T-759-75
Lyle A. Meredith (Demandeur)
c.
La Reine (Défenderesse)
Division de première instance, le juge Cattanach—
North Bay, le 12 septembre; Ottawa, le 10 octobre
1975.
Impôt sur le revenu—Déductions—Le demandeur met un
terme à son entreprise—Il entretient la propriété pour en
faciliter la vente—Il vend la propriété en 1971—Le Ministre
rejette les déductions—S'agit-il de dépenses engagées en vue
de produire un revenu?—S'agit-il de dépenses à compte de
capital?—S'agit-il de frais personnels et de frais de subsistan-
ce?—Loi de l'impôt sur le revenu, S.R.C. 1952, c. 148, art.
11(1)c)(1), 12(1)a), b), h), 20(6)a) et 139(1)ae)(i).
A la fin de 1968, les lacs de pêche du demandeur ont cessé
d'être une entreprise rentable; à partir de 1967, l'entreprise ne
produisit pas le moindre revenu. En 1967 et 1968, il est possible
que la propriété ait été louée en vertu d'ententes sans formali-
tés. Cependant à partir de 1969 le demandeur a tenté de vendre
la propriété, ne l'entretenant que pour en faciliter la vente. Elle
a été vendue en 1971. Le Ministre a rejeté les demandes de
déduction faites pour les années d'imposition 1969, 1970 et
1971, affirmant que (1) le demandeur n'a pas déboursé les
sommes en vue de gagner ou de produire un revenu, et l'article
12(1)a) interdit les déductions; (2) le demandeur a dépensé les
montants afin d'entretenir la propriété de sorte qu'il puisse la
vendre, réalisant un gain en capital et, ainsi, les sommes ne sont
pas déductibles conformément à l'article 12(1)b); et (3) les
dépenses étaient des frais personnels ou frais de subsistance
parce qu'il s'agissait, aux termes des articles 12(1)h) et
139(1)ae)(i), de dépenses inhérentes à une propriété non
commerciale.
Arrêt: l'appel est rejeté; pendant l'année d'imposition 1969
on a changé l'usage de la propriété. On avait abandonné
l'entreprise. Bien que les déductions réclamées soient des
dépenses normales inhérentes à l'exploitation d'une entreprise
et qu'à ce titre, elles soient admissibles, on n'exploitait pas une
entreprise. La réclamation à titre d'amortissement n'est pas
admissible en vertu de l'article 20(6)a). Les demandes faites à
titre d'entretien de la propriété, d'impôts fonciers, de frais
d'électricité et d'assurance ne sont pas déductibles si elles n'ont
pas été occasionnées par l'exploitation d'une entreprise ni si la
propriété elle-même n'est pas utilisée aux fins d'en tirer un
revenu. En vertu de l'article 11(1)c), la déduction de l'intérêt
n'est pas admissible. Il ne pouvait s'agir que d'une entreprise
consistant à vendre la propriété; dans ce cas, les dépenses
seraient déductibles, mais le bénéfice serait imposable à titre de
revenu. La propriété a été achetée en tant qu'actif immobilisé,
sans intention secondaire. L'actif immobilisé n'a pas changé de
catégorie et n'est pas passé au stock.
Arrêt examiné: Moluch c. M.R.N. [1967] 2 R.C.É. 158.
APPEL en matière d'impôt sur le revenu.
AVOCATS:
L. A. Meredith pour le demandeur.
C. Ij. Fryers pour la défenderesse.
PROCUREURS:
L. A. Meredith, Monetville (Ontario) pour le
demandeur.
Le sous-procureur général du Canada pour la
défenderesse.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE CATTANACH: Il s'agit d'appels des
cotisations d'impôt établies par le ministre du
Revenu national selon lesquelles il a rejeté les
demandes de déduction faites par le demandeur
pour ses années d'imposition 1969, 1970 et 1971 se
chiffrant respectivement à $2,112.68, $1,991.01 et
$1,556.87.
En 1963 ou vers cette date, le demandeur a
conçu l'idée d'exploiter des viviers aux environs
immédiats de Tilbury (Ontario), sans doute inspiré
par des entretiens avec Wayne Taylor et par la
connaissance qu'il avait d'exploitations semblables
aux États-Unis. Un vivier est d'une conception
relativement simple. Des dépressions de terrain,
naturelles ou artificielles, sont remplies d'eau, ce
qui produit un étang ou un petit lac; on peuple
alors l'étang de poissons pris ailleurs (car ces
derniers ne se reproduisent pas dans un étang), on
installe des pompes afin de changer l'eau essen-
tielle aux poissons, et alors on invite des clients à.
pêcher moyennant une redevance. Cela ressemble
beaucoup à la pêche dans un baril ou dans un
vivier à un bazar au profit d'une église, où, moyen-
nant une redevance, on obtient un prix d'une
valeur douteuse.
Comme je l'ai dit, le demandeur avait vu ces
viviers exploités en Indiana et en Ohio non sans un
certain succès. Les poissons de ces étangs venaient
du lac Sainte-Claire, dont les rives n'étaient qu'à
quelques milles de Tilbury. Le demandeur avait eu
connaissance qu'on attrapait et transportait des
poissons dans des camions-réservoirs aux viviers
américains.
Le demandeur était un homme d'affaires actif.
De 1940à 1956 il avait été concessionnaire de
marques d'automobiles. En 1952, il a acheté l'hô-
tel Tilbury, qui est devenu sa principale source de
revenu.
Wayne Taylor était un jeune marié, rompu à
l'exploitation d'un club de pêche privé servant au
délassement des employés d'une aciérie. En consé-
quence, le demandeur et Taylor se sont associés
sous la raison sociale de Tilbury Fishing Lakes. Le
demandeur a apporté le capital et Taylor l'expé-
rience nécessaire à la réalisation d'un vivier au
Canada.
Moyennant la somme de $3,000, ils ont acheté à
un fermier un terrain de 10 acres, au carrefour des
routes 401 et 2, à la sortie de Tilbury. Le terrain
comportait une large cavité qui devait servir de
point de départ au vivier. Apparemment, le
demandeur a été encouragé dans la poursuite de
son entreprise par les ministères provinciaux des
Terres et Forêts, de la Voirie et du Tourisme, qui
semblaient tous trois désireux de voir cette entre-
prise se développer au Canada.
A une vente publique, le demandeur a acquis du
ministère de la Voirie douze acres additionnels
contigus aux dix acres qu'il avait achetés antérieu-
rement, ce qui portait le total à 22 acres.
On a construit trois viviers d'environ un acre
chacun et creusé un puits devant fournir l'eau. On
a installé une pompe et construit un bâtiment pour
l'abriter ainsi qu'un autre édifice comportant un
petit restaurant et des toilettes. Une balance, une
armoire frigorifique, un réfrigérateur et un râtelier
à attirail de pêche furent mis à l'usage des clients.
On a construit trois grandes boutiques. On vendait
des appâts et des articles de pêche et on a placé sur
la propriété des tables à pique-nique et des foyers
extérieurs. Les bâtiments furent électrifiés et le
nécessaire fut fait pour que les clients puissent
pêcher la nuit.
Si je me souviens bien des témoignages, le
demandeur a dépensé environ $22,500 pour ache-
ter et améliorer la propriété. Il a emprunté
$18,000 à la banque afin de financer cette
opération.
La société obtint deux permis de pêche au filet,
le premier filet mesurant 300 verges et le second
100 verges, afin d'attraper dans le lac Sainte-
Claire des poissons destinés à alimenter le vivier, et
elle acheta d'autres poissons de ce lac à des
pêcheurs.
Tilbury Fishing Lakes entra en activité pour la
saison estivale de 1963 et connut un succès
modéré, la plupart des clients venant en fin de
semaine. On s'attendait à recevoir des clients de la
région métropolitaine de Détroit (Michigan),
située à environ 42 milles. On fit peu de publicité,
se fiant au téléphone arabe, aux quelques annonces
gratuites parues dans les journaux de l'endroit et à
un article publié dans un journal de Détroit par le
rédacteur en chef, qui était un ami du demandeur.
La principale réclame consistait en une affiche
faisant face à la route n° 2 sur laquelle on lisait:
«PÉCHEZ POUR SEULEMENT $3.00. AUCUN
PERMIS N'EST REQUIS.» Le demandeur a souligné
à maintes reprises que le fait qu'aucun permis de
pêche n'était nécessaire constituait l'élément le
plus important au succès de l'entreprise.
En 1965, le gouvernement provincial rendit obli-
gatoire l'obtention d'un permis de pêche en dépit
des nombreuses démarches que fit le demandeur
auprès des fonctionnaires provinciaux appropriés.
Selon le demandeur, cette mesure gouvernemen-
tale avait pour cible la Tilbury Fishing Lakes et il
a répété dans son témoignage que cette disposition
avait sonné le glas de son entreprise.
Celle-ci a été poursuivie par la malchance dès le
début.
En 1966, Taylor a été tué dans un accident
d'automobile, laissant une veuve et de jeunes
enfants. Afin de venir en aide à M me Taylor dans
ces tragiques circonstances, le demandeur a pris la
direction de toute l'entreprise et en a assumé l'en-
tière responsabilité; mais comme ce dernier vieillis-
sait et aspirait à la retraite, il n'avait pas l'inten-
tion d'exploiter lui-même le vivier.
Vu la décision gouvernementale rendant obliga-
toire l'obtention d'un permis de pêche, on enleva
l'affiche annonçant le vivier, non seulement parce
qu'il fallait un permis de pêche mais également
parce qu'on y avait écrit en rouge des insultes
racistes. Il est évident que certaines personnes de
l'endroit étaient irritées par la présence des clients
qu'attirait le vivier et s'y opposaient.
Le demandeur a indiqué que ses frais s'élevaient
à $1,700 par client lorsqu'un permis était exigé et
les recettes se chiffraient à $1,000 par client.
En 1967, le demandeur a conclu un accord
verbal avec un employé de l'hôtel afin qu'il
exploite les lacs. Il agit ainsi dans une tentative
désespérée pour réaliser un profit lui permettant de
payer l'intérêt sur le prêt bancaire et ses impôts
fonciers. Suivant l'accord, l'employé devait tenter
d'exploiter les lacs, prendre un salaire raisonnable
et le reste devait être partagé entre ce dernier et le
demandeur.
L'employé tenta d'exploiter l'entreprise pendant
environ 6 semaines avant d'y renoncer. Le deman-
deur a admis franchement qu'il ne s'attendait pas
à ce que l'employé réussisse car il aurait fallu être
un magicien pour y arriver.
En 1967, le demandeur a tenté de vendre sa
propriété à un groupement de Détroit et au minis-
tère de la Voirie, tous deux ayant témoigné un
certain intérêt dans la propriété, mais ces ouvertu-
res n'aboutirent à rien. En 1968, le demandeur a
vendu l'hôtel Tilbury et a pris sa retraite. Il a
voyagé considérablement, en Europe et ailleurs.
En 1968, le demandeur a aussi conclu avec une
autre personne un accord semblable à celui qu'il
avait traité avec un employé en 1967, obtenant les
mêmes résultats. Et en 1968, le demandeur s'en
remit à une agence immobilière aux fins de vendre
la propriété, donnant instruction de s'en débarras-
ser de quelque façon que ce soit, par la vente ou la
location, sachant fort bien qu'il était peu probable
qu'on achetât la propriété afin d'y pêcher. Il a
aussi reconnu que son entreprise, en tant que club
de pêche, était un fiasco et que le seul emploi
qu'on pouvait en tirer était d'en faire un parc pour
caravanes; mais il a ajouté que, vu sa retraite, il
n'avait pas l'intention de se lancer dans cette
entreprise, qui comportait en outre l'obligation
onéreuse de faire le nécessaire afin de transformer
la propriété en parc pour caravanes.
Bien qu'en 1965, la mesure du gouvernement
provincial imposant aux clients du demandeur
l'obtention de permis de pêche ait sonné le glas de
l'entreprise, le coup de grâce lui fut porté en 1969.
Le lac Sainte-Claire, d'où provenaient les poissons
alimentant les lacs de pêche, se révéla pollué par le
mercure. Le gouvernement provincial y interdit
toute pêche. Ce que le demandeur a qualifié de
«panique causée par le mercure» était apparem-
ment fondé parce que l'interdiction n'a pas été
levée et subsiste aujourd'hui, et tout porte à croire
que son maintien est inévitable.
Le demandeur a admis franchement que depuis
1969 les lacs de pêche [TRADUCTION] «en tant
qu'entreprise commerciale, étaient une cause
perdue».
En 1969, le demandeur a engagé un voisin des
lacs de pêche pour tondre le gazon avec un trac-
teur, arracher les mauvaises herbes et d'une façon
générale, voir à l'entretien routinier de la propriété
et empêcher le vandalisme. Ceci fut fait dans le
but d'empêcher la propriété de se détériorer et d'en
faciliter la vente.
Le demandeur a admis sans équivoque que son
seul espoir était de vendre la propriété à un ache-
teur qui la transformerait en parc caravanier et,
comme je l'ai déjà dit, le demandeur n'avait
aucune intention de se lancer lui-même dans cette
affaire. Le terrain, enfoncé et marécageux, était
impropre à l'agriculture; des règlements munici-
paux et relatifs au zonage en prohibaient l'usage à
des fins résidentielles, industrielles ou de villégia-
ture. Il était impossible de nager dans les lacs.
Le demandeur, dans ses déclarations d'impôt
pour ses années d'imposition 1969, 1970 et 1971 a
réclamé à titre de déductions les montants
suivants:
1969 1970 1971
Intérêt sur prêt bancaire $568.00 $575.00 $431.00
Impôts fonciers 319.84 360.50 269.01
Entretien des installations 118.00 121.21 91.75
Entretien des lieux et des
truction des mauvaises
herbes 245.00 228.00 244.00
Permis 40.00
Location d'une grue 20.00
Électricité 55.27 44.90 34.60
Assurance 170.80 170.80 170.80
Amortissement 575.77 490.60 315.71
$2,112.68 $1,991.01 $1,556.87
A partir de 1967, l'entreprise ne produisit pas le
moindre revenu mais en 1967 et 1968 le Ministre a
admis à titre de déductions du revenu du deman-
deur des dépenses de même nature que celles
énumérées plus haut pour les trois années suivan-
tes. Il le fit parce que pendant ces années, il est
possible que la propriété ait été louée aux person-
nes susmentionnées en vertu des ententes sans
formalités décrites plus haut. Cependant, le Minis-
tre a rejeté les déductions qu'a réclamées le
demandeur ainsi qu'elles figurent dans ses années
d'imposition subséquentes.
En octobre 1971, le demandeur a vendu $38,000
sa propriété à un acheteur pour servir de parc
caravanier, réalisant ainsi un profit d'environ
$15,500. Le Ministre n'a pas tenté d'imposer ce
profit pendant l'année d'imposition 1971 du défen-
deur, ayant considéré qu'il provenait de la vente
d'un actif immobilisé, cette transaction arrangeant
le demandeur.
Le Ministre, en établissant les cotisations d'im-
pôt du demandeur, a rejeté les déductions que
réclamait ce dernier en se fondant sur les préten-
tions suivantes:
(1) les sommes n'ont pas été déboursées ou
dépensées en vue de gagner ou de produire un
revenu;
(2) les sommes ont été déboursées ou dépensées
à compte de capital; et
(3) les sommes ont été déboursées à titre de
frais personnels ou de frais de subsistance.
Il incombe au demandeur de repousser ces
affirmations.
On peut résumer comme suit les prétentions
avancées au nom du Ministre:
1. Le demandeur n'a pas déboursé les sommes
au cours de ses années d'imposition 1969, 1970 et
1971 aux fins de gagner ou de produire un revenu
tiré d'une entreprise ou d'un bien et en consé-
quence il ne peut réclamer ces sommes à titre de
déductions conformément à l'article 12(1)a) de la
Loi de l'impôt sur le revenu qui se lit ainsi:
12. (1) Dans le calcul du revenu, il n'est opéré aucune
déduction à l'égard
a) d'une somme déboursée ou dépensée, sauf dans la mesure
où elle l'a été par le contribuable en vue de gagner ou de
produire un revenu tiré de biens ou d'une entreprise du
contribuable,
2. Le demandeur a dépensé les montants en
question afin d'entretenir la propriété de sorte qu'il
puisse la vendre, réalisant un gain en capital et,
ainsi, les sommes ont été déboursées ou dépensées
à compte de capital et ne peuvent être réclamées à
titre de déductions conformément à l'article
12(1)b) de la Loi de l'impôt sur le revenu qui se lit
comme suit:
12. (1) Dans le calcul du revenu, il n'est opéré aucune
déduction à l'égard
b) d'une somme déboursée, d'une perte ou d'un remplace-
ment de capital, d'un paiement à compte de capital ou d'une
allocation à l'égard de dépréciation, désuétude ou d'épuise-
ment, sauf ce qui est expressément permis par la présente
Partie,
3. Les dépenses étaient des frais personnels ou
frais de subsistance parce qu'il s'agissait de dépen-
ses inhérentes à une propriété qui n'était pas entre-
tenue relativement à une entreprise exploitée en
vue d'un profit ou dans une expectative raisonna-
ble de profit conformément aux articles 12(1)h) et
139(1)ae)(i) de la Loi de l'impôt sur le revenu qui
se lisent comme suit:
12. (1) Dans le calcul du revenu, il n'est opéré aucune
déduction à l'égard
h) des frais personnels ou frais de subsistance du contribua-
ble ... [l'exception ne s'applique pas].
139. (1) Dans la présente loi,
ae) «frais personnels ou frais de subsistance» comprend
(i) les dépenses inhérentes aux propriétés entretenues par
toute personne pour l'usage ou l'avantage du contribua-
ble ... et non entretenues relativement à une entreprise
exploitée en vue d'un profit ou dans une expectative raison-
nable de profit,
4. Quant à la réclamation à titre d'amortisse-
ment, l'article 20(6)a) de la Loi de l'impôt sur le
revenu se lit ainsi:
20. (6) Pour l'exécution du présent article et des règlements
établis selon l'alinéa a) du paragraphe (1) de l'article 11, les
règles suivantes s'appliquent:
a) lorsqu'un contribuable, ayant acquis des biens dans, le
dessein d'en gagner ou d'en produire un revenu ou dans
l'intention de gagner ou de produire du revenu d'une entre-
prise, a commencé à une date ultérieure à les utiliser pour
d'autres fins, il est réputé les avoir aliénés à cette date
ultérieure selon leur juste valeur marchande à cette même
date;
Le Ministre prétend qu'on a modifié l'usage de la
propriété, qu'elle avait été achetée dans le but .de
tirer un revenu d'une entreprise exploitant des lacs
de pêche, que l'entreprise a cessé ses activités à la
fin de l'année d'imposition 1968, que la propriété a
été entretenue en vue de sa vente, ce qui en
modifiait l'usage. La propriété a été vendue en
octobre 1971 pour la somme de $38,000 et, en
conséquence, elle est réputée avoir été vendue à la
fin de 1968 pour sa juste valeur marchande, que je
suppose être de $38,000. Cela étant, aucun amor-
tissement n'est admissible pour les années d'impo-
sition 1969, 1970 et 1971 du contribuable relative-
ment à une propriété réputée avoir été vendue à la
fin de l'année d'imposition 1968.
5. En ce qui concerne les demandes quant à la
déduction de l'intérêt, l'article 11(1)c)(i) prévoit
ce qui suit:
11. (1) Par dérogation aux alinéas a), b) et h) du paragra-
phe (1) de l'article 12, les montants suivants peuvent être
déduits dans le calcul du revenu d'un contribuable pour une
année d'imposition:
c) un montant payé dans l'année ... aux termes d'une obli
gation juridique de payer des intérêts sur
(i) un montant d'argent emprunté et utilisé aux fins de
gagner le revenu provenant d'une entreprise ou de
biens....
Ces allégations avancées au nom du Ministre
découlent de la prémisse suivante, sur laquelle ce
dernier fonde sa prétention, savoir, à la fin de 1968
et pendant l'année d'imposition 1969 on a changé
l'usage de la propriété, c'est-à-dire qu'à cette
époque la propriété avait cessé d'être exploitée en
tant que lacs pour la pêche et le demandeur l'avait
désormais entretenue à la seule fin de pouvoir la
vendre.
D'après les faits tels qu'ils sont décrits, il est
hors de doute qu'on avait abandonné l'entreprise
d'exploitation des lacs en vue de la pêche. Toute
expectative raisonnable d'en tirer profit peut s'être
évaporée en 1965, lorsque le demandeur a déclaré
que le ministère provincial responsable de ces
questions a sonné le glas de l'entreprise en exigeant
de ses clients l'obtention de permis pour pêcher
dans ces lacs artificiels privés et empoissonnés.
Cependant, espérant que son entreprise survivrait,
le demandeur a poursuivi la lutte pendant trois
ans. Après la mort accidentelle de son associé en
1966, le demandeur n'a pas cherché à exploiter
lui-même l'entreprise mais il a essayé de le faire en
concluant avec deux personnes ce que l'on pourrait
qualifier d'ententes visant à la location, suivant
lesquelles elles auraient exploité le vivier. Ces
efforts furent vains, mais parce qu'on les avait faits
le Ministre a admis les déductions que réclamait le
demandeur pendant ses années d'imposition 1967
et 1968.
Cependant en 1969, l'interdiction de prendre du
poisson pollué par le mercure dans le lac Sainte-
Claire, lequel constituait la source d'empoissonne-
ment des lacs du demandeur, donna le coup de
grâce à l'entreprise.
Le seul emploi à tirer de la propriété était d'en
faire un parc caravanier. Le demandeur n'était pas
disposé à faire les dépenses nécessaires à cette fin.
Il a reconnu que la possibilité de louer la propriété
était pour ainsi dire inexistante. En conséquence,
la seule façon dont le demandeur pouvait éviter de
perdre sa mise de fonds résidait dans la vente et, à
mon avis, en m'appuyant sur les faits décrits et les
conclusions logiques qui en découlent, c'est préci-
sément ce qu'il fit.
Le demandeur a dit qu'il avait conservé l'espoir
que l'entreprise de pêche pourrait être ressucitée.
Il a proposé l'analogie d'un vieillard de 98 ans dont
un pied repose sur une pelure de banane pour
souligner que le vieil homme n'était pas mort mais
conservait un souffle de vie. L'analogie n'est pas
juste. Le demandeur a négligé le fait que selon les
prévisions des tables de survie, un homme âgé de
98 ans ne peut espérer vivre encore au maximum
qu'un an et neuf mois (un pourcentage très bas),
alors que l'entreprise du demandeur avait rendu le
dernier soupir à la fin de 1968 et qu'on ne pouvait
raisonnablement espérer qu'elle reprendrait vie.
C'est pourquoi on ne peut dire que les préten-
tions sur lesquelles le Ministre étayait ses cotisa-
tions n'étaient pas fondées. En d'autres termes, le
demandeur ne s'est pas acquitté de l'obligation de
réfuter ces prétentions. Ainsi, il suffit d'étudier
attentivement les articles de la Loi de l'impôt sur
le revenu sur lequels le Ministre base ses préten-
tions pour réaliser que celles-ci découlent naturel-
lement du fait que l'entreprise d'exploitation du
vivier par le demandeur était arrivée à son terme à
la fin de son année d'imposition 1968. J'en suis
arrivé à cette conclusion.
Les déductions d'impôt sur le revenu pour les
années d'imposition en question que réclame le
demandeur sont des dépenses normales inhérentes
à l'exploitation d'une entreprise et à ce titre, elles
sont des déductions admissibles. La différence
dans les présents appels est qu'on n'exploitait pas
une entreprise.
Lorsqu'on l'interprète à la lumière des faits tels
que je les ai trouvés dans les présents appels,
l'article 20(6)a) de la Loi de l'impôt sur le revenu,
précité, rejette absolument la demande faite à titre
de dépréciation.
Les demandes faites à titre d'entretien de la
propriété, d'impôts fonciers, de frais d'électricité et
d'assurance sont des dépenses inhérentes à la pro-
priété d'un bien. Elles ne sont pas déductibles si
elles n'ont pas été occasionnées par l'exploitation
d'une entreprise faisant usage dudit bien ni si la
propriété elle-même n'est pas utilisée aux fins d'en
tirer un revenu. Le fait est que le demandeur a
engagé ces dépenses dans le but d'entretenir la
propriété afin de pouvoir la vendre. Le demandeur
est un homme d'affaires intelligent. Son incursion
dans l'entreprise d'exploitation de ces lacs de
pêche, bien que séduisante au début, a été dès son
origine poursuivie par une telle malchance qu'elle
était désastreuse et vouée à la faillite. La seule
solution raisonnable et celle qu'a adoptée le
demandeur en homme d'affaires avisé, était de
sauver ce qu'il pouvait du naufrage en vendant la
propriété, ce qu'il réussit à faire en octobre 1971.
Ces faits cadrent avec l'hypothèse sur laquelle le
Ministre s'est fondé pour établir la cotisation d'im-
pôt du demandeur, à savoir que ces sommes
avaient été engagées à compte de capital.
En ce qui concerne la déduction de l'intérêt payé
par le demandeur relativement au prêt bancaire,
celui-ci avait emprunté l'argent afin d'acheter la
propriété, créer les viviers et mettre sur pied les
installations nécessaires à l'exploitation de l'entre-
prise. Il était légalement tenu de rembourser le
principal et d'en payer les intérêts. Cependant, une
règle fondamentale d'interprétation des lois veut
que celles-ci s'adressent au présent, à moins que le
contexte n'exige le contraire. L'article 11(1)c)(i)
précité de la Loi de l'impôt sur le revenu permet
de déduire, dans le calcul du revenu pour une
année d'imposition déterminée, un montant payé
dans l'année aux termes d'une obligation juridique
de payer des intérêts sur «un montant d'argent
emprunté et utilisé aux fins de gagner le revenu
provenant d'une entreprise ou de biens». L'impôt
sur le revenu est une affaire annuelle. Bien que
l'obligation de payer des intérêts sur l'argent
emprunté ait existé tout au long de l'année d'impo-
sition 1969 du demandeur, le montant emprunté
n'était pas utilisé cette année-là aux fins de gagner
le revenu provenant d'une entreprise. Par consé-
quent, je conclus à regret qu'en vertu de l'article
11(1)c), la déduction de l'intérêt n'est pas
admissible.
Je ne puis m'empêcher de souligner que l'alléga-
tion du demandeur quant à l'admissibilité des
déductions réclamées peut s'interpréter comme un
aveu qu'elles étaient des dépenses faites en vue de
produire un revenu tiré d'une entreprise. L'entre-
prise d'exploitation des viviers avait pris fin. Alors
se poserait la question de savoir quelle était cette
entreprise, et il ne pouvait s'agir que d'une entre-
prise consistant à vendre la propriété. En ce cas,
celle-ci ne serait plus un actif immobilisé mais un
fonds de commerce. Si cela est, alors les dépenses
seraient déductibles ainsi que l'affirme le deman-
deur, mais le bénéfice réalisé par la vente de la
propriété constituerait un revenu et serait imposa-
ble à ce titre. Bien que je n'aie pas fait les calculs
mathématiques, il semblerait à première vue finan-
cièrement avantageux pour le demandeur de
renoncer à réclamer les déductions plutôt que de
s'exposer à un impôt sur le profit réalisé par la
vente de la propriété.
Le Ministre a été logique en fixant la cotisation
d'impôt du demandeur comme il l'a fait. Au cours
des années d'imposition 1967 et 1968 subsistait un
souffle de vie dans l'entreprise d'exploitation des
viviers. Le Ministre a admis les déductions du
revenu pour ces années. En 1969, l'entreprise avait
rendu le dernier soupir. En conséquence, le Minis-
tre a rejeté les déductions réclamées pendant les
années subséquentes.
A la vente de la propriété en 1971, le Ministre
n'a pas tenté d'imposer à titre de revenu le profit
réalisé et, à mon avis, il a eu raison de ne pas le
faire. Lorsque la propriété a été achetée, elle l'a
été uniquement en tant qu'actif immobilisé sans
que s'y soit greffée l'intention secondaire d'en tirer
autrement profit, y compris par la vente.
Il est possible qu'un actif immobilisé change de
catégorie et passe au stock. C'est ce qui s'est
produit dans l'affaire Moluch c. M.R.N. 1 .
Ce n'est pas le cas en l'instance et je n'ai fait
allusion à cette possibilité que parce que les déduc-
tions réclamées par le demandeur pourraient lui
donner créance, bien que ce dernier, dans ses
prétentions, ait surtout mis de l'avant que l'entre-
prise subsistait encore au cours de l'année d'impo-
sition 1969. Pour les raisons que j'ai exprimées,
l'ensemble de la preuve dément cette assertion
mais en l'avançant, le demandeur maintient que la
propriété était un actif immobilisé et non pas un
fonds de commerce de l'entreprise consistant à la
vendre et, dans ce dernier cas, les déductions récla-
mées seraient admissibles mais le profit tiré de la
vente serait imposable.
Le demandeur a été malavisé de ne s'en rappor-
ter qu'à lui-même.
En vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu un
contribuable qui s'oppose à une cotisation peut en
appeler auprès de la Commission de révision de
l'impôt ou de la Cour fédérale du Canada.
La Commission de révision de l'impôt a été
constituée aux fins d'offrir à un contribuable
mécontent un tribunal auprès duquel il peut en
appeler de la cotisation rapidement, sans formali-
tés et à bon marché. Il n'y a pas de formalités, tels
l'interrogatoire préalable et autres procédures du
genre. Les seuls droits judiciaires exigés du
demandeur étaient un montant de $15 sur dépôt de
l'avis d'appel, et ce montant devait lui être rem-
boursé s'il obtenait gain de cause. La Commission
n'accorde pas de dépens. La loi a depuis été modi-
fiée et maintenant le dépôt de l'avis d'appel n'en-
traîne aucun déboursé.
Le demandeur connaissait les diverses voies de
recours possibles. Il a décidé d'interjeter appel
devant la Cour fédérale du Canada plutôt que
devant la Commission de révision de l'impôt, où il
n'y aurait eu ni droits judiciaires à payer ni dépens
accordés. Je pense que le demandeur a pris la
[1967] 2 R.C.É. 158.
mauvaise décision mais l'exercice de ce choix était
son droit le plus strict.
Pour les raisons exprimées, les appels sont
rejetés.
La Règle 344 prévoit que les dépens et autres
frais de toutes les procédures devant cette cour
suivent le sort de l'affaire sauf ordonnance con-
traire. Rien dans ces appels ne m'oblige à déroger
à la règle établie voulant que les dépens suivent
l'issue. En conséquence, Sa Majesté a droit à ses
frais taxables.
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