T-632-73
Charles A. Specht (Demandeur)
c.
La Reine (Défenderesse)
Division de première instance, le juge Collier—
Vancouver, les 30 janvier et 25 février 1975.
Impôt sur le revenu—Citoyen américain—Président d'une
compagnie canadienne—Accepte de démissionner--Reçoit de
la compagnie des versements annuels pendant cinq ans—
Retourne aux États-Unis et y accepte un emploi—Demeure
membre du conseil d'administration de la compagnie cana-
dienne—Est-il imposable sur les versements annuels à titre de
non-résident?—Loi de l'impôt sur le revenu, art. 31 et 31A; Loi
de 1943 sur la Convention relative à l'impôt entre le Canada et
les États-Unis d'Amérique, S.C. 1943-44, c. 21, art. 2 et Ann.
(Convention) art. VIA et (Protocole) art. 7.
Le demandeur, citoyen américain, était président d'une
grande compagnie canadienne de 1963 1968, en vertu d'un
contrat de travail prévoyant un salaire annuel de $120,000 et
une pension de retraite. En 1968, on lui demanda d'abandonner
le poste de président pour un autre poste au sein de la compa-
gnie, au même salaire, ce qu'il refusa. Après quoi, les parties
aboutirent à un accord en vertu duquel le demandeur devait
démissionner comme employé à temps plein, demeurer membre
du conseil d'administration pour le moment et recevoir $40,000
par an pendant cinq ans, qu'il ait ou non trouvé un emploi
ailleurs. Après sa démission du poste de président, il retourna
aux États-Unis où il devint président d'une compagnie. Il
démissionna comme membre du conseil d'administration de la
compagnie canadienne en 1972. Il fit figurer la somme de
$40,000, qu'il avait reçue en 1969, dans sa déclaration d'impôt
aux États-Unis et en fit de même au Canada, mais en faisant
des réserves. La Commission de révision de l'impôt ayant
confirmé la cotisation établie par le Ministre pour cette somme,
le demandeur interjeta appel.
Arrêt: l'appel est accueilli; la cotisation se fondait sur l'article
31A de la Loi de l'impôt sur le revenu et particulièrement sur
l'alinéa d), visant le paiement fait à un contribuable à la suite
de sa retraite à l'égard de perte de charge ou d'emploi. Cepen-
dant le demandeur n'a pas quitté ses fonctions au sein de la
compagnie canadienne, ni de ses occupations d'administrateur
de compagnie et pris sa «retraite». Le contrat de travail avait
des clauses visant sa «retraite» au sens de l'abandon de son
travail à l'âge convenu ou plus généralement de sa profession
d'administrateur de compagnie. En vertu du contrat postérieur,
le demandeur devait démissionner de son poste. Les versements
convenus n'ont pas été effectués à l'égard de «perte de charge
ou d'emploi». Les parties avaient fait une transaction aux
termes de laquelle elles ont réduit à une période de cinq ans et
au montant convenu, les prestations ou droits de pension qui
autrement auraient été payables à vie en vertu du contrat de
travail. La cotisation, ne relevant pas de l'article 31A, doit être
annulée. Le résultat serait le même en vertu de la Convention
relative à l'impôt entre le Canada et les États-Unis. Si le
demandeur était resté au sein de la compagnie canadienne
jusqu'à sa retraite à 65 ans, tous les versements qui lui auraient
été faits en vertu du contrat de travail auraient constitué «une
pension» au sens de l'article VI A de la Convention, et aussi un
paiement au sens de l'article 31Ac)(i) de la Loi de l'impôt sur
le revenu. Au lieu d'avoir droit à des paiements sa vie durant, le
demandeur a consenti à accepter des versements périodiques
d'un montant inférieur et pour une plus courte durée.
Arrêt appliqué: Curran c. M.R.N. [1959] R.C.S. 850.
Distinction établie avec l'arrêt Jackson c. M.R.N. [1951]
R.C.E. 52.
APPEL en matière d'impôt sur le revenu.
AVOCATS:
J. Barbeau et G. Sutherland pour le
demandeur.
T. E. Jackson, c.r., pour la défenderesse.
PROCUREURS:
Barbeau, McKercher, Collingwood & Hanna,
Vancouver, pour le demandeur.
Le sous-procureur général du Canada pour la
défenderesse.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE COLLIER: Le ministre du Revenu
national a cotisé l'impôt sur le revenu du deman-
deur pour l'année 1969 sur le montant total de
$40,000 que ce dernier, un non-résident, a reçu
pour ladite année d'une compagnie canadienne. Le
demandeur soutient que les sommes reçues consti-
tuaient une «pension» au sens de l'article VI A de
la convention relative à l'impôt entre le Canada et
les États-Unis d'Amérique, et qu'à ce titre elles
étaient exonérées d'impôt au Canada. La Commis
sion de révision de l'impôt a confirmé la cotisation
du Ministre; d'où cet appel.
Le demandeur est conseiller et administrateur
commercial. Il est né le 30 juillet 1914. Il est et a
toujours été citoyen américain. Avant septembre
1963, il avait été président et administrateur délé-
gué d'une grande compagnie américaine. Le 5
septembre 1963, il est devenu président et direc-
teur d'exploitation chez MacMillan, Bloedel and
Powell River Limited («MacMillan Bloedel»), une
grande compagnie canadienne très connue. Il signa
un contrat de travail. Les clauses liminaires de ce
contrat précisent que le demandeur est président;
que [TRADUCTION] «la compagnie désire que M.
Specht continue à exercer ses fonctions au poste de
président ou à tout autre poste qui pourra lui être
confié dans l'intérêt de la compagnie»; que le
demandeur consent à prendre sa retraite à 65 ans,
qu'il ne quittera pas ses fonctions sans le consente-
ment du conseil d'administration et, quand il les
aura quittées, n'exercera pas une activité commer-
ciale ni ne prendra un emploi sans l'accord et
l'approbation de la MacMillan Bloedel.
Les stipulations de chacune des parties ne men-
tionnent pas la fonction précise ou le poste que le
demandeur occupait ou devait occuper. D'une
manière générale, on avait utilisé le terme
«emploi». Le salaire n'était pas précisé.
Je résume les principales stipulations.
1. Le demandeur consentait à prendre sa retraite à
65 ans. On pouvait d'un commun accord convenir
d'un âge plus avancé.
2. Si le demandeur cessait ses fonctions
a) sur sa propre initiative et avec le consente-
ment du conseil d'administration, ou
b) sur l'initiative de la MacMillan Bloedel (sauf
renvoi pour motif valable ou en vertu de la
clause de retraite) ou
c) pour prendre sa retraite à 65 ans ou plus tard,
la compagnie devait alors lui verser à vie une
somme mensuelle. La méthode de calcul de cette
somme était prévue. Elle représentait, en simpli-
fiant, le tiers de la moyenne de ses gains durant
certaines périodes déterminées. Si le demandeur
venait à décéder pendant qu'il recevait ces paie-
ments, sa veuve, tant qu'elle ne se remarierait
pas, devait recevoir, sa vie durant, la moitié de
la somme mensuelle.
3. Après la cessation de ses fonctions, le deman-
deur ne devait se livrer ni participer à aucune
activité [TRADUCTION] «préjudiciable aux inté-
rêts» de la MacMillan Bloedel; il consentait à
demeurer disponible pour donner son opinion et
des conseils sur les affaires de la compagnie.
4. Le demandeur consentait, après la cessation de
ses fonctions, et [TRADUCTION] «tant qu'il aurait
droit à un avantage quelconque en vertu du pré-
sent contrat» à ne se livrer à aucune activité com-
merciale ni à prendre un emploi sans l'accord de la
compagnie. La compagnie ne devait refuser cet
accord sans raison valable. Cette clause ne devait
pas s'appliquer si le demandeur renonçait aux
droits que le contrat conférait à lui et à sa veuve.
5. Si le demandeur venait à mourir pendant qu'il
était au service de la compagnie, on devait payer à
sa veuve, tant qu'elle ne se remariait pas, certaines
sommes sa vie durant.
6. Si le demandeur contrevenait à une clause du
contrat et ne donnait aucune suite à l'avis lui
demandant de s'y conformer, le contrat serait rési-
lié et [TRADUCTION] «la compagnie ne sera nulle-
ment obligée d'effectuer les versements prévus» au
demandeur ou à sa veuve.
Le demandeur a occupé le poste de président
jusqu'au 30 avril 1968. Il était administrateur et
membre du comité directeur du Conseil d'adminis-
tration. Il recevait un salaire de $120,000 l'an. La
MacMillan Bloedel avait divers plans ou fonds de
pension dont bénéficiaient plusieurs employés. Le
demandeur ne bénéficiait d'aucun de ces plans ou
fonds auxquels il ne participait pas. Au printemps
1968, on lui demanda d'abandonner la fonction de
président pour devenir directeur des services finan
ciers. Il refusa d'accepter ce poste. Il considérait
qu'il s'agissait d'une espèce de rétrogradation dont
l'acceptation entacherait sa carrière commerciale.
Quand il est entré chez MacMillan Bloedel, il
espérait devenir administrateur délégué quand le
titulaire du poste prendrait sa retraite. Il est arrivé,
entre autres choses, que l'administrateur délégué
n'a pas pris sa retraite au moment prévu. Le
demandeur devait garder le même salaire comme
directeur des services financiers.
A la suite du désaccord et de l'impasse qui en
résultait, le demandeur et la MacMillan Bloedel
sont parvenus à l'arrangement suivant le 29 avril
1968 (pièce 2):
[TRADUCTION] Vous [le demandeur] vous vous engagez à:
a) Démissionner comme employé à plein temps de la compa-
gnie à partir du 30 avril. Vous aurez ainsi la liberté d'action
qui vous est nécessaire pour prendre d'autres dispositions.
b) Demeurer membre du conseil d'administration et du
comité directeur jusqu'à décision contraire de votre part ou
de la part de la compagnie. Vos dépenses seront remboursées
mais vous ne recevrez aucun traitement ou salaire pour
lesdits services en raison du fait que vous recevrez $40,000
par an pendant cinq ans comme prévu ci-après. Cependant la
réception de cette somme ne vous oblige pas à demeurer au
conseil d'administration ou au comité directeur.
c) Me remettre une lettre, non datée, de démission du
conseil d'administration et du comité directeur.
La compagnie s'engage à:
a) Vous payer aux dates habituelles votre salaire actuel
jusqu'à la fin du mois d'août 1968, que vous trouviez un
autre emploi ou non.
b) Vous payer à partir du 1" septembre 1968 la somme de
$40,000 par an, par quinzaine comme d'habitude, pendant
les cinq années se terminant le 31 août 1973, soit un total de
$200,000. Ces sommes vous seront payées, que vous accep-
tiez un emploi ailleurs ou pas. En cas de décès au cours de
cette période de cinq ans, tout solde encore impayé sur les
$200,000 sera versé à votre succession. Si vous démissionnez
du conseil d'administration ou du comité directeur, la compa-
gnie vous paiera à ce moment le solde impayé sur les
$200,000 par versements échelonnés fixés d'un commun
accord. Il va sans dire que vous vous abstiendrez scrupuleuse-
ment à tout moment de révéler les renseignements confiden-
tiels que vous possédez maintenant en tant que président de
cette compagnie.
c) Vous rémunérer selon des modalités à établir entre nous,
pour tous services spéciaux qu'on pourra vous demander de
rendre et dont vous voudrez vous charger sous forme de
consultation ou autrement.
En septembre 1968 on modifia légèrement, d'un
commun accord, la clause b) des engagements de
la compagnie (pièce 3). Les paiements de $40,000
devaient commencer le ler janvier 1969 pour se
terminer le 31 décembre 1973. Des versements
trimestriels de $10,000 devaient être faits.
Le demandeur a témoigné que, bien que la
somme de $200,000 ait été choisie arbitrairement,
elle représentait un règlement de [TRADUCTION]
«mes droits de pension». Mathématiquement au
moins, les versements annuels échelonnés sur cinq
ans représentaient le tiers du salaire qu'il recevait
avant sa démission ou la cessation de ses services.
En juillet 1968, le demandeur a établi sa rési-
dence aux États-Unis et il y réside depuis. Il a
vendu sa maison de Vancouver en septembre 1968.
Il est devenu président et administrateur délégué
d'une compagnie américaine après sa démission,
comme indiqué à la pièce 2. Il est demeuré admi-
nistrateur de la MacMillan Bloedel et membre du
comité directeur du conseil d'administration, assis
tant régulièrement aux réunions chaque année jus-
qu'en 1972. Cette année-là, à cause d'un conflit
d'intérêt, il n'a pas demandé sa réélection en qua-
lité d'administrateur.
En 1969, conformément aux pièces 2 et 3, il a
reçu la somme de $40,000 aux États-Unis. Il a fait
figurer cette somme dans sa déclaration aux servi
ces américains d'impôt sur le revenu. On lui a
demandé de faire une déclaration au Canada au
sujet des $40,000 qu'il avait perçus. Il l'a fait à
contrecoeur et sous réserve. Il en est résulté la
cotisation qui fait l'objet de l'appel.
La défense a soutenu subsidiairement que les
$40,000 ont été versés au demandeur en 1969 en
raison de ses fonctions d'administrateur de la Mac-
Millan Bloedel et de membre du comité directeur,
ou pour ses services en tant que tels, et étaient
donc déjà imposables pour ces motifs. Au cours
des débats, cette position a été abandonnée, à juste
titre je le crois bien. Les sommes reçues n'avaient,
d'après les preuves, absolument rien à voir avec les
fonctions du demandeur en qualité d'administra-
teur ou avec les services qu'il a pu rendre en
qualité d'administrateur ou de membre du comité
directeur.
La défenderesse soutient principalement que le
paiement était soumis à l'article 31A de la Loi de
l'impôt sur le revenu', et particulièrement à l'ali-
néa d). Le demandeur ne partage pas ce point de
vue et déclare qu'en tous cas l'exonération prévue
à l'article VI A de la Convention s'applique. La
défenderesse réplique que le paiement, quel qu'en
soit la nature, n'était pas une «pension» au sens de
l'article de la Convention et de l'article 7 du
Protocole.
Je vais citer les extraits pertinents des articles
31, 31A, de la Convention, du Protocole et de la
Loi de 1943 sur la Convention relative â l'impôt
entre le Canada et les États-Unis d'Amérique.
31. (1) Pour l'application de la présente loi, le revenu impo-
sable d'une personne non résidante gagné au Canada pour une
année d'imposition est
a) son revenu pour l'année provenant de toutes les fonctions
qu'elle a accomplies au Canada et toutes les entreprises
qu'elle y a exercées,
31A. Lorsque, dans une année d'imposition, un paiement est
effectué par une personne résidant au Canada à un particulier
qui n'est pas un résident du Canada et qui, durant les cinq
années immédiatement précédant l'année dans laquelle est
effectué le paiement
a) résidait au Canada, ou
b) était employé au Canada
pour une ou des périodes formant un total d'au moins trente-six
mois, si le paiement est
c) un paiement
(i) fait sur un fonds ou plan de pension de retraite, ou
conformément à un fonds ou plan,
' S.R.C. 1952, c. 148 et ses modifications.
(ii) fait à la retraite d'un employé en reconnaissance de
longs services et non fait sur un fonds ou plan de pension
de retraite ou en vertu d'un tel fonds ou plan,
(iii) fait en conformité d'un plan de participation des
employés aux bénéfices, en acquittement de tous les droits
du bénéficiaire dans le plan ou en vertu de celui-ci, dans la
mesure où le montant en serait autrement inclus dans le
calcul du revenu du bénéficiaire pour l'année dans laquelle
le paiement a été reçu, si le bénéficiaire avait résidé au
Canada pendant la totalité de l'année d'imposition dans
laquelle le paiement a été reçu, ou
(iv) en conformité d'un plan différé de participation aux
bénéfices à l'occasion du décès, du retrait ou de la retraite
d'un employé ou ancien employé, dans la mesure où le
montant en serait autrement inclus dans le calcul du
revenu du bénéficiaire pour l'année dans laquelle le paie-
ment a été reçu, si le bénéficiaire avait résidé au Canada
pendant la totalité de l'année d'imposition dans laquelle le
paiement a été reçu, ou
d) un paiement fait par un employeur à un employé ou
ancien employé, à l'occasion ou à la suite de la retraite à
l'égard de perte de charge ou d'emploi,
le paiement est censé être le revenu du bénéficiaire, pour
l'année dans laquelle il a été reçu, provenant de fonctions
réputées avoir été exercées par lui au Canada, à moins qu'il ne
puisse être établi, par des événements subséquents ou d'autre
façon, que le paiement a été effectué comme partie d'une série
de paiements annuels ou d'autres paiements périodiques devant
être effectués au bénéficiaire sa vie durant.
ARTICLE VI A.
Les pensions (y compris les pensions de l'État) et les rentes
viagères que retire de sources situées dans l'un des États
contractants tout résident de l'autre État contractant seront
exonérées de l'impôt dans le premier État.
PROTOCOLE
7. Le terme «pensions», qui figure à l'article VI A de ladite
Convention, vise les versements périodiques effectués en contre-
partie de services rendus ou en dédommagement de blessures
reçues.
Loi de 1943 sur la Convention relative à l'impôt entre le
Canada et les États-Unis d'Amérique.
3. En cas d'incompatibilité entre les dispositions de la pré-
sente loi ou les stipulations de ladite Convention et dudit
Protocole et l'application de toute autre loi, les dispositions de
la présente loi et les stipulations de la Convention et du
Protocole l'emportent, dans la mesure de cette incompatibilité.
Je pense qu'il faut examiner d'autres articles de
la Loi de l'impôt sur le revenu et se référer
brièvement au terme évasif de «revenu» tel qu'il est
employé dans la Loi. Le paragraphe 2(1) qui
détermine d'une manière générale l'assujettisse-
ment à l'impôt ne vise ni le demandeur ni le
paiement qui lui a été fait; le demandeur ne rési-
dait pas au Canada. A première vue le paragraphe
2(2) ne s'applique pas; en 1969 le demandeur
n'était pas employé—dans l'acception populaire de
ce mot—au Canada et n'y exerçait pas une entre-
prise; il faut cependant se reporter à la section D
de la Loi. L'article 31 vise d'une manière générale
le calcul du revenu imposable gagné au Canada
par une personne non résidente. Il s'agit, en l'es-
pèce, de « ... son revenu pour l'année provenant de
toutes les fonctions qu'elle a accomplies au
Canada ...»
On l'a souvent dit et répété, la Loi ne définit pas
le «revenu». Je vais considérer que le paiement en
question est compris dans le mot «revenu», pris
dans son sens le plus large et dans son acception
populaire'. A cet effet, j'ai écarté pour le moment
l'application ou les conséquences de certains arti
cles de la Loi (qui traitent des résidents) tels que
les articles 6(1)a)(iv) et 139(1)ar), 6(1)a)(v),
139(1)aj), 36 et 31A 3 . (L'article 31A s'applique au
contribuable non résidant). Même si la somme de
$40,000 peut être considérée comme un «revenu»,
elle n'est pas imposable entre les mains du deman-
deur (si on ne tient pas compte de l'article 31A)
parce qu'elle ne constitue pas «un revenu ... prove-
nant de ... fonctions ... accomplies au Canada
...» (article 31(1)a)).
2 Je n'ai pas perdu de vue la jurisprudence que le juge
Martland a résumée dans l'arrêt Curran c. M.R.N. [1959]
R.C.S. 850 où il a déclaré à la page 860:
[TRADUCTION] Ce sont des arrêts où il a été décidé que les
paiements en espèces faits à un employé ne constituaient pas
un revenu imposable parce qu'ils n'étaient pas effectués pour
des services rendus par l'employé, mais plutôt pour obtenir sa
renonciation à des droits qu'il détenait auparavant contre
l'employeur.
J'ai suivi les directives données par le juge en chef Kerwin
dans le même arrêt, aux pages 854 et 855, relatives à la
signification qu'il faut donner au mot revenu:
[TRADUCTION] Ce mot doit être pris dans son acception
courante en ayant à l'esprit la distinction entre capital et
revenu et les concepts et usages courants universellement
reconnus. D'après la jurisprudence, il est certain que la loi
doit utiliser des termes précis pour imposer le revenu du
contribuable et que celui-ci a le droit d'aménager ses affaires
de manière à réduire l'incidence de l'impôt. Cependant, sa
tentative sera infructueuse si les termes de la loi fiscale visent
clairement la transaction.
'L'article 6(1)a)(iv) oblige les résidents à inclure, dans le
calcul de leur revenu, les prestations de pension de retraite ou
de pension. Ces prestations sont définies à l'article 139(1)ar).
L'article 6(1)a)(v) oblige les résidents à inclure, dans le calcul
de leur revenu, les allocations de retraite. Elles sont définies à
l'article 139(1)aj). L'article 36 permet d'établir une espèce de
moyenne en ce qui concerne notamment certains paiements
provenant d'un fonds ou plan de retraite ou de pension, ou
effectués à la retraite d'un employé en reconnaissance de longs
services ou à l'égard de perte de charge ou d'emploi.
J'en arrive maintenant à l'article 31A. Cet arti
cle édicte des présomptions. Certains paiements
faits à des non-résidents (qui pour diverses raisons
pourraient, par ailleurs, ne pas être un «revenu»)
sont censés (sous certaines conditions) être le
revenu provenant de fonctions «réputées avoir été
exercées» au Canada par le non-résident au cours
de l'année d'imposition. Ils tombent ainsi sous le
coup de la disposition générale d'assujettissement
de l'article 31(1)a). L'avocat de la défenderesse
n'a pas essayé de faire entrer le paiement en
question dans le cadre des dispositions des sous-ali-
néas de l'alinéa 31Ac). Comme je l'ai déjà dit au
début de ces motifs, la défenderesse soutient que la
somme de $40,000 est visée à l'alinéa d); qu'il
s'agissait d'un paiement fait au demandeur à l'oc-
casion ou à la suite de sa retraite à l'égard de la
perte de charge ou d'emploi.
A mon avis, le paiement en l'espèce n'a pas été
fait à l'occasion ou à la suite de la retraite du
demandeur. Le demandeur n'a pas pris sa retraite
de ses fonctions à la MacMillan Bloedel au sens
ordinaire du mot «retraite». C'est-à-dire qu'il n'a
pas quitté son emploi parce qu'il avait l'âge con-
venu ni abandonné complètement ses occupations
ou ses activités commerciales. Sur ce point, en
m'efforçant de vérifier le sens courant du mot
«retraite», je me suis servi des définitions de
dictionnaires:
The Shorter Oxford English Dictionary ( 3 e édi-
tion rév.): [TRADUCTION] «abandon de l'activité
professionnelle ou commerciale»
The Living Webster (gère éd.) [TRADUCTION]
«prendre sa retraite», «se retirer de la vie com-
merciale ou active.»
Le contrat de travail en l'espèce (pièce 1),
emploie l'expression «prendre sa retraite» dans les
clauses 1 et 2. On avait prévu l'âge de 65 ans, mais
on pouvait se mettre d'accord sur un âge plus
avancé. A mon avis, les parties ont employé le mot
«retraite» dans son sens courant, indiqué ci-dessus:
l'action de cesser ou d'abandonner le travail en
raison d'une stipulation relative à l'âge ou pour
d'autres raisons convenues entre employeur et
employé. En l'espèce, le demandeur s'est borné à
démissionner avec l'accord de l'employeur. Il n'a
pas, à mon avis, pris sa retraite 4 .
En outre, à mon avis, la MacMillan Bloedel n'a
pas effectué les paiements convenus «à l'égard de
perte de charge ou d'emploi». 5 Je n'ai pas l'inten-
tion d'essayer de faire une déclaration exhaustive
relative au sens qu'il faut donner à cette expres
sion. D'une manière générale, elle vise un paie-
ment fait pour perte d'une source de revenu au
moment ou à la suite de la cessation d'une activité
commerciale courante ou d'un emploi, ou après le
départ d'une certaine fonction ou emploi en raison
de sa disparition ou de l'échéance d'un terme
prévu.
En l'espèce le demandeur, s'il était resté dans la
compagnie jusqu'à l'âge de 65 ans ou plus, aurait
eu droit à certaines prestations sa vie durant. On
peut les définir dans le langage courant comme
une «pension» ou «pension de retraite». Cela ne
s'est pas produit. On lui a demandé d'occuper une
autre fonction ou poste au même salaire. Il n'y a
pas consenti. S'il y avait eu congédiement motivé
de la part de la compagnie (je pense que cela était
possible) le demandeur n'aurait pas eu droit aux
prestations prévues à la clause 2. Le demandeur,
cependant, aurait pu s'incliner devant le désir de la
compagnie et accepter le nouveau poste ou tout
autre poste moins important que le conseil d'admi-
nistration pouvait lui assigner à l'avenir, y demeu-
rer jusqu'à l'âge de 65 ans, puis toucher des presta-
tions calculées conformément à la clause 2. Mais
on ne doit pas perdre de vue les réalités du pouvoir
et les autres rivalités qui s'exercent au sein d'un
conseil d'administration. Je ne doute pas qu'un
groupe de dirigeants bien décidés de la compagnie
aurait pu faire en sorte que finalement le deman-
deur cesse ses fonctions sans l'accord du conseil
d'administration. Le demandeur aurait alors perdu
tout droit aux prestations prévues à la clause 2.
° Dans l'arrêt Jackson c. M.R.N. [1951] R.C.É. 52 le contri-
buable essayait de faire une distinction entre la retraite et la
démission pour éviter l'imposition d'une pension accordée par
les tribunaux. Je ne pense pas que cet arrêt puisse nous aider
puisque les faits et les points litigieux sont très différents.
Les allocations de retraite, définies à l'alinéa 139(1)aj)
semblent, à toute fin pratique, correspondre aux paiements
prévus au sous-alinéa c)(ii) et à l'alinéa d) de l'article 31A. Les
arrêts qui ont analysé l'expression «allocations de retraite»
peuvent donc nous aider. S'il fallait trancher ce point, je
déciderais que le paiement en question ne constituait ni entière-
ment ni partiellement une «allocation de retraite».
Dans l'alternative la compagnie aurait pu, par
suite de sa mésentente avec le demandeur, décider
le renvoi (congédiement) de ce dernier (sans motifs
valables). La compagnie aurait alors été obligée de
lui verser (pourvu que toutes les autres clauses du
contrat aient été respectées) les prestations prévues
à la clause 2. La compagnie n'a pas choisi cette
dernière ligne de conduite.
A mon avis, on a fait une transaction qui consis-
tait essentiellement à réduire à une période de cinq
ans le versement des prestations ou des «droits de
pension» qui autrement auraient été payables à vie
en vertu de la clause 2. On s'est mis d'accord sur
un montant fixé arbitrairement. Le demandeur a
démissionné. Il n'est pas parti, n'a pas abandonné
la compagnie ni d'une manière générale ses fonc-
tions de conseiller commercial et d'administrateur.
C'est suivant un accord qu'il a quitté son emploi à
la MacMillan Bloedel. Il a renoncé à certains
droits en démissionnant, en contrepartie la compa-
gnie s'engageait à lui verser des allocations, infé-
rieures aux éventuelles prestations à vie, ce qu'il
acceptait. Les droits prévus à la clause 2 étaient, à
mon avis, des droits à la pension payables à la
retraite à l'âge de 65 ans ou plus tard ou bien (sous
certaines conditions) à la date antérieure où son
emploi chez la compagnie prendrait fin. Dans ce
dernier cas, les activités postérieures du deman-
deur étaient soumises à certaines restrictions et
conditions. Donc, à mon avis, la somme de $40,000
ne tombe pas sous le coup de l'alinéa 31Ad).
Je pense que cela suffit à régler le sort de cet
appel. Cependant le demandeur soutient qu'indé-
pendamment de l'article 31A, le paiement est exo-
néré en vertu de l'article VI A de la Convention; il
s'agit d'une pension. Je partage ce point de vue.
Si le demandeur était resté chez la MacMillan
Bloedel et avait pris sa retraite à 65 ans ou à un
âge plus avancé, tous les paiements qui lui auraient
été faits en vertu de la clause 2 constitueraient, à
mon avis, une pension au sens de l'article VI A de
la Convention et aussi un paiement au sens du
sous-alinéa 31Ac)(i) 6 ; ces sommes auraient été
6 Si le demandeur résidait alors au Canada les paiements, à
mon avis, seraient «des prestations de retraite ou de pension» au
sens du sous-alinéa 6(1)a)(iv).
payées conformément à un plan de retraite ou de
pension. Le plan en question en l'espèce ne cou-
vrait qu'une personne, le demandeur. Cela faisait
évidemment partie des moyens pour l'inciter
d'abord à accepter l'emploi et ensuite à demeurer
au service de la compagnie. Le contrat de travail
prévoyait le paiement de prestations identiques au
cas où le demandeur cesserait d'être employé par
la compagnie avant l'âge de 65 ans. (J'ai déjà
exposé ces éventualités et maintenant je répète
dans une certaine mesure, certaines remarques
déjà faites). Le simple fait que ces prestations
pouvaient être payables avant l'âge normal de la
retraite et pendant que le demandeur était encore
en mesure et susceptible de trouver un autre
emploi (comme le permettait le contrat), ne leur
enlève pas, à mon avis, la nature de pension ou
d'allocations conformément à un plan de pension.
L'accord du 29 avril 1968 (pièce 2) était une
transaction portant sur le droit à une éventuelle
pension prévue à un plan ou fonds de pension
individuel. Au lieu d'avoir droit à des paiements sa
vie durant, le demandeur a consenti à accepter
«des versements périodiques pour services rendus»
d'un montant total inférieur et naturellement pour
une durée inférieure au montant et à la durée
auxquels il aurait pu prétendre. Je pense qu'on doit
interpréter largement le terme «pensions» utilisé
dans la Convention. A ce sujet je considère que
l'une des définitions du mot «pensions» donnée par
The Shorter Oxford English Dictionary (3 e éd.
rév.) s'applique aux faits de l'espèce et à l'article
VI A: [TRADUCTION] «une rente ou autre verse-
ment effectué périodiquement notamment par un
gouvernement, une compagnie ou un employeur en
contrepartie de services rendus ou de la renoncia-
tion à des droits, revendications ou émoluments».
L'appel est donc accueilli. La cotisation du
Ministre est annulée. Le demandeur a droit à ses
frais.
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