T-3013-74
La Reine (Demanderesse)
c.
Arthur James Williams (Défendeur)
Division de première instance, le juge Kerr—Van-
couver, le 7 avril; Ottawa, le 6 juin 1975.
Impôt sur le revenu—Certificat relatif à des sommes dues—
Ordonnance commandant au défendeur d'exposer ses raisons
concernant la constitution d'un chargé sur un bien-fonds—Le
défendeur prétend avoir reçu les avis de cotisation après ladite
ordonnance—Les avis et le certificat du Ministre portent la
même date—Le certificat est-il valide si le Ministre n'a pas
antérieurement donné des instructions aux termes de l'art.
158(2) de la Loi de l'impôt sur le revenu?—L'art. 223 est-il
contraire à la Déclaration canadienne des droits?—Règles
2400(1), (2), (7), (8) de la Cour fédérale—Loi de l'impôt sur le
revenu, S.C. 1970-71-72, c. 63, art. 158, 165, 169, 172, 175,
223 et l'art. 900(6) des Règlements—Régime de pensions du
Canada, S.R.C. 1970, c. C-5, art. 24—Déclaration canadienne
des droits, S.C. 1960, c. 44, art. la), 2e).
Le 16 août 1974, on déposa à la Cour un certificat relatif à
des sommes dues en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu et
du Régime de pensions du Canada et, le 19 août 1974, était
rendue une ordonnance commandant au défendeur d'exposer
ses raisons et constituant une charge sur son bien-fonds. Le
défendeur prétend qu'avant le 21 août, il n'avait jamais reçu de
demande relative à des impôts impayés ni les avis de cotisation
datés du 16 août. Le défendeur prétend a) que le certificat n'est
valide que si le Ministre a antérieurement donné des instruc
tions aux termes de l'article 158(2) de la Loi de l'impôt sur le
revenu et b) que l'article 223 de la Loi de l'impôt sur le revenu
est contraire à la Déclaration canadienne des droits.
Arrêt: l'ordonnance est rendue définitive. En ce qui concerne
le premier point, les articles 158(2) et 223 ont pour but
d'assurer le recouvrement efficace de l'impôt; le fait que le
certificat porte la même date que les avis ne soulève pas de
doute sur sa validité ni ne justifie la conclusion que le Ministre
n'avait antérieurement donné aucune instruction en vertu de
l'article 158(2). L'établissement d'un certificat et son enregis-
trement en conformité de l'article 223 ne signifient pas que le
contribuable n'a plus le droit de contester une cotisation; la
Règle 2400 ne constitue pas un moyen supplémentaire pour
déterminer la validité d'une cotisation. En ce qui concerne le
second point, on a décidé dans l'affaire Lambert c. La Reine
que: «Lorsqu'est préservé le droit fondamental d'un contribua-
ble à une décision ... , sur la question de son assujettisse-
ment ... ,'comme c'est le cas dans la Loi de l'impôt sur le
revenu, les pouvoirs conférés au Ministre ... par l'article 223
afin d'assurer une perception efficace et rapide des impôts ne
constituent pas une violation de la règle audi alteram partem et
de la Déclaration canadienne des droits.»
Arrêt suivi: Lambert c. La Reine [1975] C.F. 548.
ORDONNANCE commandant au débiteur d'expo-
ser ses raisons.
AVOCATS:
A. Gilchrist pour la demanderesse.
H. A. Hope pour le défendeur.
PROCUREURS:
Le sous-procureur général du Canada pour la
demanderesse.
Hope, Heinrich et Hansen, Prince George
(C.-B.), pour le défendeur.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE KERR: Le 19 août 1974, la Cour, par
ordonnance rendue en conformité de la Règle 2400
des Règles de la Cour fédérale, commanda au
défendeur d'exposer ses raisons et constitua une
charge sur un bien-fonds ou un droit réel immobi-
lier, qui y est décrit en détail.
L'ordonnance commandant au défendeur d'ex-
poser les raisons pour lesquelles il n'y avait pas lieu
de constituer une charge sur le bien-fonds ou le
droit réel immobilier devrait être examinée le 21
octobre 1974, mais, après substitution de nouvelles
dates, ne fut entendue à Vancouver que le 7 avril
1975. Elle fut entendue en même temps que deux
autres ordonnances similaires, sous les numéros du
greffe T-3007-74 et T-3008-74; les mêmes avocats
représentaient les parties, et les plaidoiries étaient
communes aux trois ordonnances, mutatis
mutandis.
Les paragraphes (1), (2), (7) et (8)de la Règle
2400 se lisent comme suit:
Règle 2400. (1) La Cour pourra rendre une ordonnance cons-
tituant une charge sur un bien-fonds ou un droit réel immobi-
lier d'une personne qui est débitrice aux termes d'un jugement
(ci-après appelée «débiteur»).
(2) II doit d'abord être rendu une ordonnance commandant
au débiteur d'exposer ses raisons, spécifiant les temps et lieu de
l'examen plus poussé de l'affaire, et constituant la charge, à
titre conservatoire, jusqu'à cet examen.
(7) Lors de cet examen, la Cour doit, sauf s'il appert
(d'après les observations faites par le débiteur, ou autrement)
qu'il y a des motifs suffisants pour ne pas le faire, rendre une
ordonnance définitive, avec ou sans modifications.
(8) Lorsque, à l'examen plus poussé de l'affaire, il paraît
évident à la Cour qu'il ne devrait pas être rendu d'ordonnance
définitive, elle doit annuler l'ordonnance.
En vertu de l'article 223 de la Loi de l'impôt sur
le revenu et de l'article 24 du Régime de pensions
du Canada, on déposa à la Cour, le 16 août 1974,
un certificat signé par Donald Brown Cameron,
directeur des Recouvrements, ministère du Revenu
national (Impôt). Le certificat indique qu'il avait
été certifié le même jour. En voici le texte:
[TRADUCTION] Je soussigné, Donald Brown Cameron, direc-
teur des Recouvrements, ministère du Revenu national (Impôt),
en conformité de l'article 223 de la Loi de l'impôt sur le revenu,
de l'article 24 du Régime de pensions du Canada et/ou de
l'article 79 de la Loi sur l'assurance-chômage, 1971, certifie par
les présentes qu'en plus d'autres sommes pouvant avoir été
antérieurement certifiées de la même manière, les sommes
suivantes sont dues par ledit ARTHUR JAMES WILLIAMS et
restent impayées.
EN VERTU DE LA LOI DE L'IMPÔT SUR LE REVENU
ANNÉE
D'IMPOSITION
OU
DATE DE LA
COTISATION MONTANT PÉNALITÉS INTÉRÊTS
1971 $11,907.40 $500.00 $1,661.03
1972 16,970.15 500.00 1,328.86
1973 28,335.00 500.00 499.02
EN VERTU DU RÉGIME DE PENSIONS DU CANADA
1971 $ 172.80 —
1972 176.40 —
1973 180.00 — —
Soit la somme totale de $62,730.66, ainsi qu'un intérêt supplé-
mentaire au taux de 6% par an sur la somme de $57,741.75 à
compter du 16 août 1974, jusqu'à la date du paiement.
La demande d'ordonnance était appuyée par
l'affidavit de Bertram C. Callaway, employé de la
Division régionale de l'impôt à Victoria, Direction
des recouvrements; il déclare, notamment, que
ledit certificat est resté totalement impayé et que
le montant total est encore dû à Sa Majesté et
payable au receveur général du Canada.
L'article 223 de la Loi de l'impôt sur le revenu
prévoit que:
223. (1) Un montant payable en vertu de la présente loi qui
est impayé, ou le solde d'un montant payable en vertu de la
présente loi, peut être certifié par le Ministre,
a) lorsqu'un ordre a été donné par le Ministre en vertu du
paragraphe 158(2) immédiatement après cet ordre, et
b) dans les autres cas, à l'expiration d'une période de 30
jours après le manquement.
(2) Sur production à la Cour fédérale du Canada, un certifi-
cat fait sous le régime du présent article doit être enregistré à
cette cour et, lorsqu'il est enregistré, il a la même force et le
même effet, et toutes les procédures peuvent être engagées à la
faveur de ce certificat comme s'il était un jugement obtenu de
cette cour pour une dette du montant spécifié dans le certificat,
plus l'intérêt couru jusqu'à la date du paiement ainsi qu'il est
prescrit dans la présente loi.
(3) Tous les frais et dépens raisonnables se rattachant à
l'enregistrement du certificat sont recouvrables de la même
manière que s'ils avaient été certifiés et que le certificat eût été
enregistré sous le régime du présent article.
Il convient aussi de citer les dispositions de
l'article 158 de la Loi de l'impôt sur le revenu:
158. (1) Le contribuable doit, dans les 30 jours qui suivent
la date de l'expédition par la poste de l'avis de cotisation, payer
au receveur général du Canada toute fraction de l'impôt, des
intérêts et des pénalités demeurant alors impayée, qu'une oppo
sition ou un appel relatif à la cotisation soit ou non en instance.
(2) Lorsque, de l'avis du Ministre, un contribuable tente
d'éluder le paiement des impôts, le Ministre peut ordonner que
tous les impôts, pénalités et intérêts soient payés immédiate-
ment après la cotisation.
A l'audition, le défendeur soumit un affidavit
déclarant notamment qu'avant le 21 août 1974, il
n'avait jamais reçu de demande relative à des
impôts impayés et qu'il n'avait jamais échangé de
correspondance avec le Ministère au sujet d'impôts
dus par lui ou par le B.C. Institute of Mycology,
dont il était membre; que les avis de cotisation
(pièces A, B, C et D jointes à l'affidavit), étaient
les seuls avis de cotisation qu'il ait reçus à cet
égard et qu'il les avait reçus après le 21 août 1974;
que ni son revenu, ni celui du B.C. Institute of
Mycology, ne pouvait justifier l'impôt fixé dans
lesdites pièces. Les avis en cause sont datés du 16
août 1974.
L'avocat de la Couronne proposa de soumettre
un certain nombre de documents à l'appui de la
demande d'ordonnance mais l'avocat du défendeur
s'y opposa; l'avocat de la demanderesse retira alors
son offre. Je ne sais donc pas si les documents
auraient été instructifs.
L'article 900 des Règlements de l'impôt sur le
revenu prévoit la délégation de pouvoirs et devoirs
du Ministre à des fonctionnaires déterminés. Il ne
se réfère pas expressément à l'article 158 de la Loi,
mais le paragraphe (1) dudit article 900 prévoit
qu'un fonctionnaire occupant le poste de sous-
ministre adjoint du Revenu national, Impôt, peut
exercer tous les pouvoirs et remplir toutes les
fonctions que la Loi attribue au Ministre. L'article
900(6) des Règlements se lit en partie comme suit:
900. (6) Le Directeur de la division des Recouvrements du
Ministère du Revenu national, impôt', peut exercer les pouvoirs
et remplir les fonctions que la Loi attribue au Ministre en vertu
a) de l'article 223 de la Loi,
A l'audience du 7 avril, l'avocat du défendeur
soutint principalement que:
A. Les avis de cotisation et le certificat en cause
portent la même date, soit le 16 août 1974; le
certificat n'est valide que si le Ministre (ou toute
autre personne autorisée) a antérieurement donné
des instructions aux termes de l'article 158(2) de
la Loi de l'impôt sur le revenu; le certificat doit
préciser que le Ministre a donné ces instructions,
alors que le certificat ni aucun autre document
n'indique que ce fut le cas; le certificat est donc
nul et sans effet.
B. L'article la) de la Déclaration canadienne des
droits affirme le droit de l'individu à la jouissance
de ses biens et le droit de ne s'en voir privé que par
l'application régulière de la loi; en vertu de son
article 2, la Loi de l'impôt sur le revenu doit être
interprétée et appliquée de manière à ne pas sup-
primer, restreindre ou enfreindre ces droits, ni à en
autoriser la suppression, la diminution ou la trans
gression et plus précisément, en vertu de l'alinéa
e), elle ne doit s'interpréter ni s'appliquer comme
privant une personne du droit à une audition
impartiale de sa cause selon les principes de justice
fondamentale, pour la définition de ces droits et
obligations; l'article 223 de la Loi de l'impôt sur le
revenu est contraire à la Déclaration canadienne
des droits, et le certificat en cause, enregistré à la
Cour, en corrélation avec l'ordonnance de constitu
tion de charge, constitue une violation du droit du
Poste qu'occupait Donald Brown Cameron, qui signa le
certificat en cause.
défendeur à la jouissance de ses biens et le droit de
ne s'en voir privé que par l'application régulière de
la loi; enfin, il a été illégalement privé de son droit
à une audition impartiale.
En ce qui concerne le premier point, je ne peux
déduire des documents soumis en l'espèce que le
certificat a été établi par Cameron et enregistré à
la Cour sans instruction préalable donnée en vertu
de l'article 158(2) de la Loi, et je ne peux donc
conclure dans ce sens. Le certificat porte la même
date (le 16 août 1974) que les avis de cotisation,
mais les articles 158(2) et 223 ont pour but d'assu-
rer le recouvrement efficace de l'impôt, et à mon
avis le fait que ce certificat porte la même date que
les avis de cotisation ne devrait pas de lui-même
soulever un doute quelconque sur sa validité ni
justifier la conclusion que le Ministre n'avait anté-
rieurement donné aucune instruction en vertu de
l'article 158(2). L'établissement d'un certificat et
son enregistrement en conformité de l'article 223
ne signifient pas que le contribuable n'a plus le
droit de contester une cotisation, puisqu'il peut le
faire en signifiant au Ministre un avis d'opposition,
conformément à l'article 165 et en interjetant
appel auprès de la Commission de révision de
l'impôt, conformément à l'article 169, ou auprès de
la Cour fédérale du Canada en conformité des
articles 172 et 175; j'estime en outre que la Règle
2400 des Règles de la Cour fédérale ne constitue
ni un moyen ni une procédure supplémentaires
pour déterminer la validité d'une cotisation, lors de
l'examen plus poussé de l'ordonnance commandant
au débiteur d'exposer ses raisons.
En ce qui concerne le second point, je citerai une
décision récente, Lambert c. la Reine [1975] C.F.
548 où le juge Addy se référa à une discussion de
l'article 223 de la Loi de l'impôt sur le revenu;
voici un extrait de son jugement:
Le demandeur prétend que l'article 223 de la Loi de l'impôt
sur le revenu est ultra vires parce qu'il enfreint la règle audi
alteram partent ou, subsidiairement, qu'il est nul et sans effet
parce que contraire à l'article 2e) de la Déclaration canadienne
des droits, au motif qu'il donnerait au ministre du Revenu
national le droit d'émettre un certificat fixant le montant dû
par le contribuable, sans entendre ce dernier ni même l'en
aviser, et le droit d'enregistrer ensuite à la Cour fédérale ledit
certificat qui est alors réputé avoir la même force et le même
effet qu'un jugement.
Dans le cas de la Loi de l'impôt sur le revenu, lorsque les
biens d'un contribuable ont été saisis et qu'il est par la suite
établi qu'il n'était aucunement assujetti à l'impôt, ledit contri-
buable a évidemment droit à la restitution de ses biens. Le
principe audi alteram partem s'applique à la décision finale sur
l'assujettissement à l'impôt, qui est une question tout à fait
différente de la privation temporaire de biens en même de la
perte permanente de biens, pourvu qu'il existe un droit à la
restitution des biens ou à une compensation pour leur perte.
L'intérêt public sous-jacent aux diverses législations fiscales,
conférant le pouvoir de déclarer qu'une somme est exigible
avant que la question de l'assujettissement à l'impôt ait été
définitivement tranchée et conférant le pouvoir de prendre les
mesures nécessaires pour s'assurer du paiement de cette
somme, par la saisie de biens et éventuellement leur vente, est
évidemment fondé sur le principe voulant que les autorités
fiscales disposent de certains moyens pour empêcher le contri-
buable de se soustraire au paiement de l'impôt en dilapidant les
biens ou en les soustrayant à leur juridiction. Lorsqu'est pré-
servé le droit fondamental du contribuable à une décision au
fond, sur la question de son assujettissement à l'impôt, comme
c'est le cas dans la Loi de l'impôt sur le revenu, les pouvoirs
conférés au ministre du Revenu national par l'article 223 afin
d'assurer une perception efficace et rapide des impôts ne consti
tuent pas une violation de la règle audi alteram partem et de la
Déclaration canadienne des droits. Cet article doit bien sûr être
lu en corrélation avec les autres dispositions déjà mentionnées
de la Loi.
Je rejette la thèse de l'avocat du défendeur selon
laquelle l'article 223 de la Loi de l'impôt sur le
revenu est contraire à la Déclaration canadienne
des droits et le certificat produit et enregistré à la
Cour en corrélation avec l'ordonnance de constitu
tion de charge, a privé ou prive le défendeur de son
droit à une audition impartiale et constitue une
violation de son droit à la jouissance de ses biens et
de son droit de ne s'en voir privé que par l'applica-
tion régulière de la loi.
A mon avis donc, après examen plus poussé de
l'affaire, en conformité de la Règle 2400, il semble
que les raisons exposées ne soient pas suffisantes
pour ne pas rendre définitive l'ordonnance en date
du 19 août 1974. En conséquence ladite ordon-
nance sera rendue définitive, avec dépens, que je
fixe à $75.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.