T-345-73
La Reine (Demanderesse)
c.
Creative Graphic Services et Craft Graphic Ser
vices Ltd. (Défenderesses)
Division de première instance, le juge Collier—
Toronto, le 18 mars; Ottawa, le 28 mai 1974.
Taxe de vente—Recouvrement de sommes dues par les
débiteurs de la taxe—Saisie des fonds provenant de la rému-
nération postérieure d'un débiteur—Loi sur la taxe d'accise,
S.R.C. 1970, c. E-13, art. 40, 50, 52 et 55.
En prononçant le jugement en l'espèce, la Cour a fait
remarquer que l'exposé conjoint des faits n'était «pas vérita-
blement adapté aux plaidoiries et au redressement recher-
ché», mais, à la requête des avocats, une décision a été
rendue en se fondant sur cet exposé conjoint des faits, tel
qu'élargi par des modifications.
La défenderesse Creative Graphic Services, société et
titulaire de licence en vertu de la Loi sur la taxe d'accise, a
déclaré, mais a omis de payer la taxe de vente d'un montant
de $9,400. Les associés, K et D, ont été poursuivis indivi-
duellement; K paya des amendes s'élevant à $1,000 et la
somme de $6,800 sur le montant total dû. D fut condamné
par défaut, frappé d'une amende de $800 et astreint à payer
le solde des sommes dues, soit $2,600. Par la suite, K devint
président et employé de la défenderesse, Craft Graphic
Services Ltd. Sur avis signifié au nom de la demanderesse,
une réclamation a été présentée pour faire retenir sur la
rémunération de K le paiement d'une somme qui, selon la
Cour, couvrait un autre montant dû par la société au titre de
la taxe de vente, des intérêts et des amendes. La somme de
$1,715 était réclamée aux deux défenderesses.
Arrêt: 1. la demanderesse a gain de cause contre la
défenderesse Creative Graphic Services et obtient la somme
de $1,715 dont on a reconnu qu'elle constituait une dette de
la société envers la Couronne. La demanderesse n'avait pas
droit aux amendes et aux intérêts sur la somme de $1,715,
puisqu'elle n'a pas indiqué comment on était parvenu à ce
montant ni les dates à prendre en considération pour le
calcul des amendes et des intérêts. De même, la demande-
resse, en poursuivant uniquement la société, ne peut obtenir
une déclaration selon laquelle K et D en étaient les associés.
La requête présentée au nom de K et portant que le juge-
ment ne devrait pas s'appliquer à son encontre, est rejetée.
2. L'action contre la défenderesse, Craft Graphic Services
Ltd., est rejetée. La demande de paiement par la compagnie
de la somme due sur le salaire de son employé a été
présentée en vertu de l'article 52; le paragraphe (6) crée une
forme large de saisie arrêt et doit être interprété strictement.
La présente demande est sans effet ou invalide car elle ne se
conforme pas aux stipulations de ce paragraphe.
Arrêt appliqué: Royal Trust Co. c. Montex Apparel
Industries Ltd. [1972] 3 O.R. 132.
ACTION.
AVOCATS:
H. Erlichman pour la demanderesse.
B. A. Dunn pour la défenderesse Creative
Graphic Services.
P. A. Vita pour la défenderesse Craft
Graphic Services Ltd.
PROCUREURS:
Le sous-procureur général du Canada pour
la demanderesse.
Levinson, Sack & Dunn, Toronto, pour la
défenderesse Creative Graphic Services.
Robertson, Lane & Cie, Toronto, pour la
défenderesse Craft Graphic Services Ltd.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement prononcés par
LE JUGE COLLIER: La demanderesse intente
une action pour recouvrer des deux défenderes-
ses la somme de $1,715 que ces dernières
devraient à la Couronne en vertu de certaines
dispositions de la Loi sur la taxe d'accise' . Pour
comprendre le problème, il convient de passer
les faits en revue. A l'ouverture des débats on
nous a soumis un exposé conjoint des faits. Au
cours des plaidoiries, les parties se sont enten-
dues sur d'autres faits.
Je vais présenter l'exposé conjoint. J'ai
ajouté, aux endroits appropriés, les faits com-
plémentaires susmentionnés:
[TRADUCTION] 1. Creative Graphic Services, société consti-
tuée par un certain Carl Hans Kristensen et un certain
Robert Bruce Douglas demanda et obtint le 26 juillet 1967
une licence de taxe de vente n° S5-2102 en conformité de la
Loi sur la taxe d'accise, S.R.C. 1952, c. 100, maintenant
S.R.C. 1972 [sic]. On a délivré la licence au nom de Creative
Graphic Services.
2. La Creative Graphic Services était une affaire d'imprime-
rie et, par suite des opérations de vente et de distribution de
ladite imprimerie, devenait assujettie à l'impôt en vertu de la
Loi sur la taxe d'accise.
3. Au cours de la période allant du ler juin 1967 au 30 avril
1969, la Creative Graphic Services a déclaré, mais a omis de
payer à Sa Majesté la Reine la taxe de vente d'un montant
de $9,482.22.
4. Ledit Carl Hans Kristensen et Robert Bruce Douglas ont
été poursuivis individuellement et non solidairement, con
' S.R.C. 1970, c. E-13 et ses modifications. Je vais utiliser
la numérotation des articles tels qu'ils figurent maintenant
dans la révision de 1970, mais, le cas échéant, j'indiquerai la
numérotation antérieure à cette révision.
formément aux dispositions de la Loi sur la taxe d'accise,
pour défaut de paiement par la Creative Graphic Services de
la taxe de vente demandée. Le 9 avril 1970, Kristensen
comparut devant le juge Bolsby, juge à la Cour provinciale,
et plaida coupable de dix chefs d'accusation pour défaut de
paiement de la taxe de vente d'un montant total de
$6,845.78. Suite à son aveu de culpabilité devant le juge de
la Cour provinciale, Kristensen fut condamné à payer les
amendes s'élevant à $1,000 et la somme de $6,845.78 (cette
dernière représentant un montant égal à la taxe qui aurait dû
être payée). Les taxes et les amendes furent payées. A la
même époque, Douglas fut condamné par défaut eu égard à
huit chefs d'accusation pour non-paiement de la taxe et
frappé d'une amende de $100 pour chaque chef d'accusa-
tion. Au total, Douglas fut condamné à payer une somme
égale à la différence entre $6,845.78 (montant que Kristen -
sen devait payer) et la somme de $9,482.22 mentionnée au
paragraphe 3.
5. Le 17 août 1971 ou vers cette date, ledit Carl Hans
Kristensen était président et employé de la Craft Graphic
Services Ltd., et percevait plus de $50 par semaine.
6. La Craft Graphic Services Ltd. continua à employer ledit
Carl Hans Kristensen comme président ou vice-président
jusqu'en février 1973, et au cours de ladite période, il perçut
plus de $50 par semaine. Chaque semaine au cours de la
période allant du 17 août 1971 au 1 E1 février 1973, la
défenderesse Craft Graphic Services Ltd. était endettée
envers Carl Kristensen et lui versait plus de $50 par
semaine.
7. Le 17 août 1971 ou vers cette date, les fonctionnaires du
ministère du Revenu national exigèrent de la Craft Graphic
Services Ltd., en conformité de l'article 50 de la Loi sur la
taxe d'accise, le paiement d'un montant suffisant pour libé-
rer la Creative Graphic Services et/ou Carl Kristensen de
leur obligation s'élevant à $4,210.51 ou du montant dont elle
est endettée ou dont elle peut devenir endettée, suivant le
montant le moins élevé. Une copie de ladite réclamation est
jointe à l'exposé conjoint des faits (pièce «A»).
8. Jusqu'à ce jour, la Craft Graphic Services Ltd. n'a rien
payé à la demanderesse.
9. Actuellement la Creative Graphic Services doit $1,715.
Voici le passage pertinent de la réclamation
susmentionnée (pièce «A»):
[TRADUCTION] Il semble que vous êtes endettée ou que vous
soyez sur le point de le devenir envers la
Creative Graphic Services,
et/ou de Carl Kristensen,
36 Dunsany Crescent,
Weston (Ontario).
ci-dessous appelé titulaire de licence.
Vous êtes tenue par les présentes de verser au Receveur
général du Canada un montant suffisant pour libérer le
titulaire de licence de l'obligation, telle qu'indiquée ci-après,
ou le montant dont vous êtes endettée ou pouvez le devenir,
suivant le montant le moins élevé.
L'obligation du titulaire de licence est la suivante: $4,210.51
pour la taxe de vente fédérale et l'intérêt accumulé à titre
d'amende.
(Le Ministère estime satisfaisant un paiement au rythme de
$50 par semaine pris sur le salaire, le revenu ou autres
sommes perçues.)
Les paiements peuvent être versés auprès du
Chef régional,
Taxe d'accise,
C.P. 460, Succ. «Q»,
Toronto 290 (Ontario).
qui vous délivrera de récépissés.
Si vous acquittez une obligation envers un titulaire de
licence après réception des présentes, vous devenez person-
nellement responsable jusqu'à concurrence de l'obligation
quittancée ou du montant réclamé ici, suivant le montant le
moins élevé.
Cette demande est présentée en conformité de l'article 50,
paragraphes (6), (7) et (8) de la Loi sur la taxe d'accise,
S.R.C. 1952, chapitre 100 tel que modifié, dont voici le
texte:
L'avocat de la demanderesse déclare que le
montant maintenant réclamé, soit $1,715, ne
couvre que les amendes et les intérêts. On n'a
pas révélé comment on était parvenu à ce
montant.
Selon moi, la demanderesse cherche à obtenir
de la défenderesse, la Creative Graphic Servi
ces, (et je m'appuie sur les paragraphes 8 à 10
de la déclaration) la somme de $1,715 plus les
amendes et l'intérêt complémentaires qui peu-
vent être dus.
A l'encontre de l'autre défenderesse, la com-
pagnie à responsabilité limitée, la demanderesse
réclame le paiement de la somme de $1,715
conformément à la demande (pièce «A») et une
déclaration selon laquelle la compagnie [TRA-
DUCTION] «est tenue de verser au receveur
général du Canada des sommes dues et payables
par elle à Carl Kristensen conformément auxdi-
tes demandes».
A l'encontre des deux défenderesses, la
demanderesse réclame en outre [TRADUCTION]
«une déclaration selon laquelle ... (Kristen -
sen) ... et ... (Douglas) ... sont associés de la
firme Creative Graphic Services».
Le cabinet de Me Dunn présenta la défense au
nom de la Creative Graphic Services. A l'au-
dience Me Dunn déclara qu'il intervenait à titre
d'avocat de Kristensen et ne plaidait que pour
ce dernier. Les points soulevés par la défense
sont les suivants: (1) dans la mesure où la
demanderesse cherche à recouvrer une amende,
le demandeur approprié était le ministre du
Revenu national; et (2) la demanderesse se voit
opposer une fin de non-recevoir, car elle a
engagé les poursuites mentionnées au paragra-
phe 4 de l'exposé conjoint des faits afin de
recouvrer les fonds qui lui sont dus. On prétend
que les poursuites antérieures ont épuisé toutes
les formes de recours possibles de la demande-
resse ou que, de toute façon, la demanderesse
doit limiter ses recours à ceux déjà exercés.
Voici la défense avancée au nom de la compa-
gnie à responsabilité limitée: Kristensen n'était
pas titulaire de licence en vertu de la Loi sur la
taxe d'accise, mais la société Creative Graphic
Services l'était; la compagnie ne se trouvait pas
endettée à la date en cause (le 17 août 1971,
date de la demande) envers la société (titulaire
de licence), mais envers un particulier (Kristen -
sen) qui n'était pas titulaire de licence; par con-
séquent, la demande était sans effet. Subsidiai-
rement, on prétendit que, si la demande avait un
effet à l'égard de Kristensen, elle ne pouvait
porter que sur $50 et non sur le montant total
prétendument dû; en d'autres termes, la
demande ne pouvait constituer une demande
continue dans le temps jusqu'au remboursement
complet de la somme.
Avant d'examiner chaque réclamation et les
prétentions des parties, j'estime que je dois faire
quelques observations sur le déroulement de
cette action devant la Cour. Au début de l'au-
dience, j'ai émis des doutes quant à savoir si
l'exposé conjoint des faits, tel que présenté à
l'origine et en l'absence de preuves supplémen-
taires, contenait des faits suffisants pour per-
mettre à la Cour de parvenir à une décision, vu
les allégations contenues dans la déclaration, le
redressement demandé et les plaidoiries de la
défense. Les trois avocats indiquèrent qu'à leur
avis, il n'y avait aucune difficulté à cet égard.
Au cours des débats, il devint évident que l'ex-
posé initial des faits était en réalité insuffisant et
les parties convinrent d'autres faits. Réflexion
faite, mon opinion selon laquelle l'exposé con
joint des faits n'est, à bien des égards, pas
véritablement adapté aux plaidoiries et au
redressement recherché fut confirmée. Tous les
avocats, cependant, apparaissaient soucieux de
poursuivre les procédures en se fondant sur
l'exposé conjoint des faits élargi. J'ai donc cher-
ché à rendre ma décision sur ce fondement.
J'en viens maintenant à la demande à l'encon-
tre de la défenderesse, la Creative Graphic Ser
vices. Il semble approprié, à ce stade, de citer
certains passages des articles 52 (ex-article 50)
et 55 de la Loi sur la taxe d'accise. On trouve
ces articles à la Partie VI de la Loi:
52. (1) Toutes taxes ou sommes exigibles sous le régime
de la présente loi sont recouvrables à toute époque, passé
l'échéance de leur reddition de compte et de leur acquitte-
ment et toutes ces taxes et sommes sont recouvrables, et
tous les droits de Sa Majesté s'exercent en vertu des présen-
tes, avec obtention de tous les frais judiciaires, tout comme
une dette envers Sa Majesté ou un droit susceptible d'être
exercé par Sa Majesté, devant la Cour de l'Échiquier du
Canada ou devant tout autre tribunal compétent.
(2) Toute amende encourue pour une infraction à la
présente loi peut être réclamée en justice et recouvrée
(a) devant la Cour de l'Échiquier du Canada ou tout
tribunal compétent; ou
(b) par voie de déclaration sommaire de culpabilité, con-
formément aux dispositions du Code criminel.
(3) Toutes les amendes imposées par la présente loi,
quand ladite loi n'en prescrit aucun autre mode de recouvre-
ment, peuvent être réclamées en justice et recouvrées avec
dépens par le procureur général du Canada, ou, s'il s'agit des
amendes prévues à la Partie I, au nom du ministre des
Finances, et, relativement aux amendes prévues à toute
autre Partie, au nom du ministre du Revenu national.
(4) Tout montant payable à l'égard des taxes, impôts,
intérêts et amendes prévus à la Partie II ou aux Parties III à
VI, restés impayés en totalité ou en partie quinze jours après
la date de la mise à la poste, par courrier recommandé, d'un
avis d'arriérés adressé au transporteur aérien titulaire d'un
permis ou au contribuable, selon le cas, peut être certifié par
le sous-ministre du Revenu national pour les douanes et
l'accise et, sur production à la Cour de l'Échiquier du
Canada ou à un de ses juges ou au fonctionnaire que la Cour
ou le juge de cette Cour peut désigner, le certificat est
enregistré dans ladite Cour et possède, à compter de la date
de cet enregistrement, la même vigueur et le même effet, et
toutes procédures peuvent être intentées sur la foi de ce
certificat, comme s'il était un jugement obtenu dans ladite
Cour pour le recouvrement d'une dette au montant spécifié
dans le certificat, y compris les amendes jusqu'à la date du
paiement prévu à la Partie II ou aux Parties III à VI, et
inscrites à la date de cet enregistrement, et tous les frais et
dépenses raisonnables afférents à l'enregistrement de ce
certificat sont recouvrables de la même manière que s'ils
faisaient partie de ce jugement.
(5) Chaque fois qu'un jugement est obtenu pour des taxes
exigibles sous le régime de la Partie II ou des Parties III à
VI, les dispositions de cette Partie ou ces Parties en vertu
desquelles une amende est imposée pour défaut de paiement
ou de défaut de remise desdites taxes s'appliquent, avec les
modifications que nécessitent les circonstances, au défaut
de paiement de ce jugement, et cette amende peut être
recouvrée de la même manière que la créance constatée par
jugement.
(6) Lorsque le Ministre sait ou soupçonne qu'une per-
sonne est endettée ou sur le point de le devenir envers un
titulaire de licence, il peut, par lettre recommandée, exiger
de cette personne que les fonds autrement payables au
titulaire de licence soient en totalité ou en partie versés au
receveur général à compte de l'obligation du titulaire de
licence en vertu des dispositions de la présente loi.
(7) Le récépissé du Ministre, à ce sujet, constitue une
quittance valable et suffisante de l'obligation, de cette per-
sonne envers le titulaire de licence jusqu'à concurrence du
montant mentionné dans le récépissé.
(8) Tout individu qui acquitte une obligation envers un
titulaire de licence après avoir reçu la lettre recommandée
mentionnée est personnellement responsable envers le rece-
veur général jusqu'à concurrence de l'obligation quittancée
entre lui et le titulaire de licence ou jusqu'à concurrence de
l'obligation du titulaire de licence pour impôt et amendes,
suivant le montant le moins élevé.
55. (1) Quiconque, étant tenu, en vertu ou en conformité
de la présente loi, d'acquitter ou de percevoir des taxes ou
autres sommes, ou d'apposer ou d'oblitérer des timbres,
omet de le faire ainsi qu'il est prescrit, est coupable d'une
infraction et, en sus de toute autre peine ou responsabilité
imposée par la loi pour un tel défaut encourt, sur déclaration
sommaire de culpabilité, une amende
a) d'au moins l'ensemble de vingt-cinq dollars et d'un
montant égal à la taxe ou autre somme qu'il aurait dû
acquitter ou percevoir ou au montant de timbres qu'il
aurait dû apposer ou oblitérer, selon le cas, et
b) d'au plus l'ensemble de mille dollars et d'un montant
égal à la taxe ou autre somme susdite ou au montant de
timbres précité, selon le cas;
et, à défaut de paiement de ladite amende, un emprisonne-
ment d'au moins trente jours et d'au plus douze mois.
(2) Quiconque a enfreint quelque disposition de la pré-
sente loi ou d'un règlement édicté par le Ministre sous le
régime de la présente loi, pour laquelle infraction aucune
autre peine n'est prévue, est passible, sur déclaration som-
maire de culpabilité, d'une amende d'au moins cinquante
dollars et d'au plus mille dollars.
La première prétention de Me Dunn porte que
le ministre du Revenu national est le seul
demandeur approprié ou, subsidiairement, que
le Ministre aurait dû être constitué co-deman-
deur. On s'est plus particulièrement reporté au
paragraphe 52(3). Cet argument est, à mon avis,
sans fondement. Selon moi, Sa Majesté est à
bon droit demanderesse. Le ministre du Revenu
national ne doit pas se porter nécessairement
demandeur. On utilise le mot «peuvent» audit
paragraphe. Le procureur général peut, s'il le
souhaite, engager les poursuites, comme cel-
les-ci, au nom du Ministre. Selon moi, il n'est
pas tenu de le faire.
La seconde prétention porte que la demande-
resse a engagé des poursuites contre Kristensen
et Douglas en vertu de l'article 55; on leur
ordonne de payer le montant total de la taxe dû
à cette époque; en outre, on fixa des amendes;
toutes ces sommes ont été payées; la demande-
resse, ayant choisi ce recours particulier et
ayant de la sorte recouvré les montants en
cause, ne peut maintenant chercher à recouvrer
la même taxe, ou un montant fondé sur elle, au
moyen de la présente procédure civile. Je ne
peux faire droit à cette seconde prétention pour
deux raisons. En premier lieu, rien dans la Loi
n'empêche la demanderesse de recouvrer effec-
tivement plus de deux fois le montant de la taxe,
l'amende et l'intérêt dus, si abusif que ce soit.
On ne m'a cité aucune jurisprudence à l'effet
contraire. En second lieu, rien n'indique dans
l'exposé conjoint des faits que soit Kristensen,
soit Douglas, soit les deux à la fois ont déjà
payé la somme maintenant réclamée ($1,715)
par suite de la décision du juge de la Cour
provinciale, exigeant le paiement de $9,482.22,
représentant le montant de la taxe accumulée
entre le ler juin 1967 et le 30 avril 1969. Je ne
peux déduire que le montant maintenant
réclamé fait partie des $9,482.22. En fait, après
examen de la déclaration et des chiffres qui y
sont donnés, il semble vraisemblable que la
somme actuellement réclamée corresponde à un
complément du montant pour lequel on a engagé
les poursuites. Par conséquent, la demanderesse
est fondée à obtenir jugement contre la Creative
Graphic Services pour la somme de $1,715.
On a soutenu que, si jugement était rendu à
l'encontre de la Creative Graphic Services, il
faudrait inclure une directive portant que le
jugement ne s'appliquait pas à Kristensen. Je ne
peux comprendre pourquoi une telle directive
s'imposerait, mais, de toute façon, je ne peux lui
donner effet, ayant à l'esprit la façon dont cette
action est présentée et l'exposé conjoint des
faits. Au paragraphe 1 de l'exposé conjoint des
faits, la Creative Graphic Services est désignée
comme étant une société formée par Kristensen
et Douglas. Au paragraphe 9, il est convenu
que: [TRADUCTION] «Actuellement la Creative
Graphic Services doit $1,715». Dans l'intitulé
de la cause, la défenderesse est la Creative
Graphic Services et je rends mon jugement à
l'encontre de cette entité. Je n'émets aucune
opinion sur le point de savoir si le présent
jugement peut s'appliquer à Kristensen.
Je n'accorde à la demanderesse aucun mon-
tant en sus de la somme fixée à $1,715, par voie
d'amendes ou d'intérêts supplémentaires. La
demanderesse n'a pas indiqué comment on était
parvenu à la somme en question ni les dates que
l'on avait prises ou que l'on devait prendre en
considération pour le calcul des amendes et de
l'intérêt. La demanderesse demande aussi une
déclaration selon laquelle Kristensen et Douglas
sont associés au sein de la firme Creative
Graphic Services. Selon moi, la demanderesse
n'est pas fondée à obtenir une telle déclaration
dans une procédure de ce genre, vu la façon
dont elle est présentée. La demanderesse n'a
pas choisi de constituer Kristensen et Douglas
défendeurs à titre personnel. Elle a choisi de
poursuivre la firme. Je répète que je n'émets
aucune opinion quant à l'effet en droit sur les
individus d'un jugement contre la firme.
J'en viens maintenant à l'action contre la
compagnie. L'avocat de la Couronne s'appuie
sur les paragraphes 52(6) et (7). Il fait valoir
qu'à la date de la demande, Kristensen était
employé de la compagnie; que du 17 août 1971
jusqu'au l er février 1973, cette dernière lui
devait des montants excédant $50 par semaine;
que pendant cette période, la compagnie paya à
Kristensen des sommes excédant $50 par
semaine; qu'on aurait dû verser ces sommes
excédant $50 par semaine au receveur général
(paragraphe (6)); que la compagnie est redeva-
ble envers le receveur général des sommes ainsi
versées à Kristensen (supérieures à $50 par
semaine ou du montant de l'impôt et des amen-
des dus par le «titulaire de licence», suivant le
montant le moins élevé (paragraphe (8)).
L'avocat de la compagnie souleva plusieurs
points dans sa défense:
Kristensen n'était pas un «titulaire de
licence» au sens du paragraphe (6); la Creative
Graphic Services était le «titulaire de licence»;
il faut interpréter strictement les articles perti-
nents de la Loi. En vertu de l'article 40 de la
Loi, «quiconque» (c'est-à-dire toute personne)
tenu d'acquitter des taxes, doit demander une
licence. En l'espèce, la société Creative Graphic
Services a bien demandé une licence qui fut
délivrée en son nom. Le paragraphe 2(1) de la
Loi donne la définition suivante du mot
«personne».
«personne» comprend toute corporation ou association, syn-
dicat, compagnie fiduciaire ou autre corps, ainsi que les
héritiers, exécuteurs testamentaires et administrateurs des
susdits, de même que les curateurs et ayants droit ou
autres représentants légaux de cette personne selon la loi
de la partie du Canada à laquelle s'étend le contexte;
Je suis d'accord avec le point de vue selon
lequel les dispositions de la Loi conférant ce
droit spécial de recouvrement doivent être inter-
prétées strictement. Le paragraphe 52(6) crée
une forme large de saisie-arrêt. Avant d'émettre
une demande, le Ministre n'est pas tenu de
prouver ni d'établir devant quiconque qu'une
taxe est due par quelqu'un, il n'est pas tenu de
délivrer, d'obtenir ni de déposer quelque part un
certificat de dettes, ni d'obtenir un jugement
contre le titulaire de licence. Si la demande du
Ministre vise à mettre opposition sur le salaire,
le paragraphe semble être assez large pour
englober tout le salaire (tout au moins la partie
due à la date de la demande) sans aucune alloca
tion ou exonération légale qui permettraient, à
toutes fins pratiques, au prétendu débiteur et à
sa famille de survivre financièrement. Ayant à
sa disposition un redressement si extraordinaire,
le Ministre doit se conformer strictement aux
dispositions de la Loi. Je me reporte à l'arrêt
Royal Trust Co. c. Montex Apparel Industries
Ltd. [1972] 3 O.R. 132. Le Ministre aurait
adressé une demande, conformément au para-
graphe 52(10) (antérieurement paragraphe
50(10)), à un receveur nommé par la Cour dans
le cadre d'une procédure de saisie. Les faits de
l'espèce sont, comme d'habitude, différents des
faits qui me sont soumis. Le passage suivant tiré
d'un jugement de la Cour d'appel de l'Ontario
est, me semble-t-il, d'un certain secours sur la
question de l'observation stricte de la Loi (pages
136 et 137):
[TRADUCTION] Nous concluons donc que le Ministre n'a
pas placé le receveur dans le cadre de la définition de
«personne» donnée par la Loi et que, par conséquent, le
receveur n'est pas cessionnaire d'une dette active. Ainsi,
toute demande adressée au receveur, en tant que cession-
naire, a, selon nous, aucun effet en droit. Cette conclusion
suffit à trancher l'appel interjeté par le fiduciaire, mais en
plus de ce motif nous nous fondons également sur les faits
relatifs à la signification de la demande. Les articles perti-
nents de la Loi sur la taxe d'accise confèrent au Ministre un
droit propre; c'est-à-dire que, si le Ministre se conforme aux
dispositions légales en émettant et en signifiant la demande
prévue par ces dispositions et si la personne à qui cette
demande est adressée est cessionnaire d'une dette active,
comme le prévoit la Loi, alors, et dans ce seul cas, le
Ministre se voit conférer par la Loi le droit spécial de
pouvoir percevoir la dette de son débiteur d'une tierce
personne, soit le cessionnaire de la dette active du débiteur.
Bien sûr, il apparaît très clairement que faisant pendant au
droit ainsi conféré au Ministre, il incombe au cessionnaire
d'effectuer le paiement au Ministre. En outre, c'est un lieu
commun, me semble-t-il, de faire remarquer que, lorsqu'on
accorde ou tente d'accorder un tel droit au Ministre, ce
dernier est tenu d'observer strictement les conditions préala-
bles dont dépend ce droit spécial qui lui est accordé. Il
ressort clairement de la formulation de l'avis adoptée par le
Ministre et effectivement signifiée dans l'affaire en instance
qu'il s'agit d'un avis s'adressant au cessionnaire en personne
et à personne d'autre et, naturellement, il s'agit du seul genre
d'avis prévu à l'article 50(9) et (10) de la Loi. En l'espèce,
cet avis ne fut pas adressé à J. S. Whitehead, le receveur,
mais à McDonald, Currie et Cie., comptables agréés, au bon
soin de: J. S. Whiteside. Bien que le receveur soit effective-
ment associé du cabinet de comptables agréés susnommé, la
demande n'était pas adressée à lui ni dans son libellé, à son
attention. Pour ce motif également, nous ne pouvons faire
droit à la demande de privilège du Ministre.
Selon moi, une «personne» qui demande et
reçoit une licence peut être une firme, par oppo
sition aux individus qui constituent la société.
Dans mon esprit, la Creative Graphic Services
rentre dans le cadre des mots «... corporation
ou association, syndicat, compagnie fiduciaire
ou autre encore ...» tels qu'ils figurent dans la
description de «personne» au paragraphe 2(1).
Le Ministre a choisi d'accorder une licence à
cette personne en particulier, la Creative Graph
ic Services (voir le paragraphe 40(2)). Selon
moi, elle seule devint titulaire de licence, au
sens du paragraphe 52(6) et non Kristensen ou
Douglas, ou les trois à la fois. A aucun moment,
la compagnie n'a été endettée envers le co-
défendeur, le titulaire de licence. La demande
est, par conséquent, sans effet.
Il me semble aussi qu'on pourrait annuler la
demande pour imprécision vu sa façon de
décrire le prétendu titulaire de licence. En voici
un extrait: «... vous êtes endettée, ou sur le
point de le devenir envers la Creative Graphic
Services et/ou Carl Kristensen ... ci-dessous
appelé le titulaire de licence». A mon avis, le
tiers-saisi (ce mot n'est pas utilisé dans la Loi,
mais il est commode pour décrire la personne à
qui on adresse une demande) ne sait pas exacte-
ment envers qui il est prétendument endetté. Je
ne suis pas convaincu que la malencontreuse
combinaison de «et/ou» puisse avoir un sens
précis, ni qu'elle témoigne d'une stricte observa
tion des dispositions de la Loi. Je n'exprime
aucune opinion définitive.
Le point suivant soulevé par la défense est
subsidiaire au premier: si Kristensen était titu-
laire de licence, alors la compagnie était endet-
tée envers lui à compter du 17 août 1971 à
l'égard de la rémunération due à cette date
seulement; la demande exigeait le paiement de
$50 sur ce montant; la demande ne peut englo-
ber les dettes à venir; l'obligation de la compa-
gnie se trouve par conséquent limitée à $50.
Cette prétention se fonde sur le fait que la
demande ne pouvait pas, compte tenu des faits
de l'espèce, exiger le versement du salaire de
Kristensen au receveur général, ni de la partie
spécifiée de ce salaire, à compter du 17 août
1971 et pour l'avenir jusqu'au remboursement
total de la somme revendiquée.
Je souscris à ce point de vue. Il doit exister,
selon moi, des mots précis dans la Loi habilitant
le Ministre à affectuer une saisie-arrêt du genre
de celle que veut faire la demanderesse. Je n'ai
pas trouvé de mots aussi précis. En vertu du
paragraphe (6), le Ministre est fondé à deman-
der «... les fonds autrement payables ...» à
une personne qui est endettée ou sur le point de
le devenir envers un titulaire de licence. L'inter-
prétation invoquée au nom de la demanderesse
me semble largement méconnaître les mots «les
fonds autrement payables». Selon moi, les mots
«est endettée ou sur le point de le devenir» ne
constituent pas la formule unique ou détermi-
nante lorsqu'on s'efforce de préciser sur quels
fonds le Ministre peut effectuer une saisie-arrêt.
Les mots «est endettée ou sur le point de le
devenir» ont une autre fonction. Avant que le
Ministre puisse émettre une demande, il doit
connaître ou soupçonner l'existence de la dette
ou de ce que j'appellerais une dette imminente.
Les mots cités fournissent ainsi, tout au moins
dans un certain contexte, une indication sur le
moment où l'on peut émettre la demande et sur
les motifs pour le faire. Les fonds que l'on
cherche à saisir doivent provenir d'une dette
déjà existante ou d'une dette imminente 2 , mais,
en même temps, selon moi, ils doivent être
«payables» à la date de la demande. On m'a
mentionné les arrêts La Banque de Montréal c.
Union Gas Company of Canada Ltd. [1969]
C.T.C. 686 et Re La Banque royale du Canada
et Le procureur général du Canada [1970]
C.T.C. 440. Ces deux décisions ont examiné le
paragraphe 120(1) de l'ancienne Loi de l'impôt
sur le revenu, qui est semblable au paragraphe
52(6) de la Loi sur la taxe d'accise, mais les
faits en cause et les problèmes étaient tout à fait
différents de la présente affaire. Toutefois, il
semble ressortir des décisions qu'une demande
en vertu du paragraphe 120(1) de la Loi de
l'impôt sur le revenu crée un privilège [TRADUC-
TION] «... non sur les deniers dus ou à échoir
comme dans le cas d'une ordonnance de saisie-
arrêt ou d'opposition, mais sur les «deniers
autrement payables» au moment de la significa
tion de la demande'».
En l'espèce, les sommes exigibles à la date de
la demande étaient toutes sommes payables à ce
moment-là à titre de rémunération. Il ressort
indubitablement de l'exposé conjoint des faits
que les gains de Kristensen étaient calculés et
payés sur une base hebdomadaire. Si la
demande avait un effet quelconque, j'aurais
décidé que le montant que la compagnie était
tenue de payer, correspondait au montant dû à
z Comparez avec l'article 224 de la Loi de l'impôt sur le
revenu, 1972 (antérieurement article 120). Les mots utilisés
au paragraphe (1) sont «... une personne est endettée ..
ou sur le point de le devenir, ou est astreinte à faire un
paiement ...» (le soulignement est de moi). Les «deniers
autrement payables» au sens de l'article 224 peuvent, me
semble-t-il, provenir de quelque chose d'autre que d'une
dette existante ou une dette imminente.
Voir page 691 de l'arrêt Union Gas (précité).
la date de la demande. En l'espèce, le Ministre
dans sa demande semble s'être limité à $50. Les
notes que j'ai prises lors des plaidoiries indi-
quent que l'avocat de la compagnie a suggéré à
titre subsidiaire un montant fixé à $312. Je
suppose que ce chiffre représente les gains heb-
domadaires de Kristensen à cette époque, mais
rien dans l'exposé conjoint des faits, ni dans la
partie transcrite des plaidoiries portant accord
des parties sur des faits complémentaires, ne me
permet d'utiliser le chiffre de $312.
La demande, telle que je la conçois, est sans
effet ou invalide pour d'autres raisons que l'avo-
cat n'a pas soulevées. Aux termes de la
demande, la compagnie est tenue de payer [TRA-
DUCTION] «. . . un montant suffisant pour libé-
rer le titulaire de licence de l'obligation .. .
($4,210.51 pour les taxes de vente fédérales et
l'intérêt accumulé à titre d'amende) ... ou le
montant dont vous êtes endettée ou pouvez
devenir endettée, suivant le montant le moins
élevé». Selon moi, la demande doit être con-
forme aux termes de la Loi. Elle ne l'est pas. Le
montant «dont vous pouvez devenir endettée»
n'a pas la même signification que le montant par
lequel vous êtes endettée «ou sur le point de le
devenir» 4 .
En outre, le paragraphe en cause dispose que
le Ministre peut exiger que les fonds autrement
payables soient versés en tout ou en partie au
receveur général. Dans la demande présente, il
est indiqué: [TRADUCTION] «[Le Ministre]
estime satisfaisant un paiement au rythme de
$50 par semaine pris sur le salaire, le revenu ou
autres sommes perçues ...». Selon moi, le
Ministre doit indiquer précisément quelles par
ties des fonds payables, s'il en est, sont effecti-
' vement exonérées. Dans la demande en cause,
le montant que doit payer la compagnie est
laissé à sa discrétion, pourvu qu'un montant
minimum de $50 soit acquitté. A mon sens, il ne
s'agit pas d'une stricte observation des disposi
tions de la Loi.
Je tiens à ajouter cette remarque finale.
Même si j'avais pu rejeter tous les arguments
invoqués au nom de la compagnie et décider que
4 Voici un extrait de la version française du paragraphe
52(6): «ou sur le point de le devenir».
la demande permettait effectivement de saisir
les gains futurs payables à Kristensen, il y aurait
eu encore une carence dans les faits propres à
fonder le jugement recherché. Le paragraphe
52(8) dispose que la compagnie est responsable
envers le receveur général jusqu'à concurrence
des sommes payées par la compagnie à Kristen -
sen qui auraient dû l'être au receveur général,
ou jusqu'à concurrence de l'obligation du titu-
laire de licence pour impôts et amendes, suivant
le montant le moins élevé. Je ne peux détermi-
ner à partir des faits soumis quel est le montant
le moins élevé. Je sais simplement que la com-
pagnie versait à Kristensen plus de $50 par
semaine pendant une période de deux ans et
cinq ou six mois à compter de la date de la
demande. Pour autant que je sache, l'excédent
pouvait simplement se chiffrer à $1 par
semaine. Compte tenu des faits de l'espèce, je
ne peux déterminer quel est le montant le moins
élevé.
En conséquence, par le présent jugement, la
Creative Graphic Services est tenue de payer à
la demanderesse la somme de $1,715 et les
dépens afférents à cette partie de l'action. L'ac-
tion contre la défenderesse Craft Graphic Ser
vices Ltd. est rejetée. Cette dernière est fondée
à recouvrer ses dépens de la demanderesse.
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