T-3099-74
Marubeni Corporation (Demanderesse)
c.
Le navire Star Boxford et Blandford Shipping Co.
Ltd. et Star Shipping Co. A/S (Défendeurs)
Division de première instance, le juge Walsh—
Vancouver, les 9 et 10 octobre 1975.
Pratique—Requête aux fins de modification de la défense—
Requête demandant que la demanderesse produise des docu
ments et présente un officier à l'interrogatoire préalable—Les
défendeurs veulent interroger la demanderesse au sujet de tous
les transports de marchandises qu'ils ont effectués pour elle—
Existe-t-il un lien au-delà de la simple similarité—Règle
465(15) de la Cour fédérale.
En vue d'établir qu'ils ont, dans des conditions semblables,
effectué le transport de marchandises similaires sans qu'il n'y
ait de plainte, et que les dommages subis en l'espèce ne
devraient pas être supérieurs à ceux qui ont dû se produire au
cours des voyages précédents et à l'égard desquels il y a eu un
acquiescement de la part de la demanderesse, les défendeurs
ont présenté une requête aux fins de modifier leur défense,
d'obliger la demanderesse à produire ses dossiers relatifs à tous
les chargements précédents et à présenter un officier de la
compagnie à l'interrogatoire.
Arrêt: la requête est accordée en partie, la question peut être
soulevée. Les 'défendeurs ne peuvent élargir le cadre des procé-
dures en demandant la production de documents relatifs aux
cargaisons précédentes. La preuve d'actes similaires n'est qu'ac-
cessoire, «sauf à démontrer l'existence de quelque lien particu-
lier qui crée un rapport allant au-delà de la simple similarité».
Les défendeurs n'ont pas établi un tel lien. Il faut plus qu'une
allégation dans une déclaration ou une défense pour étendre
considérablement le cadre des procédures. La règle 465(15) n'a
jamais eu pour but de permettre que, par une allégation de
portée générale soulevant des questions accessoires dans la
défense, les propres plaidoiries des défendeurs conduisent à
élargir le cadre de leur interrogatoire bien au-delà des alléga-
tions contenues dans la déclaration, sans que la Cour ait le droit
de contrôler ni de poser des limites.
Arrêts analysés: Babcock c. Canadian Pacifie. Railway Co.
(1916) 27 D.L.R. 432 et Metropolitan Asylum District c.
Hill 47 L.T. (N.S.). Arrêt suivi: East Asiatic Company
(Canada) Ltd. c. Le navire «Aegis Bravery» (non publié,
T-371-73).
REQUÊTE.
AVOCATS:
D. F. McEwen pour la demanderesse.
P. D. Lowry pour les défendeurs.
PROCUREURS:
S. M. Lipetz, Vancouver, pour la
demanderesse.
Macrae, Montgomery, Spring et Cunning-
ham, Vancouver, pour les défendeurs.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement prononcés oralement par
LE JUGE WALSH: Les défendeurs demandent la
permission de modifier leur défense selon les
termes du projet de défense modifiée joint à leur
requête; ils demandent en outre que la demande-
resse produise tous les états de réception et d'en-
treposage, toutes les factures de remise en état et
tous les reçus de vente en sa possession et sous son
contrôle, se rapportant aux dommages subis par le
carton doublure, le papier kraft à sacs ou papier
kraft transportés à bord des divers navires exploi
tés par la défenderesse Star Shipping A/S, de
Kitimat (Colombie-Britannique) à Kawasaki et
Osaka (Japon), au cours des années 1971, 1972,
1973 et 1974; ils demandent enfin que la demande-
resse présente Keije Kurosawa à l'interrogatoire
préalable et que celui-ci soit obligé de répondre
aux questions relatives à l'état au moment de
réception et à la vente de carton doublure, de
papier kraft à sacs ou papier kraft livrés à la
demanderesse de Kitimat (Colombie-Britannique)
par les divers navires exploités par la défenderesse
Star Shipping A/S au cours des années 1971,
1972, 1973 et 1974.
La requête aux fins de modification de la
défense fait suite à un jugement rendu le 2 octobre
1975 refusant d'ordonner la production des docu
ments mentionnés dans la deuxième partie de la
requête des défendeurs, à l'exception de ceux qui
se rapportent aux six chargements de carton dou-
blure visés par des demandes de dommages-inté-
rêts qui ont été introduites, dont la présente action.
Ce jugement portait notamment que: «Rien dans
les plaidoiries des actions intentées ... ne justifie,
à ce stade de la procédure, une enquête sur d'éven-
tuelles réclamations afférentes à des voyages ou à
des marchandises autres que ceux visés par les
actions intentées.»
La demanderesse s'oppose à la modification de
la défense au motif que les allégations ne révèlent
aucun moyen valable de défense et pourraient être
radiées sur requête fondée sur la Règle 419, et que
la Cour ne doit donc pas exercer son pouvoir
discrétionnaire pour permettre la modification en
vertu de la Règle 420. Il est certain que les modifi-
cations proposées s'écartent considérablement de
la défense originaire et soulèvent des points entiè-
rement nouveaux, et cela, après la clôture de l'in-
terrogatoire préalable de Dodd, témoin des défen-
deurs, de sorte que si la modification était
autorisée, elle devrait l'être à condition que la
présentation du témoin à un nouvel interrogatoire,
à la suite de la demande modifiée, se fasse aux
frais des défendeurs.
La défense modifiée soulève essentiellement le
point suivant: puisque les défendeurs effectuent
depuis quelques années déjà et dans des conditions
identiques le transport de carton doublure, de
papier kraft à sacs et de papier kraft destinés à la
demanderesse, sans qu'on se soit plaint de leur état
à la réception, sauf pour les dommages légers et
normaux de manutention, les défendeurs sont con-
vaincus que des dommages analogues à ceux dont
la demanderesse se plaint en l'espèce et à ceux
prétendument subis au cours des cinq autres voya
ges qui ont donné lieu à des demandes, ont dû se
produire dans chacun des vingt voyages à l'égard
desquels ils demandent des renseignements. En
outre, ajoutent-ils, si la demanderesse ne s'est pas
plainte dans le passé, ce qui aurait attiré l'atten-
tion des défendeurs sur les conditions d'emballage,
d'entreposage etc. qui pourraient s'avérer nécessai-
res pour éviter de telles avaries, il y a eu acquiesce-
ment de la part de la demanderesse, de sorte
qu'elle ne peut maintenant se plaindre des domma-
ges visés par les demandes intentées, qui, estiment
les défendeurs, ne sont pas plus importants que
ceux qu'ont pu subir les chargements précédents, à
l'égard desquels elle n'a présenté aucune demande.
Une telle défense est pour le moins fragile, mais
je ne suis pas saisi en l'espèce d'une requête aux
fins de radiation; en tout cas, je pense que c'est une
question qu'il faut laisser à la décision du juge du
fond. Halsbury, dans son ouvrage Laws of
England, 3e édition, vol. 14, à la page 1179,
exprime l'opinion suivante au sujet de l'acquiesce-
ment comme élément de non-recevabilité:
[zxnuucTIox] Si A ne réagit pas lorsque B empiète sur un
droit qui lui appartient, en règle générale on ne pourra opposer
à A une fin de non-recevoir que si les conditions suivantes sont
réunies:.... (4) A doit savoir que B était dans l'erreur; cela
étant, il est abusif pour lui de garder le silence et de laisser B
poursuivre dans l'erreur.
Cependant, dans la jurisprudence citée, il s'agit
de circonstances différentes, par exemple, le fait de
laisser quelqu'un, sans protestation, construire sur
une propriété que vous savez vous appartenir, et il
est extrêmement douteux que la théorie précitée
s'appliquerait dans les circonstances de l'espèce,
même si les défendeurs pouvaient établir que des
dommages similaires se sont produits à l'occasion
d'expéditions précédentes, sans protestation de la
part de la demanderesse.
L'avocat des défendeurs admet que ceux-ci n'ont
aucune indication précise sur des dommages subis
dans le passé, mais ils présument qu'il y en a eu
parce que les conditions d'emballage et d'expédi-
tion étaient identiques dans tous les cas, et ils
ajoutent que la demanderesse aurait dû les en
aviser. Ils espèrent établir cela en preuve à partir
d'éléments des dépositions des témoins cités par la
demanderesse et des documents produits par cel-
le-ci. A mon avis, c'est comme si un fabricant de
voitures, faisant face à une action en dommages-
intérêts du fait qu'une roue s'est détachée d'une
voiture neuve juste après sa livraison, déclarait que
cela avait dû se produire souvent dans le passé
parce que toutes les voitures sont construites et
inspectées de la même manière et qu'il n'est pas
responsable parce que la survenance de tels acci
dents dans le passé n'a jamais été portée à son
attention, ce qui lui aurait permis de prendre des
précautions supplémentaires à l'avenir. Cependant,
comme je l'ai déjà dit, je permettrai que ce point
soit soulevé, sans y attribuer grande valeur, en
autorisant la modification aux conditions indiquées
ci-dessus.
Cela ne signifie pas que les défendeurs peuvent
partir en quête de renseignements et déborder
largement le cadre de la procédure en exigeant de
la demanderesse la production, à des fins d'exa-
men, des états de réception et d'entreposage et de
toutes les factures de remise en état (qu'il faudrait
pour la plupart faire traduire du japonais) pour
toutes les expéditions des quatre années en cause
qui n'ont fait l'objet d'aucune plainte, y compris le
papier kraft à sacs et le papier kraft, qui ne sont ni
l'un ni l'autre visés par la présente action non plus
que par les 5 demandes analogues relatives aux
dommages subis par le carton doublure; cela ne
veut pas dire non plus que Kurosawa devrait être
soumis à un interrogatoire long et exhaustif sur ces
questions accessoires. A ce sujet, je me réfère à
l'arrêt Babcock c. Canadian Pacific Railway Co.
(1916) 27 D.L.R. 432, à la page 440, et à l'arrêt
Metropolitan Asylum District c. Hill 47 L.T.
(N.S.) 29, qui y est cité. Voir aussi l'ouvrage de
Sopinka et Lederman intitulé The Law of Évi-
dence in Civil Cases, à la page 15: [TRADUCTION]
«Il est manifeste, si l'on s'y arrête un seul instant,
qu'il y a des degrés dans la pertinence. Il n'est pas
surprenant que les tribunaux, désirant cantonner
les procédures dans des limites raisonnables, ont
établi des catégories de faits moins importants qui
sont soit totalement exclus soit admis sous des
conditions strictes.» Voir aussi à la page 19 du
même ouvrage: [TRADUCTION] «La preuve d'actes
similaires est considérée comme accessoire et donc
non pertinente, sauf à démontrer l'existence de
quelque lien particulier qui crée un rapport allant
au-delà de la simple similarité. Une vague simila-
rité ne suffit pas.»
Il faut souligner que dans ces affaires il était
question de la pertinence de preuves qu'une partie
cherchait à produire et à l'égard desquelles il
fallait établir un lien avec la demande en question
avant de les admettre. En l'espèce, les défendeurs
n'ont pas encore établi de tel lien; bien plus, ils
reprochent à la demanderesse de ne pas avoir
présenté de réclamation relative aux dommages
subis par les chargements précédents, si ce n'est
pour les dommages légers et habituels. Cela ne
doit pas conduire à présumer l'existence de dom-
mages importants et donner lieu à une enquête à
ce sujet. Il faut plus qu'une allégation dans une
déclaration ou une défense pour justifier d'étendre
considérablement le cadre d'une action et de
s'écarter de la question réellement en litige,
c'est-à-dire les dommages qui ont prétendument
été subis par le carton doublure faisant partie de
certaines cargaisons bien précises.
Mon collègue le juge Collier est arrivé à une
conclusion quelque peu semblable dans l'arrêt non
publié East Asiatic Company (Canada) Ltd. c. Le
navire «Aegis Bravery» (n° du greffe: T-371-73, en
date du 5 décembre 1974), où il déclarait: «A mon
avis, néanmoins, dans une requête de ce genre, où
le défendeur soutient que l'examen n'est ni perti
nent ni autrement admissible, il faut qu'il y ait
suffisamment d'éléments qui permettent à la Cour
d'arriver à une décision sur la pertinence ou le
privilège.»
L'avocat des défendeurs, se fondant sur les dis
positions très générales de la Règle 465(15) relati
ves à l'étendue de l'interrogatoire préalable, qui
permettent d'interroger sur des faits dans «une
plaidoirie à la cause de la partie qui est interrogée
au préalable ou de la partie qui procède à l'interro-
gatoire», soutient qu'il a le droit d'interroger le
témoin de la demanderesse sur les allégations con-
tenues dans la défense modifiée se rapportant aux
dommages subis par les chargements précédents et
par d'autres marchandises (papier kraft à sacs et
papier kraft). Je ne peux pas m'imaginer que cette
règle ait pu avoir pour but de permettre que, par
une allégation de portée très générale soulevant
des questions accessoires dans la défense, les pro-
pres plaidoiries des défendeurs conduisent à élargir
le cadre de l'interrogatoire bien au-delà des alléga-
tions contenues dans la déclaration, sans que la
Cour ait le droit de contrôler ni de limiter la portée
de cet interrogatoire.
En raison de la modification de la défense, les
défendeurs peuvent certainement interroger le
témoin Kurosawa pour savoir si l'on a noté de
graves dommages similaires subis par le carton
doublure faisant partie des cargaisons précédentes;
si celui-ci répond affirmativement, on pourra alors
l'interroger sur l'importance de ces dommages, sur
les mesures prises pour y remédier et sur les
raisons pour lesquelles aucune plainte n'a été for-
mulée ni demande présentée (je pense notamment
à la production, le cas échéant, des pièces justifica-
tives relatives à ces dommages ou à cette remise en
état). Cependant je n'accepte pas l'argument de
l'avocat des défendeurs selon lequel, si le témoin de
la demanderesse, lors de son interrogatoire, nie
l'existence de tels dommages, il a encore le droit
d'examiner les états de réception et d'entreposage
de la demanderesse, ses factures de remise en état
et ses reçus de ventes pour s'assurer que la deman-
deresse dit la vérité. En l'absence d'un lien indi-
quant l'existence d'un tel dommage, cet examen
supplémentaire, à mon avis, ne serait pas admissi
ble. Bien sûr, il appartient au juge devant lequel
est contestée l'admissibilité d'une question spécifi-
que de décider de son admissibilité, si les défen-
deurs insistent pour obtenir une réponse à une
question à laquelle on s'oppose.
En outre, l'avocat des défendeurs déclare qu'il
refuse de procéder à l'interrogatoire préalable tant
qu'il n'aura pas examiné les documents en ques
tion. Comme j'ai conclu qu'on ne pourra examiner
ces documents (à l'exception de ceux visés par mon
jugement du 2 octobre) que si les réponses du
témoin faisant état des dommages présumés par
les défendeurs et n'ayant pas fait l'objet d'une
demande révèlent l'utilité de cet examen, l'interro-
gatoire, s'il doit avoir lieu, doit se faire sans
examen préalable de ces documents. A ce sujet, il
faut souligner qu'une audience spéciale a eu lieu le
2 octobre 1975, portant sur la précédente requête
des défendeurs aux fins de production de docu
ments, parce qu'on avait informé la Cour que le
nécessaire avait été fait pour l'interrogatoire préa-
lable du témoin de la demanderesse au Japon à
compter du mercredi 8 octobre et que les avocats
des deux parties s'apprêtaient à se rendre au Japon
pour y participer. La requête n'ayant pas abouti à
un jugement favorable aux défendeurs, leur avocat
a décidé de ne pas se rendre au Japon aux fins
susdites, prétendant qu'un tel voyage serait inutile
puisque l'avocat de la demanderesse avait déjà fait
savoir—il ne le nie d'ailleurs pas—qu'il s'oppose-
rait à toute question concernant les dommages
subis par les autres chargements. L'avocat de la
demanderesse, quant à lui, s'est rendu au Japon,
où il attend encore de procéder à l'interrogatoire,
le cas échéant. Je ne suis pas saisi de la question
des frais résultant de cette impasse ni de celle de
savoir si l'avocat des défendeurs a eu raison de
décider qu'il lui était inutile d'aller au Japon
comme prévu. Cependant, étant donné la défense
modifiée, je permets que Kurosawa soit interrogé
sur la question susdite, mais de la manière limitée
que j'ai indiquée. L'avocat des défendeurs déclare
maintenant que d'autres engagements l'empêchent
d'aller au Japon en ce moment. Je ne considère pas
que cette raison justifie sa décision unilatérale de
ne pas procéder à l'interrogatoire préalable et je
crois que celui-ci doit débuter sans plus attendre,
pendant que l'avocat de la demanderesse est
encore au Japon à cet effet. Encore une fois, la
question des frais, ou celle des conséquences de
tout défaut par l'avocat des défendeurs de procé-
der à l'interrogatoire, sont des questions qui seront
tranchées ultérieurement.
ORDONNANCE
1. Les défendeurs sont autorisés à modifier leur
défense conformément au projet de défense modi-
fiée joint à leur requête, à condition qu'ils présen-
tent, à leurs frais et à une date qui convient à la
demanderesse, le témoin Dodd à un autre interro-
gatoire préalable rendu nécessaire par ces
modifications.
2. La demanderesse n'est pas obligée de produire
maintenant les documents visés au paragraphe 2
de la requête des défendeurs et relatifs aux charge-
ments et aux marchandises autres que ceux qui
font l'objet de la présente action et des 5 autres
demandes.
3. On pourra demander à Keiji Kurosawa si la
demanderesse avait noté des dommages similaires
subis par les précédents chargements de carton
doublure expédiés par les défendeurs et, dans l'af-
firmative, quelle était l'importance de ces domma-
ges et quelles mesures ont été prises pour remettre
en état les marchandises endommagées. On pourra
en outre lui demander de produire des documents
à l'appui de ce qu'il avance, s'il admet l'existence
de tels dommages (autres que les dommages légers
et normaux). S'il en nie l'existence, il ne sera tenu
de produire aucun document ni autre élément de
preuve visant à établir qu'aucun dommage du
genre n'a effectivement été subi.
Les dépens de la présente requête sont à la
charge des défendeurs, quelle que soit l'issue de la
cause.
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