A-25-75
La Reine (Appelante) (Requérante)
c.
John Wesley Bolton (Intimé)
Cour d'appel, le juge en chef Jackett, les juges
suppléants Smith et Sheppard—Vancouver, les 21
et 22 octobre 1975.
Expropriation—La Couronne avait-elle acquis le droit de
prendre matériellement possession de l'immeuble ou d'en faire
usage en vertu de l'art. 17(1)(c)(i) avant que n'ait été présentée
la demande de mandat de prise de possession?—La Division de
première instance a-t-elle commis une erreur en concluant que
la Couronne n'avait pas acquis ce droit à moins qu'à la suite
de la demande de mandat, le Ministre n'ait établi que la
Couronne avait effectivement besoin de l'immeuble à l'expira-
tion de la période spécifiée dans l'avis?—Loi sur l'expropria-
tion, S.R.C. 1970 (1g' Supp.), c. 16, art. 17(1)(c)(i) et 35.
La Division de première instance a commis une erreur en
rejetant la demande de mandat. En vertu de l'article 17(1)(c),
le droit de la Couronne de prendre matériellement possession
ou de faire usage de l'immeuble exproprié prend naissance
après la signification de l'avis prévu à cet article et dès l'expira-
tion du délai qui y est stipulé. Le droit ne dépend pas de la
nécessité de cette possession ou de cet usage à ce moment.
EXAMEN judiciaire et appel.
AVOCATS:
N. D. Mullins, c.r., et I. Stewart pour l'appe-
lante (requérante).
W. C. Johnstone pour l'intimé.
PROCUREURS:
Le sous-procureur général du Canada pour
l'appelante (requérante).
W. C. Johnstone pour l'intimé.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement prononcés oralement par
LE JUGE EN CHEF JACKETT: La décision rendue
par le juge Decary [[1975] C.F. 31], rejetant une
demande de mandat de prise de possession en vertu
de l'article 35 de la Loi sur l'expropriation, a fait
l'objet d'un appel et d'une demande en vertu de
l'article 28 [infra, à la page 252].
L'article 35(1) de la Loi sur l'expropriation se
lit comme suit:
35. (1) Lorsque le Ministre ou quelqu'un qui agit pour son
compte est empêché de pénétrer sur les lieux, ou de prendre
matériellement possession ou de faïre usage d'un immeuble,
dans les limites de tout droit exproprié en vertu de la présente
Partie, un juge du tribunal ou un juge d'une cour supérieure
d'une province peut, sur preuve de l'expropriation et, si néces-
saire, sur preuve du droit de la Couronne d'en prendre matériel-
lement possession ou d'en faire usage, et après avoir donné de la
manière prescrite par le juge aux personnes que ce dernier
désigne et qui doivent être parties aux procédures un avis les
invitant à exposer leurs raisons, émettre son mandat, conforme
à la formule énoncée à l'annexe 1 de la présente loi, au shérif
compétent lui enjoignant de mettre le Ministre ou une personne
autorisée à agir en son nom, en possession matérielle de l'im-
meuble, dans les limites du droit exproprié.
A mon avis, selon cet article, les conditions
préalables à l'émission du mandat sont les
suivantes:
a) la signification d'un avis au titulaire anté-
rieur l'invitant à exposer ses raisons, conformé-
ment à l'ordonnance donnant des directives,
b) la preuve de l'expropriation de l'immeuble à
l'égard duquel le mandat est demandé,
c) la preuve du droit de la Couronne de prendre
matériellement possession de l'immeuble en
cause ou d'en faire usage, et
d) la preuve que le Ministre, ou la personne
agissant pour son compte, a été empêché de
pénétrer sur les lieux ou de prendre matérielle-
ment possession ou de faire usage de
l'immeuble.
A mon avis, si ces conditions étaient remplies, le
Ministre avait droit en vertu de l'article 35 audit
mandat, qui ne pouvait lui être refusé en vertu
d'aucun pouvoir discrétionnaire. Les parties ont
reconnu devant cette cour que toutes les conditions
préalables à l'obtention d'un mandat étaient rem-
plies à l'exception de la troisième, savoir, la preuve
du droit de la Couronne de prendre matériellement
possession de l'immeuble ou d'en faire usage. L'in-
timé soutient que cette condition n'était pas rem-
plie, ce qui est d'ailleurs le principal motif pour
lequel le juge Decary a rejeté la demande de
mandat.'
En vertu de la Loi sur l'expropriation, le droit
de la Couronne de prendre matériellement posses
sion ou de faire usage de l'immeuble exproprié
dépend de l'applicabilité de l'article 17(1) de la
Loi aux faits de l'espèce; cet article se lit comme
suit:
' Le juge Decary et l'intimé devant cette cour se sont aussi
appuyés sur la Déclaration canadienne des droits, mais la Cour
ne voit pas comment on pouvait soutenir que la Déclaration
canadienne des droits s'appliquait en l'espèce.
17. (1) Nonobstant l'article 13, la Couronne n'a le droit de
prendre matériellement possession et de faire usage de tout
immeuble visé par un avis de confirmation, dans la mesure du
droit exproprié, qu'à celui des moments suivants qui convient en
l'espèce, savoir:
a) au moment de l'enregistrement de l'avis de confirmation,
si à ce moment-là aucune autre personne qui était titulaire
d'un droit sur l'immeuble immédiatement avant l'enregistre-
ment de l'avis de confirmation n'occupe l'immeuble;
b) le cas échéant, au moment postérieur à l'enregistrement
de l'avis de confirmation où la possession matérielle ou
l'usage de l'immeuble, dans la mesure du droit exproprié, est
abandonné à la Couronne sans qu'un avis ait été renvoyé en
vertu de l'alinéa c) aux personnes indiquées dans cet alinéa;
ou
c) dans tout autre cas, au moment, postérieur à l'enregistre-
ment de l'avis de confirmation, où
(i) le Ministre a envoyé à chacune des personnes qui
paraissent avoir eu, au moment de l'enregistrement de
l'avis de confirmation, un droit sur l'immeuble, dans la
mesure où il a été possible au procureur général du Canada
d'en connaître l'existence, ou, lorsqu'une demande a été
faite en vertu de l'article 16 et qu'il en a été disposé
définitivement, à chacune des personnes au sujet desquelles
on a décidé qu'elles avaient un droit sur cet immeuble
immédiatement avant l'enregistrement de l'avis de confir
mation, un avis portant que cette possession matérielle ou
cet usage sont requis par la Couronne à compter de l'expi-
ration de la période spécifiée dans l'avis et qui doit être
d'au moins quatre-vingt-dix jours après l'envoi de l'avis à
chacune de ces personnes, et portant, ou bien que ce délai
est expiré ou bien que cette possession matérielle ou cet
usage ont été abandonnés à la Couronne avant l'expiration
de ce délai, et
(ii) le Ministre a fait, en vertu de l'article 14, une offre à
chacune des personnes qui peuvent alors prétendre à une
indemnité en vertu de la présente Partie en ce qui concerne
un droit sur cet immeuble.
Les parties ont admis qu'il s'agit en fait de
déterminer si, en l'espèce, avant de demander un
mandat, la Couronne avait acquis le droit de pren-
dre matériellement possession ou de faire usage de'
l'immeuble faisant l'objet de ladite demande en
vertu de l'article 17(1)c)(i) 2 , dont voici les extraits
pertinents:
17. (1) ... la Couronne n'a le droit de prendre matérielle-
ment possession et de faire usage de ... (l')immeuble ... qu'à
celui des moments suivants qui convient en l'espèce, savoir:
c) l .. au moment ... où
(i) le Ministre a envoyé ... (aux) personnes qui paraissent
avoir eu ... un droit sur l'immeuble ... un avis portant que
cette possession matérielle ou cet usage sont requis par la
Couronne à compter de l'expiration de la période spécifiée
dans l'avis et qui doit être d'au moins quatre-vingt-dix jours
après l'envoi de l'avis ... et ... que ce délai est expiré ....
2 I1 n'a pas été question de l'article 17(1)c)(ii).
Si je comprends bien ses motifs, le juge Decary
estimait qu'en vertu de l'extrait de l'article 17(1)
que je viens de citer, la Couronne n'avait pas le
droit de prendre matériellement possession ou de
faire usage de l'immeuble exproprié à moins qu'à
la suite de la demande de mandat en vertu de
l'article 35, le Ministre n'ait établi que la Cou-
ronne avait effectivement besoin de l'immeuble à
l'expiration de la période spécifiée dans l'avis.
Ayant adopté ce point de vue, il a conclu que le
Ministre n'avait pas réussi à faire cette preuve et il
a rejeté la demande. A mon avis, en agissant selon
ce point de vue, le juge Decary a commis une
erreur. J'estime qu'en vertu de l'article 17(1)c), le
droit de la Couronne de prendre matériellement
possession ou de faire usage de l'immeuble expro-
prié prend naissance après la signification de l'avis
prévu à cet article et dès l'expiration du délai qui y
est stipulé. Je suis d'avis qu'en vertu de l'article
17(1)c), le droit de prendre matériellement posses
sion ou de faire usage d'un immeuble exproprié ne
dépend pas de la nécessité réelle de cette posses
sion ou de cet usage à ce moment'.
Si l'on considère le problème selon ce point de
vue, l'examen des documents déposés en preuve
devant le juge Decary établit, à mon avis, que la
Couronne avait acquis le droit de prendre maté-
riellement possession de l'immeuble faisant l'objet
de la demande de mandat, avant que ne soit
présentée la demande en vertu de l'article 35.
Pour tous ces motifs, je suis d'avis que la déci-
sion du juge Decary refusant d'accorder un
mandat en vertu de l'article 35 devrait être annu-
3 Nous n'étudierons pas ici les diverses dispositions de la
nouvelle loi en matière d'expropriation dont le but est de
corriger certaines injustices inhérentes à la loi antérieure. Il
suffit de préciser:
a) qu'elles sont contenues dans d'autres dispositions que
l'article 35,
b) que l'article 24(5) semble envisager la possibilité pour la
Couronne d'acquérir le droit de prendre matériellement pos
session ou de faire usage de l'immeuble exproprié avant que
son besoin de l'immeuble n'exige que le titulaire quitte les
lieux, et
c) je ne trouve à l'article 25(6) aucune condition préalable à
l'émission d'un mandat qui ne soit prévue à l'article 35.
lée et que les avocats devraient être entendus
relativement au dispositif du jugement de cette
cour.
* * *
LE JUGE SUPPLÉANT SMITH y a souscrit.
* * *
LE JUGE SUPPLÉANT SHEPPARD y a souscrit.
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