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A-261-74
Dame Béatrice Kreis (Dallenbach) (Requérante) c.
Le ministre de la Main-d'oeuvre et de l'Immigra- tion (Intime')
Cour d'appel, le juge en chef Jackett, les juges suppléants Hyde et St-Germain—Montréal, les 9 et 10 octobre 1974.
Examen judiciaire—Immigration—Admission au Canada à titre de visiteur—Implication dans des crimes perpétrés en Suisse par son mari—Y a-t-il eu contrainte—Ordonnance d'expulsion confirmée—Loi sur l'immigration, S.R.C. 1970, c. I-2, art. 5d), 18(1)e)(iv) et (2), 25—Code criminel, S.R.C. 1970, c. C-34, art. 17—Loi sur la Cour fédérale, art. 28.
La requérante a été autorisée à entrer au Canada à titre de visiteur et a reconnu par la suite, au cours d'une enquête spéciale, être au courant des nombreux vols pour lesquels son mari a été emprisonné en Suisse. Pour justifier d'avoir conduit son mari et son complice sur les lieux de leurs crimes, elle a déclaré avoir agi sous l'effet de la contrainte en la forme de menaces proférées par son mari qui la battait également. Elle a reconnu être restée toute seule dans l'auto sans chercher la protection de la police. Une ordonnance d'expulsion a été prononcée contre la requérante considérée relevée de la catégorie de personnes interdite au motif qu'elle était coupable d'un crime impliquant turpitude morale aux termes de l'article 5d) de la Loi sur l'immigra- tion. En présentant une demande conformément à l'article 28, elle cherche à obtenir un examen de l'ordonnance.
Arrêt: la demande est rejetée car le vol constitue un crime impliquant turpitude morale. La contrainte invoquée par la défense, en vertu de l'article 17 du Code criminel n'est admissible que s'il existait des menaces de mort ou de lésion corporelle grave «immédiates». Une fois ce critère appliqué aux faits admis par la requérante, il était clair que sa défense était irrecevable.
Arrêts suivis: R. c. Brooks (1960) 24 D.L.R. (2e) 567; confirmé par 25 D.L.R. (2e) 779 et R. c. Carker [1967] R.C.S. 114.
DEMANDE d'examen judiciaire. AVOCATS:
Vizkelety, c.r., pour la requérante. George Léger pour l'intimé.
PROCUREURS:
B. Vizkelety, c.r., Montréal, pour la requérante.
Le sous-procureur général du Canada pour l'intimé.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement prononcés oralement par
LE JUGE SUPPLÉANT HYDE: En vertu de l'ar- ticle 28 de la Loi sur la Cour fédérale, il est demandé par les présentes l'examen et l'annula- tion d'une ordonnance d'expulsion rendue, le 4 septembre 1974, à l'encontre de la requérante, par un enquêteur spécial aux motifs suivants:
1) vous n'êtes pas une citoyenne canadienne;
2) vous n'êtes pas une personne ayant acquis le domicile canadien;
3) vous êtes une personne décrite au sous-alinéa 18(1)e)(iv) de la Loi sur l'Immigration en ce que vous étiez membre d'une catégorie interdite lors de votre admission au Canada à savoir le paragraphe 5d) de la Loi sur l'Immigration en ce que vous admettez avoir commis un crime impliquant turpi tude morale et votre admission au Canada n'a pas été autorisée par le Gouverneur en Conseil;
4) vous êtes sujet à expulsion en vertu du paragraphe 18(2) de la Loi sur l'Immigration.
La requérante, citoyenne suisse, est âgée de 22 ans, mariée et sans enfants; elle a intenté une procédure de divorce dans ce pays contre son mari, citoyen suisse lui aussi et actuellement en prison à Zurich. Elle est arrivée au Canada le 30 avril 1974 et a été admise à Dorval comme visiteur pour une période de 2 mois. Par la suite, elle a demandé et obtenu un permis de travail et son visa de touriste a été prorogé jusqu'au 29 avril 1975.
Suite au rapport, daté du 16 août 1974, établi par un fonctionnaire à l'immigration en vertu de l'article 18(1)e)(iv) de la Loi sur l'immigration, une ordonnance a été délivrée, en vertu de l'article 25 de ladite loi, exigeant la tenue d'une enquête aux termes de l'article 5d) qui s'appli- que à toute «personne qui admet avoir commis un crime impliquant turpitude morale» et dont l'admission au Canada n'a pas été autorisée par le gouverneur en conseil.
En conséquence, une enquête eut lieu à Mont- réal, le 4 septembre 1974, au cours de laquelle la requérante confirma ce qu'elle avait déclaré au fonctionnaire de l'immigration pendant l'en- trevue du 22 juillet 1974, autrement dit, qu'elle savait que son mari avait commis un grand nombre de vols. Bien qu'elle n'ait donné des détails que sur un seul des vols en question en précisant que son mari et un complice avaient pénétré par effraction dans un magasin et en
étaient ressortis avec un coffre, elle a déclaré qu'à cette occasion et à 10 à 15 autres, elle les avait conduits sur les lieux en connaissant leurs intentions.
En l'espèce, la requérante, aux termes du droit canadien, aucun autre droit n'ayant été invoqué, a admis la perpétration d'un crime et je peux déclarer sans hésitation que cela impliquait la «turpitude morale».'
Toutefois, l'avocat de la requérante fait valoir que les faits rapportés par sa cliente ne peuvent être assimilés à un crime car ils s'étaient pro- duits sur l'effet de la contrainte. Elle a expliqué à plusieurs reprises en quoi consistait cette con- trainte, aussi bien à l'enquêteur spécial qu'au fonctionnaire à l'immigration. Ce point essentiel ressort de l'interrogatoire suivant au cours de l'enquête spéciale:
Q. Sachant ce que faisait votre mari et bien qu'il vous battait pour vous forcer à l'accompagner, lorsque vous attendiez dans l'auto pourquoi attendiez-vous? Pour- quoi n'avez-vous pas été à la police?
R. Parce que j'avais peur de mon mari, mon mari m'avait menacée que si j'irais à la police il me tuerait.
Elle ressort également de l'entrevue sous ser- ment avec le fonctionnaire à l'immigration:
[TRADUCTION] Q. 37. Vous avez mentionné qu'on vous forçait, de quelle façon?
R. 37. Par contrainte physique, il me battait si je ne voulais pas l'aider.
Q. 38. Est-ce qu'il vous a réellement battue ou est-ce qu'il vous a menacée?
R. 38. II me battait très souvent.
Q. 39. Pouvez-vous m'expliquer pourquoi lorsque vous vous trouviez toute seule dans l'auto au moment votre mari et son complice commettaient un vol, pour- quoi n'êtes-vous pas partie pour aller à la police?
R. 39. Si j'avais fait cela; je pense que ça n'aurait servi à rien, à mon avis c'est ridicule. Cela n'aurait rien changé, il m'aurait rattrapée.
Q. 40. Vous venez de dire que votre mari vous battait et menaçait de vous battre si vous ne fermiez pas les yeux sur les vols qu'il commettait et vous dites aussi que vous n'avez jamais pensé aller à la police, laisser votre mari et son complice commettre le vol et deman- der de la protection?
R. 40. J'avais bien trop peur pour le faire.
' (Voir l'arrêt R. c. Brooks (1960) 24 D.L.R.(2') 567; confirmé par la Cour d'appel du Manitoba (1961) 25 D.L.R.(2e) 779).
La «contrainte» est envisagée comme suit dans l'article 17 du Code criminel:
17. Une personne qui commet une infraction, sous l'effet de la contrainte exercée par des menaces de mort immédiate ou de lésion corporelle grave de la part d'une personne présente lorsque l'infraction est commise, est excusée d'avoir commis l'infraction si elle croit que les menaces seront mises à exécution et si elle n'est partie à aucun complot ou aucune association par laquelle elle est soumise à la contrainte; mais le présent article ne s'applique pas si l'infraction commise est la trahison, le meurtre, la piraterie, la tentative de meurtre, l'aide à l'accomplissement d'un viol, le rapt, le vol qualifié, l'infliction de blessures corporelles ou le crime d'incendie.
La cour suprême du Canada a examiné cet article dans l'affaire R. c. Carker [1967] R.C.S. 114 dans laquelle le juge Ritchie, parlant au nom de la Cour la page 118), a déclaré que tandis que, dans cette affaire, la preuve:
[TRADUCTION] ... a révélé que l'intimé avait commis une infraction sous l'effet de la contrainte exercée par des menaces de mort ou de lésion corporelle grave, mais que, quoique ces menaces fussent «immédiates» dans la mesure elles furent continues jusqu'au moment de la perpétration de l'infraction, il ne s'agissait pas de menaces de «mort immédiate» ou de «lésion corporelle grave immédiate» et aucune des personnes qui les ont proférées n'était présente dans la cellule aux côtés de l'intimé lorsque l'infraction a été commise.2
En appliquant ce critère aux faits relatés par la requérante elle-même, il est clair qu'elle ne peut se prévaloir de la contrainte comme excuse.
Par conséquent, je rejette cette demande.
* *
LE JUGE EN CHEF JACKETT y a souscrit.
* * *
LE JUGE SUPPLÉANT ST-GERMAIN y a souscrit.
2 (Remarque: cette décision a été suivie récemment par la Cour d'appel du Québec dans un jugement non encore publié Vaillancourt c. R., n" du greffe A. 5214, prononcé le 4 juillet 1974.)
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