d'expulsion
parce qu'une condition préalable à la tenue d'une enquête faite
en vertu de l'article 25 n'avait pas encore été réalisée, à savoir
qu'il faut d'abord statuer sur la demande de statut d'immigrant
reçu déposée par la personne faisant l'objet de l'enquête. Il est
allégué que l'enquêteur spécial a commis des erreurs de droit en
concluant qu'une lettre de «renvoi» a réglé la demande du statut
d'immigrant reçu faite par le requérant.
Arrêt (le juge Collier dissident en partie): la demande est
rejetée.
Le juge en chef Jackett: On ne peut trouver aucune faute
dans la fixation d'une date impérative ou le refus subséquent
d'un autre ajournement a) tenant compte de la durée de
l'enquête, b) prenant en considération le fait que le requérant
avait eu l'occasion de plaider sur des questions juridiques (et
qu'il a pleinement profité de ces occasions) et c) en l'absence de
toute indication que des preuves pertinentes pourraient être
produites devant l'enquêteur spécial, pour le compte du requé-
rant, et qu'elles ne pourraient pas être raisonnablement produi-
tes dans le délai impérativement fixé. Quant à la question de
savoir si l'existence d'un appel pendant contre le refus de bref
de prohibition a vicié l'exercice du pouvoir discrétionnaire en
question, la Cour ne peut pas affirmer que l'enquêteur spécial
n'est pas arrivé à des conclusions raisonnables selon les circons-
tances qui lui ont été révélées. La Cour ne parvient pas à saisir
la rigueur logique du second motif d'appel du requérant. En
rejetant la demande de bref de prohibition, la Cour est d'accord
avec le juge Mahoney lorsqu'il dit que .L'arrêt Leiba ne permet
pas de dire qu'une décision notifiée par une lettre de .renvoi»
n'a été ni faite ni communiquée» et, même si la demande de
statut d'immigrant reçu n'a pas été réglée, la Cour ne voit pas
comment ce fait constituerait une exception à opposer au libellé
très clair de l'article 18.
Et aussi le juge suppléant Kelly: Le requérant était bien
informé de son droit à un avocat et de son devoir relatif au
choix de cet avocat; il a eu largement l'occasion d'amener
devant la Cour un avocat compétent pour se faire représenter,
mais ne l'a pas fait—en conséquence, la décision de l'enquêteur
spécial de continuer la procédure en présence du requérant
mais sans avocat, après que l'avocat présent se soit retiré, ne
constitue en aucune façon une violation des principes de justice
naturelle.
Le juge Collier (dissident en partie): Le refus d'ajourner
l'enquête à une date ultérieure, a été en l'espèce, un exercice de
pouvoir discrétionnaire entaché d'inéquité, ou une dénégation
de justice naturelle. Le requérant a été privé d'une occasion
raisonnable de répondre aux accusations faites à son encontre.
Cette occasion comprenait la citation de témoins ou la produc
tion de preuves par le requérant lui-même (dans les deux cas,
avec l'aide d'un avocat bien au courant de l'affaire). L'occasion
englobait aussi le droit du requérant de faire plaider en son
nom par un avocat sur la décision à rendre par l'enquêteur
spécial. Il résulte de tout ceci qu'il y a eu dénégation de justice
naturelle.
DEMANDE d'examen judiciaire.
AVOCATS:
H. A. D. Oliver et Don Rosenbloom pour le
requérant.
Alan Louie pour les intimés.
PROCUREURS:
Oliver, Waldock & Richardson, Vancouver,
pour le requérant.
Le sous-procureur général du Canada pour
les intimés.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE EN CHEF JACKETT: Il s'agit d'une
demande, faite en vertu de l'article 28, en annula-
tion d'une ordonnance d'expulsion rendue contre le
requérant par suite de procédure instituée par un
rapport en vertu de l'article 18 de la Loi sur
l'immigration, S.R.C. 1970, c. I-2.
L'affaire a été entendue à Vancouver le mer-
credi 22 mars et a fait l'objet d'un jugement rendu
le jeudi 23 mars.
On a fait valoir deux motifs pour le compte du
requérant.
Selon le premier, l'ordonnance d'expulsion a été
rendue après que l'enquêteur spécial eut refusé
l'ajournement demandé par l'avocat du requérant,
dans les circonstances ci-dessous décrites.
Je dois dire tout de suite que je ne considère pas
ce point comme susceptible de quelque doute que
ce soit, même si le dossier de l'affaire requiert un
long exposé pour expliquer ma conclusion.
Dans l'examen d'une plainte relative à un refus
d'ajournement par un tribunal, il ne faut pas
oublier qu'en l'absence de toute règle spécifique
régissant le mode d'exercice par le tribunal de son
pouvoir discrétionnaire dans l'octroi d'un ajourne-
ment, la question d'accorder ou de refuser l'ajour-
nement demandé est de nature discrétionnaire
pour le tribunal même, et qu'une cour supérieure
ayant droit de surveillance n'a pas compétence
pour réviser un refus d'ajournement, à moins qu'à
cause de ce refus, la décision rendue par le tribunal
à la fin de l'audience ne soit annulable pour viola
tion des règles de justice naturelle.
A mon avis, la première question à laquelle doit
répondre la Cour dans l'examen du premier motif
consiste à déterminer si, en raison du refus d'ajour-
nement, l'ordonnance d'expulsion attaquée a été
rendue sans que le requérant ait eu une occasion
raisonnable de répondre aux allégations faites à
son encontre. La question doit être déterminée par
la Cour d'après les circonstances de l'espèce.
Avant d'examiner des faits plus ou moins rela-
tifs au problème posé par le premier motif, et
comme de nombreux mois se sont écoulés entre
' Comparer à l'article 9 du Règlement sur les enquêtes de
l'immigration, DORS/67-621, dont voici le libellé:
9. Le président de l'enquête peut, de temps à autre, lever
la séance
a) à la demande de la personne faisant l'objet de l'en-
quête, ou de son avocat ou conseiller, ou
b) pour toute autre raison que le président de l'enquête
jugera suffisante.
l'arrivée du requérant au Canada et le début des
procédures menant à l'ordonnance d'expulsion
attaquée, je crois bon de rappeler certains faits
survenus durant cette période, à savoir:
[Le savant juge en chef examine les faits rela-
tifs à la question de l' ((ajournement» et poursuit.]
L'enquêteur spécial a rendu alors l'ordonnance
d'expulsion faisant l'objet de la présente demande
introduite en vertu de l'article 28. J'ai ainsi fini la
révision des faits de l'espèce, tels qu'ils ont été
portés au dossier, et dans la mesure où ils me
paraissent concerner la question de l'«ajourne-
ment».
Avant d'examiner si l'enquêteur spécial a exercé
son pouvoir discrétionnaire de telle manière que
l'ordonnance d'expulsion attaquée doive être annu-
lée, je dirai qu'à mon avis, lorsqu'il se demande s'il
faut accorder l'ajournement d'une enquête sur
demande faite pour le compte d'une personne fai-
sant l'objet d'un rapport en vertu de l'article 18,
l'enquêteur spécial ne doit pas oublier:
a) qu'il faut donner à ladite personne l'occasion
raisonnable de répondre aux allégations faites à
son encontre, et
b) que lui-même (l'enquêteur spécial) a le
devoir statutaire de conduire l'enquête et d'arri-
ver à une conclusion en la matière, sous réserve,
bien entendu, de l'occasion raisonnable précitée.
En outre, prenant en considération les longues
doléances présentées par l'avocat et les nombreuses
déclarations faites à l'enquêteur spécial au cours
de l'enquête, il convient de souligner que la Cour
n'a pas pour fonction de rendre des décisions sur la
validité et l'exactitude desdites déclarations, même
lorsque celles-ci sont relatives à la nature et au
déroulement des procédures devant elle. Aucune
allégation n'a été faite à ce sujet, et l'avocat
n'avait pas à répondre à de telles allégations. La
seule question que la Cour doit examiner consiste à
déterminer si l'enquêteur spécial—par un exercice
erroné de son pouvoir discrétionnaire dans la fixa
tion des dates de l'enquête, et quelle que soit la
cause l'ayant induit en erreur—a rendu l'ordon-
nance d'expulsion attaquée sans donner au requé-
rant l'occasion raisonnable de répondre aux alléga-
tions faites contre lui. 2 Pour arriver à ma
conclusion ici, j'ai toujours gardé à l'esprit cette
distinction.
Prenant en considération tout le déroulement de
la procédure d'enquête, je n'ai aucun doute que, du
21 janvier 1976 où l'ordre a été donné d'ouvrir
l'enquête, jusqu'en novembre 1977, l'enquêteur
spécial a satisfait à toute demande d'ajournement
faite pour le compte du requérant, par suite de
quoi nous nous trouvons devant une enquête pro-
longée et incomplète, d'une durée inhabituellement
longue (je m'abstiens de donner un avis sur le
point de savoir si, par suite de cette longueur,
l'enquête a été, en novembre 1977, prolongée plus
que les circonstances ne le justifiaient).
Selon moi, voici les questions précises à exami
ner par la Cour en l'espèce:
a) Lorsque, le 7 décembre 1977, l'enquêteur
spécial a fixé le 19 décembre 1977 comme «date
impérative», commettait-il une erreur dans
l'exercice de son pouvoir discrétionnaire? et
b) l'enquêteur spécial commettait-il une erreur
dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire
lorsque, le 19 décembre 1977, date impérative
ainsi fixée, il a refusé d'ajourner l'enquête à une
date postérieure?
Dans l'examen de ces questions, il convient, à
mon avis, de déterminer ce qui était nécessaire, en
novembre 1977, pour achever l'enquête. Tout
d'abord, il y a la question des faits, soulevée par le
rapport même fait en vertu de l'article 18, savoir:
2 Lorsque je me prononce ainsi, je ne voudrais pas être
interprété comme disant que, quand une partie est représentée
par un avocat, il ne faut pas considérer ce qu'a dit l'avocat
comme l'ayant été pour le compte de la partie. Bien entendu,
l'enquêteur a le droit de fonder ses conclusions sur les alléga-
tions et la conduite de l'affaire faites pour le compte de la
partie; et, à mon avis, il a le droit et l'obligation de prendre une
position ferme, lorsqu'il est convaincu que lesdites allégations et
conduite sont des tentatives délibérées pour faire traîner la
procédure; je n'insinue pas que l'enquêteur spécial ait constaté
des tentatives semblables en l'espèce, même s'il semble avoir
considéré qu'il s'agit d'efforts pour obtenir des délais non
nécessaires et injustifiés.
a) Le requérant était-il un citoyen canadien?
b) Avait-il un domicile au Canada?
c) A-t-il été déclaré coupable d'une infraction
visée par le Code criminel?
d) Était-il devenu un détenu dans un péniten-
cier?
Cependant, à la lecture de la transcription, on
s'aperçoit que, dans tout ce qui a été dit pour le
compte du requérant, ni celui-ci ni aucun de ses
avocats n'a indiqué que l'un quelconque des points
ainsi énumérés était litigieux et on ne voit aucune
preuve qui pourrait jeter quelque doute, pour le
compte du requérant, sur les faits tels qu'on les
constate au dossier, en novembre 1977, bien que
seulement 19 mois se soient écoulés depuis le
commencement de l'enquête, et bien qu'au long de
celle-ci, le requérant ait été représenté par des
avocats expérimentés. Dans ce sens, il pourrait y
avoir des preuves non révélées, mais je pense qu'en
l'espèce, on aurait révélé la nature des preuves
citées à l'appui des demandes d'ajournement, s'il y
en avait. En second lieu, on avait soulevé des
objections juridiques à l'ordonnance d'expulsion
fondée sur le second rapport établi en vertu de
l'article 18, propos duquel l'avocat a fait plu-
sieurs longues plaidoiries antérieurement à novem-
bre 1977.
A mon avis, laissant de côté pour le moment la
question des procédures d'appel et celle de la
promptitude de l'avocat, et
a) tenant compte de la durée de l'enquête,
b) prenant en considération le fait que le requé-
rant avait eu pleinement l'occasion de plaider
sur des questions juridiques (et il a pleinement
profité de ces occasions), et
c) en l'absence de toute indication que des preu-
ves pertinentes pourraient être produites devant
l'enquêteur spécial, pour le compte du requé-
rant, et que lesdites preuves ne pourraient pas
être raisonnablement produites dans le délai
impérativement fixé,
on ne peut trouver aucune faute dans la fixation
d'une date impérative ou le refus subséquent d'un
autre ajournement.
Quant à la question de savoir si l'existence d'un
appel pendant contre le refus de bref de prohibi
tion a vicié l'exercice du pouvoir discrétionnaire en
question, il faudrait souligner que:
a) l'institution de procédures en vue d'obtenir
un bref de prohibition contre une enquête ne
constitue pas une barrière juridique à la tenue
de l'enquête ou à l'émission d'une ordonnance
d'expulsion, et
b) selon les circonstances, un tribunal devrait
prendre toute action dilatoire possible et raison-
nable à son avis en l'espèce pour éviter de faire
échec à des procédures pouvant résulter d'un
procès porté devant une cour supérieure, lorsque
celui-ci n'est pas notoirement dilatoire.
En l'espèce, je ne dis pas que l'enquêteur spécial
n'ait pas pris, par suite du procès pendant devant
la Cour d'appel, telles actions dilatoires qu'il
jugeait raisonnables. Il se peut qu'avec mon expé-
rience comme juge à la Cour d'appel en question,.
j'aurais tout d'abord, lorsque la question s'est pré-
sentée, proposé un ajournement formulé de façon à
reprendre l'audition dès qu'il aurait été évident que
les procédures d'appel n'étaient pas réglées aussi
rapidement que les représentants juridiques du
requérant pouvaient l'obtenir par des efforts rai-
sonnables. Cependant, me mettant à la place de
l'enquêteur spécial, je ne puis affirmer qu'il n'est
pas arrivé à des conclusions raisonnables selon les
circonstances qui lui ont été révélées, tout en
tenant compte de l'appel pendant devant la Cour.
Quant à la disponibilité de l'avocat pour partici-
per à l'enquête, il faut reconnaître que tout tribu
nal examinant une requête en ajournement, qu'il
tienne compte des exceptions soulevées par les
parties s'opposant à l'ajournement ou de son obli
gation statutaire de procéder avec la diligence
raisonnable, doit peser soigneusement les dires de
l'avocat qui déclare n'être pas prêt à continuer
l'enquête, ou n'être pas disponible. Ainsi, il arrive
qu'une partie qui ne veut pas procéder change
d'avocat pour obtenir un délai. Prenant en considé-
ration le déroulement des événements dans cette
enquête, et spécialement la fixation d'une date
impérative après de nombreux ajournements et des
tentatives pour se mettre d'accord sur une date à
laquelle l'avocat consentirait à procéder, je ne dirai
pas que le pouvoir discrétionnaire en question a été
exercé de façon erronée. 3
En arrivant à cette conclusion, je suis en quelque
façon libéré, à l'égard du requérant, de toute
inquiétude qui autrement pourrait me troubler, du
fait que:
a) les représentants juridiques du requérant ont
eu pleinement l'occasion de plaider;
b) il n'a pas été dit pour le compte du requé-
rant, qu'il y aurait des preuves susceptibles de
modifier les conclusions de fait nécessaires à
l'appui de l'ordonnance d'expulsion, et
c) les seuls obstacles évidents sur lesquels les
représentants du requérant aient donné des
signes de vouloir se fonder étaient des matières
juridiques que le requérant pouvait faire valoir à
l'occasion de la présente demande faite en vertu
de l'article 28.
Le second motif sur lequel le requérant a fondé
la présente demande est énoncé de la façon sui-
vante dans le mémoire déposé devant la Cour:
[TRADUCTION] Il est allégué que l'enquêteur spécial Pickwell
n'était pas compétent pour rendre une ordonnance d'expulsion,
attendu que, comme condition préalable à l'institution d'une
enquête faite en vertu de l'article 25, il faut d'abord statuer sur
la demande de statut d'immigrant reçu présentée par la per-
sonne faisant l'objet de l'enquête.
Avec déférence, il est allégué que l'enquêteur spécial J. R.
Pickwell a commis des erreurs de droit en concluant que la
lettre de .renvoi» du 7 mai 1971 a réglé la demande du statut
d'immigrant reçu faite par l'appelant.
Selon les motifs du jugement rendu par le juge
Mahoney et rejetant la demande de bref de prohi
bition, l'argument précité est le seul fondement
solide de la présente demande. A mon avis, il n'est
pas nécessaire d'énoncer les arguments du requé-
rant en détail (je ne crois pas avoir bien saisi la
rigueur logique de cette argumentation). Je peux
seulement dire que je suis d'accord avec le juge
Mahoney lorsqu'il dit [[1978] 1 C.F. 192, la
page 196] que «L'arrêt Leiba ne permet pas de
dire qu'une décision notifiée par une lettre de
`renvoi' n'a été ni faite ni communiquée» 4 et que,
même si la demande de statut d'immigrant reçu
n'a pas été réglée, je ne vois pas comment ce fait
constituerait une exception à opposer au libellé
très clair de l'article 18.
3 Voir Annexe A.
4 Voir Annexe B.
Je n'ai pas oublié qu'en statuant ainsi, j'ai par là
même rendu une décision sur ce qui paraît être le
seul fondement de l'appel interjeté contre le juge-
ment de la Division de première instance qui n'ait
pas fait l'objet d'une audition devant cette cour
(on n'a pas dit que ce soit là une raison pour ne pas
traiter de cette matière ici). Le même fondement
peut servir pour la demande d'un bref de prohibi
tion ou d'un bref de certiorari en vertu de l'article
28. Comparer Bell c. The Ontario Human Rights
Commissions. A mon avis, la Cour doit traiter
dudit fondement aussitôt qu'elle y arrivera dans le
déroulement de la procédure. A ce propos, il ne
faut pas oublier l'article 28(5) de la Loi sur la
Cour fédérale dont voici le libellé:
28....
(5) Les demandes ou renvois à la Cour d'appel faits en vertu
du présent article doivent être entendus et jugés sans délai et
d'une manière sommaire.
A mon avis, pour les motifs précités, la demande
faite en vertu de l'article 28 doit être rejetée.
ANNEXE «A»
Le problème qui se pose lorsque l'avocat engagé
dans des procédures administratives est occupé
ailleurs a soulevé de nombreuses discussions. On a
proposé que le tribunal administratif arrange ses
auditions de telle manière que l'avocat, ayant reçu
des avances sur honoraires pour comparaître
devant des «cours supérieures» pour le compte
d'autres clients, et faire prioritairement ce qui est
nécessaire pour le service de ces derniers, puisse
faire aussi ce qui est nécessaire pour le service du
client qui lui a versé des avances sur honoraires
pour comparaître devant ledit tribunal administra-
tif. Je suis d'avis qu'aucun principe n'exige qu'un
tribunal administratif agisse de cette façon. Cela
ne veut pas dire qu'un tribunal administratif,
comme tout autre tribunal, ne doit pas raisonna-
blement prendre en considération les problèmes
qui se posent aux avocats, dans la mesure du
possible et en accord avec les intérêts des autres
parties et avec les obligations du tribunal envers le
public. Dans la situation qui est celle du Canada
de nos jours, il faut modifier l'ancien principe de
ne pas prendre en considération la commodité de
l'avocat. Lorsqu'un avocat s'est préparé à des
causes longues et compliquées devant des tribu-
' [1971] R.C.S. 756.
naux différents, il serait inéquitable envers une
partie donnée de ne pas prendre toutes mesures
raisonnables pour arranger les auditions, de façon
à éviter que la partie soit représentée par un avocat
obligé de refaire le travail commencé par un prédé-
cesseur ou par un avocat n'ayant pas suffisamment
de temps pour se préparer. D'autre part, lorsque le
cas exige très peu de préparation et qu'un avocat
peut être remplacé sans frais supplémentaires ou
avec très peu de frais supplémentaires, la nécessité
de remplacer l'avocat pèserait beaucoup moins
lourd dans la décision à prendre. En l'espèce, à en
juger d'après la situation en novembre 1977, je ne
suis pas convaincu que l'enquêteur spécial ait fait
des erreurs dans l'exercice de son pouvoir discré-
tionnaire en décidant que le remplacement de
l'avocat n'était pas aussi important que d'autres
facteurs exigeant la continuation de l'enquête jus-
qu'à la clôture de celle-ci sans autre délai.
ANNEXE «Bn
Le 16 septembre 1970, le requérant est entré au
Canada, à Toronto, à titre de visiteur, et le rap
port, fait en vertu de l'article 18 et servant de
fondement à l'ordonnance d'expulsion attaquée, a
été dressé le 21 janvier 1976. Le dossier ne relate
pas de façon suivie les circonstances entourant la
présente affaire. On peut en avoir, cependant,
quelque idée en en examinant le contenu.
Lorsque le requérant et sa femme ont déclaré,
au fonctionnaire à l'immigration, à leur arrivée à
Toronto, qu'ils venaient comme visiteurs au
Canada, et lorsqu'ils ont été admis comme tels
pour une période allant jusqu'au 13 octobre 1970,
il est clair qu'ils avaient décidé de quitter leur pays
natal de Grenade et étaient venus au Canada avec
tous leurs biens, clans l'intention d'y rester de
façon permanente.
En ce qui concerne les événements postérieurs
au 16 septembre 1970, voici ce que l'on sait sur le
requérant, ou ce que l'on peut déduire des pièces,
en vertu de l'article 28:
1970
1. En septembre, le premier etafant du requérant est né à
Toronto.
2. Le 5 octobre, ce dernier a demandé le statut d'immigrant
reçu, en application du Règlement qui le permettait alors.
1971
1. Le 1°' janvier, il a commis l'infraction de «possession»
prévue au Code criminel, et, subséquemment, il s'est reconnu
coupable.
2. Le 11 février, il a été interviewé au sujet de sa demande
de statut d'immigrant reçu.
3. Le 7 mai a été envoyée à son adresse à Toronto une lettre
rejetant ladite demande, enjoignant au requérant de quitter
le Canada avant le 21 mai, et exigeant, s'il n'était pas parti à
cette date, qu'il se présente au bureau de l'immigration afin
que les mesures nécessaires soient prises pour l'ouverture
d'une enquête pouvant aboutir à son expulsion.
4. Le 19 mai, il a été condamné à une amende de $100 ou 30
jours d'emprisonnement pour l'infraction commise le 1°"
janvier.
5. Le 12 juillet, son deuxième enfant est né à Toronto.
6. Le 26 août, un rapport, rédigé en vertu de l'article 22, a
été établi contre le requérant.
1972
1. Le 5 février, le requérant a commis les infractions de vol,
possession d'instruments d'effraction, et entrée par effrac-
tion.
2. Le 16 mai, le requérant a été condamné pour lesdites
infractions.
3. Le 5 juin, un mandat d'arrêt a été délivré contre lui.
4. Le 10 juillet a été envoyée à son adresse à Toronto une
lettre invitant le requérant à se présenter devant un bureau
de l'immigration pour réviser son dossier [TRADUCTION]
«pour déterminer s'il y a la possibilité d'une action positive à
prendre».
5. Sans se présenter devant le bureau de l'immigration, et
pour se dérober au mandat d'arrêt lancé contre lui en juillet
1972, le requérant a déménagé en Colombie-Britannique.
1973
1. Le 25 octobre, le requérant s'est présenté à un bureau de
l'immigration à Toronto.
2. Le 8 novembre 1973, à Toronto, le requérant a été déclaré
coupable d'entrée par effraction, de vol et de défaut de
comparaître et il a été condamné à six mois plus un mois,—la
date de sa libération étant fixée au 31 mars 1974.
1974
1. Le 4 février, une lettre a été envoyée par l'enquêteur
spécial à l'appelant détenu au Centre correctionnel de
Guelph (Ontario), pour l'informer de la tenue d'une enquête
fixée au 11 février, dans cet établissement.
2. L'enquête a commencé le 11 février.
3. Le 11 mars, l'enquête a été reprise et achevée, et une
ordonnance d'expulsion a été rendue contre le requérant, qui
en a interjeté appel devant la Commission d'appel de
l'immigration.
4. En juillet, la Commission a annulé l'ordonnance d'expul-
sion [TRADUCTION] «pour des motifs procéduraux et
techniques».
5. Le 23 octobre, le rapport prévu à l'article 18 a été dressé
contre le requérant, sur le fondement des condamnations de
ce dernier en application des dispositions du Code criminel.
6. Le 22 novembre, une lettre a été envoyée au requérant, à
son adresse à Vancouver, pour le convoquer à une enquête à
tenir le 3 décembre 1974.
7. L'enquête, commencée le 3 décembre, a été ajournée.
1975
1. L'enquête, commencée en décembre 1974, a repris et a été
ajournée au 13 mars, au 3 avril et au 15 octobre,
respectivement.
2. Le 25 novembre, le requérant a commis en Colombie-Bri-
tannique, une infraction de «possession» prévue au Code
criminel.
3. Le 27 novembre, il a été condamné pour ladite infraction.
4. Le 22 décembre, il a été déclaré coupable de cette infrac
tion et condamné à 6 mois d'emprisonnement au Centre
correctionnel régional dans le Lower Mainland à South
Burnaby.
5. Le 22 décembre, l'enquête de l'immigration a repris et a
été ajournée sine die.
Le rapport prévu à l'article 18 et servant de
fondement à l'ordonnance d'expulsion attaquée, est
daté du 21 janvier 1976, le requérant purgeant
alors sa peine à South Burnaby, et l'enquête y
relative a commencé dans cet établissement.
Voici le sommaire de l'arrêt Leiba c. Le Minis-
tre de la Main-d'œuvre et de l'Immigration
[1972] R.C.S. 660:
L'appelant, un citoyen israélien, est entré pour la première
fois au Canada avec son épouse le 28 septembre 1967, en vertu
d'un visa de non-immigrant, à titre de visiteur pour une période
prenant fin le 2 janvier 1968. Le 4 octobre 1967, il a demandé
l'autorisation de résider en permanence au Canada en compa-
gnie de son épouse. Un fonctionnaire à l'immigration l'a exa-
miné en suivant les normes prescrites d'appréciation, mais il n'a
pas satisfait à ces normes. A ce moment-là, il n'était pas
représenté par un avocat et il ne parlait couramment ni l'an-
glais ni le français. L'interprète qui a été mis à sa disposition ne
parlait pas avec facilité les langues que parlait l'appelant.
Dans une lettre datée du 19 janvier 1968, les autorités
informaient l'appelant que sa requête était rejetée parce qu'il
ne satisfaisait pas aux normes d'appréciation. On lui demandait
de quitter le Canada le 2 février 1968 au plus tard, à défaut de
quoi une enquête pouvant mener à son expulsion serait ouverte.
Cette lettre dite de «renvoi» était une mesure administrative,
pas expressément sanctionnée ni par la Loi sur l'immigration ni
par les Règlements.
L'appelant et son épouse ont quitté le Canada le 23 janvier
1968, mais ont été réadmis le 2 février 1968, en donnant une
garantie, pour une période temporaire prenant fin le 2 mars
1968. Une requête de résidence permanente a été présentée le
25 septembre 1968. Aucune autre appréciation n'a été faite du
requérant. Sa requête a été rejetée en vertu de l'art. 34(3)(d)
du Règlement pour le motif qu'elle n'avait pas été faite avant
l'expiration de la période pendant laquelle il avait été autorisé à
séjourner temporairement au Canada, soit la période qui a pris
fin le 2 mars 1968. Ceci a été signalé à l'enquêteur spécial en
conformité de l'art. 23 de la Loi, et une enquête a été ordonnée
et tenue le 14 janvier 1969.
L'enquête a abouti à l'émission d'une ordonnance d'expulsion
pour le motif que les conditions de l'art. 34(3)(d) du Règlement
n'avaient pas été remplies. Sur appel à la Commission d'appel
de l'immigration, l'appel de l'appelant a été rejeté pour le motif
que les conditions de l'art. 34(3)(d) du Règlement n'avaient pas
été remplies. La Commission a annulé l'ordonnance d'expulsion
contre l'épouse de l'appelant parce que, contrairement à l'art.
11(1) du Règlement sur les enquêtes sur l'immigration, elle
n'avait pas eu l'occasion d'établir qu'elle ne devrait pas être
visée par l'ordonnance d'expulsion émise contre son mari.
L'appelant a demandé que son appel soit repris et examiné de
nouveau par la Commission, mais la requête a été rejetée.
L'appelant a obtenu l'autorisation d'appeler à cette Cour.
Arrêt: L'appel doit être accueilli, l'ordonnance d'expulsion
annulée et la Commission doit renvoyer la requête de l'appelant
à un enquêteur spécial pour nouvelle appréciation.
La Commission aurait dû infirmer l'ordonnance d'expulsion
et les procédures qui l'ont entraînée de façon à permettre à
l'appelant de voir à ce que sa première requête soit menée à
terme de la façon régulière, ou elle aurait dû ordonner à
l'enquêteur spécial qui avait rendu l'ordonnance d'expulsion de
reprendre l'audition et de la considérer comme découlant de la
première requête, ou encore elle aurait dû prendre elle-même
des mesures à cet effet, laissant ainsi au requérant la possibilité
de demander une nouvelle appréciation en vue d'obtenir l'auto-
risation de résider en permanence au Canada. En ne prenant
aucune de ces mesures, elle a omis de corriger deux erreurs de
droit préjudiciables à l'appelant, soit, l'omission du fonction-
naire à l'immigration de faire un rapport à un enquêteur
spécial, contrairement à l'art. 23 de la Loi, et l'omission de
mettre à la disposition de l'appelant un interprète compétent,
contrairement à l'art. 2(g) de la Déclaration canadienne des
droits.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE COLLIER (dissident en partie): Il s'agit
d'une demande, faite en vertu de l'article 28, de
révision et d'annulation d'une ordonnance d'expul-
sion.
Un rapport relatif au requérant, établi en vertu
de l'article 18 de la Loi sur l'immigration 6 , a été
envoyé au Directeur. Le rapport affirme que le
requérant n'était pas un citoyen canadien, qu'il a
été condamné pour certaines infractions en appli
cation du Code criminel et qu'il était devenu un
détenu dans un pénitencier. Une enquête a été
ordonnée. L'intimé Pickwell était l'enquêteur spé-
cial. Les procédures ont commencé le 24 mars
1976, avant la désignation de Pickwell. L'ordon-
nance d'expulsion attaquée a été rendue par suite
de ladite enquête.
6 S.R.C. 1970, c. I-2 et modifications.
Voici les motifs allégués par le requérant en vue
d'obtenir une révision de l'ordonnance:
[TRADUCTION] 1. L'enquêteur spécial J. R. Pickwell a outre-
passé sa compétence et a violé les principes de justice naturelle
en refusant au requérant le droit d'avoir un avocat présent à
l'enquête spéciale conduite le 19 décembre 1977.
2. L'enquêteur spécial J. R. Pickwell a agi ultra vires en
procédant à la rédaction en date du 21 janvier 1976 du rapport
prévu par l'article 18, alors qu'en fait la demande de résidence
permanente, faite par le requérant, date de février 1971 et n'a
pas été complètement traitée.
Il faut énoncer, avec quelques détails, l'histoire
des procédures d'immigration dans ce cas et
d'autres.
Le requérant et sa femme sont venus de Gre
nade (Antilles) au Canada, le 16 septembre 1970,
en qualité de visiteurs. Ils avaient le droit de rester
au pays jusqu'au 30 octobre 1970.'
Le 5 octobre 1970, Pierre a fait à Toronto une
demande de résidence permanente, mais sa
demande a été rejetée le 7 mai 1971. On lui a
envoyé une lettre dite de «renvoi» le requérant,
ainsi que sa femme, de quitter le Canada avant le
21 mai, faute de quoi une enquête serait ouverte.
Par coïncidence, Pierre a été déclaré, à cette
époque, à Toronto, coupable d'une infraction cri-
minelle et condamné à une amende de $100 ou à
un emprisonnement de trente jours (19 mai 1971).
Le requérant et sa femme n'ont pas quitté le
Canada.
Un rapport, établi en date du 26 août 1971 en
vertu de l'article 22 de la Loi sur l'immigration, a
été déposé. Pour certaines raisons, une enquête n'a
pas été immédiatement ordonnée et ouverte.
En juin 1972, le requérant et sa femme sont
allés dans la région de Vancouver, apparemment
pour éviter l'arrestation par suite de certains faits
survenus à Toronto. Une lettre du 10 juillet 1972
adressée au requérant et à sa femme à Toronto, a
invité ceux-ci à comparaître devant la Division de
l'immigration pour une révision de leur «cas». Le
dossier ne relate pas les suites réservées à cette
lettre.
' Le 13 octobre 1970 pourrait être une date correcte. Le
présent dossier présente une certaine confusion. En tout cas, la
date précise n'a aucune importance.
En novembre 1973, le requérant a été déclaré
coupable, à Toronto, d'une autre infraction crimi-
nelle, et condamné à six mois d'emprisonnement. Il
a purgé sa peine au Centre correctionnel de
Guelph (Ontario). Il appert que le Ministère a eu
connaissance de cette condamnation. Le 4 février
1974, une lettre a été envoyée au requérant alors
détenu dans l'établissement précité. Se référant au
rapport fait en vertu de l'article 22, elle annonçait
qu'une enquête serait ouverte dans l'établissement
le 11 février 1974. A cette enquête, le requérant
était représenté par M. J. Bjarnason, expert-con-
seil à Toronto sur les questions d'immigration. Le
11 mars 1974, un enquêteur spécial a rendu une
ordonnance d'expulsion.
Le requérant a immédiatement fait appel devant
la Commission d'appel de l'immigration. Le 30
juillet 1974, la Commission a annulé l'ordonnance
d'expulsion, surtout au motif que le rapport dressé
en vertu de l'article 22 et l'enquête avaient été faits
de beaucoup hors délai.
Dans cette longue histoire, l'étape suivante est
constituée par le dépôt d'un rapport établi en date
du 23 octobre 1974 en vertu de l'article 18 de la
Loi. Ledit rapport, ainsi que celui rédigé en vertu
du même article et faisant l'objet de la présente
action, relate les condamnations et la détention à
Guelph. 8 Une enquête a été ordonnée le 14 novem-
bre 1974 et devait commencer devant l'intimé
Pickwell le 3 décembre 1974, mais elle n'a jamais
été commencée. Plusieurs dates ont été fixées (1 °r
janvier, 13 avril, 15 octobre et 12 novembre 1975),
mais l'enquête n'a jamais été ouverte en fait, alors
que le rapport dressé en vertu de l'article 18 restait
pendant.
Vers le 9 septembre 1975, le requérant a retenu
les services d'un avocat, M. K. G. Young, pour le
représenter non seulement à l'enquête envisagée,
mais aussi dans une autre accusation d'infraction
criminelle portée contre lui à New Westminster
(C.-B.). Dans cette dernière affaire, Pierre a été
déclaré coupable le 22 novembre 1975 et con-
damné à six mois d'emprisonnement (voir note 8).
B L'actuel rapport ajoute simplement une condamnation pro-
noncée à New Westminster (C.-B.) le 12 novembre 1975 (le
requérant était condamné à six mois d'emprisonnement) et la
détention qui s'en est suivie.
C'est évidemment à cause de cette dernière
détention que l'enquête ordonnée le 14 novembre
1974 n'a jamais commencé.
Le présent rapport établi en vertu de l'article 18
a été déposé le 21 janvier 1976. Le même jour, une
enquête a été ordonnée.
L'enquête a commencé le 24 mars 1976. M.
Young a comparu ainsi que le requérant. L'avocat
a allégué que le Ministère devait décider en vertu
duquel des deux rapports faits en vertu de l'article
18 il envisageait de continuer la procédure. L'en-
quêteur spécial a dit procéder en vertu du rapport
du 21 janvier 1976. Il a ensuite présenté comme
preuve certains documents relatant les condamna-
tions et l'emprisonnement. L'avocat s'y est opposé
et a demandé l'ajournement de la procédure, pour
un certain nombre de motifs. A cette époque-là, le
' requérant était en état de détention. Il s'est évadé
de l'établissement dans lequel il avait été incarcéré
en novembre 1975, et il a été capturé. Les accusa
tions pertinentes ont été faites contre lui et l'ins-
tance était pendante sur ces chefs d'accusation.
L'enquêteur spécial a accordé une remise au motif
que M. Young n'avait pas encore reçu le dossier du
requérant, transféré par M. Bjarnason.
L'enquête a repris le 12 août 1976, en présence
du requérant, de sa femme, et de M. Young les
représentant tous deux. L'enquêteur spécial a
achevé l'interrogatoire du requérant, durant lequel
M. Young a soulevé des objections d'ordre juridi-
que et procédural fort longues relativement à la
production des preuves concernant les condamna-
tions prononcées à Toronto. Il a affirmé qu'on ne
pouvait prendre celles-ci en considération à cause
de l'enquête conduite à Guelph et de l'annulation
de l'ordonnance d'expulsion. L'enquêteur spécial a
commencé l'interrogatoire de Mme Pierre, mais, à
cause du temps limité, il a remis l'enquête au 20
septembre 1976.
Entre-temps, des difficultés sont survenues entre
le requérant et M. Young, qui a cessé de l'assister
relativement à l'enquête et à certaines accusations
d'infraction criminelle encore pendantes, et en a
informé le 20 septembre 1976 l'enquêteur spécial.
Celui-ci a appris que le requérant avait retenu
comme avocat M. D. J. Rosenbloom, qui avait
d'autres engagements. L'enquête a été alors ajour-
née au 4 octobre 1976, dans le but véritable de
fixer alors une date commode pour tous les
intéressés.
Le 4 octobre 1976, il a été convenu que l'en-
quête reprendrait le 26 octobre. Pour certaines
raisons, la date a été reportée au 24 novembre. Le
24 novembre 1976, M. Rosenbloom était occupé à
Ottawa. Un avocat stagiaire a comparu à sa place.
La séance a alors été ajournée. L'enquêteur spécial
a exprimé ainsi au requérant sa préoccupation à
propos des délais en la matière (p. A-40):
[TRADUCTION] M. Pierre, votre avocat n'étant pas présent, je
dois ajourner l'enquête. Auparavant, je dois toutefois déclarer,
pour le dossier, que l'enquête traînant depuis le 24 mars 1976,
je désire en finir. Je ne peux pas continuer à ajourner pour
cause d'absence d'avocat, et je vous suggère, si votre avocat
n'est pas présent aux dates que nous venons de fixer, de faire le
nécessaire pour vous faire représenter par un autre avocat.
Comprenez-vous bien que, conformément aux termes de votre
cautionnement en argent comptant pour libération condition-
nelle, vous êtes requis de vous présenter le 10 décembre 1976 à
9 heures pour continuation de l'enquête?
Le 10 décembre 1976, M. Rosenbloom a com-
paru. Dès le commencement, il a indiqué qu'il se
proposait de faire valoir certains arguments pour
attaquer la compétence de l'intimé Pickwell. Il a
proposé que l'interrogatoire de M me Pierre soit
achevé, avant qu'il présente ses arguments. L'in-
terrogatoire étant achevé, l'avocat, répétant les
allégations de son prédécesseur, a soutenu qu'un
choix devait être fait tout d'abord entre les deux
rapports établis en vertu de l'article 18, tous deux
en instance. La plaidoirie initiale était brève (voir
p. A-52). Elle a été suivie de débats plus longs,
apparemment provoqués par quelques remarques
de M. Pickwell (voir lignes 1 à 17 de la page
A-53). Vers la fin de l'audition ce jour-là, M.
Rosenbloom, dans une déclaration brève, a adopté
le point de vue de M. Young concernant les con-
damnations prononcées à Toronto. Il a concédé
que la condamnation prononcée à New Westmin-
ster pouvait être prise en considération. Il a voulu
présenter plus longuement un nouvel aspect de la
question. On a dû ajourner l'enquête au 15 décem-
bre 1976.
A ladite date, l'audition a été consacrée à la
dernière allégation présentée au sujet de la compé-
tence. On a affirmé que l'enquêteur spécial ne
pouvait continuer à procéder avant que la
demande de résidence permanente, présentée par
M. Pierre le 5 octobre 1970, n'ait été dûment
examinée et réglée. Dans le fond, cette allégation
était essentiellement la même que celle soulevée au
paragraphe 2 de la requête initiale et celle présen-
tée à cette audition. Je m'y référerai comme à
l'argument Leiba. 9 Il n'est pas nécessaire, à ce
stade, de l'énoncer en détail. L'enquêteur spécial
s'est prononcé contre le requérant sur ce point.
Puis, une fois de plus, le temps réservé à cette
séance de l'enquête est venu à expiration. L'en-
quête a été ajournée sine die. Les parties devaient
s'entendre sur un jour du mois de janvier 1977.
A ce stade du procès, je voudrais faire deux
commentaires. Tout d'abord, jusque-là et autant
que je puisse le déduire des pages imprimées,
l'atmosphère et les relations entre M. Pickwell et
M. Rosenbloom ont été harmonieuses. Ensuite, on
voit clairement que M. Rosenbloom se proposait
de produire des preuves par l'intermédiaire de M.
Pierre. Je renvoie à la page A-60:
[TRADUCTION] M. Pickwell, à ce stade initial de l'audition, j'ai
constaté un certain nombre de lacunes dans la preuve, qui
seront, j'en suis sûr, comblées plus tard quand j'interrogerai M.
Pierre, si vous rejetez cette requête relative à l'opposition
préliminaire.
et, de nouveau à la page A-75, où l'enquêteur
spécial a posé la question suivante:
[TRADUCTION] Avez-vous décidé, à ce stade, d'obtenir quelque
preuve par l'interrogatoire de M. Pierre, avant de procéder plus
avant en la matière?
R. Oui, en effet.
L'enquête a repris le 24 janvier 1977. Avant de
commencer l'interrogatoire de M. Pierre, M.
Rosenbloom a soulevé un problème relatif au
manque de transcription de quelques-unes des
séances de début de l'audition, ce qui a provoqué
une espèce de confrontation entre l'avocat et l'en-
quêteur spécial, et a amené l'avocat à répéter son
argumentation basée sur la décision Leiba. Je
dirai, en toute justice, que l'avocat a fait, sans
raison, quelques remarques amères. Il a, à plu-
sieurs reprises, contesté le bien-fondé de la conclu
sion de M. Pickwell selon laquelle la décision
Leiba n'était pas applicable.
M. Pickwell a proposé de soumettre ce point à la
Cour fédérale:
9 Leiba c. Le Ministre de la Main-d'œuvre et de l'Immigra-
tion [1972] R.C.S. 660.
[TRADUCTION] Vous demanderiez alors un ajournement pour
obtenir leur jugement en la matière.
L'avocat:
Je demande un ajournement pour obtenir leur jugement en
la matière (page A-83).
Je cite les parties suivantes de la transcription
pour montrer la tension existant entre M. Pickwell
et M. Rosenbloom (pages A-87-88):
[TRADUCTION] L'enquêteur spécial:
M. Rosenbloom, je ne vois pas en quoi il vous serait utile de
continuer à répéter inlassablement ce que vous avez déjà dit.
L'avocat:
J'essaie, M. Pickwell, de vous faire énoncer les raisons pour
lesquelles vous passez sous silence la décision Leiba rendue
par la Cour suprême du Canada. C'est tout ce que je requiers
de votre part. Simplement parce qu'une décision ne vous
convient pas ...
L'enquêteur spécial:
Le but de la présente audition est de rendre une décision sur
la question consistant à déterminer si M. Pierre répond à la
description donnée dans les sous-alinéas 18(1)e)(ii) et (iii) de
la Loi sur l'immigration, s'il est un citoyen du Canada ou s'il
a son domicile au Canada. A mes yeux, les preuves produites
jusqu'ici montrent que la question litigieuse a été clairement
résolue.
L'avocat:
Votre opinion est faite, n'est-ce pas?
L'enquêteur spécial:
Sur le fondement des preuves établies jusqu'ici au cours de
l'enquête, je suis déjà définitivement convaincu que M. Pierre
répond bien aux descriptions faites dans les articles de la Loi.
L'avocat:
Après votre déclaration, il me paraît inutile de produire
d'autres preuves.
L'enquêteur spécial:
M. Rosenbloom, vous manqueriez à votre devoir si vous ne
produisiez pas d'autres preuves.
L'avocat:
Votre opinion est faite, vous l'avez dit vous-même.
L'enquêteur spécial:
J'ai dit que ma conviction a été établie sur les preuves
produites à cette enquête. Maintenant, si vous le voulez bien,
on demande habituellement un ajournement à ce stade. Je
vais déclarer l'enquête suspendue pour quinze minutes, à la
suite de quoi vous allez décider si vous interrogez M. Pierre
pour établir les preuves, ou me laissez continuer pour aboutir
à une décision, ou bien, ainsi qu'il a été suggéré antérieure-
ment, si vous sollicitez une décision à un échelon plus
élevé....
L'enquêteur spécial: (Suite)
... que le mien, en ce qui concerne l'interprétation de la loi sur
le point de savoir si je suis compétent pour la continuation de
l'enquête.
Finalement, l'enquête a été renvoyée au 10 mars
1977 pour permettre à l'avocat d'étudier la situa
tion et de décider s'il convenait d'élever l'affaire
devant la Cour fédérale.
Le 9 mars, une requête, à présenter le 18 avril
pour audition, a été déposée devant la Division de
première instance aux fins d'obtenir une ordon-
nance interdisant à l'enquêteur spécial de conti-
nuer l'enquête et enjoignant aux fonctionnaires
compétents d'examiner la demande de résidence
permanente présentée par le requérant.
A la reprise de l'enquête le 10 mars, M. Pickwell
a accordé sur demande faite personnellement par
Pierre un ajournement sine die, et ce pour deux
raisons: pour attendre la décision à rendre sur la
requête d'interdiction et pour permettre au requé-
rant de comparaître le 19 juillet 1977 pour répon-
dre à des accusations d'infraction criminelle.
Le 11 mai 1977, la Division de première ins
tance a rejeté la requête.
L'enquête a repris le 26 mai. M. Rosenbloom a
déclaré qu'il avait reçu instruction de faire appel
contre le jugement de la Cour et qu'il se proposait
de déposer un avis d'appel dans quelques jours. La
décision suivante, rendue par l'enquêteur spécial
sans aucune requête ou plaidoirie de la part de
l'avocat, est, je crois, significative:
(A-94):
[TRADUCTION] M. Rosenbloom, quoique rien ne m'interdise,
pour le moment, de continuer l'enquête, je suis prêt à ajourner
pour vous permettre de faire appel devant la Division d'appel de
la Cour fédérale. Tenant compte de ce fait, et du fait que, pour
le moment, on ne sait pas quand la Cour fédérale va rendre sa
décision, j'ajourne l'enquête sine die.
A cette date, on a évidemment fait comprendre
au requérant que l'enquête conduite à son égard ne
serait pas reprise avant que l'appel ait été entendu
et tranché.
La préparation du dossier conjoint pour l'audi-
tion de la Cour d'appel a pris quelque temps. Il
n'est parvenu à M. Rosenbloom qu'au début
d'août. Il était alors en congé et occupé par d'au-
tres affaires jusqu'au 13 septembre. Durant les
quatre semaines suivantes, il était pris de façon
intermittente par d'autres affaires juridiques dans
le territoire du Yukon, en Alaska, et en d'autres
endroits en dehors de Vancouver.
Évidemment, l'avocat du requérant a tardé à
déposer le mémoire requis par la Règle 1403, et il
a reconnu ce retard.
Il appert que l'enquêteur spécial s'est rendu
compte que l'appel n'avait pas été entendu. Il a
repris l'enquête le 16 novembre 1977. Dès le début,
il a fait ressortir, pour M. Rosenbloom, que
celui-ci avait le droit de produire des preuves, de
citer des témoins et de faire des plaidoiries, avant
qu'une décision soit rendue sur la question de
l'expulsion du requérant. Suivant mon interpréta-
tion, il était convaincu que c'était là les seules
matières restant à résoudre. M. Rosenbloom a dit
qu'il n'était pas prêt à continuer l'enquête. Il a
requis la suspension des procédures jusqu'au
moment où l'appel pendant serait entendu et tran-
ché. Une longue discussion s'en est suivi. 10 M.
Rosenbloom a expliqué son retard dans la prépara-
tion du mémoire d'appel. Il a fait ressortir que,
jusqu'au 16 novembre 1977, on avait apparem-
ment convenu verbalement que l'enquête ne serait
pas reprise avant que la Cour d'appel n'ait rendu
sa décision.
Vers la fin de la séance, l'enquêteur spécial s'est
ainsi prononcé (à la page A-100):
[TRADUCTION] Ayant entendu votre nouvelle requête en
ajournement pour vous permettre de déposer le mémoire, et
comme vous m'avez déclaré que vous étiez en train de le
préparer, je suis disposé, encore une fois, à ajourner les présen-
tes procédures pour permettre à M. Pierre de connaître la
décision de la Cour.
Le mémoire évoqué est le mémoire d'appel de
M. Rosenbloom, lequel venait justement d'être
préparé. L'enquêteur spécial a bien dit qu'il préfé-
rait entendre toute preuve que le requérant se
proposait de produire, en même temps que des
plaidoiries, avant l'audition en Cour d'appel. Il se
proposait, cependant, de rendre sa décision après
celle de la Cour. L'avocat du requérant s'est
opposé énergiquement à cette procédure.
L'enquête a alors été renvoyée au l er décembre
1977, auquel temps l'enquêteur spécial envisageait
de [TRADUCTION] «... réviser encore une fois la
matière.»
10 Je crois juste de faire remarquer que quelques-unes des
observations faites par l'avocat à la page A-87 étaient provo-
cantes. Je me réfère spécialement à l'emploi du terme
«intimidation».
Le l er décembre 1977, une autre longue discus
sion a eu lieu pour déterminer s'il fallait ou non
continuer la procédure. L'enquêteur spécial voulait
en finir sans autre délai. On savait alors que la
Cour d'appel fédérale siégerait à Vancouver en
janvier 1978. M. Rosenbloom et l'enquêteur spé-
cial ont examiné plusieurs dates pour la continua
tion de l'enquête. A un certain moment, ils se sont
mis d'accord sur celles des 16 et 17 janvier. Mais
M. Pickwell s'est aperçu que ces dates pourraient
avoir été déjà fixées pour d'autres affaires. On les
a donc rejetées. M. Pickwell a essayé de fixer une
autre date précédant la saison de Noël. M. Rosen-
bloom a fait alors ressortir que, spécialement pour
cette période, il avait des engagements antérieurs
relatifs à un certain nombre d'affaires, dont une
enquête tenue par une commission royale.
Le ter décembre, ce point a été réglé de la façon
suivante:
[TRADUCTION] L'enquêteur spécial à l'avocat:
M. Rosenbloom, nous avons dialogué pendant la suspension,
et nous n'avons pu fixer une date définitive de reprise de
l'enquête. Je vais maintenant fixer plusieurs dates possibles
et j'examinerai chaque fois si je peux procéder. Je vais fixer
la reprise de l'enquête au 7 décembre à 9:00 a.m. pour
continuer ensuite le 14 décembre à 9:00 a.m., s'il n'est pas
possible d'avoir une autre séance entre ces deux dates; et
peut-être en attendant, quelque autre date possible s'offrira
avant la fin de l'année, ou même avant le 16 janvier, lorsque
vous serez libre de participer. La séance est levée.
R. Pourriez-vous relire ces dates? Je n'ai pas bien compris. LE
STÉNOGRAPHE RELIT CE QUI PRÉCÈDE. Je voudrais des
explications. Avez-vous dit que nous nous réunirons le 7 pour
discuter d'une date convenable de reprise de l'enquête?
Est-ce là ce que vous avez voulu dire?
L'enquêteur spécial à l'avocat:
Lorsque vous serez prêt à procéder, vous pourrez avoir une
date libre dans l'intervalle; il est possible que quelques-uns de
vos rendez-vous soient annulés au cours des vacances de Noël
ou pour Noël.
Ainsi l'enquête est ajournée jusqu'au mercredi 7 décembre à
9:00 a.m.
Le 7 décembre, l'enquêteur spécial a annoncé
qu'il était prêt à procéder. M. Rosenbloom a fait
comprendre qu'il ne pouvait pas participer. Il a,
une fois de plus, fait référence à ses autres engage
ments antérieurs pour le mois de décembre. Il a
répété son opposition à la continuation de la procé-
dure avant que l'appel ne soit tranché. Il a rappelé
que tel avait été l'arrangement conclu depuis le 26
mai 1977. Il a indiqué qu'il était prêt à réserver
des dates en janvier pour achever l'enquête. A un
certain moment, il a déclaré envisager la citation
d'un témoin de Toronto.
M. Pickwell a alors pris la décision suivante:
[TRADUCTION] L'enquêteur spécial à l'intéressé:
Q. M. Pierre, je suis prêt à reprendre l'enquête à tout moment
durant les deux prochaines semaines, et comme je ne peux
pas me mettre d'accord avec votre avocat ici présent pour la
fixation d'une date, je décide que l'enquête sera reprise le
lundi 19 décembre 1977 neuf heures. C'est une date
impérative. Cela veut dire que je vous enjoins de comparaî-
tre avec votre avocat et de vous préparer à produire toute
preuve et citer tout témoin qu'il vous plaira. Je vais inscrire
à mon agenda la date de la séance subséquente, à savoir le
20 décembre, au cas od une autre séance serait nécessaire, et
même celle du 21 décembre 1977, le cas échéant.
L'enquêteur spécial:
L'enquête est ajournée.
Le requérant a dit alors à l'enquêteur spécial
qu'il essaierait d'obtenir les services d'un autre
avocat. Il a fait ressortir qu'il n'avait peut-être pas
les moyens financiers nécessaires pour ce faire. M.
Rosenbloom a ajouté qu'il ne pouvait pas assister à
la séance du 19 décembre; que Pierre voulait le
garder comme avocat, mais qu'en l'espèce il ne
pouvait pas le représenter.
M. H. A. D. Oliver a alors été retenu comme
avocat. Son bureau a informé l'enquêteur spécial,
par message écrit, qu'il ne pouvait pas reprendre
les procédures le 19 décembre parce qu'il était pris
par d'autres engagements et qu'il n'avait pas le
temps de se familiariser avec les procédures
d'enquête.
M. Oliver a comparu le 19 décembre pour
demander un ajournement. Sur refus de l'enquê-
teur spécial, il s'est retiré.
M. Pickwell a continué l'enquête. Cette partie
de la procédure a été très courte. Il a fait ressortir
à Pierre l'allégation faite dans le rapport rédigé en
vertu de l'article 18. Il a déclaré que le requérant
pouvait produire des preuves, citer des témoins et
plaider. Le requérant a répondu qu'il n'avait rien à
dire parce qu'il n'avait pas d'avocat et voulait en
avoir un.
M. Pickwell a alors décidé que le requérant
n'avait pas le droit de rester au Canada et a
ordonné son expulsion.
Je vais examiner le premier motif d'attaque du
requérant, tel que ce motif a été présenté plus
haut, à savoir qu'un refus d'ajournement des pro-
cédures d'enquête pour lui permettre d'engager les
services d'un avocat était une dénégation des prin-
cipes de justice naturelle, justifiant le recours en
Cour fédérale.
Qu'il s'agisse d'un tribunal civil ou criminel,
d'un corps quasi judiciaire ou administratif, la
décision d'accorder ou de rejeter une demande
d'ajournement relève toujours du pouvoir discré-
tionnaire de l'organisme considéré. Ceci n'impli-
que pas qu'une instance de révision n'aurait pas le
droit d'intervenir dans des cas appropriés. Elle
peut le faire lorsque le pouvoir discrétionnaire n'a
pas été exercé de façon équitable" ou, suivant la
phraséologie juridique, a été exercé en violation
des principes de justice naturelle. Un certain
nombre de décisions jurisprudentielles ont résumé
les principes juridiques applicables sur ce point. 12
Je comprends que l'intervention visant à surveil-
ler l'exercice du pouvoir discrétionnaire par le
tribunal attaqué ne doit, le cas échéant, avoir lieu
que lorsque la dénégation de justice naturelle est
affirmée, dans les cas évidents. Et il ne faut pas
non plus qu'un simple avis soit substitué à celui du
tribunal inférieur. La Cour à laquelle le redresse-
ment est demandé ne doit pas non plus tenir
compte de considérations comme la sagesse du
rejet de la demande ou la décision qu'aurait
rendue la Cour en l'espèce si elle avait siégé en
première instance.
Non sans quelque hésitation, j'ai cependant
conclu que le refus, prononcé le 19 décembre 1977,
d'ajourner l'enquête à une date ultérieure, a été en
l'espèce, un exercice de pouvoir discrétionnaire
entaché d'inéquité, ou une dénégation de justice
naturelle. J'emploie ces termes dans un sens stric-
tement juridique. Je ne veux pas du tout laisser
11 Pour la satisfaction des exigences d'.équité» même à
l'égard des pouvoirs purement administratifs, voir Le ministre
de la Main-d'oeuvre et de l'Immigration c. Hardayal [1978] 1
R.C.S. 470, aux pages 478 et 479.
12 Barette c. La Reine [1977] 2 R.C.S. 121, le juge Pigeon
aux pages 125 et 126; R. c. Bolting (1966) 56 D.L.R. (29 25, le
juge adjoint Laskin (à présent juge en chef) aux pages 41 et 42
(C.A. Ontario); R. c. Johnson (1973) 11 C.C.C. (29 101 aux
pages 105 et 106, 111 à 113 (C.A.C.-B.) et Re Gasparetto et
Ville de Sault Sainte-Marie (1973) 35 D.L.R. (3') 507 à la
page 510 (Ont. Div. Court).
entendre que l'enquêteur spécial ait été inéquita-
ble, au sens ordinaire de ce terme.
Cette enquête traînait depuis longtemps. Une
regrettable succession de retards a certainement
frustré à la fois l'enquêteur spécial et le Ministère
en cause. La plupart des retards sont principale-
ment imputables aux divers avocats ayant repré-
senté le requérant. Quelques-uns le sont aux con-
seillers juridiques du ministre de la Main-d'oeuvre
et de l'Immigration. En appliquant les règles de la
Cour, ces derniers auraient pu prendre les mesures
appropriées pour faire entendre rapidement l'appel
ou le faire infirmer.
Devant nous, M. Oliver a plaidé que le requé-
rant était innocent, si l'on prenait en considération
tous ces facteurs; qu'il ne faudrait pas le punir
pour les actions de ses représentants. Je ne suis pas
d'avis que le requérant soit lui-même exempt de
tout blâme. Le dossier révèle toute une histoire de
constitution et de changement d'avocats et de con-
seillers. Je fais tout particulièrement référence à
M. Bjarnason et à M. Young. Dans les procédures
d'immigration, on connaît bien les manoeuvres
dilatoires déployées par des personnes éventuelle-
ment expulsées. L'une d'elles consiste à changer
d'avocat et de conseiller.
Mais en l'espèce une grande partie du retard
dans la conduite de l'enquête est due à la décision
louable de l'enquêteur spécial de remettre la procé-
dure jusqu'à la détermination des points litigieux
soulevés devant les deux divisions de cette cour.
J'ai déjà résumé les faits à ce sujet. La date
pertinente remonte à mars 1977. On a clairement
laissé entendre au requérant que la décision reste-
rait probablement inchangée. Je soupçonne que
son avocat a arrangé son agenda suivant cette
hypothèse.
Pour des raisons qui ne ressortent pas clairement
du dossier, ces décisions discrétionnaires ont brus-
quement été changées. On a donné, comme motif,
le manque de diligence de l'avocat du requérant
dans les procédures d'appel devant cette division.
On peut logiquement penser qu'il y avait d'autres
raisons concernant des relations interministérielles.
Le 16 novembre 1977, l'enquêteur spécial a mani
festé, une fois de plus, son désir de renvoyer l'af-
faire en attendant la décision de la Cour d'appel
(j'ai déjà reproduit un extrait à ce sujet, emprunté
à la page A-100). C'est aussi à ce moment-là que
l'on a révisé encore une fois les dates fixées pour
janvier.
Puis est venue la résolution ferme de conclure
l'enquête, sans tenir compte des engagements anté-
rieurs de l'avocat dans d'autres affaires et du fait
qu'il ne pouvait donc comparaître avant le 20 ou
21 décembre. Dans ce changement, de la généro-
sité antérieure dans l'exercice du pouvoir discré-
tionnaire à une attitude moins aimable dans l'exer-
cice du même pouvoir, on a négligé ou méconnu le
problème qui se posait au requérant lorsque
celui-ci devait:
a) réunir des fonds, à bref délai, pour retenir les services
d'un avocat,
b) retenir, également dans un délai très bref, les services
d'un avocat compétent et connaissant bien les matières relati
ves à l'enquête spéciale
c) trouver un avocat n'ayant pas d'autres occupations ou
prêt à sacrifier d'autres engagements pour combler la brèche
en toute hâte.
Le requérant avait des motifs raisonnables de
croire que l'avocat de son choix, M. Rosenbloom,
continuerait à l'aider jusqu'à la conclusion des
procédures conduites contre lui. Dans les circons-
tances ainsi décrites, je suis d'avis que le rejet
d'une demande d'ajournement à une date ulté-
rieure a privé le requérant d'une occasion raison-
nable de répondre aux accusations faites à son
encontre. Par occasion j'entends la citation de
témoins ou la production de preuves par le requé-
rant lui-même (dans les deux cas, avec l'aide d'un
avocat bien au courant de l'affaire). L'occasion
englobait aussi le droit du requérant de faire plai-
der en son nom par un avocat sur la décision à
rendre par l'enquêteur spécial. Il résulte de tout
ceci qu'il y a eu dénégation de justice naturelle.
A mon avis, il faut annuler l'ordonnance d'ex-
pulsion et renvoyer la matière à l'enquêteur spécial
avec ordre de rouvrir l'enquête en donnant tout
d'abord au requérant l'occasion d'engager les ser
vices d'un avocat. Il faut alors fixer une date
commode pour toutes les parties intéressées, date à
laquelle le requérant aurait, avec l'aide de son
avocat, le droit de citer des témoins, de produire
lui-même des preuves et de présenter ses
arguments.
J'ajoute ce qui suit. J'ai beaucoup de sympathie
pour l'enquêteur spécial. Je soupçonne qu'aux yeux
de beaucoup d'avocats, ces enquêteurs occupent
l'un des échelons les plus bas dans l'organisation
des tribunaux devant lesquels ils représentent leurs
clients. A moins que je ne me trompe, cette atti
tude des avocats les conduit à traiter avec quelque
mépris les enquêteurs spéciaux et leurs enquêtes, et
à prendre pour acquis que les autres engagements
de l'avocat doivent automatiquement avoir la prio-
rité. Je ne peux pas adopter ce point de vue.
Après la rédaction des présents motifs, j'ai lu
ceux prononcés par le juge en chef relativement au
deuxième fondement du recours (voir la page 3
desdits motifs) soutenu devant la Cour, à savoir
l'argument fondé sur la décision Leiba. Je souscris
à l'avis du juge en chef quand il juge cette préten-
tion mal fondée.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE SUPPLÉANT KELLY: En demandant à
la Cour d'annuler l'ordonnance d'expulsion, l'avo-
cat du requérant a allégué, comme principal motif,
que l'enquêteur spécial a violé un principe de
justice naturelle lorsqu'il a refusé d'ajourner l'en-
quête, le 19 décembre 1977, à une date à laquelle
le requérant pourrait se faire représenter par un
avocat. Sans commenter, pour le moment, la con-
duite de l'avocat à cette occasion et à des occasions
antérieures, je pense qu'il sera utile, pour mieux
comprendre la position du requérant, d'exprimer
les exigences de la justice naturelle en l'espèce,
parce qu'on ne peut pas annuler les procédures
suivies par l'enquêteur spécial pour ce motif, à
moins qu'il n'y ait eu violation d'un droit du
requérant.
Autant que je comprenne le raisonnement fait
pour le compte de ce dernier, le rejet d'une
demande d'ajournement est assimilé à une dénéga-
tion du droit du requérant de se faire représenter
par un avocat de son choix.
En dépit de l'influence exercée sur la jurispru
dence canadienne par la décision Miranda, lorsque
les droits d'une personne peuvent être atteints par
la décision d'une autorité ou d'un tribunal, le fait
que ladite personne n'ait pas été représentée par
un avocat auprès de l'autorité ou du tribunal ne
constitue pas en lui-même un motif suffisant pour
attaquer la décision. Il ne faut pas oublier certains
principes de base lorsqu'on examine ce droit à se
faire représenter par un avocat.
Toute personne a le droit de se faire entendre
par l'autorité ou le tribunal compétents et d'avoir
l'occasion raisonnable de répondre aux allégations
soulevées contre elle. Au lieu de faire elle-même
ses doléances, la personne concernée peut se faire
représenter à la Cour par un avocat parlant pour
son compte.
Lorsque, dans toute procédure, la personne con-
cernée, consciente ou ayant été pertinemment
informée de son droit de recourir aux services d'un
avocat, décide d'agir pour son propre compte, elle
ne peut, plus tard, attaquer la régularité de la
procédure pour le motif qu'elle n'a pas été repré-
sentée par un avocat. On ne lui a pas refusé les
services d'un avocat, car elle a décidé de suivre la
procédure elle-même et n'a pas profité de l'occa-
sion de se faire représenter.
Ce que l'on appelle habituellement le droit à un
avocat exige seulement que la personne concernée
ait l'occasion raisonnable de retenir un avocat
choisi par elle parmi ceux habilités à comparaître
devant l'autorité ou le tribunal compétents, pour la
représenter auprès d'eux. Dans l'exercice de ce
droit, il faut tenir compte de certaines réserves
limitant le mode de choix. Toute personne a le
droit de choisir un avocat pour se faire représenter,
mais son choix doit se limiter à ceux des avocats en
mesure de comparaître volontairement pour son
compte dans les délais raisonnables fixés par l'au-
torité ou le tribunal compétents. Ainsi on ne peut
choisir l'avocat le plus occupé de la région et
exiger de se faire représenter par lui alors que ses
engagements antérieurs l'empêchent de comparaî-
tre à moins de retards injustifiés de la procédure.
Lorsque la personne, dûment informée de son droit
à choisir un avocat, a, après une période de temps
raisonnable, refusé ou manqué d'en retenir un
capable de la représenter et prêt à le faire, suivant
que les circonstances l'exigent, on ne lui a pas
dénié le droit à un avocat.
A la lumière des circonstances de l'espèce, énon-
cées de façon précise dans leurs motifs par le juge
en chef et le juge Collier, je suis d'avis que le
requérant était bien informé de son droit à un
avocat et de son devoir relatif au choix de cet
avocat; qu'il a eu largement l'occasion d'amener
devant la Cour un avocat compétent pour se faire
représenter, mais ne l'a pas fait—en conséquence,
la décision de l'enquêteur spécial, le 19 décembre,
de continuer la procédure en présence du requé-
rant mais sans avocat, après que l'avocat présent
se soit retiré, ne constitue en aucune façon une
violation des principes de justice naturelle.
En ce qui concerne le second motif d'appel, i.e.
l'allégation relative à l'arrêt Leiba, je suis d'accord
avec mes collègues dans leurs conclusions.
Compte tenu de ces considérations, je souscris
aux motifs du juge en chef.
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