T-24-75
Fjord Pacific Marine Industries Ltd. (Appelante)
c.
Le registraire des marques de commerce (Intimé)
et
The Oshawa Group Limited (Intimée/Interve-
nante)
Division de première instance, le juge Mahoney—
Ottawa, les 4 et 10 avril 1975.
Marques de commerce—Appel—Registraire accordant à
l'intervenante/intimée une prorogation du délai pour faire
opposition à la demande de l'appelante—S'agit-il d'un acte
administratif ne pouvant faire l'objet d'un examen judiciai-
re?—Le registraire a-t-il préalablement conclu que l'omission
de demander la prorogation du délai dans le mois suivant
l'annonce de la demande n'était pas raisonnablement évita-
ble?—Loi sur les marques de commerce, S.R.C. 1970, c. T-10,
art. 37(1), 38(2), 46(1) et (2) et 56.
L'appelante attaque une décision du registraire des marques
de commerce accordant à l'intervenante/intimée une proroga-
tion du délai pour faire opposition à la demande de l'appelante
déposée le 31 janvier 1972 et publiée le ler novembre 1972.
L'intervenante/intimée informa pour la première fois le regis-
traire qu'elle avait un intérêt dans les procédures le 1° , novem-
bre 1974.
Arrêt: l'appel est accueilli; l'article 37(1) de la Loi sur les
marques de commerce prévoit un délai d'un mois après la
publication de la demande pour déposer une déclaration d'op-
position. En vertu de l'article 46(2), le registraire devait déter-
miner si l'omission de demander la prorogation «n'était pas
raisonnablement évitable». Dans des cas similaires, la Cour a
décidé qu'une telle décision était susceptible d'examen judi-
ciaire. Lorsque la Loi exige une conclusion de fait précise,
comme prérequis à l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire, il
faut parvenir à cette conclusion. Oshawa n'a pas présenté de
demande en novembre 1972, parce qu'elle n'avait alors aucun
intérêt à le faire. Il ne fallait pas tenir compte du fait qu'elle
avait acquis par la suite un intérêt et un motif pour le faire. Le
registraire n'est pas parvenu à la conclusion de fait requise; les
faits invoqués devant lui, s'il les avait pris en considération ne
lui auraient pas permis de parvenir à cette conclusion.
Arrêts suivis: Berback Quilting Ltd. c. Le registraire des
marques de commerce [1958] R.C.E. 309; Centennal
Grocery Brokers Inc. c. Le registraire des marques de
commerce [1972] C.F. 257; In re Worldways Airlines Ltd.
et la Commission canadienne des transports [1974] 2 C.F.
597.
APPEL.
AVOCATS:
W. C. Kent pour l'appelante.
P. B. Annis pour l'intimé.
S. Trachimovsky pour l'intimée/intervenante.
PROCUREURS:
Burke-Robertson, Chadwick et Ritchie,
Ottawa, pour l'appelante.
Le sous-procureur général du Canada pour
l'intimé.
Malcolm S. Johnston, Toronto, pour
l'intimée/intervenante.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE MAHONEY: Appel est interjeté, en
conformité de l'article 56 de la Loi sur les mar-
ques de commerce, d'une décision de l'intimé, le
registraire des marques de commerce (ci-après
appelé «le registraire»), accordant à l'intimée/
intervenante, The Oshawa Group Limited (ci-
après appelée «Oshawa»), une prorogation du délai
pour faire opposition à la demande de l'appelante
(n° de série 349,856), en conformité de l'article
46(2).
Le 31 janvier 1972, l'appelante soumit au regis-
traire une demande d'enregistrement de la marque
de commerce «Dutch Boy» qu'elle utilisait depuis
septembre 1968 pour du hareng mariné. La
demande fut publiée dans le Journal des marques
de commerce le ler novembre 1972. Il y eut une
déclaration d'opposition qui n'est pas en litige dans
cet appel; l'année suivante se passa à suivre les
différentes étapes consécutives à cette déclaration,
à l'issue desquelles, le 1 e novembre 1973, l'appe-
lante demanda au registraire de tenir une audition
orale. Le registraire l'informa qu'il ne serait pas
possible de le faire avant huit ou dix mois. L'appe-
lante réitéra sa demande, versa les droits exigés et,
le 14 décembre 1973, fut informée que l'audition
ne serait vraisemblablement pas tenus avant six
mois. Le 28 août 1974, on informa l'appelante que
[TRADUCTION] «cette audition ne pourrait être
tenue avant encore huit ou dix mois».
Le l er novembre 1974, soit deux ans après la
publication de la demande de l'appelante, Oshawa
informa pour la première fois le registraire qu'elle
avait un intérêt dans les procédures et demandait
une prorogation du délai accordée pour déposer
une déclaration d'opposition. L'intérêt d'Oshawa
dans cette action résulte de l'acquisition d'une
autre entreprise qui, elle-même, n'avait pas fait
opposition à la demande. Ce n'est qu'après l'acqui-
sition de cette autre entreprise et après avoir
étudié la possibilité d'obtenir l'enregistrement de
la marque de commerce «Dutch Boy», qu'Oshawa
a pris connaissance de cette demande. Le regis-
traire décida d'accorder à Oshawa la prorogation
du délai et l'appel qui nous occupe porte sur cette
décision.
Les dispositions pertinentes de la Loi se lisent
comme suit:
37. (1) Toute personne peut, dans le délai d'un mois à
compter de l'annonce de la demande, et sur paiement du droit
prescrit, produire au bureau du registraire une déclaration
d'opposition.
38. (2) Le registraire ne doit pas proroger le délai accordé
pour la production d'une déclaration d'opposition à l'égard
d'une demande admise.
46. (1) Si, dans un cas quelconque, le registraire est con-
vaincu que les circonstances justifient une prolongation du délai
fixé par la présente loi ou prescrit par les règlements pour
l'accomplissement d'un acte, il peut, sauf disposition contraire
de la présente loi, prolonger le délai après l'avis aux autres
personnes et selon les termes qu'il lui est loisible d'ordonner.
(2) Une prorogation demandée après l'expiration de pareil
délai ou du délai prolongé par le registraire en vertu du
paragraphe (1), ne doit être accordée que si le droit prescrit est
acquitté et si le registraire est convaincu que l'omission d'ac-
complir l'acte ou de demander la prorogation dans ce délai ou
au cours de cette prorogation n'était pas raisonnablement
évitable.
L'article 37(1) prévoit un délai d'un mois, à
compter de l'annonce de la demande, pour pro-
duire une déclaration d'opposition. Il faut signaler
que n'importe qui a le droit de déposer une telle
déclaration; l'article ne limite pas ce droit aux
personnes déclarant avoir un intérêt dans cette
procédure, comme l'exige l'article 57, pour avoir le
droit de demander la radiation ou modification
d'une inscription au registre, une fois la demande
admise. La seule restriction à l'octroi d'une proro-
gation du délai est prévue à l'article 38(2), mais
elle ne s'applique pas en l'espèce. En examinant la
demande de prorogation du délai présentée par
Oshawa, le registraire devait évidemment se réfé-
rer au paragraphe (2) de l'article 46 plutôt qu'au
paragraphe (1). En d'autres termes, il n'était pas
tenu de trancher la question générale de savoir si
«les circonstances justifiaient une prorogation du
délai fixé» par la Loi, comme l'exige l'article
46(1), mais devait décider plus particulièrement si,
en l'espèce, l'omission de demander la prorogation
de ce délai dans le premier mois suivant la publica
tion «n'était pas raisonnablement évitable», comme
l'exige l'article 46(2).
L'avocat du registraire souleva la question de
savoir si la décision d'accorder une prorogation du
délai en vertu de l'article 46(2), constituait une
«décision» au sens de l'article 56(1), sans cepen-
dant insister sur ce point. Il était d'avis que,
compte tenu des circonstances, il aurait été plus
approprié de faire une demande de bref de prohibi
tion. Il ne soumit aucun argument à l'appui de
cette proposition. En fait la question fut soulevée,
puis abandonnée, et je m'abstiendrai de la
trancher.
L'essentiel de la thèse du registraire consiste à
dire que, dans les circonstances, l'octroi d'une
prorogation de délai était un acte purement admi-
nistratif non susceptible d'examen judiciaire, par
voie d'appel en vertu de l'article 56(1) ou autre-
ment. Pour autant que je sache, cette question n'a
pas encore été traitée par les tribunaux; toutefois il
est évident que les décisions portant sur des proro-
gations de délai, dans des circonstances similaires,
vont à l'encontre de cette proposition. Dans l'af-
faire Berback Quilting Ltd. c. Le registraire des
marques de commerce', l'appelante contesta sans
succès le refus du registraire d'accorder une proro-
gation dans un appel similaire à celui-ci. Dans
l'affaire Centennial Grocery Brokers Inc. c. Le
registraire des marques de commercez, la requé-
rante, toujours sans succès, demanda l'annulation
de la prorogation de délai accordée dans des cir-
constances similaires. Dans chaque cas, la Cour,
tout en s'abstenant d'intervenir, a clairement
estimé que la décision du registraire était suscepti
ble d'examen judiciaire.
Dans l'affaire Centennial, le juge Heald décla-
rait à la page 261:
Lorsque le registraire a décidé d'accorder une prolongation
du délai, il disposait de tous les documents lui permettant de
conclure que l'erreur ou l'oubli «n'était pas raisonnablement
évitable» aux termes de l'article 46(2).
Je ne peux m'immiscer dans l'exercice du pouvoir discrétion-
naire du registraire sauf s'il a commis une erreur mani-
feste .. .
•
[1958] R.C.É. 309.
2 [1972] C.F. 257.
Je souscris à cet exposé du droit. Il reconnaît
clairement le principe que, lorsque la loi exige une
conclusion de fait spécifique, comme prérequis à
l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire, il faut par-
venir à cette conclusion. 3 Le pouvoir administratif
en cause doit examiner la question à laquelle la
Loi exige qu'on réponde avant de rendre cette
décision. En l'espèce, le registraire, avant d'accor-
der une prorogation de délai, devait tenir pour
certain, ou conclure, que l'omission d'Oshawa de
demander une prorogation du délai dans le mois de
la publication de la demande de l'appelante au
Journal des marques de commerce n'était pas
raisonnablement évitable.
Une lettre d'Oshawa au registraire, en date du
29 octobre, et reçue par ce dernier le 1 e1 novembre,
décrit les circonstances sur lesquelles on pouvait
fonder une telle conclusion. Il ne disposait d'aucun
autre document pertinent. Voici le texte complet
de cette lettre:
[TRADUCTION] Au nom d'Oshawa Group Limited, nous vous
demandons de bien vouloir accorder une brève prorogation du
délai prévu pour le dépôt d'une déclaration d'opposition à la
demande d'enregistrement de la marque de commerce susmen-
tionnée n° de série 349,856—DUTCH BOY—publiée dans le
Journal des marques de commerce du 1°" novembre 1972 et
faisant actuellement l'objet d'une opposition de la Vancouver
Shellfish and Fish Company Limited.
The Oshawa Group Limited, qui se propose de faire opposi
tion, a récemment repris l'entreprise et les droits de marque de
commerce de la Dutch Boy Food Market qui depuis 1954
utilise ce nom commercial dans toutes ses activités.
Dès l'acquisition des biens de cette compagnie, l'opposant
éventuel donna au soussigné, son agent de marques, l'instruc-
tion d'introduire des demandes d'enregistrement du mot—
DUTCH BOY—comme sa marque de commerce, non seulement à
l'égard des services fournis par l'exploitation de supermarchés
mais aussi comme marque de commerce pour un grand nombre
de marchandises sous marque privée habituellement vendues
dans ces supermarchés.
Au cours des recherches habituelles de disponibilité de la
marque, effectuées au Bureau canadien des marques de com
merce le 17 juillet, on découvrit deux demandes antérieures
d'enregistrement de la même marque de commerce (n°o de série
349,683 et 349,856). Le 22 juillet, on demanda au Bureau des
marques de commerce des copies de ces demandes qui n'arrivè-
rent malheureusement que le 1°" octobre, date à laquelle on
remarqua que ladite demande de marque de commerce (n° de
série 349,856) était encore sous le coup d'une opposition.
En 1972, l'époque de la publication de cette demande,
l'opposant éventuel n'avait aucun intérêt dans la marque de
commerce—DUTCH BOY—. Toutefois, à l'heure actuelle, elle s'y
In re Worldways Airlines Ltd. et la Commission cana-
dienne des transports [1974] 2 C.F. 597.
intéresse vivement et en outre, compte tenu du fait qu'elle peut
se prévaloir d'une large antériorité dans son utilisation elle
dispose apparemment de motifs d'opposition très solides et
légitimes.
Nous estimons que ces circonstances justifieraient l'octroi à
la Oshawa Group Limited, l'opposant éventuel, d'une proroga-
tion du délai pour le dépôt d'une déclaration d'opposition à la
demande 349,856 susmentionnée et nous nous permettons de
demander à nouveau le bénéfice d'une telle prorogation.
Aux fins de cette demande, nous joignons dix dollars au titre
des droits prescrits.
La réponse du registraire, datée du 8 novembre,
contient la décision en appel et les conclusions de
faits qui s'y rapportent; elle énonce l'ensemble de
ces conclusions, du moins dans la mesure où elles
figurent au dossier.
[TRADUCTION] Nous accusons réception de votre lettre datée
du 29 octobre 1974.
Compte tenu du fait que votre client vous a demandé d'intro-
duire une demande d'enregistrement du DUTCH BOY à l'égard
des services de fonctionnement de supermarchés ainsi que pour
les marchandises vendues sous la marque privée DUTCH BOY, et
compte tenu du fait que la demande n° 349,356 peut constituer
un obstacle à une telle demande, il est dans l'intérêt des deux
parties d'établir quels sont leurs droits dans ces procédures
d'opposition.
Le délai est donc prorogé jusqu'au 2 décembre 1974 pour
déposer une déclaration d'opposition en deux exemplaires.
Cette prorogation du délai pour faire opposition a été accordée
à la condition que l'opposant se conforme à tous les délais fixés
par la Loi sur les marques de commerce à l'égard des
oppositions.
Oshawa avait autant le droit de faire opposition
à la demande en novembre 1972 qu'en novembre
1974. Elle ne l'a pas fait pour la seule raison
qu'elle n'avait aucun intérêt à le faire et estimait
en outre ne disposer d'aucun motif valable. Cet
intérêt et ces motifs sont de date récente.
L'article 46(2) prévoit que le registraire doit
être convaincu que l'omission de demander la pro-
rogation du délai dans le mois suivant l'annonce
n'était pas raisonnablement évitable, et, à mon
avis, la seule interprétation raisonnable de cette
exigence consiste à dire qu'il doit parvenir à cette
conclusion en se fondant sur les circonstances du
mois en cause. Je ne vois pas comment un événe-
ment survenu après expiration du délai d'un mois
pourrait avoir un rapport quelconque avec le fait
qu'une omission durant ce mois était évitable, que
ce soit raisonnablement ou autrement. Le regis-
traire n'aurait pas dû tenir compte du fait qu'Osh-
awa avait acquis par la suite un intérêt dans
l'opposition et s'était alors aperçue qu'elle était
fondée à le faire. De même, sa demande subsé-
quente d'enregistrement de la même marque de
commerce n'est pas pertinente.
Si j'ai raison de conclure que c'est en fonction
des circonstances de l'époque où Oshawa aurait pu
faire opposition à la demande, mais a omis de le
faire, que le registraire peut décider si cette omis
sion était raisonnablement évitable, Oshawa pou-
vait alors invoquer, dans sa demande de proroga-
tion du délai soit son défaut d'intérêt pendant le
mois en cause soit les circonstances que le proprié-
taire antérieur des droits sur la Dutch Boy Food
Market aurait pu invoquer devant le registraire. Je
rejette la seconde possibilité pour défaut de preuve
et, dans le cas de la première, je n'hésite pas à
conclure que le registraire aurait commis une
erreur évidente en concluant que le défaut d'intérêt
d'Oshawa dans cette affaire, et rien d'autre, lui
permettait d'exercer son pouvoir discrétionnaire
pour accorder une prorogation de délai.
En fait, le registraire n'a pas expressément
conclu sur les faits comme il était censé le faire.
Rien dans sa décision ne permet de déduire qu'il
envisageait de le faire, et encore moins qu'il l'a
fait. Je suis convaincu que les faits invoqués devant
lui, même s'il les avait entièrement acceptés, ne lui
permettaient pas de parvenir à cette conclusion.
A sa demande, Oshawa fut admise par ordon-
nance comme co-défenderesse/intervenante. L'ap-
pelante s'était opposée à cette requête. Je ne vois
pas comment la jonction d'Oshawa comme partie a
pu affecter les dépens de l'appel.
L'appel est accueilli. Le registraire versera à
l'appelante ses dépens de l'appel. Le cas échéant,
Oshawa lui versera les dépens relatifs à la jonction
d'Oshawa comme co-défenderesse/intervenante.
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