T-2792-71
Chester G. Harris (Appelant)
c.
Le ministre du. Revenu national (Intime')
Division de première instance, le juge Heald —
Calgary, le 6 novembre; Ottawa, le 14 novem-
bre 1974.
Impôt sur le revenu—Pertes d'exploitation agricole—Achat
de terrains à défricher et à cultiver—Activités à temps par-
tiel—»Entreprise»—»Expectative raisonnable de profit»—
Loi de l'impôt sur le revenu, S.R.C. 1952, c. 148 et mod., art.
11(16), 12(1)a), b) et h), 139(1)e) et ae)—Public Lands Act,
S.R.A. 1955, c. 259 et mod.
L'appelant, dont tous les antécédents sont en rapport avec
l'agriculture, et qui, par la suite, occupa en ville des emplois
liés à l'agriculture, acheta au gouvernement de l'Alberta, en
1964, 320 acres de terres non défrichées pour $2,440. En
conformité des obligations qui lui incombaient, il défricha et
ensemença de nouvelles parties des terres chaque année,
puis construisit une maison pour commencer à vivre sur ses
terres sept ans après la conclusion de l'accord. De 1965, où
il acquit des terrains, à 1967, il garda son emploi en ville,
mais passa la plupart de ses fins de semaines et de ses
vacances d'été à défricher ces terrains. En 1966 et 1967, il
ne tira aucun revenu de l'exploitation agricole, mais déduisit
du revenu de son emploi en ville ses dépenses d'exploitation
agricole. De 1968 à 1970, il ne déclara ni revenu ni dépense
au titre de son exploitation agricole. En 1971, il déménagea
dans sa ferme et conserva son emploi en ville. L'exploitation
agricole continua de subir des pertes de 1971 à 1973. II est
interjeté appel du rejet des dépenses déclarées pour les
années d'imposition 1966 ($1,000) et 1967 ($1,600).
Arrêt: l'appel est accueilli; il ressort de la preuve que
l'appelant s'occupait d'une entreprise agricole, selon la défi-
nition du terme «entreprise» à l'article 139(1)e) de la Loi de
l'impôt sur le revenu, qui relevait de l'article 11(16) pré-
voyant la déduction des dépenses d'une entreprise «consis-
tant dans une exploitation agricole». L'appelant n'avait pas
acheté la ferme comme passe-temps ou lieu de villégiature,
et il ne s'agissait pas non plus d'une façade ou d'un simple
prétexte. E s'agissait bien d'une entreprise agricole à
laquelle, dès ses débuts, l'appelant consacra une grande part
de son temps, de son attention et de ses efforts dans la
recherche d'un bénéfice. L'exploitation devrait commencer
à produire un profit l'année prochaine ou l'année suivante. Il
y avait «une expectative raisonnable de profit» au sens de
cette expression dans la définition des «frais personnels et
de subsistance» à l'article 139(1)ae).
Arrêt suivi: La Reine c. Matthews [1974] C.T.C. 230.
Distinction établie avec l'arrêt: Holley c. M.R.N.. 73
DTC 5417.
APPEL en matière d'impôt sur le revenu.
AVOCATS:
L. R. Duncan pour l'appelant.
C. D. MacKinnon pour l'intimé.
PROCUREURS:
Fenerty, McGillivray, Robertson, Brennan,
Prowse, Fraser, Bell & Hatch, Calgary,
pour l'appelant.
Le sous-procureur général du Canada pour
l'intimé.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement prononcés par
LE JUGE HEALD: Appel est interjeté par les
présentes de cotisations à l'impôt sur le revenu
pour les années d'imposition 1966 et 1967, dans
lesquelles l'intimé a rejeté la déduction de la
somme de $1,034.59 pour l'année d'imposition
1966 et de $1,671.32 pour l'année d'imposition
1967 que l'appelant réclamait à titre de pertes
d'exploitation agricole.
L'appelant a 37 ans. Il est né dans une ferme
en Alberta et y vécut jusqu'à l'âge de 13 ans
environ. Il quitta alors la ferme familiale et
travailla comme ouvrier agricole dans d'autres
fermes. Il garda ce travail jusqu'à l'âge de 17
ans. Pendant les deux années suivantes, il fut
apprenti boucher dans une entreprise alimen-
taire de l'Alberta et travailla en différents
endroits de la province. Il passa alors deux ans
et demi à la Gendarmerie royale du Canada. En
août 1960, il retourna à l'entreprise alimentaire
où il fut affecté au découpage de la viande. Il
continua de travailler soit pour l'entreprise ali-
mentaire soit pour l'entreprise d'emballage de la
viande à Red Deer (Alberta) jusqu'en 1966 et
accepta alors un emploi à la Division de l'ins-
pection des viandes, Direction de l'hygiène vété-
rinaire, au ministère de l'Agriculture, à Red
Deer. Il a gardé cet emploi et travaille encore
pour le gouvernement fédéral à Red Deer, tou-
jours à plein temps.
L'appelant témoigna s'être occupé d'agricul-
ture pendant pratiquement toute sa vie et avoir
toujours voulu posséder sa propre exploitation
agricole; seul le manque de ressources financiè-
res faisait obstacle à sa vocation, sa seule
source de revenus consistant dans le salaire
assez modeste tiré de son emploi.
Il affirma que le seul moyen dont il disposait
pour se lancer dans l'agriculture, à moindres
frais, était d'essayer d'acquérir des terres lors
d'une vente de lots de colonisation par le gou-
vernement de la province de l'Alberta. Il réussit
finalement à acquérir par ce biais la moitié d'un
lot (320 acres) le 21 décembre 1964, date à
laquelle il conclut avec le gouvernement de l'Al-
berta un contrat de concession pour ce demi-lot
situé à environ 64 milles au nord-ouest de Red
Deer. Conformément à ce contrat, l'appelant
entra en possession desdites terres le l er janvier
1965. Au moment de l'achat, le lot était entière-
ment boisé, couvert de petits arbustes et d'ar-
bres de haute fûtaie utilisables pour la produc
tion de bois de construction. Il n'y avait au
moment de l'achat ni route ni clôture ni bâti-
ment sur ces terres. L'appelant témoigna qu'à
son avis, les terres en cause pouvaient être
exploitées de façon rentable pour le naissage de
bétail de grands pâturages libres, car il estimait
pouvoir en tirer une bonne récolte de fourrage
et en' faire des pâturages après les avoir défri-
chées et cultivées. Il affirma qu'en achetant ces
terres, il prévoyait de quitter son emploi à plein
temps dans les deux années suivantes et de se
consacrer à plein temps à son exploitation agri-
cole. En 1965, l'appelant défricha environ deux
acres sur lesquels il construisit une petite
cabane où il pouvait s'installer temporairement
lorsqu'il se trouvait dans sa propriété. En 1965,
il fit le trajet de Red Deer à sa propriété prati-
quement toutes les fins de semaine. Il consacra
aussi deux semaines de vacances en 1965 à
travailler sur son terrain. En 1966 et 1967, il y
passa aussi la plupart de ses fins de semaine
ainsi que ses vacances d'été. Pendant les mois
d'hiver de ces deux années, il engagea une autre
personne qui l'aida à défricher environ 85 acres
et à faire les premiers labours. En 1966 et 1967,
il s'occupa aussi du défrichement et des pre
miers labours de ces 85 acres. A cette époque, il
acheta un tracteur d'occasion et d'autres instru
ments aratoires nécessaires pour les premiers
labours et éventuellement l'ensemencement de
cette parcelle. Il clôtura aussi une partie de ses
terres avec du fil de fer barbelé et construisit un
entrepôt à grain, en 1966 et 1967. A la fin de
1967, 85 acres de l'exploitation agricole avaient
été défrichées et étaient prêtes à être ensemen-
cées en pré au printemps 1968.
L'appelant ne tira aucun revenu de cette pro-
priété pendant les années d'imposition 1966 et
1967. Il chercha cependant à déduire les dépen-
ses imputables à son exploitation agricole du
revenu tiré de son emploi. En 1966, l'appelant
chercha à déduire de son revenu la somme de
$1,034.59 que l'on peut ventiler de la manière
suivante:
Essence et huile $ 55.11
Réparations 121.23
Défrichement et nivellement des terres 800.00
Allocation à l'égard du coût en
capital—(amortissement du tracteur
et d'une herse à disques pendant
une partie de l'année) 58.25
Total $1,034.59
La déduction correspondante réclamée pour
1967 s'élevait à $1,671.32, ventilés de la
manière suivante:
Réparation des bâtiments $ 204.80
Réparation des clôtures 25.95
Essence et huile 86.49
Réparations, permis, assurances 68.38
Fourrage et paille 8.20
Défrichement et nivellement des terres 1,200.00
Allocation à l'égard du coût en
capital—(amortissement du tracteur
et de la herse à disques sur
toute l'année) 77.50
Total $1,671.32
La seule question en litige dans cet appel
porte sur l'opportunité de telles déductions.
En 1968, l'appelant sema sur 85 acres de
l'orge, de l'avoine et ensemença quelques pâtu-
rages. C'est la seule année où il sema des céréa-
les et des graminées. Pendant l'automne 1968, il
récolta environ 700 boisseaux d'orge et 200
boisseaux d'avoine. Après 1968, l'ensemence-
ment des pâturages ayant réussi, lesdites 85
acres convenaient à l'herbagement. En 1968,
l'appelant acheta aussi quelques porcs en asso
ciation avec un ami et utilisa le grain récolté en
1968 pour les nourrir. En 1968 l'appelant coupa
aussi environ 27,000 pieds-planches de bois
qu'il empila dans une clairière pour les faire
sécher. Malheureusement pour l'appelant, tout
ce bois fut détruit par un incendie sur ses terres
en mai 1968. Depuis cette époque, l'appelant a
fait d'autres coupes sur ses terres et a vendu le
bois (pour un montant de $570 en 1972 et de
$675 en 1973).
Après 1968, lesdites 85 acres furent utilisées
comme pâturages pour le bétail d'un des voisins
de l'appelant. Pendant les années d'imposition
de 1968, 1969 et 1970, l'appelant ne déclara
aucune dépense d'exploitation agricole ni d'ail-
leurs aucun revenu de son exploitation. L'appe-
lant affirma avoir cessé son élevage de porcs en
1968 parce que leur prix de vente était faible et
la valeur marchande du grain de provende trop
élevée et qu'à son avis l'élevage de porcs n'était
donc pas rentable. Il affirma que, pendant
toutes ces années, l'insuffisance de ses ressour-
ces financières l'empêcha de se lancer dans
l'élevage de bétail. Finalement, il fut en mesure
en 1971 de conclure une entente avec un ami
portant sur le partage des veaux. A cette
époque, 25 acres supplémentaires avaient été
défrichées. Grâce à cette entente, il put acquérir
après 1971, 13 têtes de bétail et un taureau. En
outre, cet automne, il fut en mesure de vendre 6
veaux. En 1971, avec sa famille, il quitta Red
Deer et s'installa à la ferme où ils résident
depuis de manière permanente. La pièce 10
déposée lors de l'instruction donne un aperçu de
ses activités agricoles pendant les trois derniè-
res années:
Années Dépenses Revenus Pertes
1971 1,144.20 56.12 1,088.08
1972 2,761.78 1,143.50 1,618.28
1973 3,366.08 1,470.60 1,895.48
L'appelant déclare avoir actuellement entrepris
le défrichement de 100 acres supplémentaires; il
envisage de se consacrer à plein temps à son
exploitation agricole vers 1976 et il prévoit que
son exploitation produira un bénéfice; son but
est d'avoir un troupeau d'environ 100 vaches
qui produirait des revenus suffisants pour son
épouse, ses deux enfants et lui-même. Il admet
que des pâturages supplémentaires seront
nécessaires pour ces 100 vaches. Il déclare
avoir l'intention d'essayer d'obtenir un bail de
pâturage sur d'autres terres de la Couronne,
proches de son exploitation. Même si les reve-
nus bruts tirés de son exploitation agricole n'ont
pas augmenté de manière spectaculaire, ils ont
néanmoins augmenté et, en se fondant sur cette
évolution, il se déclare certain que son exploita
tion agricole s'avèrera bientôt profitable. A son
avis, pour son année d'imposition 1974, les
recettes de l'exploitation agricole seraient à peu
près égales aux dépenses y afférentes. Depuis
son déménagement à la ferme en 1971, l'appe-
lant a conservé son emploi à plein temps et fait
donc la navette entre la ferme et Red Deer.
L'appelant soutient qu'à toutes les périodes
en cause, il exploitait une entreprise agricole
dont il prévoyait tirer un bénéfice, mais à
l'égard de laquelle il a jusqu'ici subi des pertes
déductibles en vertu de la Loi de l'impôt sur le
revenu, relevant de l'article 12(1)a) de la Loi, à
titre de dépenses engagées dans le but de gagner
ou produire un revenu ou de l'article 11(16) de
la Loi à titre de dépenses engagées dans une
exploitation agricole ou dans une entreprise de
défrichement de terrains.
L'article 11(16) se lit comme suit:
11. (16) Nonobstant les alinéas a) et b) du paragraphe (1)
de l'article 12, il peut être déduit, du calcul du revenu d'un
contribuable pour une année d'imposition provenant d'une
entreprise consistant dans une exploitation agricole, les
montants payés par le contribuable dans l'année pour le
défrichement ou le nivellement du terrain ou la pose de
tuyaux de drainage aux fins de l'aménagement d'une exploi
tation agricole.
Par contre, l'intimé prétend que l'article
11(16) (précité) ne s'applique pas aux faits de
l'espèce car, selon lui, l'entreprise de l'appelant
ne consistait pas dans «une exploitation agri-
cole» ou dans le «défrichement de terrains» au
sens de ces termes à l'article 11(16) (précité).
L'intimé soutient en deuxième lieu que la
déduction des pertes en cause sont interdites
par les articles 12(1)a),b) et h) de la Loi, ledit
alinéa h) ayant été modifié par l'article
139(1)ae)(i) de la Loi. Ces articles se lisent
comme suit:
12. (1) Dans le calcul du revenu, il n'est opéré aucune
déduction à l'égard
a) d'une somme déboursée ou dépensée, sauf dans la
mesure où elle l'a été par le contribuable en vue de gagner
ou de produire un revenu tiré de biens ou d'une entreprise
du contribuable,
b) d'une somme déboursée, d'une perte ou d'un remplace-
ment de capital, d'un paiement à compte de capital ou
d'une allocation à l'égard de dépréciation, désuétude ou
d'épuisement, sauf ce qui est expressément permis par la
présente Partie,
h) de frais personnels ou frais de subsistance du contri-
buable, sauf les frais de déplacement (y compris le mon-
tant intégral dépensé pour les repas et le logement) faits
par le contribuable alors qu'il était absent de chez lui dans
l'exercice de ses affaires,
139. (1) Dans la présente loi,
ae) «frais personnels ou frais de subsistance» comprend
(i) les dépenses inhérentes aux propriétés entretenues
par toute personne pour l'usage ou l'avantage du contri-
buable ou de toute personne unie à lui par les liens du
sang, du mariage ou de l'adoption et non entretenues
relativement à une entreprise exploitée en vue d'un
profit ou d'une expectative raisonnable de profit,
Au fond, cette seconde prétention revient
donc à dire que, même si je conclus que l'appe-
lant s'occupait d'une «entreprise agricole», les
dépenses en cause ne sont pas déductibles parce
qu'elles ne sont pas liées «à une entreprise
exploitée en vue d'un profit ou dans une expec-
tative raisonnable de profits» (c'est moi qui
souligne).
Il convient de déterminer en premier lieu si
l'appelant se consacrait à une «entreprise agri-
cole». Vu la preuve soumise, je suis convaincu
que l'appelant s'occupait d'une «entreprise agri-
cole». Tous ses antécédents sont en rapport
avec l'agriculture. Il a toujours voulu posséder
sa propre exploitation agricole, mais son
manque de ressources financières l'en avait
empêché. J'estime que c'est un témoin crédible
et j'ajoute foi à son témoignage à cet égard. La
possibilité d'acheter les terrains du lot de coloni
sation au gouvernement de l'Alberta lui a fourni
l'occasion qu'il attendait—la possibilité d'ache-
ter des terres à bas prix (un demi-lot complet
pour la somme totale de $2,440).
Il ne s'agit certainement pas d'une ferme
achetée comme passe-temps ou comme lieu de
villégiature et les activités agricoles de l'appe-
lant ne sont pas non plus une façade ou un
simple prétexte. En vertu du contrat d'achat, et
selon les dispositions du The Public Lands Act
d'Alberta', l'appelant devait défricher et ense-
mencer un certain nombre d'acres supplémen-
taires chaque année. L'appelant devait aussi,
dès la septième année du contrat, vivre sur la
propriété au moins trois mois par an. L'appelant
s'est conformé à toutes ces conditions et depuis
1971 vit sur la propriété pendant toute l'année.
Depuis l'acquisition des terres, tous ses actes
ont été compatibles avec l'exploitation d'une
entreprise, compte tenu des limites sévères que
constituait pour lui le manque de capitaux et de
revenus (son revenu brut pendant toutes ces
années se chiffrait approximativement à $5,000-
$6,000). Je ne peux imaginer qu'une personne
ferait l'acquisition de terrains entièrement
boisés situés à 64 milles de sa résidence pour
ses loisirs ou comme lieu de villégiature. En
outre, je ne peux pas croire que l'appelant se
serait juridiquement engagé à effectuer des pre
miers labours, à cultiver les terres et à y vivre
de manière permanente s'il n'avait pas eu
sérieusement l'intention d'exploiter une entre-
prise agricole.
Le terme «entreprise» est défini dans la Loi
de l'impôt sur le revenu à l'article 139(1)e) de la
manière suivante:
139. (1) Dans la présente loi,
e) «entreprise» comprend une profession, un métier, un
commerce, une fabrication ou une activité de quelque
genre que ce soit et comprend une initiative ou affaire
d'un caractère commercial, mais ne comprend pas une
charge ou emploi;
Je souscris à l'opinion exprimée par le juge
Mahoney dans l'affaire La Reine c. Matthews 2 :
Sous réserve de l'exclusion d'une charge ou d'un emploi,
cette définition légale ne restreint pas à mon avis la défini-
tion assez large selon laquelle: ... «tout ce qui occupe le
temps, l'attention et les efforts d'une personne dans la
recherche d'un bénéfice constitue une entreprise» (Smith c.
Anderson (1880) 15 Ch. D. 247, le Maître des Rôle s Jessel à
la p. 258).
J'estime que l'appelant remplit à la fois toutes
les exigences de la définition légale et toutes
1 S.R.A. 1955, modifié, c. 259, articles 171, 172 et 172a).
2 [1974] C.T.C. 230 à la p. 235.
celles de la définition donnée par le Maître des
Rôles Jessel.
L'appelant s'est lancé dans une entreprise
agricole à laquelle, dès le début, il a consacré
une large partie de son temps, de son attention
et de ses efforts. Je suis aussi convaincu, vu la
preuve, que le but de l'appelant était la recher-
che d'un profit. Je ne peux imaginer quiconque
choisissant comme passe-temps ou loisir de
passer des heures, des jours et des mois à des
travaux éreintants comme l'appelant le fit sur sa
ferme pour défricher, abattre des arbres, empi-
ler le bois, construire une maison et enfin ense-
mencer la parcelle défrichée. L'appelant affirme
que son but est de réaliser un bénéfice et qu'il
prévoit éventuellement de faire de cette ferme
la seule source de revenus de sa famille et
j'accepte son témoignage à cet égard.
Examinons maintenant la prétention de l'in-
timé selon laquelle même si l'appelant s'occu-
pait d'une entreprise agricole, cette entreprise
n'était pas exploitée en vue d'un profit ou dans
une expectative raisonnable de profit. A l'appui
de cette prétention, on cita l'affaire Holley c. Le
Ministre du Revenu National 3 . Vu les faits il
convient d'établir, à mon avis, une distinction
entre cette affaire et celle qui nous occupe.
Dans l'affaire Holley (précitée), le juge sup
pléant Sweet décida que les activités de l'appe-
lant constituaient plutôt un passe-temps et «une
activité de nature récréative». Dans cette
affaire, l'appelant était un chirurgien, pratiquant
à Quesnel (C.-B.). La ferme qu'il avait achetée
se trouvait à '8 milles seulement de Quesnel et y
était reliée par des routes ouvertes toute l'an-
née. Les faits en l'espèce sont totalement diffé-
rents de ceux de cette affaire.
Après avoir examiné tous les faits et circon-
stances de l'espèce, j'ai conclu que l'entreprise
agricole de l'appelant permettait «une expecta-
tive raisonnable de profit». Grâce â son travail
et à sa diligence, l'appelant a fait des progrès
considérables pendant les trois premières
années si l'on considère qu'il a défriché 85 acres
et les a ensemencées en pâturage. En 1971, il en
avait défriché 110 et avait commencé à rassem-
bler un modeste troupeau. De 1971 à 1973, il a
3 73 DTC 5417.
augmenté le revenu de son entreprise agricole
bien qu'elle soit toujours exploitée à perte. Il
affirme cependant qu'en 1974, le revenu de
l'exploitation agricole serait à peu près égal aux
dépenses engagées. On ne peut nier qu'il
s'agisse de progrès considérables compte tenu
de la faiblesse des ressources financières de
l'appelant. Il a actuellement entrepris le défri-
chement de 100 acres supplémentaires. Il dispo-
sera donc d'un total de 210 acres de pâturage
pour son bétail. D'après la preuve, il faut envi-
ron 34 acres de pâturage pour nourrir correcte-
ment une vache. Il sera donc bientôt en mesure
de nourrir 60 têtes de bétail. Son but est de
rassembler un troupeau de 100 têtes, mais il a
déjà pris certaines mesures pour acquérir des
pâturages supplémentaires. J'estime que son
témoignage à cet égard est raisonnable et réa-
liste. Je ne doute pas que les activités agricoles
de l'appelant lui permettront, en toute probabi-
lité, de réaliser un bénéfice l'année prochaine ou
l'année suivante. Comme le disait le juge Maho-
ney dans l'affaire Matthews (précitée) 4 :
Lorsque la réalisation d'un bénéfice est ainsi retardée, il
faut examiner les faits de l'espèce afin de déterminer si ce
bénéfice n'est pas purement imaginaire et si l'expectative de
profit est effectivement raisonnable.
Un examen des faits et des circonstances de
l'espèce m'a convaincu du fait que l'expectative
de profit de l'appelant est effectivement raison-
nable. A mon avis, l'appelant a expliqué de
manière satisfaisante les raisons pour lesquelles
son exploitation agricole met si longtemps à
produire un bénéfice, la raison principale étant
l'absence de ressources financières. A mon
sens, il serait très injuste de pénaliser ce contri-
buable pour son manque de ressources financiè-
res adéquates et d'en déduire qu'il n'a pas l'in-
tention de s'engager dans une entreprise
agricole à l'échelle commerciale. L'appelant a
fait tout son possible, dans les limites de ses
ressources financières personnelles, pour lancer
une exploitation agricole et, vu sa détermination
et son travail, et compte tenu des progrès qu'il a
réalisés au cours de ces années, je suis con-
vaincu que l'expectative de profit est effective-
ment raisonnable.
4 [1974] C.T.C. 236.
Je conclus donc que la déduction des pertes
réclamée pour les années d'imposition 1966 et
1967 étaient justifiées.
L'appel est donc accueilli avec dépens.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.