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A-267-74
Lloyd Thomas Britton et Margaret Sarah Britton (Demandeurs) (Appelants)
c.
La Reine (Défenderesse) (Intimée)
Cour d'appel, les juges Thurlow et Ryan, et le juge suppléant MacKay —Toronto, le 17 février; Ottawa, le 19 février 1975.
Pratique—Expropriation—Indemnité—Rejet par le juge de première instance d'une demande de détails et de radiation d'une partie de la défense—Aucune des parties n'avait demandé d'ordonnance—Les pouvoirs conférés à la Cour ont- ils été exercés à bon escient?—Loi sur l'expropriation, S.R.C. 1970, c. 16(1e , Supp.), art. 14(3), Règles 415(3) et 473(1) de la Cour fédérale.
Appel est interjeté, dans cette affaire d'expropriation, d'une ordonnance du juge de première instance par laquelle (1) il refusa d'ordonner à la défenderesse de donner des détails sur la répartition des fonds payés et de déterminer la part correspon- dant à la résidence, (2) il refusa de radier un paragraphe de la défense mentionnant le prix d'achat versé dix ans plus tôt par les appelants et (3) il ordonna aux parties de fournir certaines précisions dans un «mémoire des prétentions» et un «mémoire de la preuve relative à la valeur».
Arrêt: l'appel est accueilli; l'ordonnance est annulée et la demande de détails et de radiation présentée par les appelants est rejetée. (1) Rien dans la Loi sur l'expropriation ni dans les Règles de la Cour fédérale, ni aucun principe de pratique n'exige la ventilation des divers postes du montant offert, dans les conclusions de la Couronne. Les appelants n'ont pas motivé leur demande de détails; les faits relatifs à l'utilisation de la propriété à des fins résidentielles étaient connus et la demande, même si elle est nécessaire, est prématurée. (2) La mention du prix d'achat antérieur était pertinente et n'est pas préjudiciable. (3) Aucune des parties n'avait demandé l'ordonnance en cause qui, en outre, ne relève pas de la Règle 415(3). Selon les dispositions de la Règle 473(1), une telle ordonnance pourrait être rendue ultérieurement sur consentement. Au stade actuel des procédures, il n'y avait pas consentement et rien dans le dossier ne justifiait cette ordonnance.
APPEL. AVOCATS:
M. Appel pour les appelants. H. Erlichman pour l'intimée.
PROCUREURS:
Chappell, Bushell & Stewart, Toronto, pour les appelants.
Le sous-procureur général du Canada pour l'intimée.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement prononcés oralement par
LE JUGE THURLOW: Appel est interjeté d'une ordonnance de la Division de première instance rendue dans une action introduite par les appelants à l'égard de l'indemnité d'expropriation de terrains sis à Pickering (Ontario). Dans leur déclaration, les appelants décrivent les terrains expropriés, qui comprennent deux lots, l'un appartenant au pre mier appelant, et l'autre aux deux appelants con- jointement, et certains prétendus avantages affé- rents à ces terrains. Ils mentionnent aussi, en termes généraux, l'offre et le paiement par la Couronne de certains montants à titre d'indemnité pour les terrains; ils allèguent en outre que ces montants sont inadéquats et demandent enfin un montant plus important.
La défense décrit avec plus de détails les offres d'indemnité faites aux appelants et acceptées par eux, sans préjudice de leur droit de réclamer une indemnité supplémentaire. Avant de répondre, les appelants exigent plus de détails et demandent à la Cour une ordonnance afin d'obtenir:
[TRADUCTION] des détails sur les paragraphes 7i) et 9e) de la défense relatifs à la répartition des fonds prétendument payés aux demandeurs au titre de la valeur marchande, des troubles de jouissance, des avantages économiques particuliers ainsi qu'un montant suffisant pour permettre aux demandeurs de se réinstaller dans des lieux raisonnablement équivalents aux ter rains expropriés, ou à tout autre titre; et une ordonnance exigeant que la défenderesse donne des détails sur le paragra- phe 5 de la défense déterminant quelle partie des lieux expro- priés est reconnue comme lieu de résidence par la défenderesse.
Les appelants demandent aussi une ordonnance radiant le paragraphe Ic) de la défense. Ils sou- tiennent que ce paragraphe n'est pas pertinent et que la mention du prix d'achat de ces terrains environ dix ans avant l'expropriation, soit $16,500.00, pourrait nuire à un règlement équita- ble de l'action.
Les paragraphes en cause se lisent comme suit:
[TRADUCTION] 1. c) les demandeurs Lloyd Thomas Britton et Margaret Sarah Britton ont acquis les terrains décrits à l'alinéa a) des présentes au prix d'achat de $16,500.00, versé à Levi M. Fretz et Norman G. Fretz agissant sous la raison sociale de Fretz Brothers, par un acte authentique daté du 13 novembre 1963 et enregistré au Bureau d'enregistrement de la Division d'enregistrement du comté d'Ontario pour le canton de Picke- ring, le 28 novembre 1963, sous le no 116635.
5. En ce qui concerne le paragraphe 5 de la déclaration, il reconnaît que les terrains appartenant à Lloyd Thomas Britton, et décrits au paragraphe lb) des présentes, ont 198 pieds de large, sur une profondeur de 264 pieds, et sont adjacents au terrain appartenant à Lloyd Thomas Britton et Margaret Sarah Britton, mentionné au paragraphe 1c) des présentes; la superfi- cie de ce dernier est d'environ 50.06 acres avec 1,066.75 pieds de large sur une profondeur d'environ 2,000 pieds. Il reconnaît en outre que les terrains appartenant à Lloyd Thomas Britton comprennent aussi une résidence entourée d'un lot paysagé. Sous réserve de ce qui précède, il affirme n'avoir connaissance d'aucune autre allégation de fait audit paragraphe 5 et ne peut donc les admettre.
7. En ce qui concerne le paragraphe 7 de la déclaration, il affirme que:
i) le montant total de l'indemnité ainsi versée par la Cou- ronne aux deux demandeurs pour la parcelle mentionnée au paragraphe 1c) des présentes est de $146,850.00.
9. En ce qui concerne le paragraphe 9 de la déclaration, il affirme que:
e) en ce qui concerne les terrains mentionnés au paragraphe lb) des présentes, le montant versé à Lloyd Thomas Britton à titre d'indemnité inclut tout paiement au titre des troubles de jouissance, prévu à la Loi sur l'expropriation, et le deman- deur Lloyd Thomas Britton n'a droit à aucune autre indem- nité à ce titre à l'égard des terrains mentionnés au paragra- phe 1c) des présentes; il affirme que les demandeurs n'ont subi aucun dommage résultant de troubles de jouissance en ce qui concerne ces terrains et n'ont de toute façon aucun droit à des dommages-intérêts à ce titre.
Aucun affidavit ni aucune autre preuve ne furent soumis à l'appui de cette demande. Le savant juge de première instance refusa de radier le paragraphe 1c) et n'accorda pas d'ordonnance exigeant la production des détails demandés.
Nous sommes d'avis qu'il avait raison sur ces deux points.
A notre avis, on ne peut dire que le paragraphe 1c) n'a absolument aucun rapport avec le litige, même s'il peut s'avérer peu important par la suite et nous ne pensons pas que sa présence dans la défense puisse nuire au procès.
La demande de détails ne fut pas non plus justifiée. L'article 14(3) de la Loi sur l'expropria- tion exige que l'offre d'indemnité soit accompa- gnée d'une copie de l'évaluation sur laquelle elle est fondée, mais ni la Loi ni les Règles de la Cour n'exigent la ventilation des divers postes du mon- tant offert dans la plaidoirie de la Couronne, ni le montant affecté à chacun d'eux. Il n'existe en outre aucun principe de pratique exigeant, sans plus, de tels détails et rien dans le dossier soumis à la Cour ne révèle pour quelques raisons ces détails
sont nécessaires en l'espèce pour permettre aux appelants de plaider ou de se préparer pour le procès. En ce qui concerne la demande de détails sur le paragraphe 5, les faits relatifs à l'utilisation de la propriété à des fins résidentielles étaient entièrement connus des appelants et, même si en fin de compte il était nécessaire de donner certains détails, la demande des appelants, avant l'interro- gatoire, est à notre avis prématurée.
Par contre, le savant juge de première instance rendit une ordonnance, dans les termes suivants, et le présent appel porte sur cette ordonnance autant que sur le rejet de la demande:
[TRADUCTION] ORDONNANCE
1. LA COUR ORDONNE que, dans les 45 jours de la date de cette ordonnance, chaque partie signifie à l'autre et dépose au greffe de cette cour, un document intitulé «Mémoire des prétentions» comprenant un exposé concis des faits pertinents invoqués par ladite partie à l'égard des points suivants:
a) la date de la prise de possession;
b) la date à laquelle les demandeurs ont remis la possession à la défenderesse;
c) les nom et adresse de toute autre personne ayant un droit, titre ou intérêt sur les biens expropriés, à la date de la prise de possession, et la nature de cet intérêt;
d) tout avantage découlant de la prise de possession;
e) tout dommage résultant du démembrement, si l'expro- priation ne portait pas sur l'ensemble des terrains;
f) l'usage le meilleur et le plus profitable des terrains expro- priés, à la date de la prise de possession;
g) la valeur des biens pour leur propriétaire, déterminée en vertu de l'article 24 de la Loi sur l'expropriation;
h) la valeur marchande minimale, au comptant, à la date de la prise de possession;
i) la nature et la valeur, pour les demandeurs, de tout avantage économique particulier résultant de leur occupation des terrains, ou accessoire à cette occupation;
j) les montants de tous frais, dépenses et pertes résultant de troubles de jouissance pour les demandeurs;
k) le montant maximal de l'avantage admis résultant de la prise de possession;
1) le montant minimal des dommages réclamés à l'égard du démembrement, le cas échéant.
2. LA COUR ORDONNE EN OUTRE que les procédures soient suspendues jusqu'à l'exécution du paragraphe 1 de la présente ordonnance.
3. LA COUR ORDONNE EN OUTRE qu'avant ou au moment de présenter une demande d'ordonnance fixant la date et le lieu du procès ou de l'audition de cette action, chaque partie signifie à l'autre et dépose au greffe un document intitulé «Mémoire de la preuve relative à la valeur», comprenant:
a) les nom et adresse de toute personne, y compris les évaluateurs et autres experts, propriétaires et anciens pro-
priétaires, devant être cités comme témoins pour donner leur opinion sur tout litige relatif à la valeur du terrain;
b) l'opinion supposée de chacun d'eux quant à la valeur du terrain;
c) les faits pertinents relatifs à toutes les ventes ou autres opérations que les parties ont l'intention d'invoquer à titre d'opérations comparables à l'expropriation, y compris les dates, les noms des parties et la contrepartie offerte pour de telles opérations, ainsi que la date, les numéros d'enregistre- ment et le bureau d'enregistrement s'y rapportant.
A LA CONDITION que l'exécution du paragraphe 3 de cette ordonnance ne soit pas censée satisfaire aux dispositions de la Règle 482.
Aucune des parties n'a formellement demandé une telle ordonnance et l'avocat des appelants s'est plaint ici du fait qu'on ne l'avait pas averti de l'éventualité d'une telle ordonnance et qu'il n'avait pas eu la possibilité de se faire entendre à cet égard. Selon lui, il fut avisé pour la première fois qu'une telle ordonnance avait été rendue, ou pou- vait l'être, environ 11 jours après qu'elle l'a effecti- vement été; il fut alors obligé de demander une prorogation du délai pour interjeter appel. Il semble cependant, compte tenu des motifs pronon- cés par le savant juge de première instance, que, lors des débats l'avocat de la Couronne avait au moins mentionné une affaire antérieure à l'occa- sion de laquelle le juge Gibson avait rendu une ordonnance assez similaire.
Lors de l'audition de l'appel, l'avocat de l'inti- mée soutint, pour justifier l'ordonnance, qu'elle avait été rendue en vertu des pouvoirs conférés à la Cour par la Règle 415(3) 1 d'ordonner la commu nication de détails ou la présentation d'un exposé plus ample et plus précis de la nature de la cause sur laquelle la partie s'appuie, «aux conditions qui semblent justes».
Cependant nous ne pensons pas que l'ordon- nance en cause, considérée comme un tout, soit une ordonnance du type de celle que l'on demande ou une ordonnance prévue par cette règle. De fait, cette ordonnance semble substituer à la procédure prévue par les règles une nouvelle procédure allant bien au-delà de tout ce qui a été envisagé par ces dernières, à ce stade des procédures. On peut bien
' Règle 415. (3) La Cour pourra ordonner à une partie de déposer et signifier à toute autre partie des détails plus amples et plus précis sur une allégation de sa plaidoirie, ou un exposé plus ample et plus précis de la nature de la cause sur laquelle elle s'appuie, et l'ordonnance peut ôte rendue aux conditions qui semblent justes.
sûr concevoir qu'une telle ordonnance soit utile, à un stade ultérieur, notamment lorsqu'on demande l'inscription de l'affaire au rôle, pour faire appa- raître au dossier les théories respectives des parties sur des points pertinents qui n'ont pas été mention- nés ailleurs ni unanimement reconnus; dans ce cas, une telle ordonnance pourrait probablement être rendue, sur consentement des parties, en vertu de la Règle 473(1) 2 . En l'espèce cependant il n'y a pas de consentement et, même si cette règle n'exi- geait pas le consentement des parties, nous ne pensons pas que le dossier lui-même justifiait une telle ordonnance à ce stade de l'action.
L'appel sera donc accueilli, l'ordonnance de la Division de première instance sera annulée et la requête de l'intimée rejetée. Les appelants ont droit à leurs dépens de l'appel et l'intimée aux dépens de la requête présentée en première instance.
* * *
LE JUGE RYAN et LE JUGE SUPPLÉANT MACKAY ont souscrit à l'avis.
2 Règ[e 473. (1) La Cour pourra, avant ou après le début d'une action ou autre procédure, sur le consentement de toutes les parties intéressées, donner des instructions sur la procédure devant régir la question, instructions qui doivent, sous réserve de modification ou d'annulation par ordre subséquent de la
Cour donné de la même façon, régir la question nonobstant toute disposition contraire des présentes Règles.
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