A-129-75
Robert Ernest Zong (Appelant)
c.
Le commissaire des pénitenciers (Intimé)
Cour d'appel, les juges Urie, Ryan et Le Dain—
Ottawa, le 17 octobre et le 10 décembre 1975.
Couronne—Condamnation initiale au pénitencier—Libéra-
tion conditionnelle de jour—Perpétration d'un acte criminel—
Révocation de libération conditionnelle—Condamnation au
pénitencier—Calcul de la durée—Rejet des prétentions par la
Division de première instance—Appel—Loi sur la libération
conditionnelle de détenus, S.R.C. 1970, c. P-2, art. 2, 10, 13,
15 et 21—Loi sur les pénitenciers, S.R.C. 1970, c. P-6, art.
22—Loi modifiant le droit pénal, S.C. 1968-69, c. 38, art. 101
et 120—Code criminel, art. 11 et 649(3).
L'appelant, détenu dans un pénitencier, a été mis en libéra-
tion conditionnelle de jour le 27 janvier 1971. Il a commis un
acte criminel le 3 février, pendant sa libération conditionnelle
de jour qui a pris fin le 17 février 1971. Il a été reconnu
coupable le 26 mars 1971 et envoyé de nouveau au pénitencier
en vertu de la sentence prononcée contre lui. Un mandat de
déchéance de sa libération conditionnelle a été émis le 8 juillet
1971. Soutenant que les mandataires du commissaire des péni-
tenciers n'ont pas calculé correctement la durée de la peine à
purger, l'appelant a demandé un jugement déclaratoire qui
corrigerait le calcul. La Cour a conclu [[1975] C.F. 430] que
l'appelant, dès la déchéance de sa libération conditionnelle de
jour, a perdu toutes les réductions de peine statutaires et
méritées inscrites à son crédit, de même que tous les crédits
pour la durée de l'emprisonnement purgé, y compris les réduc-
tions de peine statutaires et méritées, à partir de la date de
cette libération conditionnelle jusqu'à sa fin. Les questions en
litige dans cet appel sont celles de savoir (1) si les dispositions
de la Loi sur la libération conditionnelle de détenus relatives à
la déchéance entraînent la perte de la réduction statutaire de
même que de la réduction méritée; (2) si ces dispositions
s'appliquent à la libération conditionnelle de jour; et (3) si elles
s'appliquent à une personne qui a été initialement condamnée
et incarcérée au pénitencier avant leur entrée en vigueur, mais
qui a été relachée sous libération conditionnelle et a commis un
acte criminel après leur entrée en vigueur.
Arrêt: l'appel est rejeté. (1) L'article 21(1) de la Loi sur la
libération conditionnelle de détenus prévoit la perte de la
réduction statutaire de même que de la réduction méritée. (2)
Les tribunaux ont déjà décidé que les dispositions relatives à la
déchéance s'appliquent à la libération conditionnelle de jour; le
problème réside dans l'article 21(1)d) qui prévoit un crédit
pour le temps passé sous garde par suite de la révocation ou de
la suspension avant la condamnation qui consacre la déchéance,
mais ne prévoit pas de crédit pour la période passée sous garde
après la cessation de la libération conditionnelle de jour. Bien
que l'omission, à l'article 21(1)d), du crédit pour la période
passée sous garde après la cessation de la libération condition-
nelle de jour soit sérieuse, si l'article 21 doit s'appliquer à la
libération conditionnelle de jour, il ne semble exister aucune
raison plausible pour laquelle le législateur devrait considérer la
perpétration d'une infraction comme justifiant la déchéance
dans le cas de la libération conditionnelle de jour. On ne peut
dire que cette omission constitue un doute raisonnable quant à
l'intention du législateur et qu'il faut en accorder le bénéfice à
l'appelant. (3) Le Parlement a voulu que la nouvelle disposition
relative à la déchéance s'applique à toutes les personnes mises
en liberté depuis la date de son entrée en vigueur, sans tenir
compte du moment de leur condamnation ou de leur réception
au pénitencier.
On ne trouve dans la Déclaration canadienne des droits rien
qui communique une force additionnelle aux règles d'interpré-
tation statutaire de common law contenues dans les présomp-
tions contre l'effet rétroactif et l'empiétement sur les droits
acquis et rien qui permette de fonder une interdiction absolue
contre cet effet ou cet empiétement. Les dispositions relatives à
la déchéance ne sont pas par ailleurs incompatibles avec le droit
de l'individu de ne se voir privé de la liberté que par l'applica-
tion régulière de la loi, et les autres dispositions de la Déclara-
tion canadienne des droits invoquées ne fondent pas une contes-
tation des dispositions de la Loi sur la libération conditionnelle
de détenus relatives à la déchéance. Enfin, quant à l'article
649(3) du Code criminel, et à l'article 13(1) de la Loi sur la
libération conditionnelle de détenus, il faut les lire en tenant
compte de l'article 21(1) de la Loi sur la libération condition-
nelle de détenus.
Arrêts approuvés: Ex parte Davidson (1975) 22 C.C.C.
(2') 122 et Regina c. Dwyer [1975] 4 W.W.R. 54. Arrêt
critiqué: Regina c. Hales (1975) 18 C.C.C. (2') 240.
Distinction faite avec l'arrêt Marcotte c. Le sous-procu-
reur général du Canada (1975) 19 C.C.C. (2') 257. Arrêts
appliqués: Spooner Oils Limited c. The Turner Valley Gas
Conservation Board [1933] R.C.S. 629; Re Athlumney
[1898] 2 Q.B. 547; Pardo c. Bingham (1868-69) 4 L.R.
Ch. App. 735 et Curr c. La Reine [1972] R.C.S. 889.
APPEL.
AVOCATS:
P. Harvison pour l'appelant.
P. Evraire pour l'intimé.
PROCUREURS:
A/s Services juridiques pénitentiaires, Sack-
ville (N.-B.) pour l'appelant.
Le sous-procureur général du Canada pour
l'intimé.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE LE DAIN: Il s'agit d'un appel relatif à
un jugement prononcé par le juge Addy de la
Division de première instance [[1975] C.F. 430] à
la suite d'une requête qui sollicitait une ordon-
nance déclaratoire concernant le calcul de la durée
de l'emprisonnement que l'appelant devait purger
par suite de la déchéance de sa libération condi-
tionnelle. Selon la déclaration de la Cour, après la
déchéance de sa libération conditionnelle de jour
occasionnée par la déclaration de culpabilité d'un
acte criminel du genre décrit à l'article 17 de la
Loi sur la libération conditionnelle de détenus,
S.R.C. 1970, c. P-2, l'appelant a perdu toutes
réductions de peine statutaires et méritées inscrites
à son crédit au moment de sa mise en liberté
conditionnelle, de même que tous les crédits pour
la durée de l'emprisonnement purgé, y compris les
réductions de peine statutaires et méritées, à partir
de la date de cette libération conditionnelle jusqu'à
la fin de celle-ci.
L'appelant a été déclaré coupable de viol et
condamné, le 13 octobre 1966, dix ans de prison.
Il a été relâché sous libération conditionnelle de
jour le 27 janvier 1971 et on mit fin à cette
libération conditionnelle le 17 février 1971. Le 26
mars 1971, il a été déclaré coupable de voies de
fait ayant causé des lésions corporelles, infraction
commise le 3 février 1971. Un mandat de
déchéance de libération conditionnelle a été émis
contre lui; la durée de l'emprisonnement à purger
par l'appelant après sa réincarcération a été calcu-
lée de façon à exclure le crédit accumulé pour a) la
réduction statutaire de peine à laquelle il avait
droit au moment de sa mise en liberté condition-
nelle, b) la période d'emprisonnement écoulée pen
dant sa libération, et c) la période d'incarcération
purgée entre la fin de sa libération conditionnelle
et sa déclaration de culpabilité pour l'infraction
qui a causé la déchéance.
Voici les points en litige soulevés par le présent
appel: il s'agit de savoir, en premier lieu, si les
dispositions de la Loi sur la libération condition-
nelle de détenus relatives à la déchéance de la
libération conditionnelle entraînent la perte de la
réduction tant statutaire que méritée, et ensuite si
ces dispositions s'appliquent à la libération condi-
tionnelle tant de jour qu'ordinaire; enfin, il s'agit
de déterminer si ces dispositions s'appliquent à une
personne qui, comme l'appelant, a été condamnée
et incarcérée avant que celles-ci entrent en
vigueur, mais qui a ensuite été relâchée sous libé-
ration conditionnelle et a commis l'infraction qui a
provoqué la déchéance de sa libération après leur
entrée en vigueur.
Les articles 17 (1) et 21(1) sont les dispositions
de la Loi sur la libération conditionnelle de déte-
nus relatives à la déchéance de la libération condi-
tionnelle dont il faut tenir compte; en voici la
teneur:
17. (1) Lorsqu'un individu qui est ou qui a été à un moment
un détenu à liberté conditionnelle est déclaré coupable d'un
acte criminel punissable d'un emprisonnement d'au moins deux
ans, commis après que la libération conditionnelle lui a été
accordée et avant qu'il ait été relevé des obligations de cette
libération conditionnelle ou avant l'expiration de sa sentence, sa
libération conditionnelle est, de ce fait, frappée de déchéance et
cette déchéance est censée dater du jour où l'infraction a été
commise.
21. (1) Lorqu'une libération conditionnelle est frappée de
déchéance par une déclaration de culpabilité d'un acte criminel,
le détenu à liberté conditionnelle doit purger un emprisonne-
ment, commençant lorsque la sentence pour l'acte criminel lui
est imposée, d'une durée égale au total
a) de la partie de l'emprisonnement auquel il a été con-
damné qui n'était pas encore expirée au moment de l'octroi
de cette libération, y compris toute période de réduction de
peine inscrite à son crédit, notamment la réduction de peine
méritée,
b) de l'emprisonnement, le cas échéant, auquel il est con-
damné sur déclaration de culpabilité de l'acte criminel, et
c) du temps qu'il a passé en liberté après que la sentence
pour l'acte criminel lui a été imposée, à l'exclusion du temps
qu'il a passé en liberté en conformité d'une libération condi-
tionnelle à lui accordée après qu'une telle sentence lui a été
imposée,
moins le total
d) du temps antérieur à la déclaration de culpabilité de
l'acte criminel lorsque la libération conditionnelle était sus-
pendue ou révoquée et durant lequel il était sous garde en
raison d'une telle suspension ou révocation, et
e) du temps qu'il a passé sous garde après déclaration de
culpabilité de l'acte criminel avant l'imposition de la sentence
pour l'acte criminel.
L'article 2 de la Loi définit «libération condi-
tionnelle de jour», «libération conditionnelle» et
«détenu à liberté conditionnelle» de la façon
suivante:
2. Dans la présente loi
«libération conditionnelle de jour» signifie la libération condi-
tionnelle dont les modalités requièrent le détenu auquel elle
est accordée de retourner à la prison, à l'occasion, au cours
de la durée de cette libération conditionnelle ou de retourner
à la prison après une période spécifiée;
«libération conditionnelle» signifie l'autorisation, que la pré-
sente loi accorde à un détenu, d'être en liberté pendant sa
période d'emprisonnement;
«détenu à liberté conditionnelle» désigne une personne à qui l'on
a accordé la libération conditionnelle.
L'article 22 de la Loi sur les pénitenciers,
S.R.C. 1970, c. P-6, prévoit le droit à la réduction
statutaire de peine; voici un extrait de la version en
vigueur au moment où l'appelant a été incarcéré
par suite de sa condamnation pour viol (S.C.
1960-61, c. 53):
22. (1) Quiconque est condamné ou envoyé au pénitencier
pour une période déterminée doit, dès sa réception à un péni-
tencier, bénéficier d'une réduction statutaire de peine équiva-
lant au quart de la période pour laquelle il a été condamné ou
envoyé au pénitencier, à titre de remise de peine sous réserve de
bonne conduite.
(3) Chaque détenu qui, ayant bénéficié d'une réduction de
peine conformément au paragraphe (1) ou (2), est déclaré
coupable devant un tribunal disciplinaire d'une infraction à la
discipline encourt la déchéance, en tout ou en partie, de son
droit à la réduction statutaire de peine inscrite à son crédit,
mais une telle déchéance ne peut être valide à l'égard de plus de
trente jours sans l'assentiment du commissaire, ni à l'égard de
plus de quatre-vingt-dix jours sans l'assentiment du Ministre.
(4) Chaque détenu déclaré coupable par un tribunal criminel
de l'infraction d'évasion ou de tentative d'évasion est immédia-
tement déchu de son droit aux trois quarts de la réduction
statutaire de peine, inscrite à son crédit au moment où l'infrac-
tion a été commise.
Le premier point en litige ne semble présenter
aucune difficulté réelle. L'article 21(1) ne men-
tionne pas explicitement la réduction statutaire de
peine, mais il est certain que l'article prévoit la
perte de la réduction de peine tant statutaire que
méritée. Les mots «y compris toute période de
réduction de peine ... , notamment la réduction de
peine méritée» montrent que l'article envisage une
autre forme de réduction de peine que la réduction
de peine méritée; la réduction statutaire de peine
constitue la seule autre forme de réduction de
peine existante, et ainsi la seule forme concevable
que le législateur pouvait envisager. Je suis donc
d'accord avec la conclusion du savant juge de
première instance à ce sujet.
Quant au deuxième point en litige, selon une
certaine jurisprudence, les dispositions relatives à
la déchéance s'appliquent tant à la libération con-
ditionnelle de jour qu'ordinaire. Ex parte David-
son, jugement de la Cour d'appel de la Colombie-
Britannique (1975) 22 C.C.C. (2e) 122; Ex parte
Kerr, jugement de la Cour d'appel de l'Ontario
(1976) 24 C.C.C. (2 e ) 395. Je suis respectueuse-
ment d'accord avec la conclusion émise dans ces
arrêts et avec celle du savant juge de première
instance à ce sujet mais, je dois l'avouer, non sans
une certaine appréhension à cause d'une question
qui ne semble pas avoir été abordée directement
dans ces décisions. Il s'agit, à mon avis, de la
difficulté créée par les termes de l'alinéa d) de
l'article 21(1) de la Loi sur la libération condi-
tionnelle de détenus, qui prévoit un crédit pour le
temps passé sous garde en raison d'une suspension
ou d'une révocation de la libération conditionnelle
antérieures à la déclaration de culpabilité qui con
duit à la déchéance de cette libération, mais qui ne
prévoit pas de crédit pour la période passée sous
garde à la suite d'une cessation de libération condi-
tionnelle de jour. Invoquant cette omission et les
conséquences sérieuses qu'elle peut avoir à l'égard
d'une personne à liberté conditionnelle de jour,
l'appelant prétend que le Parlement ne pouvait pas
avoir eu l'intention d'appliquer à la libération con-
ditionnelle de jour les dispositions relatives à la
déchéance.
Pour évaluer cette question litigieuse, il faut se
reporter aux arrêts qui ont décidé que les disposi
tions de la Loi relatives à la révocation, par opposi
tion à la déchéance, ne s'appliquent pas à la libéra-
tion conditionnelle de jour. Voilà la conclusion de
la Cour d'appel du Manitoba dans l'arrêt Regina
c. Hales (1975) 18 C.C.C. (2e) 240, et celle de la
Cour d'appel de l'Ontario dans l'affaire In re
Carlson, jugement rendu le 24 avril 1975, non
encore publié. Dans ces arrêts, les Cours sont
d'accord sur ceci: partout dans la Loi l'expression
«libération conditionnelle» signifie à la fois la libé-
ration conditionnelle ordinaire et la libération con-
ditionnelle de jour, sauf indication expresse ou
implicite à l'effet contraire; mais d'après leur con
clusion, dans le cas des dispositions relatives à la
révocation, il y a indication d'une intention con-
traire ou au moins une ambiguïté dont le bénéfice
devrait être accordé au détenu. D'après le raison-
nement de la Cour dans l'arrêt Hales, l'article 10
de la Loi exclut implicitement l'application de la
révocation à la libération conditionnelle de jour
puisqu'il prévoit expressément sa cessation. La
Cour se fonde aussi sur l'article 13(1) de la Loi qui
est ainsi rédigé:
13. (1) La période d'emprisonnement d'un détenu à liberté
conditionnelle, tant que cette dernière continue d'être ni révo-
quée ni frappée de déchéance, est réputée rester en vigueur
jusqu'à son expiration conformément à la loi, et, dans le cas
d'une liberté conditionnelle de jour, le détenu à liberté condi-
tionnelle est réputé continuer à purger sa période d'emprisonne-
ment au lieu de détention d'où il a été relâché sur libération
conditionnelle.
Le juge d'appel Matas, prononçant le jugement
unanime de la Cour, a déclaré à propos de cet
article [à la page 244]:
[TRADUCTION] Si nous acceptions l'exposé du procureur de
la Couronne, un détenu à liberté conditionnelle de jour serait
logiquement privé non seulement de la période de réduction
statutaire de peine initiale, mais aussi de la période passée en
liberté. Comme exemple, on obligerait un détenu à liberté
conditionnelle de jour qui a passé quelques heures en liberté et
le reste de la journée en prison à purger à nouveau toute la
durée de cette même période si sa libération conditionnelle était
révoquée. Ce concept va à l'encontre de l'article 13 de la Loi.
Et l'article 20 ne l'emporte pas non plus sur la disposition de cet
article qui crée une «présomption».
Ce passage fait ressortir l'importante répercus-
sion que l'application de l'article 20, relativement
à la révocation, peut avoir sur le détenu à liberté
conditionnelle de jour. On pourrait faire valoir la
même réflexion contre l'application de l'article 21
à son égard en ce qui concerne la déchéance.
Cependant, dans la mesure où je puis en juger, je
ne peux pas être d'accord sur l'importance particu-
lière qu'on semble accorder à l'article 13 pour
fonder cette conclusion. Sur cette question, je suis
d'accord avec les déclarations de la Cour d'appel
de la Colombie-Britannique dans l'arrêt Davidson
et du savant juge de première instance en l'espèce
au sujet, de l'article 13; ces déclarations, même si
elles ont trait au rapport entre l'article 13 et
l'article 21, s'appliquent également à celui qui
existe entre l'article 13 et l'article 20: c'est-à-dire
que l'article 13 doit s'interpréter de façon à signi-
fier que le détenu est réputé purger sa peine
d'emprisonnement lorsqu'il bénéficie d'une libéra-
tion conditionnelle à condition que cette dernière
ne soit ni révoquée ni frappée de déchéance; mais,
selon cette interprétation, le détenu perd le béné-
fice de cette disposition dès la révocation ou la
déchéance et il doit, d'après les termes de l'article
20 ou 21, selon le cas, purger la partie de sa peine
d'emprisonnement qui n'était pas encore expirée
au moment de l'octroi de sa libération condition-
nelle. Comme le savant juge de première instance
l'a fait remarquer, c'est la seule façon de donner
effet aux deux dispositions.
Quoi qu'il en soit, le juge d'appel Mackinnon,
qui a rendu le jugement unanime de la Cour
d'appel de l'Ontario dans l'arrêt Carlson, a décou-
vert, en comparant les termes des articles 13 et 20,
ce qui semble constituer un fondement assez diffé-
rent pour aboutir à la conclusion que l'intention
d'appliquer l'article 20 à la libération condition-
nelle de jour n'était pas évidente. Selon son raison-
nement, puisque la prescription de l'article 13 qui
crée la présomption semble indiquer qu'il n'y a pas
nécessairement réincarcération à la cessation de la
libération conditionnelle de jour, l'exigence de l'ar-
ticle 20 selon laquelle le détenu «doit être envoyé
de nouveau» en prison lorsque sa libération condi-
tionnelle est révoquée aboutit à une ambiguïté sur
la question de savoir si le législateur a voulu
appliquer l'article 20 à la libération conditionnelle
de jour et le détenu devrait bénéficier de cette
ambiguïté.
Voilà donc les motifs qui ont amené les tribu-
naux à décider que les dispositions relatives à la
révocation ne s'appliquent pas à la libération con-
ditionnelle de jour, c'est-à-dire la disposition spé-
ciale de l'article 10(2) relative à la cessation de la
libération conditionnelle de jour et l'exigence de
l'article 20 concernant la réincarcération. On peut
bien se demander si l'omission dans l'alinéa d) de
l'article 21(1) de toute disposition concernant le
crédit pour la période passée sous garde après la
cessation de la libération conditionnelle de jour ne
devrait pas avoir au moins autant d'importance
quand il s'agit de savoir si l'intention d'appliquer
l'article 21 à la libération conditionnelle de jour est
exprimée de façon suffisamment claire. Comme je
l'ai dit, les jugements qui ont conclu à l'application
de l'article 21 à la libération conditionnelle de jour
n'ont pas directement traité de cette question.
Dans l'arrêt Davidson, le juge d'appel Seaton
qui prononçait le jugement unanime de la Cour
d'appel de la Colombie-Britannique, a déclaré à
propos de la décision rendue dans l'affaire Hales
[aux pages 124-5]:
[TRADUCTION] L'article 10(2) prévoit la cessation de la libéra-
tion conditionnelle de jour et, selon la décision rendue dans
l'arrêt Hales, ceci équivaut à la révocation. Cet arrêt nous aide
peu dans l'examen de la déchéance parce que déchéance et
révocation sont deux choses différentes. La déchéance résulte
de la déclaration de culpabilité d'un acte criminel punissable
d'un emprisonnement d'au moins deux ans. Par contre, la
révocation résulte d'une décision discrétionnaire de la Commis
sion. La cessation peut être à la libération conditionnelle de
jour ce qu'est la révocation aux autres libérations conditionnel-
les, mais la déchéance peut s'appliquer aux deux genres de
libération.
Quant aux termes des articles 17 et 21, le juge
Seaton a affirmé [à la page 125]:
[TRADUCTION] Je ne vois pas d'ambiguïté dans l'article 17(1).
L'article s'applique à «un individu qui est ... un détenu à
liberté conditionnelle ...». L'article d'interprétation énonce la
signification de ces mots de manière à y inclure un individu en
liberté conditionnelle de jour. Les articles 13(1) et 10(2)
notamment se servent des mêmes termes pour décrire les
personnes en liberté conditionnelle de jour. Les mots «détenu à
liberté conditionnelle» doivent comprendre une personne en
liberté conditionnelle de jour. Rien dans la Loi n'indique une
intention contraire à cette interprétation quand le législateur
emploie ces mots dans l'article 17; de plus, il n'y a aucune
disposition spéciale concernant les personnes en liberté condi-
tionnelle de jour qui commettent une infraction. Je conclus
qu'une libération conditionnelle de jour peut être frappée de
déchéance.
On prétend que la déchéance de la libération conditionnelle
de jour n'a pas la même conséquence que la déchéance d'une
autre libération conditionnelle; la Loi ne justifie pas cette
interprétation. Le premier membre de phrase «Lorsqu'une libé-
ration conditionnelle est frappée de déchéance ...» prescrit la
portée de l'article 21(1), et rien ne permet d'interpréter ces
mots comme signifiant «toute libération conditionnelle autre
qu'une libération conditionnelle de jour».
Le juge d'appel Martin, prononçant le jugement
de la Cour d'appel de l'Ontario dans l'arrêt Kerr
[précité] s'est contenté de se fonder sur la décision
rendue dans l'affaire Davidson et sur celle du
savant juge de première instance en l'espèce, de la
façon suivante [aux pages 396-7]:
[TRADUCTION] Malgré l'argumentation très habile qu'on
nous a présentée, nous sommes tous d'avis que les dispositions
des articles 17 et 21 de la Loi sur la libération conditionnelle
de détenus s'appliquent tant à la libération conditionnelle de
jour qu'à la libération conditionnelle ordinaire et que le juge
Lerner avait raison de statuer ainsi. Nous souscrivons, à cet
égard, au jugement unanime de la Cour d'appel de la Colom-
bie-Britannique dans Ex p. Davidson (1974) 22 C.C.C. (2«)
122, [1975] 3 W.W.R. 606 (prononcé le 20 décembre 1974) et
à la décision du juge Addy de la Cour fédérale du Canada dans
Re Zong et le commissaire des pénitenciers (1975) 22 C.C.C.
(2e) 553, [1975] C.F. 430 (rendue le 11 février 1975).
Sans aucun doute, lorsque la liberté du justicia-
ble est en jeu et qu'il y a quelque incertitude sur le
sens d'une Loi, il faut accorder le bénéfice du
doute à la personne contre qui on doit appliquer la
loi. A ce sujet, l'appelant cite, à l'appui de ses
arguments concernant l'interprétation et l'applica-
tion de l'article 21, le principe que le juge Dickson
de la Cour suprême du Canada a énoncé de la
manière suivante dans l'arrêt récent Marcotte c.
Le sous-procureur général du Canada (1975) 19
C.C.C. (2 e ) 257:
Il n'est pas nécessaire d'insister sur l'importance de la clarté et
de la certitude lorsque la liberté est en jeu. Il n'est pas besoin de
précédent pour soutenir la proposition qu'en présence de réelles
ambiguïtés ou de doutes sérieux dans l'interprétation et l'appli-
cation d'une loi visant la liberté d'un individu, l'application de
la loi devrait alors être favorable à la personne contre laquelle
on veut exécuter ses dispositions. Si quelqu'un doit être incar-
céré, il devrait au moins savoir qu'une loi du Parlement le
requiert en des termes explicites, et non pas, tout au plus, par
voie de conséquence.
L'omission, à l'article 21(1)d), du crédit pour la
période passée sous garde après la cessation de la
libération conditionnelle de jour est assurément
sérieuse si l'article 21 doit s'appliquer à la libéra-
tion conditionnelle de jour et cette omission signi-
fie qu'en certains cas les répercussions de la
déchéance de libération conditionnelle frappent
plus durement le détenu à liberté conditionnelle de
jour que le détenu à liberté conditionnelle ordi-
naire. De fait, cela ajoute à la plus grande rigueur
qui, même sans cela,. existe à cause du motif
auquel le juge d'appel Matas a fait allusion dans
l'arrêt Hales: c'est-à-dire que pendant la période
où il se trouve en liberté conditionnelle de jour (et
pour laquelle il perd tout crédit à la déchéance de
sa libération conditionnelle), le détenu en question
va probablement passer une partie considérable de
son temps en prison. Ainsi que le donne à entendre
l'expression «libération conditionnelle de jour» et
suivant la définition qu'en donne la Loi, les pério-
des pendant lesquelles le détenu se trouve en
liberté sont plus restreintes que s'il bénéficie d'une
libération conditionnelle ordinaire et, en fait, ces
périodes de liberté alternent à de courts intervalles
avec des périodes d'emprisonnement.
On nous demande de conclure de cet état de
choses qu'il existe au moins un doute quant à
l'intention du Parlement d'appliquer à la libération
conditionnelle de jour les articles 17 et 21 qui
portent sur la déchéance de la libération condition-
nelle. Je suis très impressionné par l'argument qui
repose sur l'omission de toute mention, dans l'arti-
cle 21(1)d), du temps passé sous garde après la
cessation de la libération conditionnelle de jour,
mais je ne peux m'empêcher de conclure que si on
accueille cet argument il faut accepter une concep
tion tout à fait invraisemblable de l'intention du
Parlement: c'est-à-dire que le détenu à liberté
conditionnelle de jour pourrait commettre un acte
criminel pendant qu'il est en liberté conditionnelle
sans subir les conséquences qui découlent de la
déchéance lorsqu'un détenu à liberté conditionnelle
ordinaire commet le même crime. Il ne semble
exister aucune raison plausible pour laquelle le
législateur devrait considérer un comportement
aussi grave comme justifiant les conséquences
reliées à la déchéance dans le cas de la libération
conditionnelle ordinaire mais non dans celui de la
libération conditionnelle de jour. Pour ce motif, je
ne peux conclure que l'omission à l'article 21(1)d)
constitue un doute raisonnable quant à l'intention
du législateur et qu'il faut en accorder le bénéfice
à l'appelant.
Relativement à la libération conditionnelle de
jour, voici la distinction essentielle entre la révoca-
tion et la déchéance: la révocation de la libération
conditionnelle ordinaire et la cessation de la libéra-
tion conditionnelle de jour constituent des bases
essentiellement différentes pour mettre un terme à
la libération conditionnelle par l'exercice d'un pou-
voir discrétionnaire sans réserve qui, dans le cas de
la cessation, n'a pas besoin d'être pratiquée par la
Commission nationale des libérations conditionnel-
les, tandis que, pour la déchéance, le fondement est
le même pour les deux sortes de libérations condi-
tionnelles: la perpétration pendant la libération
conditionnelle d'un acte criminel punissable d'un
emprisonnement d'au moins deux ans.
J'aborde maintenant la question de savoir si
l'article 21(1) de la Loi sur la libération condi-
tionnelle de détenus s'applique de manière à
causer la perte de la réduction statutaire de peine à
laquelle le détenu avait droit avant l'entrée en
vigueur de l'article. D'après la prétention de l'ap-
pelant cette interprétation irait à l'encontre de la
présomption voulant que le Parlement n'ait pas
l'intention de donner à une loi un effet rétroactif,
spécialement quand cela aurait pour effet de
détruire ou de compromettre un droit acquis, sauf
s'il a indiqué une intention contraire de façon
expresse ou par voie d'interprétation nécessaire.
De plus, d'après l'appelant, cette interprétation de
l'article irait à l'encontre de la Déclaration cana-
dienne des droits.
L'article 21(1) a pris sa forme actuelle en vertu
du chapitre 31 (1e 1 supp.) des Statuts revisés du
Canada de 1970. Selon le paragraphe 2(2) de ce
chapitre, ce texte de loi est censé être entré en
vigueur le 26 août 1969. Ainsi, l'article 21(1) était
la loi en vigueur en ce qui concerne la déchéance
de la libération conditionnelle au moment de la
libération conditionnelle de jour de l'appelant et de
la déchéance de cette libération. Au moment où il
eut droit à la réduction statutaire de peine à son
arrivée au pénitencier à la suite de sa condamna-
tion pour viol, le 13 octobre 1966, c'est l'article
17(1) de la Loi sur la libération conditionnelle de
détenus, S.C. 1958, c. 38, qui régissait l'effet de la
déchéance de la libération conditionnelle; en voici
la teneur:
17. (1) Lorsqu'une libération conditionnelle est frappée de
déchéance par une déclaration de culpabilité d'acte criminel, le
détenu à liberté conditionnelle doit purger un emprisonnement
d'une durée égale à telle partie de l'emprisonnement auquel il a
été originairement condamné qui n'était pas encore expirée au
moment de l'octroi de cette libération, plus la durée de l'empri-
sonnement, le cas échéant, auquel il est condamné sur déclara-
tion de culpabilité de l'infraction.
Remarquons que les termes employés pour
déterminer la durée de l'emprisonnement à purger
à la suite de la déchéance de la libération condi-
tionnelle sont «telle partie de l'emprisonnement
auquel il a été originairement condamné qui n'était
pas encore expirée au moment de l'octroi de cette
libération», et qu'ils ne comprennent pas les termes
«y compris toute réduction de peine inscrite à son
crédit, notamment la réduction méritée» qu'on
retrouve dans l'article 21(1) actuel.
Dans l'arrêt Marcotte, précité, la Cour suprême
du Canada a examiné l'effet qu'ont sur la réduc-
tion statutaire de peine les termes «la partie de sa
période originaire d'emprisonnement qui n'était
pas encore expirée au moment de l'octroi de cette
libération», contenus dans l'article 16(1) de la Loi
sur la libération conditionnelle de détenus, S.C.
1958, c. 38, qui prévoit les effets de la révocation
de la libération conditionnelle. Selon l'opinion
majoritaire de la Cour, ces termes n'avaient pas
pour effet de causer la perte de la réduction statu-
taire de peine à laquelle le détenu avait eu droit en
vertu de l'article 22 de la Loi sur les pénitenciers.
La même conclusion s'applique forcément à l'in-
terprétation des termes essentiellement équivalents
contenus dans l'article 17(1) de la Loi de 1958.
D'après le juge Dickson, qui a émis l'opinion à
laquelle a souscrit la majorité des membres de la
Cour, le «crédit de réduction statutaire, dès l'ad-
mission au pénitencier, est un droit véritable et
immédiat» et non un «crédit différé qui ne peut
profiter au détenu avant que la période de réduc-
tion statutaire, la période de réduction de peine
méritée et la période de la sentence purgée, n'équi-
valent à la durée de la sentence.» Aux fins de
l'article 16 de la Loi sur la libération condition-
nelle de détenus, selon sa conclusion, «on doit tenir
compte» du crédit rattaché à la réduction statu-
taire de peine «en calculant la partie de la période
originaire d'emprisonnement qui n'est pas expirée.»
Suivant les dispositions de l'article 25 de la Loi sur
les pénitenciers, quand on accorde la libération
conditionnelle à un détenu, la période de son
emprisonnement, à toutes les fins de la Loi sur la
libération conditionnelle de détenus, comprend
toute période de réduction statutaire de peine ins-
crite à son crédit lorsqu'il est mis en liberté; le juge
Dickson a statué que ces dispositions ne s'appli-
quaient pas à l'article 16(1) de la Loi sur la
libération conditionnelle de détenus. Il est arrivé à
la conclusion que la durée de l'emprisonnement à
purger par le détenu à la suite de sa réincarcéra-
tion n'était pas une fin poursuivie par la Loi sur la
libération conditionnelle de détenus mais une con-
séquence de la révocation et que l'article 25 de la
Loi sur les pénitenciers avait en vue les fins pour-
suivies par la Loi sur la libération conditionnelle
de détenus pendant que le détenu se trouvait en
liberté conditionnelle.
Dans l'arrêt Marcotte, la Cour a tenu compte de
la version de l'article 22 de la Loi sur les péniten-
ciers en vigueur quand l'appelant est entré au
pénitencier à la suite de sa condamnation pour viol
en octobre 1966.
Se fondant sur cette décision, l'appelant prétend
qu'au moment de sa mise en liberté conditionnelle
il avait un droit acquis à la période de réduction
statutaire de peine à la suite de son entrée au
pénitencier et que, si l'article 21(1) de la Loi sur la
libération conditionnelle de détenus s'applique de
façon à causer la déchéance de cette réduction de
peine, il a un effet rétroactif sur la réduction de
peine.
D'autres tribunaux du Canada ont rendu des
décisions contradictoires à ce sujet. Dans l'affaire
Regina c. Dwyer [1975] 4 W.W.R. 54, le juge
Anderson de la Cour suprême de la Colombie-Bri-
tannique a conclu qu'appliquer l'article 21(1) un
détenu qui a été mis en liberté conditionnelle après
le 26 août 1969 mais qui, avant cette date, avait eu
droit à une réduction statutaire -de peine, équivau-
drait à conférer à cet article une portée rétroactive
qu'il n'était pas disposé à lui accorder. Après avoir
cité certains passages de la décision du juge Dick-
son dans l'arrêt Marcotte qui se rapportaient à la
nature de la réduction statutaire de peine, le juge
Anderson a déclaré [aux pages 59-60]:
[TRADUCTION] On ne peut retirer ce «droit véritable et
immédiat» au requérant qu'en accordant un effet rétroactif à
l'article 21(1) de la Loi sur la libération conditionnelle de
détenus entré en vigueur le 26 août 1969... .
Au moment de sa condamnation, le requérant a obtenu un
«droit immédiat» à la réduction statutaire de peine qui, à ce
moment-là, ne pouvait être annulée par suite de révocation ou
de déchéance de la libération conditionnelle. En d'autres mots,
au moment de la modification de la Loi sur la libération
conditionnelle de détenus (le 26 août 1969) et au moment de sa
mise en liberté conditionnelle (le 23 avril 1970), le requérant,
sur sa sentence de 1825 jours, avait purgé un total de 1066
jours répartis de la façon suivante:
Réduction statutaire de 25 pour cent 456 jours
Purgée 610 jours
1066 jours
Pour conclure que le requérant doit purger les 456 jours
auxquels il avait déjà droit et qui étaient donc censés être
purgés il faudrait nécessairement appliquer au requérant l'arti-
cle 21(1) de la Loi sur la libération conditionnelle de détenus
comme un moyen de le condamner à une période supplémen-
taire de 456 jours d'emprisonnement pour avoir violé les condi
tions de sa libération conditionnelle. Un crédit de 456 jours se
trouvait déjà inscrit à son dossier par application de l'arrêt
Marcotte, précité, et rien ne permettait de lui enlever ce crédit
si ce n'est l'imposition d'une nouvelle sentence supplémentaire
de 456 jours conformément à l'article 21(1) de la Loi sur la
libération conditionnelle de détenus ....
[Et à la page 66]:
Je ne peux concevoir que le Parlement, à la lumière des
dispositions de la Déclaration des droits, ait voulu donner à la
modification apportée à la Loi sur la libération conditionnelle
de détenus une interprétation rétroactive qui ajoute une nou-
velle période d'emprisonnement à celle déjà purgée ou censée
(selon l'arrêt Marcotte) avoir été purgée.
Accepter la proposition de l'avocat de l'intimé signifierait
enlever un droit acquis («un droit véritable et immédiat»),
contrairement aux nombreux arrêts antérieurs qui ont décidé
qu'une mesure législative visant à porter atteinte aux droits
acquis doit s'interpréter de manière prospective et non
rétroactive.
Les décisions de la Haute Cour de l'Ontario
rendues par le juge Keith dans l'affaire Ex parte
Spice (1976) 23 C.C.C. (2 e ) 141 et par le juge
Cory dans l'affaire In re Krachan (1976) 24
C.C.C. (2 e ) 114 ont adopté le raisonnement suivi
dans l'arrêt Regina c. Dwyer. La plus récente
décision portée à notre attention est celle de la
Cour d'appel du Manitoba rendue dans l'affaire In
re Fraser le 23 juillet 1975, non encore publiée. La
Cour avait alors sous les yeux les décisions sus-
mentionnées de même que le jugement présente-
ment en appel. Selon la décision de la majorité de
la Cour, le juge en chef Freedman du Manitoba
étant dissident, les dispositions de la Loi sur la
libération conditionnelle de détenus relatives à la
révocation et à la déchéance de la libération condi-
tionnelle entrées en vigueur le 26 août 1969 s'ap-
pliquent à la libération conditionnelle accordée
après cette date, de manière à porter atteinte à la
réduction statutaire de peine à laquelle le détenu
avait droit avant cette date. Le juge d'appel
Monnin, qui a prononcé le jugement au nom de la
majorité, a déclaré:
[TRADUCTION] Assurément, l'état du droit et les conditions
relatives à la libération conditionnelle en vigueur au moment où
la libération conditionnelle a été accordée et acceptée, soit le 27
juillet 1973 quand le prisonnier a été relâché avec une permis
sion temporaire, doivent s'appliquer. Si tel est le cas, et c'est
mon avis, il fait pas de doute, comme le prétend l'avocat du
prisonnier, que la loi rétroagit.
Le juge en chef Freedman du Manitoba, dissident,
a affirmé:
[TRADUCTION] Selon moi, cette affaire entre dans le cadre
de la décision de la Cour suprême du Canada dans l'arrêt
Marcotte c. Le sous-procureur général du Canada ... .
La loi édictée par le Parlement après l'admission du présent
requérant au pénitencier (voir la Loi sur la libération condi-
tionnelle de détenus, S.R.C. 1970, c. P-2, art. 20 et 21)
priverait, si on l'applique, cet accusé de son droit à la réduction
statutaire de peine. Mais à mon avis cette loi ne s'applique pas
à lui. Il ne peut être sujet à cette loi que si elle a un effet
rétroactif. Cependant, selon un principe d'interprétation statu-
taire bien reconnu, une loi ne doit pas recevoir un effet rétroac-
tif qui porterait atteinte à des droits acquis, à moins que de
façon expresse ou par voie de présomption légale inévitable le
texte exige cette interprétation. En l'instance, donner un effet
rétroactif à la Loi sur la libération conditionnelle de détenus
priverait le requérant d'un «droit véritable et immédiat». Voir
l'arrêt Marcotte, précité, et l'arrêt In re Dwyer [1975] 4
W.W.R. 54. Je ne suis pas disposé à accepter cette interpréta-
tion de la loi.
Il est évident que l'article 21(1) n'a pas d'effet
rétroactif par rapport à la déchéance de la libéra-
tion conditionnelle puisque c'est après l'entrée en
vigueur de l'article que l'appelant a été mis en
liberté conditionnelle et a commis l'acte criminel
qui a donné lieu à la déchéance. Il est tout à fait
raisonnable qu'au moment de la mise en liberté
conditionnelle de l'appelant, sa situation ait été
régie par la loi relative à la déchéance de la
libération conditionnelle alors en vigueur. Mais
selon l'allégation de l'appelant, vu que cette loi
aurait pour effet de le priver d'un droit acquis à la
réduction statutaire de peine, sa situation devrait
être régie par la loi antérieure relative à la
déchéance, qui ne faisait pas perdre au détenu son
droit à la réduction statutaire de peine, et non par
la loi actuelle. Ce serait appliquer à l'appelant une
loi relative à la déchéance de la libération condi-
tionnelle qui n'était plus en vigueur au moment de
sa mise en liberté conditionnelle. Ceci sert à faire
ressortir, me semble-t-il, que nous sommes ici en
présence d'un texte de loi visant à régir ce qui
donne naissance à la déchéance de la libération
conditionnelle et non à régir la nature du droit à la
réduction statutaire de peine à laquelle l'appelant
avait droit au moment de son entrée au pénitencier
après sa condamnation pour viol. Une loi n'a pas
d'application rétroactive simplement parce qu'elle
porte atteinte à un droit existant. Comme l'a
affirmé le lord juge Buckley dans l'arrêt West c.
Gwynne [1911] 2 Ch. 1, à la page 12: [TRADUC-
TION] «La plupart des lois du Parlement, en fait,
portent atteinte à des droits existants.»
Même s'il ne s'agit pas d'un véritable cas d'ap-
plication rétroactive, il y a néanmoins une pré-
somption indiquant que le législateur n'a pas l'in-
tention d'enlever un droit acquis ou d'y porter
atteinte à moins que l'intention d'agir ainsi ne soit
claire et inévitable.
Dans l'arrêt Spooner Oils Limited c. The
Turner Valley Gas Conservation Board [1933]
R.C.S. 629, à la page 638, le juge en chef Duff a
formulé comme suit la présomption qui existe
contre l'atteinte aux droits acquis:
[TRADUCTION] Il ne faut pas interpréter une disposition législa-
tive de façon à porter une atteinte défavorable aux droits acquis
ou à «une situation existante» (Main c. Stark (1890) 15 App.
Cas. 384, à la page 388), sauf si les termes employés exigent
cette interprétation. Coke décrit la règle comme étant une «loi
du Parlement» (2 Inst. 292), voulant sans doute dire que c'est
une règle basée sur la pratique du Parlement; cela laisse
présumer que, quand le Parlement a l'intention de porter une
atteinte défavorable à ces droits ou à cette situation, il le
déclare expressément, sauf si de toute façon cette intention se
manifeste clairement par voie de conséquence nécessaire d'une
interprétation inévitable.
Ainsi, les présomptions contre la rétroactivité et
l'empiétement sur les droits acquis doivent être
mises de côté lorsque toutes les circonstances con
vergent vers la conclusion inévitable que le législa-
teur doit avoir voulu cette rétroactivité ou cet
empiétement.
Assurément, la personne touchée par la mesure
législative doit recevoir le bénéfice de tout doute.
Voici comment le juge Wright s'est exprimé à ce
sujet dans l'arrêt Re Athlumney [1898] 2 Q.B.
547, aux pages 551 et 552:
[TRADUCTION] Il n'existe peut-être pas de règle d'interpréta-
tion plus solidement établie que celle-ci: il ne faut pas donner
de portée rétroactive à une loi pouvant porter atteinte à un droit
ou une obligation existante, autrement qu'en matière de procé-
dure, à moins que ceci ne puisse être évité sans déformer
l'énoncé du texte. Si la rédaction du texte peut donner lieu à
plusieurs interprétations, on doit l'interpréter comme devant
prendre effet pour l'avenir seulement.
On a aussi mentionné les propos du juge Dick-
son dans l'arrêt Marcotte.
Voici comment le lord chancelier Hatherley a
indiqué, dans l'affaire Pardo c. Bingham
(1868-69) L.R. 4 Ch. App. 735, la page 740, ce
qu'il faut considérer quand on essaie d'établir l'in-
tention du législateur:
[TRADUCTION] Or, dans cet arrêt Moon c. Durden, le baron
Parke n'a pas considéré comme l'expression d'une règle immua-
ble le fait qu'une loi ne puisse pas être rétroactive à moins que
les termes mêmes de l'article à interpréter ne le disent expressé-
ment; et selon lui, dans chaque cas, il s'agit de savoir si le
législateur avait suffisamment exprimé une intention. En fait,
nous devons considérer la portée et le champ d'application de la
loi, le remède que le législateur cherchait à appliquer, l'état
antérieur du droit et l'objectif du législateur.
A la lumière de ces critères, il faut nécessaire-
ment conclure, à mon avis, que le Parlement a
voulu que l'article 21(1) de la Loi sur la libération
conditionnelle de détenus s'applique à tous les cas
où un détenu a bénéficié d'une libération condi-
tionnelle à partir du 26 août 1969, date à laquelle
cet article est censé être entré en vigueur, même si
cela aurait pour effet de faire perdre à un détenu
la réduction statutaire de peine qu'il avait acquise
avant son entrée en vigueur. L'article 21(1) vise à
corriger une anomalie. Il a pour objet d'assortir la
déchéance de libération conditionnelle qui résulte
de la perpétration d'un acte criminel pendant la
libération conditionnelle de sanctions plus sévères
que celles existant sous l'ancien article. On s'écar-
terait considérablement de l'objectif de la loi si
celle-ci ne pouvait s'appliquer qu'aux détenus à
liberté conditionnelle condamnés et entrés au péni-
tencier après sa mise en vigueur.
Même si la Cour suprême du Canada a conclu
dans l'arrêt Marcotte que le droit à la réduction
statutaire de peine était un droit véritable et
immédiat dès la réception au pénitencier, il n'en
demeurait pas moins, même à cette époque-là, un
droit dont certains types de comportement pou-
vaient causer la déchéance. Les paragraphes (3) et
(4) de l'article 22 de la Loi sur les pénitenciers
prévoyaient qu'un détenu encourait la déchéance
de sa réduction statutaire de peine, en tout ou en
partie, par suite d'une déclaration de culpabilité
devant un tribunal disciplinaire, et des trois quarts
de sa réduction statutaire de peine quand un tribu
nal criminel le déclarait coupable de l'infraction
d'évasion ou de tentative d'évasion. L'énoncé d'une
autre cause de déchéance à l'article 21(1) de la Loi
sur la libération conditionnelle de détenus ne
changeait pas la substance du droit à la réduction
statutaire de peine en tant que «droit véritable et
immédiat», susceptible de déchéance par suite d'un
comportement spécifié dans une loi.
Le détenu qui acceptait la libération condition-
nelle après l'entrée en vigueur de l'article 21(1),
savait ou était présumé savoir que son droit à la
réduction statutaire de peine inscrite à son crédit
lors de sa mise en liberté conditionnelle serait
frappé de déchéance s'il commettait, après sa libé-
ration conditionnelle, un acte criminel punissable
d'un emprisonnement d'au moins deux ans. Cela
répond au critère suggéré par le juge Dickson dans
l'arrêt Marcotte. On peut difficilement voir com
ment quelqu'un peut raisonnablement se plaindre
que cette application de la loi est injuste. En
réalité, il serait injuste de l'appliquer de manière
que, entre deux personnes mises en liberté condi-
tionnelle après le 26 août 1969, l'une d'elles puisse
commettre un acte criminel sans perdre sa réduc-
tion statutaire de peine parce qu'elle est entrée au
pénitencier avant cette date, et que l'autre, com-
mettant le même acte criminel, perde sa réduction
statutaire de peine parce qu'elle est entrée au
pénitencier après cette date.
Dans le cas de la surveillance obligatoire, qui
influe nettement sur la nature du droit à la réduc-
tion statutaire de peine puisqu'elle exige que la
période de réduction soit passée sous surveillance
après la sortie de prison, il est révélateur, à _ mon
avis, que le législateur ait envisagé clairement de
limiter l'application de la loi en se reportant à la
date de la condamnation du détenu assujetti à la
surveillance obligatoire.
Voici la teneur de l'article 11 (l'actuel article
15) de la Loi sur la libération conditionnelle de
détenus, édicté par l'article 101(1) de la Loi de
1968-69 modifiant le droit pénal, S.C. 1968-69, c.
38:
11B. (1) Lorsqu'un détenu à qui la libération conditionnelle
n'a pas été accordée est mis en liberté avant l'expiration de sa
sentence en conformité de la loi, à la suite d'une réduction de
peine, incluant une réduction méritée et que la période de cette
réduction excède soixante jours, il doit, nonobstant toute autre
loi, être assujetti à une surveillance obligatoire commençant dès
sa mise en liberté et se poursuivant pendant la durée de cette
réduction de peine.
(2) L'alinéa e) de l'article 8, l'article 9, l'article 11 et les
articles 12 17 s'appliquent à un détenu qui est assujetti à la
surveillance obligatoire comme s'il était un détenu à liberté
conditionnelle en libération conditionnelle et comme si les
modalités de sa surveillance obligatoire étaient des modalités de
sa libération conditionnelle.
Le paragraphe (2) de l'article 101 de la Loi de
1968-69 modifiant le droit pénal prévoyait ce qui
suit:
(2) L'article 11s de ladite loi, tel que l'énonce le paragraphe
(1), doit s'appliquer seulement aux personnes qui sont condam-
nées à l'emprisonnement ou transférées dans une classe ou des
classes de pénitenciers ou autres lieux d'emprisonnement visés
dans une proclamation le jour ou les jours fixés par la procla
mation ou par la suite.
En application du paragraphe (2), l'article 11B
de la Loi sur la libération conditionnelle de déte-
nus a été proclamé en vigueur à l'égard des «per-
sonnes qui sont condamnées à l'emprisonnement
ou transférées dans une classe quelconque de péni-
tenciers à compter du ler août 1970.» (Gazette du
Canada, Partie II, Vol. 104, N° 15). Si le Parle-
ment avait eu l'intention de limiter l'application de
l'article 17(1), la nouvelle disposition relative à la
déchéance de la libération conditionnelle, en se
reportant à la date de la condamnation ou de la
réception d'une personne au pénitencier, il aurait
logiquement adopté une disposition semblable con-
cernant sa proclamation. Au lieu de cela, l'article
120 de la Loi de 1968-69 modifiant* droit pénal
prévoit cette proclamation dans les termes géné-
raux suivants:
120. La présente loi ou l'une ou plusieurs de ses dispositions
entreront en vigueur à une date ou à des dates qui seront fixées
par proclamation.
Ceci montre, à mon avis, que le Parlement
désirait qu'à compter de la date d'entrée en
vigueur fixée par proclamation, la nouvelle disposi
tion concernant la déchéance de la libération con-
ditionnelle s'applique à toutes les personnes ainsi
libérées à partir de cette date, sans tenir compte du
moment de leur condamnation ou réception au
pénitencier. Pour empêcher l'application de cet
effet défavorable à la réduction statutaire de peine
à laquelle un détenu avait droit avant l'entrée en
vigueur de l'article 21(1) il faudrait soumettre
l'application de l'article à une restriction rigou-
reuse pour laquelle je ne peux trouver de justifica
tion dans les termes de la loi.
Selon les prétentions de l'appelant, les termes
suivants de l'article 21(1)—da partie de l'empri-
sonnement auquel il a été condamné qui n'était pas
encore expirée au moment de l'octroi de cette
libération, y compris toute période de réduction de
peine inscrite à son crédit, notamment la réduction
de peine méritée»—montrent que l'article n'envi-
sage pas le genre de droit à la réduction statutaire
de peine que la Cour suprême a reconnu dans
l'arrêt Marcotte. Il soutient que, si avant l'adop-
tion de l'article 21(1), la réduction statutaire de
peine était un «droit véritable et immédiat» dans le
sens d'une réduction immédiate d'un quart dans la
durée de la sentence à purger, alors on ne pouvait
pas dire que cette réduction se trouvait comprise
dans la partie de l'emprisonnement auquel le
détenu a été condamné qui n'était pas encore
expirée au moment de l'octroi de . cette libération.
Voici comment le juge Anderson a présenté le
problème dans l'arrêt Regina c. Dwyer, précité, [à
la page 67]:
[TRADUCTION] Si «la période d'emprisonnement non encore
expirée» mentionnée aux articles 20 et 21(1) de la Loi sur la
libération conditionnelle de détenus signifie, conformément à
l'arrêt Marcotte, qu'il faut déduire la période de réduction
statutaire de peine, la seule façon alors de pouvoir obliger le
prisonnier à purger la période de réduction statutaire de peine
consiste à donner aux termes «y compris toute période de
réduction de peine» le sens de «et» ou «en plus de» ou «ainsi que».
Si l'expression «y compris toute période de réduction de peine»
signifie «et■ ou «en plus de», il faut alors calculer la période
d'emprisonnement non expirée de la façon suivante:
a) La période initiale d'emprisonnement.
b) Soustraire la réduction statutaire de peine.
c) Additionner la réduction statutaire de peine.
Je ne peux pas conclure que le Parlement voulait dire:
a) que la loi modifiée ne devait avoir aucune utilité; ou
b) qu'on devait interpréter la loi modifiée en premier lieu en
déduisant la réduction statutaire de peine et, en second lieu,
en la rajoutant.
En toute déférence, je ne suis pas d'avis que cela
signifie nécessairement que le Parlement n'envisa-
geait pas la réduction statutaire de peine à laquelle
un détenu avait droit avant l'entrée en vigueur de
l'article 21(1). Évidemment, la disposition concer-
nant la déchéance de libération conditionnelle
devait apporter certaines précisions à l'ancien arti
cle si on voulait réaliser la déchéance de la réduc-
tion statutaire de peine. Les termes de l'article
21(1) décrivent ce qui doit entrer dans le calcul de
la sentence à purger par suite de la déchéance de
libération conditionnelle. Le législateur aurait pu
employer une autre expression pour indiquer que le
calcul de la sentence à purger devait comprendre
les périodes de réduction de peine statutaire et
méritée, mais à mon avis l'expression «y compris»
était toute indiquée. Il faut se rappeler que cette
modification a été apportée bien avant le prononcé
des décisions rendues dans l'arrêt Marcotte. Je ne
peux conclure de l'emploi de l'expression «y com-
pris» plutôt que du mot «et», que le Parlement
envisageait seulement la réduction statutaire de
peine à laquelle s'appliquerait la surveillance obli-
gatoire et qui, ainsi, ne constituerait pas une
déduction dans le calcul de la sentence au même
sens que sous l'ancienne loi. En effet, c'est l'effet
de la surveillance obligatoire, et non la cause
additionnelle de déchéance prescrite par l'article
21(1), qui pouvait vraisemblablement modifier la
façon dont il fallait considérer la réduction statu-
taire de peine en tant que droit véritable et immé-
diat, à savoir comme une période d'emprisonne-
ment que le détenu était censé avoir purgée.
Donner cette interprétation à l'article 21(1) signi-
fierait qu'il ne peut s'appliquer qu'aux détenus
condamnés depuis le 1 e7 août 1970. J'estime que ce
résultat est trop improbable pour l'attribuer à
l'intention poursuivie par le législateur.
Pour les motifs qui précèdent, en toute défé-
rence, j'approuve l'arrêt majoritaire de la Cour
d'appel du Manitoba et la décision implicite du
savant juge de première instance sur cette
question.
L'appelant prétend que l'application de l'article
21(1) de la Loi sur la libération conditionnelle de
détenus de manière à lui faire perdre la réduction
statutaire de peine inscrite à son crédit au moment
de sa mise en liberté conditionnelle irait à l'encon-
tre de la Déclaration canadienne des droits. Il
s'appuie spécialement sur le droit de l'individu à la
liberté et le droit de ne s'en voir priver que par
l'application régulière de la loi proclamée par l'ar-
ticle la) et dont l'article 2 interdit la violation. Je
ne trouve rien dans les dispositions de la Déclara-
tion canadienne des droits qui communique une
force additionnelle aux règles d'interprétation' sta-
tutaire de common law contenues dans les pré-
somptions contre l'effet rétroactif de la loi et l'em-
piétement sur les droits acquis, et sûrement rien
qui permette de fonder une interdiction absolue
contre cet effet ou cet empiétement. De plus, à
mon avis, les dispositions de la Loi sur la libéra-
tion conditionnelle de détenus relatives à la
déchéance de libération conditionnelle ne sont pas
incompatibles avec le droit de l'individu de ne se
voir privé de la liberté que par l'application régu-
lière de la loi. Quoi que puisse signifier l'expression
application régulière en matière de procédure, elle
constitue un fondement douteux à une attaque
contre le fond d'une mesure législative fédérale.
Curr c. La Reine [1972] R.C.S. 889. En l'espèce,
la loi crée le pouvoir de permettre à un détenu de
purger une partie de sa sentence sous surveillance
tout en évoluant dans la société et, vu les risques
que cela comporte, elle prévoit aussi la déchéance
de cette libération conditionnelle en certaines cir-
constances avec comme conséquence la perte du
crédit alloué pour la période purgée pendant la
libération conditionnelle, de même que pour la
réduction de peine statutaire et méritée inscrite au
crédit du détenu lors de sa mise en liberté condi-
tionnelle. Ces conséquences sont rigoureuses j'en
conviens, mais elles représentent ce que le Parle-
ment considère nécessaire pour assurer le respect
des conditions rattachées à la libération condition-
nelle. En pareil cas, il n'appartient pas aux tribu-
naux de mettre en doute cette décision du législa-
teur à cause d'une notion de fond reliée à
l'application régulière qui vise à évaluer le carac-
tère raisonnable de mesures législatives par rap
port à leur objectif. L'appelant soutient que la
déchéance de libération conditionnelle ayant pour
effet de faire purger au détenu deux fois une partie
de sa sentence, cela équivaut à l'imposition d'une
nouvelle sentence sans procès. Cette déchéance ne
fait pas suite, de par la loi seule, à la déclaration
de culpabilité ni à l'imposition de la peine d'empri-
sonnement qui en résulte dans un cas particulier.
Sur la question de savoir si cela peut entrer en
conflit avec la Déclaration canadienne des droits,
je n'estime pas nécessaire d'exprimer d'opinion. Le
Parlement a prescrit que, sur déclaration de culpa-
bilité d'un acte criminel commis pendant sa libéra-
tion conditionnelle, un détenu à liberté condition-
nelle perd le crédit accordé pour une certaine
période que, par ailleurs, en vertu d'une disposition
législative, il était censé avoir purgée sur sa sen
tence. Il ne s'agit donc pas d'une nouvelle sentence
mais d'un nouveau calcul de la période d'emprison-
nement qui reste à purger sur la sentence initiale.
La prétention de l'appelant revient à affirmer que
le Parlement ne peut réaliser la déchéance des
droits par l'opération de la loi mais seulement par
une procédure déclaratoire. Je ne peux trouver de
fondement à une limitation aussi rigoureuse du
pouvoir du Parlement dans la disposition de la
Déclaration canadienne des droits relative à l'ap-
plication régulière de la loi.
Je ne vois pas non plus dans les autres disposi
tions de la Déclaration canadienne des droits invo-
quées par l'appelant, à savoir l'interdiction de
l'emprisonnement arbitraire et de l'imposition de
peines ou de traitements cruels et inusités, un
fondement à une contestation fructueuse des dispo
sitions de la Loi sur la libération conditionnelle de
détenus relatives à la déchéance. La période sup-
plémentaire d'emprisonnement que le détenu peut
devoir purger comme conséquence de la déchéance
de sa libération conditionnelle n'est pas imposée
par un acte arbitraire mais elle est prévue par la
loi qui s'applique à toute personne qui voit sa
libération conditionnelle frappée de déchéance;
toute sévère et rigoureuse que la sanction de cette
déchéance puisse paraître, elle n'atteint pas le
degré de ce qu'on pourrait raisonnablement appe-
ler une peine cruelle et inusitée.
L'appelant invoque également certaines disposi
tions du Code criminel du Canada à l'encontre de
l'application de l'article 21(1) de la Loi sur la
libération conditionnelle de détenus. Il renvoit à
l'article 11 du Code qui est ainsi rédigé:
11. Lorsqu'un acte ou une omission constitue .une infraction
visée par plus d'une loi du Parlement du Canada, qu'elle soit
punissable par voie d'acte d'accusation ou sur déclaration som-
maire de culpabilité, une personne qui accomplit l'acte ou fait
l'omission devient, à moins que l'intention contraire ne soit
manifeste, assujettie aux procédures que prévoit l'une quelcon-
que de ces lois, mais elle n'est pas susceptible d'être punie plus
d'une fois pour la même infraction.
En réponse à l'allégation fondée sur cet article,
il suffit de dire qu'il s'applique à la possibilité
d'être puni pour une infraction; les dispositions de
l'article 21(1) de la Loi sur la libération condi-
tionnelle de détenus relatives à la déchéance ne
constituent pas une peine supplémentaire pour l'in-
fraction initiale, ni pour l'infraction commise au
cours de la libération conditionnelle, mais une
sanction imposée pour avoir commis un acte crimi-
nel au cours de cette libération.
L'appelant invoque aussi l'article 649(3) du
Code criminel, dont voici le texte:
(3) Nonobstant le paragraphe (1), une période d'emprison-
nement, infligée par une cour de première instance ou par la
cour saisie d'un appel, commence à courir ou est censée reprise,
selon le cas, à la date où la personne déclarée coupable est
arrêtée et mise sous garde aux termes de la sentence.
Suivant la prétention fondée sur cet article, la
sentence de l'appelant continuait à s'écouler pen
dant sa libération conditionnelle et cette disposi
tion devrait l'emporter sur l'article 21(1) de la Loi
sur la libération conditionnelle de détenus qui fait
perdre au détenu son crédit pour la période purgée
au cours de cette libération. C'est le même argu
ment que celui fondé sur l'article 13(1) de la Loi
sur la libération conditionnelle de détenus; il est
rejeté pour le motif déjà indiqué quand j'ai traité
de cet article. La période d'emprisonnement conti
nue à s'écouler tant que la libération conditionnelle
n'a pas été frappée de déchéance. En vertu des
dispositions de la Loi sur la libération condition-
nelle de détenus la déchéance a pour effet de
causer la perte de la période qui, par ailleurs, était
censée - avoir été purgée sur la période d'emprison-
nement. Bref, nous devons lire l'article 649(3) du
Code criminel et l'article 13(1) de la Loi sur la
libération conditionnelle de détenus en tenant
compte de l'article 21(1) de cette dernière loi.
Pour tous ces motifs, je suis d'avis qu'il n'y a
aucune erreur dans le jugement de la Division de
première instance et que l'appel doit être rejeté. Je
n'ai aucune raison de modifier l'ordonnance rela
tive aux dépens.
* * *
LE JUGE URIE a souscrit à l'avis.
* * *
LE JUGE RYAN a souscrit à l'avis.
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