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T-632-73
Charles A. Specht (Demandeur)
c.
La Reine (Défenderesse)
Division de première instance, le juge Collier— Vancouver, les 30 janvier et 25 février 1975.
Impôt sur le revenu—Citoyen américain—Président d'une compagnie canadienne—Accepte de démissionner--Reçoit de la compagnie des versements annuels pendant cinq ans— Retourne aux États-Unis et y accepte un emploi—Demeure membre du conseil d'administration de la compagnie cana- dienne—Est-il imposable sur les versements annuels à titre de non-résident?—Loi de l'impôt sur le revenu, art. 31 et 31A; Loi de 1943 sur la Convention relative à l'impôt entre le Canada et les États-Unis d'Amérique, S.C. 1943-44, c. 21, art. 2 et Ann. (Convention) art. VIA et (Protocole) art. 7.
Le demandeur, citoyen américain, était président d'une grande compagnie canadienne de 1963 1968, en vertu d'un contrat de travail prévoyant un salaire annuel de $120,000 et une pension de retraite. En 1968, on lui demanda d'abandonner le poste de président pour un autre poste au sein de la compa- gnie, au même salaire, ce qu'il refusa. Après quoi, les parties aboutirent à un accord en vertu duquel le demandeur devait démissionner comme employé à temps plein, demeurer membre du conseil d'administration pour le moment et recevoir $40,000 par an pendant cinq ans, qu'il ait ou non trouvé un emploi ailleurs. Après sa démission du poste de président, il retourna aux États-Unis il devint président d'une compagnie. Il démissionna comme membre du conseil d'administration de la compagnie canadienne en 1972. Il fit figurer la somme de $40,000, qu'il avait reçue en 1969, dans sa déclaration d'impôt aux États-Unis et en fit de même au Canada, mais en faisant des réserves. La Commission de révision de l'impôt ayant confirmé la cotisation établie par le Ministre pour cette somme, le demandeur interjeta appel.
Arrêt: l'appel est accueilli; la cotisation se fondait sur l'article 31A de la Loi de l'impôt sur le revenu et particulièrement sur l'alinéa d), visant le paiement fait à un contribuable à la suite de sa retraite à l'égard de perte de charge ou d'emploi. Cepen- dant le demandeur n'a pas quitté ses fonctions au sein de la compagnie canadienne, ni de ses occupations d'administrateur de compagnie et pris sa «retraite». Le contrat de travail avait des clauses visant sa «retraite» au sens de l'abandon de son travail à l'âge convenu ou plus généralement de sa profession d'administrateur de compagnie. En vertu du contrat postérieur, le demandeur devait démissionner de son poste. Les versements convenus n'ont pas été effectués à l'égard de «perte de charge ou d'emploi». Les parties avaient fait une transaction aux termes de laquelle elles ont réduit à une période de cinq ans et au montant convenu, les prestations ou droits de pension qui autrement auraient été payables à vie en vertu du contrat de travail. La cotisation, ne relevant pas de l'article 31A, doit être annulée. Le résultat serait le même en vertu de la Convention relative à l'impôt entre le Canada et les États-Unis. Si le demandeur était resté au sein de la compagnie canadienne jusqu'à sa retraite à 65 ans, tous les versements qui lui auraient été faits en vertu du contrat de travail auraient constitué «une
pension» au sens de l'article VI A de la Convention, et aussi un paiement au sens de l'article 31Ac)(i) de la Loi de l'impôt sur le revenu. Au lieu d'avoir droit à des paiements sa vie durant, le demandeur a consenti à accepter des versements périodiques d'un montant inférieur et pour une plus courte durée.
Arrêt appliqué: Curran c. M.R.N. [1959] R.C.S. 850. Distinction établie avec l'arrêt Jackson c. M.R.N. [1951] R.C.E. 52.
APPEL en matière d'impôt sur le revenu. AVOCATS:
J. Barbeau et G. Sutherland pour le
demandeur.
T. E. Jackson, c.r., pour la défenderesse.
PROCUREURS:
Barbeau, McKercher, Collingwood & Hanna, Vancouver, pour le demandeur.
Le sous-procureur général du Canada pour la défenderesse.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE COLLIER: Le ministre du Revenu national a cotisé l'impôt sur le revenu du deman- deur pour l'année 1969 sur le montant total de $40,000 que ce dernier, un non-résident, a reçu pour ladite année d'une compagnie canadienne. Le demandeur soutient que les sommes reçues consti- tuaient une «pension» au sens de l'article VI A de la convention relative à l'impôt entre le Canada et les États-Unis d'Amérique, et qu'à ce titre elles étaient exonérées d'impôt au Canada. La Commis sion de révision de l'impôt a confirmé la cotisation du Ministre; d'où cet appel.
Le demandeur est conseiller et administrateur commercial. Il est le 30 juillet 1914. Il est et a toujours été citoyen américain. Avant septembre 1963, il avait été président et administrateur délé- gué d'une grande compagnie américaine. Le 5 septembre 1963, il est devenu président et direc- teur d'exploitation chez MacMillan, Bloedel and Powell River Limited («MacMillan Bloedel»), une grande compagnie canadienne très connue. Il signa un contrat de travail. Les clauses liminaires de ce contrat précisent que le demandeur est président; que [TRADUCTION] «la compagnie désire que M. Specht continue à exercer ses fonctions au poste de président ou à tout autre poste qui pourra lui être confié dans l'intérêt de la compagnie»; que le
demandeur consent à prendre sa retraite à 65 ans, qu'il ne quittera pas ses fonctions sans le consente- ment du conseil d'administration et, quand il les aura quittées, n'exercera pas une activité commer- ciale ni ne prendra un emploi sans l'accord et l'approbation de la MacMillan Bloedel.
Les stipulations de chacune des parties ne men- tionnent pas la fonction précise ou le poste que le demandeur occupait ou devait occuper. D'une manière générale, on avait utilisé le terme «emploi». Le salaire n'était pas précisé.
Je résume les principales stipulations.
1. Le demandeur consentait à prendre sa retraite à 65 ans. On pouvait d'un commun accord convenir d'un âge plus avancé.
2. Si le demandeur cessait ses fonctions
a) sur sa propre initiative et avec le consente- ment du conseil d'administration, ou
b) sur l'initiative de la MacMillan Bloedel (sauf renvoi pour motif valable ou en vertu de la clause de retraite) ou
c) pour prendre sa retraite à 65 ans ou plus tard, la compagnie devait alors lui verser à vie une somme mensuelle. La méthode de calcul de cette somme était prévue. Elle représentait, en simpli- fiant, le tiers de la moyenne de ses gains durant certaines périodes déterminées. Si le demandeur venait à décéder pendant qu'il recevait ces paie- ments, sa veuve, tant qu'elle ne se remarierait pas, devait recevoir, sa vie durant, la moitié de la somme mensuelle.
3. Après la cessation de ses fonctions, le deman- deur ne devait se livrer ni participer à aucune activité [TRADUCTION] «préjudiciable aux inté- rêts» de la MacMillan Bloedel; il consentait à demeurer disponible pour donner son opinion et des conseils sur les affaires de la compagnie.
4. Le demandeur consentait, après la cessation de ses fonctions, et [TRADUCTION] «tant qu'il aurait droit à un avantage quelconque en vertu du pré- sent contrat» à ne se livrer à aucune activité com- merciale ni à prendre un emploi sans l'accord de la compagnie. La compagnie ne devait refuser cet accord sans raison valable. Cette clause ne devait pas s'appliquer si le demandeur renonçait aux droits que le contrat conférait à lui et à sa veuve.
5. Si le demandeur venait à mourir pendant qu'il était au service de la compagnie, on devait payer à sa veuve, tant qu'elle ne se remariait pas, certaines sommes sa vie durant.
6. Si le demandeur contrevenait à une clause du contrat et ne donnait aucune suite à l'avis lui demandant de s'y conformer, le contrat serait rési- lié et [TRADUCTION] «la compagnie ne sera nulle- ment obligée d'effectuer les versements prévus» au demandeur ou à sa veuve.
Le demandeur a occupé le poste de président jusqu'au 30 avril 1968. Il était administrateur et membre du comité directeur du Conseil d'adminis- tration. Il recevait un salaire de $120,000 l'an. La MacMillan Bloedel avait divers plans ou fonds de pension dont bénéficiaient plusieurs employés. Le demandeur ne bénéficiait d'aucun de ces plans ou fonds auxquels il ne participait pas. Au printemps 1968, on lui demanda d'abandonner la fonction de président pour devenir directeur des services finan ciers. Il refusa d'accepter ce poste. Il considérait qu'il s'agissait d'une espèce de rétrogradation dont l'acceptation entacherait sa carrière commerciale. Quand il est entré chez MacMillan Bloedel, il espérait devenir administrateur délégué quand le titulaire du poste prendrait sa retraite. Il est arrivé, entre autres choses, que l'administrateur délégué n'a pas pris sa retraite au moment prévu. Le demandeur devait garder le même salaire comme directeur des services financiers.
A la suite du désaccord et de l'impasse qui en résultait, le demandeur et la MacMillan Bloedel sont parvenus à l'arrangement suivant le 29 avril 1968 (pièce 2):
[TRADUCTION] Vous [le demandeur] vous vous engagez à:
a) Démissionner comme employé à plein temps de la compa- gnie à partir du 30 avril. Vous aurez ainsi la liberté d'action qui vous est nécessaire pour prendre d'autres dispositions.
b) Demeurer membre du conseil d'administration et du comité directeur jusqu'à décision contraire de votre part ou de la part de la compagnie. Vos dépenses seront remboursées mais vous ne recevrez aucun traitement ou salaire pour lesdits services en raison du fait que vous recevrez $40,000 par an pendant cinq ans comme prévu ci-après. Cependant la réception de cette somme ne vous oblige pas à demeurer au conseil d'administration ou au comité directeur.
c) Me remettre une lettre, non datée, de démission du conseil d'administration et du comité directeur.
La compagnie s'engage à:
a) Vous payer aux dates habituelles votre salaire actuel jusqu'à la fin du mois d'août 1968, que vous trouviez un autre emploi ou non.
b) Vous payer à partir du 1" septembre 1968 la somme de $40,000 par an, par quinzaine comme d'habitude, pendant les cinq années se terminant le 31 août 1973, soit un total de $200,000. Ces sommes vous seront payées, que vous accep- tiez un emploi ailleurs ou pas. En cas de décès au cours de cette période de cinq ans, tout solde encore impayé sur les $200,000 sera versé à votre succession. Si vous démissionnez du conseil d'administration ou du comité directeur, la compa- gnie vous paiera à ce moment le solde impayé sur les $200,000 par versements échelonnés fixés d'un commun accord. Il va sans dire que vous vous abstiendrez scrupuleuse- ment à tout moment de révéler les renseignements confiden- tiels que vous possédez maintenant en tant que président de cette compagnie.
c) Vous rémunérer selon des modalités à établir entre nous, pour tous services spéciaux qu'on pourra vous demander de rendre et dont vous voudrez vous charger sous forme de consultation ou autrement.
En septembre 1968 on modifia légèrement, d'un commun accord, la clause b) des engagements de la compagnie (pièce 3). Les paiements de $40,000 devaient commencer le ler janvier 1969 pour se terminer le 31 décembre 1973. Des versements trimestriels de $10,000 devaient être faits.
Le demandeur a témoigné que, bien que la somme de $200,000 ait été choisie arbitrairement, elle représentait un règlement de [TRADUCTION] «mes droits de pension». Mathématiquement au moins, les versements annuels échelonnés sur cinq ans représentaient le tiers du salaire qu'il recevait avant sa démission ou la cessation de ses services.
En juillet 1968, le demandeur a établi sa rési- dence aux États-Unis et il y réside depuis. Il a vendu sa maison de Vancouver en septembre 1968. Il est devenu président et administrateur délégué d'une compagnie américaine après sa démission, comme indiqué à la pièce 2. Il est demeuré admi- nistrateur de la MacMillan Bloedel et membre du comité directeur du conseil d'administration, assis tant régulièrement aux réunions chaque année jus- qu'en 1972. Cette année-là, à cause d'un conflit d'intérêt, il n'a pas demandé sa réélection en qua- lité d'administrateur.
En 1969, conformément aux pièces 2 et 3, il a reçu la somme de $40,000 aux États-Unis. Il a fait figurer cette somme dans sa déclaration aux servi ces américains d'impôt sur le revenu. On lui a demandé de faire une déclaration au Canada au sujet des $40,000 qu'il avait perçus. Il l'a fait à
contrecoeur et sous réserve. Il en est résulté la cotisation qui fait l'objet de l'appel.
La défense a soutenu subsidiairement que les $40,000 ont été versés au demandeur en 1969 en raison de ses fonctions d'administrateur de la Mac- Millan Bloedel et de membre du comité directeur, ou pour ses services en tant que tels, et étaient donc déjà imposables pour ces motifs. Au cours des débats, cette position a été abandonnée, à juste titre je le crois bien. Les sommes reçues n'avaient, d'après les preuves, absolument rien à voir avec les fonctions du demandeur en qualité d'administra- teur ou avec les services qu'il a pu rendre en qualité d'administrateur ou de membre du comité directeur.
La défenderesse soutient principalement que le paiement était soumis à l'article 31A de la Loi de l'impôt sur le revenu', et particulièrement à l'ali- néa d). Le demandeur ne partage pas ce point de vue et déclare qu'en tous cas l'exonération prévue à l'article VI A de la Convention s'applique. La défenderesse réplique que le paiement, quel qu'en soit la nature, n'était pas une «pension» au sens de l'article de la Convention et de l'article 7 du Protocole.
Je vais citer les extraits pertinents des articles 31, 31A, de la Convention, du Protocole et de la Loi de 1943 sur la Convention relative â l'impôt entre le Canada et les États-Unis d'Amérique.
31. (1) Pour l'application de la présente loi, le revenu impo- sable d'une personne non résidante gagné au Canada pour une année d'imposition est
a) son revenu pour l'année provenant de toutes les fonctions qu'elle a accomplies au Canada et toutes les entreprises qu'elle y a exercées,
31A. Lorsque, dans une année d'imposition, un paiement est effectué par une personne résidant au Canada à un particulier qui n'est pas un résident du Canada et qui, durant les cinq années immédiatement précédant l'année dans laquelle est effectué le paiement
a) résidait au Canada, ou
b) était employé au Canada
pour une ou des périodes formant un total d'au moins trente-six mois, si le paiement est
c) un paiement
(i) fait sur un fonds ou plan de pension de retraite, ou conformément à un fonds ou plan,
' S.R.C. 1952, c. 148 et ses modifications.
(ii) fait à la retraite d'un employé en reconnaissance de longs services et non fait sur un fonds ou plan de pension de retraite ou en vertu d'un tel fonds ou plan,
(iii) fait en conformité d'un plan de participation des employés aux bénéfices, en acquittement de tous les droits du bénéficiaire dans le plan ou en vertu de celui-ci, dans la mesure le montant en serait autrement inclus dans le calcul du revenu du bénéficiaire pour l'année dans laquelle le paiement a été reçu, si le bénéficiaire avait résidé au Canada pendant la totalité de l'année d'imposition dans laquelle le paiement a été reçu, ou
(iv) en conformité d'un plan différé de participation aux bénéfices à l'occasion du décès, du retrait ou de la retraite d'un employé ou ancien employé, dans la mesure le montant en serait autrement inclus dans le calcul du revenu du bénéficiaire pour l'année dans laquelle le paie- ment a été reçu, si le bénéficiaire avait résidé au Canada pendant la totalité de l'année d'imposition dans laquelle le paiement a été reçu, ou
d) un paiement fait par un employeur à un employé ou ancien employé, à l'occasion ou à la suite de la retraite à l'égard de perte de charge ou d'emploi,
le paiement est censé être le revenu du bénéficiaire, pour l'année dans laquelle il a été reçu, provenant de fonctions réputées avoir été exercées par lui au Canada, à moins qu'il ne puisse être établi, par des événements subséquents ou d'autre façon, que le paiement a été effectué comme partie d'une série de paiements annuels ou d'autres paiements périodiques devant être effectués au bénéficiaire sa vie durant.
ARTICLE VI A.
Les pensions (y compris les pensions de l'État) et les rentes viagères que retire de sources situées dans l'un des États contractants tout résident de l'autre État contractant seront exonérées de l'impôt dans le premier État.
PROTOCOLE
7. Le terme «pensions», qui figure à l'article VI A de ladite Convention, vise les versements périodiques effectués en contre- partie de services rendus ou en dédommagement de blessures reçues.
Loi de 1943 sur la Convention relative à l'impôt entre le Canada et les États-Unis d'Amérique.
3. En cas d'incompatibilité entre les dispositions de la pré- sente loi ou les stipulations de ladite Convention et dudit Protocole et l'application de toute autre loi, les dispositions de la présente loi et les stipulations de la Convention et du Protocole l'emportent, dans la mesure de cette incompatibilité.
Je pense qu'il faut examiner d'autres articles de la Loi de l'impôt sur le revenu et se référer brièvement au terme évasif de «revenu» tel qu'il est employé dans la Loi. Le paragraphe 2(1) qui détermine d'une manière générale l'assujettisse- ment à l'impôt ne vise ni le demandeur ni le paiement qui lui a été fait; le demandeur ne rési- dait pas au Canada. A première vue le paragraphe 2(2) ne s'applique pas; en 1969 le demandeur n'était pas employé—dans l'acception populaire de ce mot—au Canada et n'y exerçait pas une entre-
prise; il faut cependant se reporter à la section D de la Loi. L'article 31 vise d'une manière générale le calcul du revenu imposable gagné au Canada par une personne non résidente. Il s'agit, en l'es- pèce, de « ... son revenu pour l'année provenant de toutes les fonctions qu'elle a accomplies au Canada ...»
On l'a souvent dit et répété, la Loi ne définit pas le «revenu». Je vais considérer que le paiement en question est compris dans le mot «revenu», pris dans son sens le plus large et dans son acception populaire'. A cet effet, j'ai écarté pour le moment l'application ou les conséquences de certains arti cles de la Loi (qui traitent des résidents) tels que les articles 6(1)a)(iv) et 139(1)ar), 6(1)a)(v), 139(1)aj), 36 et 31A 3 . (L'article 31A s'applique au contribuable non résidant). Même si la somme de $40,000 peut être considérée comme un «revenu», elle n'est pas imposable entre les mains du deman- deur (si on ne tient pas compte de l'article 31A) parce qu'elle ne constitue pas «un revenu ... prove- nant de ... fonctions ... accomplies au Canada ...» (article 31(1)a)).
2 Je n'ai pas perdu de vue la jurisprudence que le juge Martland a résumée dans l'arrêt Curran c. M.R.N. [1959] R.C.S. 850 il a déclaré à la page 860:
[TRADUCTION] Ce sont des arrêts il a été décidé que les paiements en espèces faits à un employé ne constituaient pas un revenu imposable parce qu'ils n'étaient pas effectués pour des services rendus par l'employé, mais plutôt pour obtenir sa renonciation à des droits qu'il détenait auparavant contre l'employeur.
J'ai suivi les directives données par le juge en chef Kerwin dans le même arrêt, aux pages 854 et 855, relatives à la signification qu'il faut donner au mot revenu:
[TRADUCTION] Ce mot doit être pris dans son acception courante en ayant à l'esprit la distinction entre capital et revenu et les concepts et usages courants universellement reconnus. D'après la jurisprudence, il est certain que la loi doit utiliser des termes précis pour imposer le revenu du contribuable et que celui-ci a le droit d'aménager ses affaires de manière à réduire l'incidence de l'impôt. Cependant, sa tentative sera infructueuse si les termes de la loi fiscale visent clairement la transaction.
'L'article 6(1)a)(iv) oblige les résidents à inclure, dans le calcul de leur revenu, les prestations de pension de retraite ou de pension. Ces prestations sont définies à l'article 139(1)ar). L'article 6(1)a)(v) oblige les résidents à inclure, dans le calcul de leur revenu, les allocations de retraite. Elles sont définies à l'article 139(1)aj). L'article 36 permet d'établir une espèce de moyenne en ce qui concerne notamment certains paiements provenant d'un fonds ou plan de retraite ou de pension, ou effectués à la retraite d'un employé en reconnaissance de longs services ou à l'égard de perte de charge ou d'emploi.
J'en arrive maintenant à l'article 31A. Cet arti cle édicte des présomptions. Certains paiements faits à des non-résidents (qui pour diverses raisons pourraient, par ailleurs, ne pas être un «revenu») sont censés (sous certaines conditions) être le revenu provenant de fonctions «réputées avoir été exercées» au Canada par le non-résident au cours de l'année d'imposition. Ils tombent ainsi sous le coup de la disposition générale d'assujettissement de l'article 31(1)a). L'avocat de la défenderesse n'a pas essayé de faire entrer le paiement en question dans le cadre des dispositions des sous-ali- néas de l'alinéa 31Ac). Comme je l'ai déjà dit au début de ces motifs, la défenderesse soutient que la somme de $40,000 est visée à l'alinéa d); qu'il s'agissait d'un paiement fait au demandeur à l'oc- casion ou à la suite de sa retraite à l'égard de la perte de charge ou d'emploi.
A mon avis, le paiement en l'espèce n'a pas été fait à l'occasion ou à la suite de la retraite du demandeur. Le demandeur n'a pas pris sa retraite de ses fonctions à la MacMillan Bloedel au sens ordinaire du mot «retraite». C'est-à-dire qu'il n'a pas quitté son emploi parce qu'il avait l'âge con- venu ni abandonné complètement ses occupations ou ses activités commerciales. Sur ce point, en m'efforçant de vérifier le sens courant du mot «retraite», je me suis servi des définitions de dictionnaires:
The Shorter Oxford English Dictionary ( 3 e édi- tion rév.): [TRADUCTION] «abandon de l'activité professionnelle ou commerciale»
The Living Webster (gère éd.) [TRADUCTION] «prendre sa retraite», «se retirer de la vie com- merciale ou active.»
Le contrat de travail en l'espèce (pièce 1), emploie l'expression «prendre sa retraite» dans les clauses 1 et 2. On avait prévu l'âge de 65 ans, mais on pouvait se mettre d'accord sur un âge plus avancé. A mon avis, les parties ont employé le mot «retraite» dans son sens courant, indiqué ci-dessus: l'action de cesser ou d'abandonner le travail en raison d'une stipulation relative à l'âge ou pour d'autres raisons convenues entre employeur et employé. En l'espèce, le demandeur s'est borné à
démissionner avec l'accord de l'employeur. Il n'a pas, à mon avis, pris sa retraite 4 .
En outre, à mon avis, la MacMillan Bloedel n'a pas effectué les paiements convenus «à l'égard de perte de charge ou d'emploi». 5 Je n'ai pas l'inten- tion d'essayer de faire une déclaration exhaustive relative au sens qu'il faut donner à cette expres sion. D'une manière générale, elle vise un paie- ment fait pour perte d'une source de revenu au moment ou à la suite de la cessation d'une activité commerciale courante ou d'un emploi, ou après le départ d'une certaine fonction ou emploi en raison de sa disparition ou de l'échéance d'un terme prévu.
En l'espèce le demandeur, s'il était resté dans la compagnie jusqu'à l'âge de 65 ans ou plus, aurait eu droit à certaines prestations sa vie durant. On peut les définir dans le langage courant comme une «pension» ou «pension de retraite». Cela ne s'est pas produit. On lui a demandé d'occuper une autre fonction ou poste au même salaire. Il n'y a pas consenti. S'il y avait eu congédiement motivé de la part de la compagnie (je pense que cela était possible) le demandeur n'aurait pas eu droit aux prestations prévues à la clause 2. Le demandeur, cependant, aurait pu s'incliner devant le désir de la compagnie et accepter le nouveau poste ou tout autre poste moins important que le conseil d'admi- nistration pouvait lui assigner à l'avenir, y demeu- rer jusqu'à l'âge de 65 ans, puis toucher des presta- tions calculées conformément à la clause 2. Mais on ne doit pas perdre de vue les réalités du pouvoir et les autres rivalités qui s'exercent au sein d'un conseil d'administration. Je ne doute pas qu'un groupe de dirigeants bien décidés de la compagnie aurait pu faire en sorte que finalement le deman- deur cesse ses fonctions sans l'accord du conseil d'administration. Le demandeur aurait alors perdu tout droit aux prestations prévues à la clause 2.
° Dans l'arrêt Jackson c. M.R.N. [1951] R.C.É. 52 le contri- buable essayait de faire une distinction entre la retraite et la démission pour éviter l'imposition d'une pension accordée par les tribunaux. Je ne pense pas que cet arrêt puisse nous aider puisque les faits et les points litigieux sont très différents.
Les allocations de retraite, définies à l'alinéa 139(1)aj) semblent, à toute fin pratique, correspondre aux paiements prévus au sous-alinéa c)(ii) et à l'alinéa d) de l'article 31A. Les arrêts qui ont analysé l'expression «allocations de retraite» peuvent donc nous aider. S'il fallait trancher ce point, je déciderais que le paiement en question ne constituait ni entière- ment ni partiellement une «allocation de retraite».
Dans l'alternative la compagnie aurait pu, par suite de sa mésentente avec le demandeur, décider le renvoi (congédiement) de ce dernier (sans motifs valables). La compagnie aurait alors été obligée de lui verser (pourvu que toutes les autres clauses du contrat aient été respectées) les prestations prévues à la clause 2. La compagnie n'a pas choisi cette dernière ligne de conduite.
A mon avis, on a fait une transaction qui consis- tait essentiellement à réduire à une période de cinq ans le versement des prestations ou des «droits de pension» qui autrement auraient été payables à vie en vertu de la clause 2. On s'est mis d'accord sur un montant fixé arbitrairement. Le demandeur a démissionné. Il n'est pas parti, n'a pas abandonné la compagnie ni d'une manière générale ses fonc- tions de conseiller commercial et d'administrateur. C'est suivant un accord qu'il a quitté son emploi à la MacMillan Bloedel. Il a renoncé à certains droits en démissionnant, en contrepartie la compa- gnie s'engageait à lui verser des allocations, infé- rieures aux éventuelles prestations à vie, ce qu'il acceptait. Les droits prévus à la clause 2 étaient, à mon avis, des droits à la pension payables à la retraite à l'âge de 65 ans ou plus tard ou bien (sous certaines conditions) à la date antérieure son emploi chez la compagnie prendrait fin. Dans ce dernier cas, les activités postérieures du deman- deur étaient soumises à certaines restrictions et conditions. Donc, à mon avis, la somme de $40,000 ne tombe pas sous le coup de l'alinéa 31Ad).
Je pense que cela suffit à régler le sort de cet appel. Cependant le demandeur soutient qu'indé- pendamment de l'article 31A, le paiement est exo- néré en vertu de l'article VI A de la Convention; il s'agit d'une pension. Je partage ce point de vue.
Si le demandeur était resté chez la MacMillan Bloedel et avait pris sa retraite à 65 ans ou à un âge plus avancé, tous les paiements qui lui auraient été faits en vertu de la clause 2 constitueraient, à mon avis, une pension au sens de l'article VI A de la Convention et aussi un paiement au sens du sous-alinéa 31Ac)(i) 6 ; ces sommes auraient été
6 Si le demandeur résidait alors au Canada les paiements, à mon avis, seraient «des prestations de retraite ou de pension» au sens du sous-alinéa 6(1)a)(iv).
payées conformément à un plan de retraite ou de pension. Le plan en question en l'espèce ne cou- vrait qu'une personne, le demandeur. Cela faisait évidemment partie des moyens pour l'inciter d'abord à accepter l'emploi et ensuite à demeurer au service de la compagnie. Le contrat de travail prévoyait le paiement de prestations identiques au cas le demandeur cesserait d'être employé par la compagnie avant l'âge de 65 ans. (J'ai déjà exposé ces éventualités et maintenant je répète dans une certaine mesure, certaines remarques déjà faites). Le simple fait que ces prestations pouvaient être payables avant l'âge normal de la retraite et pendant que le demandeur était encore en mesure et susceptible de trouver un autre emploi (comme le permettait le contrat), ne leur enlève pas, à mon avis, la nature de pension ou d'allocations conformément à un plan de pension. L'accord du 29 avril 1968 (pièce 2) était une transaction portant sur le droit à une éventuelle pension prévue à un plan ou fonds de pension individuel. Au lieu d'avoir droit à des paiements sa vie durant, le demandeur a consenti à accepter «des versements périodiques pour services rendus» d'un montant total inférieur et naturellement pour une durée inférieure au montant et à la durée auxquels il aurait pu prétendre. Je pense qu'on doit interpréter largement le terme «pensions» utilisé dans la Convention. A ce sujet je considère que l'une des définitions du mot «pensions» donnée par The Shorter Oxford English Dictionary (3 e éd. rév.) s'applique aux faits de l'espèce et à l'article VI A: [TRADUCTION] «une rente ou autre verse- ment effectué périodiquement notamment par un gouvernement, une compagnie ou un employeur en contrepartie de services rendus ou de la renoncia- tion à des droits, revendications ou émoluments».
L'appel est donc accueilli. La cotisation du Ministre est annulée. Le demandeur a droit à ses frais.
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