T-1584-71
Réjean Maurice (Demandeur)
c.
La Reine (Défenderesse)
et
T-1619-71
La Commission des accidents du travail de
Québec (Demanderesse)
c.
La Reine (Défenderesse)
Division de première instance, le juge Addy—
Ottawa, le 4 novembre et le l er décembre 1975.
Couronne—Accident—Responsabilité partagée: la défende-
resse 75%, le demandeur Maurice 25%—Les parties ne peu-
vent tomber d'accord sur un projet de jugement définitif—
Interprétation des articles 7(3) et 8 de la Loi des accidents du
travail de Québec—Loi des accidents du travail, S.R.Q. 1964,
c. 159, art. 7(3), 8.
A la suite d'un accident d'automobile, la responsabilité du
demandeur Maurice a été établie à 25% et celle de la défende-
resse à 75%. Les parties n'ont pu tomber d'accord sur un projet
de jugement final et ont soumis leurs prétentions après . avoir
reçu la permission du juge de première instance. Les parties
différaient d'opinion sur l'interprétation des articles 7(3) et 8
de la Loi relativement à deux questions distinctes, à savoir (1)
la Commission peut-elle se rembourser sur les sommes versées
au demandeur Maurice au titre de dommages pour lesquels elle
n'est pas légalement tenue de payer une compensation, ou son
droit de subrogation se limite-t-il aux montants qu'elle a payés
relativement à des pertes pour lesquelles elle est légalement
tenue d'indemniser les ouvriers; et (2) la Commission peut-elle
d'abord déduire le montant total qu'elle a déjà versé à Maurice
et qu'elle lui versera à l'avenir du montant qu'elle a réellement
recouvré de la défenderesse relativement à des pertes pour
lesquelles la Commission est légalement tenue d'indemniser
Maurice avant de verser tout excédent à ce dernier, ou ne
peut-elle que déduire 75% des montants qu'elle a versés ou
versera, tout excédent appartenant à Maurice jusqu'à concur
rence du montant total recouvré.
Arrêt: jugement définitif: $23,616.72 à la Commission;
$4,048.32 au demandeur Maurice. (1) Suivant l'arrêt Minga-
relli c. Montreal Tramways Company, la subrogation se limite
aux montants que la Commission a payés relativement à des
pertes qu'elle est légalement tenue d'indemniser. (2) A l'arrêt
Sebaski c. Weber, (l'ouvrier: 60%; le défendeur 40%) la Com
mission avait le droit de recouvrer 100% de l'indemnité payée
ou à payer à l'ouvrier et n'a pas réduit à 40% de sa réclamation
la somme à laquelle la Commission avait droit sur le montant
recouvrable du défendeur. Puisque la Commission avait versé
un montant supérieur à celui recouvré du défendeur, elle avait
droit à la totalité du montant recouvré et l'ouvrier ne pouvait
recevoir quoi que ce soit du défendeur. C'est un bon jugement.
Rien dans les principes généraux du droit coutumier ni dans la
Loi n'annule ou limite le droit général de subrogation qu'ac-
corde l'article 7, ni ne requiert, en ce qui concerne la Commis
sion et l'ouvrier, que la part de responsabilité de ce dernier
entre en ligne de compte, quoique, en ce qui concerne la
Commission et la tierce personne, la première doit naturelle-
ment subir les conséquences de toute faute concurrente de la
part de l'ouvrier et voir réduire son droit final de recouvrement
lorsque sa réclamation excède le montant net à payer, compte
tenu de la part de responsabilité de l'ouvrier.
Arrêt suivi: Mingarelli c. Montreal Tramways Company
[1959] R.C.S. 43. Arrêt approuvé: Sebaski c. Weber
Construction [1972] C.S. Qué. 557.
RÈGLEMENT des minutes du jugement.
AVOCATS:
R. Bélec pour le demandeur Maurice.
J. M. Roy pour la demanderesse, Commission
des accidents du travail de Québec.
R. Cousineau pour la défenderesse.
PROCUREURS:
Bélec, Boulanger, Joyal & Bélec, Hull, pour
le demandeur Maurice.
J. M. Roy, Mont-Laurier, pour la demande-
resse, Commission des accidents du travail de
Québec.
Le sous-procureur général du Canada pour la
défenderesse.
Voici les motifs du règlement des minutes du
jugement rendus en français par
LE JUGE ADDY: Ces deux actions, résultant du
même accident d'automobile, ont été jugées
ensemble et le juge en chef adjoint Noël, mainte-
nant à la retraite, a rendu les motifs écrits du
jugement le 8 août 1972. Il a réparti la responsabi-
lité de la façon suivante: 75% contre la défende-
resse et 25% contre le demandeur Maurice et les
motifs ont fixé divers montants aux différents
titres de dommages-intérêts réclamés. Le paragra-
phe final prévoyait que dans l'éventualité où les
parties ne pourraient tomber d'accord sur un
projet de jugement définitif approprié, 'elles pour-
raient soumettre par écrit leurs prétentions
respectives.
Les avocats n'ayant pu s'entendre, ils ont finale-
ment soumis leurs prétentions par écrit et, après
que le juge en chef adjoint se fut retiré, ils ont
accepté que je règle les minutes du jugement et
que je le rende suivant mes conclusions sur le
contenu des motifs et selon le droit applicable
auxdites conclusions.
En plus des prétentions écrites, j'ai entendu un
plaidoyer oral sur l'affaire en cause le 4 novembre
1975. A ce moment-là, les avocats se sont entendus
sur le montant total des dommages-intérêts à
accorder dans les deux actions à divers titres.
Cependant, le demandeur Maurice et la demande-
resse la Commission des accidents du travail de
Québec (ci-après appelée la «Commission») diffé-
raient considérablement d'opinion sur l'interpréta-
tion des articles 7(3) et 8 de la Loi des accidents
du travail' relativement à deux questions distinc-
tes. Les extraits pertinents de ces deux articles se
lisent comme suit:
7. (3) Si l'ouvrier ... choisissent de réclamer la compensa
tion en vertu de la présente loi, l'employeur tenu personnelle-
ment de payer cette compensation, ou la commission ... sont de
plein droit subrogés aux droits de l'ouvrier ... et peuvent
personnellement ou aux nom et lieu de l'ouvrier exercer tout
recours que de droit contre la personne responsable; et tout
montant ainsi recouvré par la commission fait partie du fonds
d'accident. La subrogation a lieu par le seul effet de l'option et
peut être exercée jusqu'à concurrence de tout ce que l'em-
ployeur ou la commission pourra être appelée à payer par suite
de l'accident. Cependant, si par l'effet de la présente loi,
l'employeur ou la commission se trouve ensuite libéré de l'obli-
gation de payer partie de la compensation ainsi recouvrée, la
somme non utilisée est remboursable dans le mois suivant
l'événement qui détermine la cessation de la compensation.
8. Nonobstant toute disposition contraire et nonobstant le
fait d'avoir obtenu compensation en vertu de l'option visée par
le paragraphe 3 de l'article 7, l'accidenté ... peuvent réclamer,
en vertu du droit commun, ... la somme additionnelle requise
pour former, avec la susdite compensation, une indemnité
équivalente à la perte réellement subie.
Voici les deux questions sur lesquelles diffé-
raient les opinions quant à l'interprétation et l'effet
des deux articles précités:
1. La commission peut-elle se rembourser sur
les sommes versées au demandeur Maurice au
titre de dommages pour lesquels elle n'est pas
légalement tenue de payer une compensation, ou
son droit de subrogation se limite-t-il aux mon-
tants qu'elle a payés relativement à des pertes
pour lesquelles elle est légalement tenue d'in-
demniser les ouvriers?
1 S.R.Q. 1964, c. 159.
2. La commission peut-elle d'abord déduire le
montant total qu'elle a déjà versé à Maurice et
qu'elle lui versera à l'avenir du montant qu'elle
a réellement recouvré de la défenderesse relati-
vement à des pertes pour lesquelles la commis
sion est légalement tenue d'indemniser Maurice
avant de verser tout excédent à ce dernier, ou ne
peut-elle que déduire 75% des montants qu'elle
a versés ou versera, tout excédent appartenant à
Maurice jusqu'à concurrence du montant total
recouvré?
Il semble qu'il faille répondre non à la première
question, si l'on s'en rapporte à une décision una-
nime de la Cour suprême du Canada dans l'affaire
Mingarelli c. Montreal Tramways Company 2 .
Bien que dans cette dernière affaire il ne s'agissait
pas de la commission mais plutôt d'un employeur
qui était tenu de payer directement, étant un des
employeurs inclus dans l'annexe II de la Loi, le
même principe doit nécessairement s'appliquer
puisqu'il est clair qu'à l'article 7(3) les droits de
subrogation d'un employeur qui paie la compensa
tion soient identiques à ceux de la commission
lorsque celle-ci paie ladite compensation.
Après avoir cité en entier les articles 7(3) et 8 de
la Loi, le juge Abbott en rendant le jugement de la
Cour, a déclaré à la page 46 du recueil
susmentionné:
[TRADUCTION] La subrogation prévue à l'article 7(3) est une
exception au droit général; elle doit être interprétée strictement
et, comme l'a fait remarquer le juge Bissonnette dans l'affaire
Commission des Accidents du Travail de Québec c. Collet
Frères Limitée [1958] Qué. B.R. 331 à la p. 334, l'article ne
prévoit qu'une subrogation partielle. Selon moi, cette subroga-
tion se limite aux sommes qu'a versées l'employeur relative-
ment à des pertes pour lesquelles celui-ci est légalement tenu de
payer une compensation en vertu de la Loi et ne s'applique
qu'aux sommes recouvrées à ce titre de l'auteur de l'accident.
Par exemple, en vertu de la Loi, un ouvrier ne peut réclamer de
son employeur des dommages-intérêts pour la douleur et la
souffrance et si, après réclamation, il reçoit du responsable de
l'accident des dommages-intérêts à ce titre, l'employeur n'a pas
le droit, en vertu de la subrogation, de toucher ni de recevoir en
paiement aucune portion de cette somme. [C'est moi qui
souligne.]
Quant à la seconde question, l'avocat de la
commission m'a renvoyé à l'affaire Sebaski c.
Leonard J. Weber Construction'. Dans cette
2 [1959] R.C.S. 43.
3 [1972] C.S. Qué. 557.
affaire, la responsabilité de l'ouvrier ayant été
évaluée à 60% et celle du défendeur à 40%, la
Cour a jugé qu'en ce qui concerne la Commission
et l'ouvrier, la Commission avait le droit de recou-
vrer 100% de l'indemnité qu'elle a ou doit payer à
l'ouvrier et n'a pas réduit à 40% de sa réclamation
la somme à laquelle la Commission avait droit sur
le montant recouvrable du défendeur. En définitive
on a conclu, puisque la Commission avait versé un
montant supérieur à celui recouvré du défendeur,
qu'elle avait droit à la totalité du montant recouvré
et que l'ouvrier ne pouvait recevoir quoi que ce soit
du défendeur. Si la somme allouée à la Commis
sion avait été réduite à un pourcentage équivalant
à la part de responsabilité de l'ouvrier, ce dernier
aurait eu droit à une portion considérable du mon-
tant total recouvré du défendeur. Le juge de pre-
mière instance, aux pages 565 à 567 du rapport
susmentionné, a résumé une partie de la jurispru
dence sur la question. Je considère que les extraits
suivants de son jugement et les citations qui s'y
trouvent sont très pertinents en l'espèce:
11 est maintenant fixé par la jurisprudence qu'il faut déduire
du montant des dommages payables à la victime les sommes
reçues ou à recevoir de la Commission des accidents du travail.
(Paradis v. Guay [1945] C.S. 353; Lemay Construction Liée v.
Ville de Victoriaville [1970] C.A. 181; Active Cartage Limited
v. Commission des accidents du travail de Québec [1967] B.R.
399; Universal Pipe Line Welding Co. Ltd. v. McKay [1969]
B.R. 777; Montreal Tramways Co. v. Gaudreault [1949] R.L.
516.
Dans Gerald Henry v. McMahon Transport Limitée [1972]
C.A. 66, M. le juge Lajoie écrivait:
Jusqu'à concurrence des sommes versées ou à l'être par elle
la Commission est subrogée dans tous les droits de l'ouvrier
qu'elle indemnise et qu'il aurait pu exercer lui-même, incluant
ses recours pour souffrances et perte de jouissance de la vie,
dommages pour lesquels la loi ne prévoit pas d'indemnisation
par la Commission. Le recours de celle-ci contre le tiers a
préséance sur celui de l'ouvrier qui ne peut recevoir que la
différence entre la valeur des prestations de la Commission et la
part à laquelle il a droit du dommage global résultant de
l'accident. (Voir sur ce sujet: Adam & Schering Corporation
Ltd. v. Dame Bouthillier [1966] B.R. p. 6; Active Cartage
Limited v. Commission des accidents du travail de Québec
[1967] B.R. p. 399.)
Je crois qu'il s'agit là d'un bon jugement et,
contrairement à ce qu'a allégué l'avocat de Mau-
rice et celui du défendeur, cette décision ne s'op-
pose aucunement, selon moi, à celle rendue dans
l'affaire Mingarelli, précitée. En effet, la Cour
n'avait alors pas à déterminer si la Commission
était tenue de réduire son droit de subrogation aux
montants reçus du défendeur d'un pourcentage
égal à la part de responsabilité attribuée à l'ou-
vrier; elle n'était saisie que de la question de savoir
si la Commission avait droit à une partie des
sommes reçues relativement à des pertes pour les-
quelles elle n'était pas tenue d'indemniser
l'ouvrier.
Rien dans les principes généraux du droit coutu-
mier ni dans la Loi des accidents du travail n'an-
nule ou limite le droit général de subrogation que
l'article 7 accorde à la Commission, ni ne requiert,
en ce qui concerne celle-ci et l'ouvrier, que la part
de responsabilité de ce dernier entre en ligne de
compte. Cependant, en ce qui concerne la Com
mission et la tierce personne, la première doit
naturellement subir les conséquences de toute
faute concurrente de la part de l'ouvrier et voir
réduire son droit final de recouvrement lorsque sa
réclamation excède le montant net à payer, compte
tenu de la part de responsabilité de l'ouvrier.
Bien que je ne fonde aucunement ma décision
sur ce point, il convient de noter que si la Commis
sion était tenu de réduire sa réclamation portant
sur le montant recouvré d'un pourcentage repré-
sentant la part de responsabilité attribuée à l'ou-
vrier, celui-ci toucherait souvent une indemnité
supérieure à celle qu'il aurait eu droit de recevoir
s'il avait choisi de s'en remettre entièrement à ses
droits contre la tierce personne.
Je conclus donc qu'en l'espèce, en partageant le
montant net reçu de la défenderesse se rapportant
à tous les genres de pertes pour lesquelles la Com
mission est tenue d'indemniser Maurice, celle-ci
n'est pas obligée de réduire sa réclamation à 75%
des montants qu'elle a ou doit payer au
demandeur.
Tenant compte de mes conclusions quant aux
deux questions susmentionnées, je dois maintenant
déterminer le montant total que doit payer la
défenderesse et la part qu'il convient d'attribuer au
demandeur.
Les dommages subis sont décrits en détail plus
bas (le montant accordé relativement à l'incapacité
de travail partielle permanente ayant été convenu):
1. Dépenses personnelles $ 400.00
2. Douleurs, souffrances et inconvénients 1,000.00
3. Frais médicaux 2,752.15
4. Perte de salaire 11,220.00
5. Incapacité partielle permanente 21,514.57
TOTAL $36,886.72
La Commission n'a pas le droit de participer
aux montants recouvrés sous les rubriques 1 et 2
puisqu'il ne s'agit pas d'une perte pour laquelle elle
serait tenue d'indemniser Maurice. Toute indem-
nité accordée sous ces deux rubriques reviendrait
donc exclusivement à Maurice; il aura droit à 75%
de ($400 plus $1,000) ou, en d'autres mots, à
$1,050.
Le total des sommes en regard des rubriques 3,
4 et 5 se chiffre à $35,486.72 et la défenderesse
devra en payer 75%, soit $26,615.04.
On a établi que la Commission a versé ou
versera les indemnités suivantes au défendeur
Maurice ou à son nom:
Frais médicaux payés $ 2,752.15
Salaire payé 7,200.00
Indemnité pour incapacité partielle permanente
devant être versée par la Commission 13,664.57
TOTAL $23,616.72
Ce montant de $23,616.72 doit donc, en vertu
des droits de subrogation énoncés à l'article 7, être
versé en entier à la Commission par prélèvement
sur la somme de $26,615.04 susmentionnée, recou-
vrable de la défenderesse au titre des dommages
visés aux rubriques 3, 4 et 5, ce qui laisse un
montant net de $2,998.32 verser au demandeur
Maurice, lequel montant, ajouté à la somme sus-
mentionnée de $1,050 exigible sous les rubriques 1
et 2, se chiffrent à $4,048.32.
Jugement sera donc rendu contre la défende-
resse comme suit: une somme de $23,616.72 sera
versée à la Commission demanderesse et un mon-
tant de $4,048.32 sera versé au demandeur Mau-
rice, les deux montants portant intérêt au taux
annuel de 5% à partir du 8 août 1972. Les deman-
deurs ont droit à leurs dépens contre la
défenderesse.
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