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A-386-74
In re Capital Cities Communications Inc., Taft Broadcasting Company et W.B.E.N. Inc. (Requé- rantes) (Appelantes)
Cour d'appel, les juges Thurlow, Urie et Ryan— Ottawa, du 11 au 13 décembre 1974; le 17 janvier 1975.
Examen judiciaire—Appel—Télévision par câble—Licences pour capter des émissions de stations américaines—Licence modifiée par le Conseil de la Radio-Télévision canadienne— Modification autorisant la suppression de messages publicitai- res—Modification jugée valide—Loi sur la radiodiffusion, S.R.C. 1970, c. B-11, art. 2, 3, 15, 17 et 26—Acte de l'Améri- que du Nord britannique, 1867—Loi sur la radio, S.R.C. 1970, c. R-1, art. 7 et 8 et Règlement général sur la radio, Partie II, art. 11—Loi de l'impôt sur le revenu, art. 12a)—Loi sur le droit d'auteur, S.R.C. 1970, c. C-30—Loi sur les marques de commerce, S.R.C. 1970, c. T-10—Loi sur la Cour fédérale, art. 28.
Les appelantes exploitent des stations émettrices de télévision à Buffalo (N.Y.) et leurs émissions sont reçues dans des communautés canadiennes voisines. Certains de leurs program mes et de leurs messages publicitaires étaient financés par des producteurs canadiens. L'intervenante, la Rogers Cable T.V. Limited, possédait une licence en vertu de la Loi sur la radiodiffusion l'autorisant à exploiter une antenne locale et un système de distribution par câble dans un secteur de Toronto, et à capter les émissions des stations appelantes. Un énoncé de politique publié par le Conseil de la Radio-Télévision cana- dienne en juillet 1971 contredit le principe selon lequel un détenteur de licence n'était pas autorisé à modifier le pro gramme reçu. Le retrait de cette interdiction avait pour but de permettre aux titulaires de licences de supprimer des signaux comportant des messages publicitaires et de conclure des enten tes pour insérer des signaux de remplacement comportant des messages publicitaires vendus par des stations de télévision canadiennes. La Rogers demanda la modification de sa licence afin de pouvoir supprimer certains messages publicitaires et leur substituer les siens. Les présentes appelantes s'opposent à cette modification. Le Conseil décida que puisqu'elle n'avait pas conclu d'ententes avec des stations de télévision canadien- nes de sa région, il ne pouvait autoriser la Rogers à insérer des signaux de remplacement comportant des messages publicitai- res. Toutefois, le Conseil autorisa la suppression de messages publicitaires reçus par la Rogers à la condition de les remplacer par des messages d'intérêt public. Les appelantes présentèrent une demande de révision et d'annulation en vertu de l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale, puis, avec l'autorisation de la Cour, interjetèrent appel en vertu de l'article 26 de la Loi sur la radiodiffusion.
Arrêt: la demande et l'appel devraient être rejetés. Le Parle- ment a compétence exclusive en matière de radiodiffusion, qu'il s'agisse de l'émission ou de la réception des signaux. Le Parle- ment a exercé ses pouvoirs sur l'entreprise de télévision par câble, une «entreprise de radiodiffusion» au sens de l'article 2 de la Loi sur la radiodiffusion, de sorte que l'on pouvait accorder une licence de radiodiffusion en vertu de l'article 17(1)a) et la modifier en vertu de l'article 17(1)b). La décision du Conseil a
été rendue en vertu des pouvoirs conférés par l'article 17(1)b) et non en fonction de l'énoncé de politique. Cet énoncé indi- quait qu'il avait été rédigé «en vue de mettre en œuvre la politique de radiodiffusion décrite à l'article 3 de la Loi». C'est au Conseil, et non à la Cour, qu'il appartient de décider si la politique et la décision en cause permettent effectivement d'at- teindre le but fixé. La décision n'était pas contraire à la Convention Interaméricaine de Radiocommunications signée à la Havane en 1937, que le Conseil, à titre d'organisme public, soit lié ou non par cette convention. S'il était superflu pour le Conseil d'indiquer qu'il se préoccupait du litige opposant les appelantes et la Rogers devant la Cour fédérale, cette mention ne suffit pas à rendre nulle sa décision.
Le juge Thurlow (motifs concomitants): dans la mesure l'argumentation des appelantes se fondait sur les trois premiers points: la question constitutionnelle, l'étendue des pouvoirs conférés au Conseil par la Loi sur la radiodiffusion et l'énoncé de politique du Conseil, leur action devrait être rejetée parce qu'elles n'ont pas démontré qu'elles possédaient les droits aux- quels la modification de la licence Rogers a porté atteinte.
Arrêts appliqués: In re la réglementation et le contrôle de la radiocommunication au Canada [1932] A.C. 304; In re C.F.R.B. et le procureur général du Canada [1973] 3 O.R. 819; Public Utilities Commission c. Victoria Cablevision Ltd. (1965) 52 W.W.R. 286. Arrêts discutés: Fortnightly Corp. c. United Artists Television Inc. (1967) 392 US 390; British Oxygen Co. Ltd. c. Minister of Technology [1971] A.C. 610.
EXAMEN judiciaire et appel. AVOCATS:
G. F. Henderson, c.r., A. O'Brien et W. G. Robinson pour les requérantes et appelantes. A. C. Pennington et D. F. Friesen pour le Conseil de la Radio-Télévision canadienne. J. J. Robinette, c.r., T. G. Heintzman et P. S. Grant pour la Rogers Cable T.V. Limited.
PROCUREURS:
Gowling & Henderson pour les requérantes et appelantes.
Le sous-procureur général du Canada pour le Conseil de la Radio-Télévision canadienne. McCarthy & McCarthy pour la Rogers Cable T.V. Limited.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE THURLOW: Je pense aussi que l'appel et la demande d'examen doivent être rejetés pour les motifs exposés par le juge Ryan. Quant aux trois premiers arguments des appelantes (c.-à-d. la question constitutionnelle, l'étendue des pouvoirs conférés au CRTC par la Loi sur la radiodiffusion
et l'énoncé de politique du CRTC), j'estime que les procédures doivent aussi échouer, car les appelan- tes n'ont pas démontré qu'elles possédaient des droits auxquels la modification de la licence Rogers a porter atteinte.
Les appelantes ne possèdent aucun droit de pro- priété ni aucun droit sur leurs signaux dans l'es- pace aérien canadien. Dans ledit espace, les fré- quences sont du domaine public en vertu de l'article 3a) de la Loi sur la radiodiffusion. Lors- que les appelantes émettent sur une de ces fré- quences, elles font usage de fréquences faisant partie du domaine public, mais n'acquièrent de ce fait aucun droit sur ladite fréquence ou sur les signaux qu'elles émettent sur cette dernière; en outre elles n'ont aucun droit à la réception de leurs signaux au Canada, sous quelque forme que ce soit, avec ou sans modification. Elles n'ont pas non plus le droit d'exiger que la licence d'une entre- prise canadienne de réception de radiodiffusion soit conforme à leurs normes ou exigences.
On pourrait peut-être soutenir que les appelan- tes ont un intérêt suffisant pour avoir le droit de soulever les deux autres points, mais à mon avis ces arguments, comme les autres, doivent être rejetés pour les motifs prononcés par le juge Ryan.
Je rejette donc l'appel et la demande d'examen.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE RYAN: Les appelantes, Capital Cities Communications Inc., Taft Broadcasting Com pany et W.B.E.N. Inc., exploitent des stations émettrices de télévision à Buffalo (New York). La Loi sur la radiodiffusion' ne les oblige pas à détenir une licence, bien que leurs émissions soient reçues dans des communautés canadiennes voisines et en particulier à Toronto. Elles diffusent des programmes et des messages commerciaux dont certains sont financés par des producteurs cana- diens. Elles sont donc en concurrence, dans le domaine publicitaire, avec des stations émettrices canadiennes.
S.R.C. 1970, c. B-1 1, telle que modifiée.
La Rogers Cable T.V. Limited (ci-après appelée la Rogers) exploite une antenne locale et un sys- tème de distribution par câble dans un secteur de Toronto décrit dans la licence qu'elle a obtenue en vertu de la Loi sur la radiodiffusion. Cette licence l'autorise à capter notamment les émissions des stations appelantes. Sa licence porte sur l'exploita- tion d'une entreprise de réception de radiodiffu- sion. Il semble qu'il ait été entendu, jusqu'en 1971, que le détenteur d'une licence n'était pas autorisé à modifier un programme capté par son système.
En juillet 1971, le Conseil de la Radio-Télévi- sion canadienne (ci-après appelé le CRTC), l'in- timé en l'espèce, publia un énoncé de politique sur la télévision par câble dont voici des extraits:
Dans son premier avis public portant sur la télévision par câble, le 13 mai 1969, le Conseil acceptait, du moins pour le moment, de maintenir l'ancienne politique du ministère des Transports qui interdisait aux systèmes de câble d'altérer les signaux reçus des stations de télévision. Depuis cette date, le Conseil a entrepris des études approfondies qui démontrent que la retransmission inchangée de certains de ces signaux empêche des stations de télévision canadiennes de remplir le mandat qui leur a été confié.
Suppression et remplacement des messages publicitaires
A l'heure actuelle, seulement quelques systèmes de télévision par câble pourraient financièrement assumer le coût de sup pression des messages publicitaires sur les canaux qu'ils retransmettent. Même pour ces quelques systèmes, les implica tions financières seraient sérieuses. Voilà pourquoi le Conseil n'a pas adopté cette politique.
Le Conseil a décidé plutôt de retirer l'interdiction d'altérer les signaux captés de stations de télévision. Ainsi, le Conseil permettra aux exploitants de câble de supprimer la valeur commerciale des signaux de stations qui ne détiennent pas de licence de diffusion au Canada. Même s'il ne sera pas permis aux entreprises de télévision par câble de vendre elles-mêmes des messages publicitaires en remplacement, elles seront toute- fois encouragées à conclure des ententes avec les stations de télévision de leur région pour insérer des signaux de remplace- ment contenant des messages publicitaires dont la vente aura, au préalable, été assurée par des stations de télévision canadienne.
Lorsqu'une station de télévision canadienne décidera d'entre- prendre des pourparlers avec une entreprise de câble en vue de conclure une telle entente, elle devra en aviser le Conseil. L'entente intervenue, à ce sujet, entre une station de télévision et une entreprise de télévision par câble devra par la suite être soumise à l'approbation du Conseil.
Lorsque dans une région donnée, plus d'une station cana- dienne de télévision sera intéressée à ce genre d'opération, le Conseil veillera à ce que chacune ait une chance égale et équitable de s'en prévaloir; le Conseil prendra les dispositions
nécessaires pour qu'il en soit de même pour toute station qui obtiendrait éventuellement une licence dans la même région. Le Conseil verra aussi à ce que les pratiques de marketing qui se développeront par la suite ne soient pas, par ailleurs, préjudicia- bles à d'autres.
Dans le cas la valeur commerciale en jeu est importante, le Conseil est confiant que les stations de télévision et les entreprises de câble profiteront de ce changement de politique pour renforcer leur capacité de remplir leurs engagements envers le public.
Le Conseil espère que ces détenteurs de licence profiteront de l'occasion qui leur est ainsi offerte pour consolider le système de radiodiffusion canadienne. Si tel n'est pas le cas, le Conseil songera à prendre d'autres mesures.
Modifications à l'article 12a) de la Loi de l'impôt sur le revenu
Certains messages publicitaires qui ont une valeur au Canada mais qui sont diffusés par des stations qui ne sont pas autorisées à diffuser au Canada sont payés par des compagnies installées au pays. Le Conseil a donc décidé de demander au gouvernement fédéral de modifier l'article 12a) de la Loi de l'impôt sur le revenu afin d'y inclure les dépenses de publicité que les annonceurs canadiens font auprès des stations qui ne détiennent pas de licences de radiodiffusion du Conseil.
Par la suite, à partir d'une certaine date, la Rogers commença à supprimer un certain nombre de messages commerciaux diffusés par les appelan- tes; en octobre 1973, ces dernières l'ayant menacé de poursuites judiciaires, la Rogers demanda au CRTC de modifier sa licence pour lui permettre de supprimer librement lesdits messages commer- ciaux des programmes des appelantes transmis par son système de câble et de les remplacer par les siens. Les appelantes sont intervenues pour s'oppo- ser à une telle modification en s'appuyant sur un certain nombre de motifs, y compris la prétendue violation de leurs droits découlant de la Loi sur le droit d'auteur, de la Loi sur les marques de commerce et de la common law, et les violations de traités internationaux notamment la Convention de Paris pour la protection de la propriété indus- trielle. Elles contestèrent aussi la compétence du Conseil pour rendre l'ordonnance demandée et affirmèrent qu'une telle décision serait contraire à son énoncé de politique. A la suite d'une audition, le Conseil décida cependant, en mai 1974, d'ac- cueillir partiellement la requête de la Rogers, en déclarant:
Conformément à son énoncé de politique, le Conseil autorise le titulaire de licence à supprimer les messages publicitaires librement des signaux de télévision américains qu'il distribue, comme il a été demandé. L'objectif de la politique du Conseil sur la suppression des messages publicitaires vise à rétablir la raison d'être de la licence locale et à renforcer le service de la télévision canadienne. Les revenus et autres avantages décou-
Tant de l'application de la politique sont destinés à affermir la position des radiodiffuseurs. En conséquence, comme le titu- laire de licence n'a pas conclu d'ententes contractuelles avec des stations de télévision canadiennes de sa région, le Conseil ne permettra pas au titulaire de licence d'insérer de signaux de remplacement comportant des messages publicitaires. Le Con- seil n'est pas disposé non plus à permettre au titulaire de licence d'insérer de messages comportant une information publicitaire destinée à ses abonnés, parce que ceci ne s'accorde pas avec l'objectif de la politique du Conseil. Par contre, le Conseil autorise le titulaire de licence à insérer des messages d'intérêt public et autre matériel convenable du genre à la condition que ce soit en remplacement des messages supprimés.
Le Conseil n'ignore pas que des stations de Buffalo ont intro- duit des instances à la Cour fédérale contre le titulaire de licence. Lorsqu'il se présente un litige qui peut affecter les obligations que les titulaires de licence doivent remplir en vertu de la Loi sur la radiodiffusion, le Conseil se préoccupe à juste titre que les titulaires de licence ne règlent pas volontairement un tel litige selon des conditions qui pourraient les empêcher de se conformer à la politique du Conseil et aux exigences de la Loi sur la radiodiffusion. C'est pourquoi les titulaires de licence, avant d'accepter de leur plein gré des conditions quel- conques et, en particulier, d'injonction doivent d'abord obtenir le consentement du Conseil.
En conséquence, les appelantes présentèrent une demande en vertu de l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale afin d'obtenir l'examen et l'annula- tion de la décision, puis, sur autorisation de cette cour, interjetèrent appel en vertu de l'article 26 de la Loi sur la radiodiffusion. Les deux procédures furent jointes et entendues ensemble.
Les appelantes se fondent sur quatre arguments principaux. Elles affirment (1) que l'Acte de l'Amérique du Nord britannique ne confère au Parlement aucune compétence sur l'exploitation d'un système de télévision par câble; (2) que, si le Parlement a compétence, il ne l'a pas exercée de manière à la déléguer au CRTC pour l'exploitation desdits systèmes; (3) que, si le Parlement a compé- tence pour réglementer l'exploitation de la télévi- sion par câble et l'a déléguée au CRTC, ce dernier en modifiant la licence de la Rogers a alors excédé sa compétence à cet égard; et (4) que sa décision est contraire à un traité international, la Conven tion Interaméricaine de Radiocommunications conclue à la Havane en 1937 et signée par le Canada.
Les prétentions fondées sur l'Acte de l'Amérique du Nord britannique et l'interprétation de la légis- lation sont étroitement liées. Je vais donc les exa miner ensemble.
En vertu de l'article 17 de la Loi sur la radio- diffusion, l'intimé a le pouvoir d'attribuer des licences aux entreprises de radiodiffusion, de les assortir de conditions et de les modifier. Les passa ges pertinents de l'article 17 se lisent comme suit:
17. (1) Dans la poursuite des objets du Conseil, le comité de direction, après avoir consulté les membres à temps partiel qui assistent à une réunion du Conseil, peut
a) attribuer des licences de radiodiffusion pour les périodes d'au plus cinq ans et sous réserve des conditions propres à la situation du titulaire
i) que le comité de direction estime appropriées pour la mise en oeuvre de la politique de radiodiffusion énoncée dans l'article 3, et
b) à la demande d'un titulaire de licence, modifier toutes conditions d'une licence de radiodiffusion à lui attribuée;
L'article 2 de la Loi sur la radiodiffusion définit l'expression «entreprise de radiodiffusion» comme comprenant « . .. une entreprise de réception de radiodiffusion ..., situé en tout ou en partie au Canada ...». «Radiodiffusion» est défini comme «... toute radiocommunication dans laquelle les émissions sont destinées à être captées directement par le public en général». Le terme «Radiocommu- nication» est quant à lui défini comme «. .. toute transmission, émission ou réception de signes, signaux, écrits, images, sons ou renseignements de toute nature, au moyen d'ondes électromagnéti- ques de fréquences inférieures à 3,000 gigacycles par seconde transmises dans l'espace sans guide artificiel».
La licence attribuée à la Rogers en vertu de l'article 17 l'autorisait à exploiter une entreprise de réception de radiodiffusion desservant Toronto métropolitain (Ontario). Cette licence l'autorisait à recevoir des signaux émis par les stations de télévision des appelantes ainsi que par d'autres stations. Il existe un fondement constitutionnel et législatif adéquat à l'octroi d'une licence d'entre- prise de réception de radiodiffusion à la Rogers. Il est bien établi que le Parlement a un pouvoir législatif exclusif sur la radiodiffusion et que la radiodiffusion inclut à la fois l'émission et la récep- tion de signaux 2 .
z In re La réglementation et le contrôle de la radiocommuni- cation au Canada [1932] A.C. 304.
Comme je l'ai déjà indiqué, la Rogers ayant demandé en vertu de l'article 17(1)b) la modifica tion des conditions de sa licence, l'intimé autorisa le titulaire de la licence à supprimer librement les messages publicitaires des signaux de télévision américains à la condition qu'il insère des messages d'intérêt public et autre matériel de remplacement convenable. Je suis d'avis qu'une telle modification relève des pouvoirs conférés au Conseil par l'article 17(1)b) et que celui-ci est intra vires du Parlement dans la mesure il autorise à apporter une telle modification. Le pouvoir législatif du Parlement couvre le contenu des émissions tout autant que l'entreprise proprement dite exploitée par l'unité de réception d'émissions de télévision 3 .
Les appelantes prétendent qu'on ne devrait pas interpréter la Loi de manière à comprendre aussi le contenu des émissions après la réception des ondes hertziennes par l'antenne de la Rogers. A l'appui de cette prétention, les appelantes invo- quent les termes de la définition du mot «radio- communication» à l'article 2 de la Loi. - Elles sou- tiennent en outre que le système de télévision par câble de la Rogers est un système de distribution comprenant deux aspects. L'un consiste dans la réception, par antenne, d'ondes hertziennes prove- nant de télédiffuseurs: cet aspect est réglementé au niveau fédéral. L'autre consiste dans la distribu tion des messages reçus au moyen du câble, un «guide artificiel»: elles prétendent que cet aspect de l'entreprise relève de la compétence provinciale.
A mon avis, ce n'est pas la bonne façon de considérer l'entreprise. Le système de télévision par câble de la Rogers, en tant qu'unité, reçoit des signes ou signaux émis par les stations de télévision des appelantes par voie d'ondes hertziennes, trans- mises dans l'espace à Buffalo, sans guide artificiel. Les messages sont non seulement reçus par l'an- tenne, mais par l'entreprise dans son ensemble 4 . L'entreprise de télévision par câble est une sorte de système d'antenne 5 . Il s'agit d'une entreprise de réception de radiodiffusion et donc d'une «entre-
, In Re C.F.R.B. et le procureur général du Canada [1973] 3 O.R.819.
^ Public Utilities Commission c. Victoria Cablevision Ltd. (1965) 52 W.W.R. 286 (B.C.C.A.).
5 Fortnightly Corp. c. United Artists Television Inc. (1967) 392 US 390 aux pp. 397 à 401.
prise de radiodiffusion» au sens de l'article 2 de la Loi sur la radiodiffusion à l'égard de laquelle l'article 17(1)a) permet de délivrer une licence de radiodiffusion, que l'article 17(1)b) permet de modifier. La licence de radiodiffusion, telle que définie à l'article 2,... désigne une licence d'ex- ploitation d'une entreprise de radiodiffusion, attri- buée en vertu de la présente loi».
On a aussi soutenu que l'intimé avait excédé les pouvoirs que lui confère la Loi en fondant ses décisions sur l'énoncé de politique susmentionné, tel que publié. On a invoqué notamment l'article 3c) de la Loi:
3. I1 est, par les présentes, déclaré
c) que toutes les personnes autorisées à faire exploiter des entreprises de radiodiffusion sont responsables des émissions qu'elles diffusent, mais que le droit à la liberté d'expression et le droit des personnes de capter les émissions, sous la seule réserve des lois et règlements généralement applicables, est incontesté;
On a prétendu que la décision de modifier la licence afin d'autoriser la suppression et le rempla- cement de certains messages était nulle parce que fondée sur l'énoncé de politique et non sur les dispositions de la Loi et des règlements. Il est ce- pendant évident que la décision fut prise en vertu du pouvoir statutaire conféré par l'article 17(1)b) de la Loi. Dans le corps de la décision on trouve qu'elle a été prise en conformité de l'énoncé de politique, ce qui serait contestable si ledit énoncé exposait des objectifs qu'il n'appartenait pas à l'intimé de poursuivre. A mon avis cependant, les politiques décrites relèvent bien du mandat conféré à l'intimé par l'article 15 selon lequel il doit 0... réglementer et surveiller tous les aspects du sys- tème de la radiodiffusion canadienne en vue de mettre en oeuvre la politique de radiodiffusion énoncée dans l'article 3 de la présente loi».
On pourrait aussi contester l'énoncé de politique s'il imposait au pouvoir discrétionnaire du Conseil des limites telles que celui-ci ne serait plus libre de rendre une décision appropriée compte tenu de chaque demande au fond. Dans l'affaire British
Oxygen Co. Ltd. c. Minister of Technology 6 , lord Reid décrivit de quelle manière un tribunal doit déterminer si un énoncé de politique d'un orga- nisme administratif possédant des pouvoirs discré- tionnaires est acceptable du point de vue de son contenu et de son utilisation, de la manière suivante:
[TRADUCTION] On a soutenu, en se fondant sur l'arrêt Le Roi c. Port of London Authority, Ex parte Kynoch Ltd. [1919] 1 K.B. 176, que le Ministre n'a pas le droit de réglementer lui-même la manière dont il exercera à l'avenir son pouvoir discrétionnaire. Dans cette affaire, Kynoch était propriétaire d'un terrain riverain de la Tamise et voulait y construire un quai en eau profonde. Pour ce faire, il devait obtenir l'autorisa- tion du Port of London Authority. Elle fut refusée au motif que le Parlement avait imposé audit organisme le devoir de fournir de telles installations. Il fut démontré qu'avant de parvenir à cette décision, l'organisme en question avait examiné dans ses détails le fond de l'affaire et l'avait considérée en relation avec l'intérêt public. Leur décision fut confirmée.
Le lord juge Bankes déclare à la page 184:
D'une part, il y a les affaires dans lesquelles un tribunal exerçant sa discrétion de bonne foi a adopté des principes directeurs et où, sans refuser d'entendre un demandeur, il les porte à son attention et lui fait savoir qu'après l'avoir entendu il rejettera sa demande, conformément à ces princi- pes directeurs, à moins qu'il y ait des facteurs exceptionnels applicables à son cas. Je pense que l'avocat des appelants admettra que, si ces principes directeurs ont été adoptés pour des motifs que le tribunal peut légitimement soutenir, on ne peut s'opposer à cette façon de procéder. D'autre part, il arrive, dans certains cas, qu'un tribunal adopte une règle, ou prenne la décision, qu'il n'entendra pas de demande d'une certaine catégorie quel qu'en soit l'auteur. Il faut nettement distinguer ces deux catégories.
Je n'y vois aucune objection. Mais les circonstances dans lesquelles les pouvoirs discrétionnaires sont exercés varient énormément et l'on ne peut pas toujours appliquer littéralement ce passage. La règle générale veut que toute personne tenue d'exercer un pouvoir discrétionnaire ne doit pas «faire la sourde oreille à une demande» (pour paraphraser le lord juge Bankes à la page 183). Je ne pense pas qu'il y ait une grande différence entre une politique et une règle. Il peut se présenter des cas un fonctionnaire ou l'organisme administratif devrait prêter attention à un argument sérieux, raisonnablement présenté et demandant un changement de politique. Ce que l'organisme administratif ne doit pas faire, c'est refuser d'y prêter attention. Cependant, un ministère ou organisme important peut avoir déjà eu à traiter d'un grand nombre de demandes similaires et, dans ce cas, aura sans doute élaboré une politique tellement précise qu'on pourrait bien l'appeler règle. On ne peut aucune- ment s'y opposer, pourvu que l'organisme en cause accepte toujours d'écouter toute personne ayant des suggestions nouvel-
6 [1971] A.C. 610 aux pp. 624 et 625.
les, cependant je ne veux pas dire par qu'il soit nécessaire de tenir une audition. Dans l'affaire présente les fonctionnaires de l'intimé ont examiné attentivement toutes les propositions de l'appelante et je ne doute pas qu'ils continueront de le faire. L'intimé pourrait à tout moment changer d'avis et j'estime donc que les appelantes ont droit de demander qu'une décision soit rendue sur la question de savoir si lesdits cylindres peuvent faire l'objet d'une subvention.
A la lecture de la transcription de l'audience tenue par le Conseil sur la demande présentée par la Rogers en vue d'obtenir la modification des conditions de la licence, on s'aperçoit que le Con- seil n'a pas fait la sourde oreille à l'intervention des appelantes. Le fait que la demande présentée par la Rogers ait été accueillie, mais sous une forme modifiée, indique clairement que le Conseil n'agissait en fonction d'idées préconçues. En outre, le Conseil ne s'en est pas tenu strictement à sa propre politique. Il a accordé l'autorisation de supprimer des messages commerciaux, mais à la seule condition de les remplacer par des messages d'intérêt public. Son énoncé de politique indique qu'il est souhaitable qu'une entreprise de télévision par câble conclue des contrats avec des stations de télévision locales dans le but de remplacer les messages commerciaux.
L'énoncé de politique indique lui-même qu'il fut rédigé et publié dans le but de faire appliquer la politique de radiodiffusion décrite à l'article 3. Les conditions imposées par la modification de la licence de la Rogers ont pour objet de mettre en oeuvre cette politique. C'est au Conseil, et non à cette cour, qu'il appartient de décider si la politi- que et la décision en cause permettront effective- ment d'y arriver.
Les appelantes ont en outre fait valoir que la décision de modifier la licence de la Rogers est contraire à la Convention Interaméricaine de Radiocommunications signée à la Havane en 1937, convention à laquelle le Canada et les États-Unis sont parties. Elles invoquèrent en particulier l'arti- cle 11 a) et b):
a) Les gouvernements contractants reconnaissent le droit souverain de toutes les nations à l'usage de toutes les voies de radiodiffusion.
b) Les gouvernements américains, sous la seule condition de ne causer aucune interférence aux services des autres pays, peuvent assigner n'importe quelle espèce d'ondes et n'importe quelle fréquence aux stations de radiodiffusion qui se trou- vent sous leur juridiction.
Il semble évident que le terme «interférence» à l'alinéa b) se rapporte à une interférence technique à la réception du signal émis dans l'espace, comme par exemple par l'émission d'un signal concurrent sur la même fréquence. Il découle de cet article, cela semble évident, qu'on n'assignera pas et qu'on n'utilisera pas de fréquences dans un pays de manière à causer une interférence avec la récep- tion dans un autre pays de signaux émis sur la même fréquence que ledit pays. Cet article ne s'applique donc pas à notre problème.
On a aussi invoqué l'article 21:
Les gouvernements contractants prendront les mesures néces- saires pour éviter que les programmes transmis par une station de radiodiffusion soient retransmis ou émis, totalement ou partiellement par une autre station sans avoir obtenu aupara- vant l'autorisation de la station d'origine.
Le poste qui retransmettra n'importe quel programme devra annoncer la retransmission et, à intervalles appropriés, la nature de l'émission, la position du poste d'origine et l'indicatif d'appel ou toute autre identification de celui-ci.
Les appelantes ont soutenu que l'intimé, en autori- sant la suppression des messages commerciaux de leurs programmes et ce, sans leur consentement, a pris une décision incompatible avec cet article. Il semble cependant que, dans cet article, l'expres- sion «une autre station» s'applique à une autre station de radiodiffusion alors que la Rogers n'en est pas une, mais une entreprise de réception de radiodiffusion. Il semble en outre que l'application de cette convention particulière se limite à la radiocommunication et que l'expression «retrans- mis ou émis» s'applique seulement à la retransmis- sion ou à l'émission par radiocommunication.
Il est donc inutile de décider si la Convention lie l'intimé en tant qu'organisme public ou parce que les articles 7(1)d) et 8(1) de la Loi sur la radio, l'article 11 du Règlement général sur la radio, partie II, et l'article 15 de la Loi sur la radiodiffu- sion, pris ensemble lui ont donné le caractère obligatoire d'un texte législatif.
Enfin, les appelantes ont critiqué le passage de la décision du CRTC traitant du litige entre les appelantes et la Rogers, porté devant la Cour fédérale. Dans ce passage, l'intimé indique qu'il n'estime pas souhaitable que la Rogers transige en concluant un contrat qui pourrait faire obstacle à l'application de la politique du CRTC. Même si l'on peut mettre en doute la sagesse de l'inclusion dans une décision à caractère formel d'une telle
recommandation, cette dernière ne peut aucune- ment suffir à rendre nulle la décision.
Je rejette donc l'appel ainsi que la demande d'annulation.
* * *
LE JUGE URIE y a souscrit.
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