T-1039-75
Lignes aériennes Canadien Pacifique Limitée
(Demanderesse)
c.
La Reine (Défenderesse)
Division de première instance, le juge Cattanach—
Ottawa, les 13 et 14 novembre 1975.
Pratique—Requête en vertu de la Règle 474—L'art. 3c) de
la Loi sur l'aéronautique confère-t-il à la demanderesse des
droits contre la Reine?—Si non, une cause raisonnable d'ac-
tion existe-t-elle?—Est-il opportun de statuer préalablement
sur la question de droit?—Loi sur l'aéronautique, S.R.C. 1970,
c. A-3, art. 3c)—Règle 474 de la Cour fédérale.
Il s'agit d'un rejet d'une requête présentée en vertu de la
Règle 474 et qui demande de statuer sur deux questions de
droit. La déclaration fait état d'une obligation, et d'une viola
tion d'obligation, différente de celle imposée par l'article 3c) de
la Loi sur l'aéronautique. Un procès est inévitable. Le fait de
soumettre des questions de droit à une décision préalable ne
faciliterait pas substantiellement le règlement de l'affaire, ni
n'économiserait du temps et de l'argent, ce qui est le but de la
Règle 474.
REQUÊTE.
AVOCATS:
C. R. O. Munro, c.r., et Mlle M. J. Sabia pour
la demanderesse.
A. Garneau et D. Friesen pour la
défenderesse.
PROCUREURS:
C. R. O. Munro, c.r., Montréal, pour la
demanderesse.
Le sous-procureur général du Canada pour la
défenderesse.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE CATTANACH: Par cette requête, la
défenderesse demande à la Cour, conformément à
la Règle 474 des Règles de la Cour fédérale, de
statuer sur deux questions de droit, savoir:
1. L'alinéa 3c) de la Loi sur l'aéronautique'
confère-t-il à la demanderesse des droits qu'elle
peut faire valoir par voie d'action contre Sa
Majesté? et
' S.R.C. 1970, c. A-3.
2. Si la réponse à la question (1) est négative, la
déclaration révèle-t-elle une cause raisonnable
d'action contre Sa Majesté?
Une requête antérieure aux fins de radiation de
la déclaration en l'espèce, conformément à la
Règle 419 des Règles de la Cour fédérale, avait
été rejetée par mon collègue le juge Heald et sa
décision confirmée par la Cour d'appel. Dans son
jugement, le juge Heald déclarait:
[TRADUCTION] La Cour refusera de radier une déclaration
qui soulève des questions sérieuses ....
et il ajouta:
[TRADUCTION] ... ou lorsqu'aux premières phases du procès,
on ne peut conclure que la demanderesse ne pourra probable-
ment pas obtenir gain de cause dans son action et qu'incontes-
tablement aucune cause raisonnable d'action n'a été établie.
Il déclara aussi:
[TRADUCTION] En l'espèce, la demanderesse invoque une
obligation légale en vertu de l'article 3c) de la Loi sur l'aéro-
nautique et une violation de cette obligation; elle soutient au
moins implicitement que cette obligation devait jouer en sa
faveur. La déclaration n'est pas aussi précise qu'on pourrait le
souhaiter; néanmoins elle soulève, à mon avis, des questions
sérieuses et, à ce stade, je ne suis pas en mesure de dire que la
demanderesse ne pourra probablement pas obtenir gain de
cause.
D'après mon interprétation de la Règle 474, la
Cour a un pouvoir discrétionnaire, qu'elle doit
exercer selon les principes de justice, pour statuer
sur un point de droit qui peut être pertinent pour
la solution d'une question, «si elle juge opportun de
le faire».
La Règle 474 est destinée à fournir une méthode
rapide pour résoudre une question litigieuse sans
attendre l'audience au fond, ou un moyen d'abré-
ger cette audience, ou d'en hâter la conclusion. 11
est évident qu'il doit s'agir alors d'une pure ques
tion de droit, et non de faits contestés qui doivent
être nécessairement appréciés au procès.
Dans l'arrêt Page c. Churchill Falls (Labrador)
Corporation Limited 2 , le juge en chef déclarait à
la page 1144:
Il est évident qu'il n'est pas toujours approprié de faire
trancher une question de droit relative à la situation juridique
comme une question préalable, même si elle s'appuie sur la
présomption que les allégations aux plaidoiries sont vraies.
Comparer avec l'arrêt Drummond -Jackson c. British Medical
Association [1970] 1 W.L.R. 688. A mon avis, il n'est pas
possible de formuler une règle générale quant à l'opportunité de
2 [1972] C.F. 1141.
recourir à une telle procédure. Dans chaque cas, cela doit être
tranché compte tenu de toutes les circonstances de l'affaire.
Au départ les parties avaient convenu que je
devais trancher la question de savoir s'il était
opportun de statuer préalablement sur la question
de droit soulevée dans la requête et que, dans
l'affirmative, la question ainsi posée serait complè-
tement débattue à une date ultérieure. J'ai souscris
à cet arrangement parce qu'il m'a semblé éminem-
ment raisonnable de le faire.
Il semble que la première question soulevée soit
uniquement une question de droit fondée sur l'in-
terprétation de l'article 3c) de la Loi sur l'aéro-
nautique, ainsi libellé:
3. Il incombe au Ministre
c) de construire et maintenir tous les aérodromes et stations
ou postes d'aéronautique de l'État, y compris toutes les
installations, machines et tous les bâtiments nécessaires à
leur équipement et entretien efficace;
Je m'attends certainement à ce qu'on soutienne
au nom de Sa Majesté que l'article 3c) impose au
Ministre une obligation de nature administrative,
qu'il n'est responsable de cette obligation que
devant le Parlement, et que la violation de cette
obligation ne confère pas un droit d'action aux
particuliers. En d'autres termes, l'article n'impose
pas à Sa Majesté une obligation envers les usagers
des aérodromes. Il s'agit là très certainement d'un
point de droit soutenable, comme ont dû le recon-
naître le juge Heald et la Cour d'appel devant
lesquels ce point a déjà été soulevé. Si cette ques
tion de droit était la seule cause d'action dont la
déclaration faisait état, sa solution réglerait effec-
tivement l'affaire, auquel cas il serait opportun de
soumettre l'affaire à cette décision préalable.
Cependant, on a soutenu, au nom de la deman-
deresse, que, pour interpréter correctement l'arti-
cle 3c), il faut avoir recours à des preuves sur les
usages de l'industrie de l'aviation civile. Si j'ai bien
compris, cet argument invoque la règle de l'arrêt
Heydon 3 . A mon avis, cette règle doit être invo-
quée pour aider à l'interprétation d'un article dont
la rédaction est ambiguë. En ce cas, on peut avoir
3 (1584) 3 Co. Rep. 7a, 76 E.R. 637.
recours à l'état antérieur du droit, et se demander
quelle injustice ou quel défaut existait alors, quel
correctif la loi voulait apporter et pour quel motif.
Si j'ai bien compris, on soutient qu'il faut exami
ner l'économie de la loi et, pour ce faire, se référer
aux circonstances qui ont justifié l'emploi des
termes utilisés dans la loi, afin d'identifier le cor-
rectif adopté pour remédier à toute injustice qui
existait. La demanderesse soutient qu'à cet effet, il
faut apporter des preuves. Je doute fort de la
validité de cet argument.
A mon avis cependant, la déclaration fait état
d'autres causes d'action que celle fondée sur l'arti-
cle 3c). Le paragraphe 8 de la déclaration, après
avoir d'abord mentionné la violation de l'obligation
imposée par la Loi sur l'aéronautique, se poursuit
ainsi [TRADUCTION] «et autrement d'entretenir
lesdits aérodromes, en ce que Sa Majesté a négligé
de prendre ou de faire prendre les mesures raison-
nables pour dégager la neige et la glace accumu-
lées sur les pistes dudit aérodrome».
Cette allégation n'est pas exprimée dans un style
aussi précis que souhaitable; néanmoins, elle fait
état d'une obligation, et d'une violation d'obliga-
tion, différente de celle imposée par l'article 3c) de
la Loi sur l'aéronautique. A mon avis, cette alléga-
tion pourrait bien se rapporter à l'obligation du
maître ou occupant d'un lieu, ou, pour employer
des concepts plus précis au rapport entre l'invité
(invitée) et le maître des lieux (invitor) ou proba-
blement entre visiteur (licensee) et maître des
lieux (licensor). Je ne peux m'empêcher de faire
une suggestion gratuite: l'avocat de la demande-
resse pourrait envisager l'opportunité de solliciter
la permission de modifier sa déclaration—puis-
qu'une défense a été déposée—pour exprimer ses
allégations dans un style plus précis et plus net.
L'avocat de la demanderesse a soutenu qu'outre
la violation d'une obligation imposée au Ministre
par l'article 3c) de la Loi sur l'aéronautique, elle
avait allégué deux autres causes d'action: d'une
part, dans certaines circonstances, il peut y avoir
obligation légale d'agir d'une certaine manière et,
d'autre part, une personne, placée dans une situa
tion de monopole, est tenue de certains devoirs.
J'avoue ne pas saisir la catégorie dont pourraient
relever de telles responsabilités et je préférerais
être en mesure de les identifier à l'aide de catégo-
ries ou concepts mieux établis.
En tout cas, si ces catégories de responsabilité
existent, même si elles ne sont pas identifiées, il
faudra alors nécessairement établir des faits, ce
qui ne peut se faire qu'au procès.
En outre, on a déposé une défense à la déclara-
tion, où l'on soutient, en réponse au paragraphe 8
de la déclaration, qu'il n'y avait aucune violation
d'obligation parce que les pistes étaient correcte-
ment entretenues.
Il me semble donc que l'étude de l'affaire au
fond est indispensable puis, qu'il faut statuer sur
des faits contestés. Ceci étant, je ne suis pas
convaincu que le fait de soumettre des questions de
droit à une décision préalable faciliterait substan-
tiellement le règlement de l'affaire ou entraînerait
une économie de temps et d'argent, ce qui est à
mon avis le but de la Règle 474. On n'évitera pas
les frais d'un procès et les faits mentionnés dans les
plaidoiries ne sont pas présentés de manière à
permettre une décision immédiate sur les questions
de droit posées.
Dans les circonstances de l'espèce, je pense qu'il
n'est pas opportun de trancher p�ealablement les
questions de droit posées, mais qu il est préférable
de laisser ce soin au juge du fond.
Pour les motifs susmentionnés, la requête est
rejetée; les dépens suivront le sort de l'instance.
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